CHAPITRE 7 : Entretien nocturne
La lune était haute dans le ciel étoilé, lorsque Zoro reposa l'immense alter de 500 kilos, qui marquait la fin de son entrainement. Il attrapa une serviette posée sur la banquette rouge de la vigie, et essuya la sueur qui recouvrait son torse dénudé, avant de la passer sur son visage. Au travers des fenêtres, il observa la mer d'un calme plat, où se reflétaient un parterre de constellations. Un gargouillis sonore le tira de sa rêverie temporaire et son regard glissa vers l'assiette encore pleine, posé dans un coin de la pièce. Le grondement de son estomac s'intensifia et Zoro soupira. Un peu plus tôt, lorsqu'il était monté ici, l'énervement et les paroles du pervers, lui avaient coupé l'appétit, si bien qu'il s'était vengé sur ses instruments de musculation. Il lui avait fallu 6 heures ininterrompues d'entrainements pour calmer ses nerfs. Bon, maintenant, ses muscles tressautaient de façon vraiment inconfortable et le lançaient quelque peu, mais au moins, il n'éprouvait plus envie d'égorger qui que ce soit.
L'assiette posée sur les genoux, et confortablement installé sur la banquette, le pirate aux cheveux verts mâchouillait la cuisse de canard nappée de sauce mandarine accompagné de riz, depuis longtemps refroidie. D'habitude, il se régalait en mangeant les plats du cuisto, malgré toutes les horreurs qu'il pouvait lui dire, mais celui-ci lui laissa un goût amer dans la bouche. Chaque bouchée le ramenait à la jolie rousse et à ce qu'il s'était passé plus tôt dans la journée.
Son expression s'assombrit à cette pensée et la douleur dans sa poitrine se réveilla. Il avait encore du mal à se dire que c'était fini entre eux. Pour être honnête, il n'arrivait pas à l'accepter, même si c'était lui qui avait suggéré que leur histoire était une erreur. Qu'est-ce qu'il s'en voulait pour cela, d'ailleurs. Pourquoi lui avait-elle lancé cet ultimatum ?! Il ne comprenait toujours pas ce qui lui était passé par la tête. D'accord, elle avait le droit d'être en colère contre lui, mais de là à lui demander une telle chose ?!
Ce qui était fait, était fait.
Par la fenêtre, son œil dériva vers la porte de leur chambre. Un plat y avait été déposé, et de ce qu'il pouvait en juger, celui-ci semblait encore complet, et il ressentit une pointe de culpabilité. Nami n'était pas encore sortie. Est-ce qu'elle pleurait encore ? Que devait-il faire ? Son instinct lui dictait de descendre et d'aller frapper à sa porte pour tenter de lui parler, mais ses dernières paroles se répétaient encore dans son esprit et l'empêchait de bouger.
« Espèce de salaud ! effectivement ! c'était bien une erreur de croire que tu serais capable d'aimer autre chose que tes stupides épées ! » « Va-t'en ! Dégage de là ! ».
Zoro serra les dents alors que son cœur le lancinait, et il porta la main sur son pectoral pour enfoncer ses doigts dans sa chaire, comme pour chercher à l'arracher. Maudite sorcière et ses pouvoirs surnaturels ! Elle lui avait jeter un maléfice et voilà où il en était… incapable de s'imaginer sans elle, sous peine de souffrir inlassablement. Tss !
Son appétit était peut-être comblé, en revanche, il ne rechignerait pas sur une bonne bouteille pour noyer quelque peu cette douleur. Zoro ramassa son t-shirt et le passa par-dessus sa tête avant de se diriger vers la trappe, son assiette à la main.
La tête enfouie dans les entrailles du bar qu'accueillait la salle de l'aquarium, le bretteur farfouillait entre les diverses fioles, faisant chanter le verre à chaque fois qu'elles s'entrechoquaient. Du vin, et encore du vin. A croire que tout leur stock était ici… Il y avait fort à parier qu'il s'agissait encore d'un coup de l'autre pervers, qui, pour plaire à l'archéologue, avait dû expatrier tout autre alcool. Lorsqu'elle s'installait dans la bibliothèque, Robin appréciait toujours un bon verre de vin pour l'accompagner dans ses aventures littéraires. Les seules autres qui appréciait ce genre de boisson étaient Nami et le cuistot lui-même, alors nul étonnement de constater la pléthore de breuvage à base de raisins fermentés.
Pour sa part, après avoir côtoyé Mihawk pendant deux, qui ne jurait que par ça, (et surtout l'avoir empêché d'y gouter tant qu'il n'aurait pas maitrisé le haki) Zoro avait désormais le vin en horreur. De toute façon, en cet instant, il avait besoin de quelque chose de nettement plus fort. Encore plus que le saké, voilà pourquoi il provoquait tout ce ramdam en pleine nuit dans la salle de l'aquarium. Il aurait juré qu'il en restait au moins une bouteille…
Soudain, derrière la multitude de cols sombres, l'un d'eux se détacha par sa transparence singulière. L'éclat translucide apporta une lueur d'espoir dans le cœur de Zoro, qui tendit la main, sans hésiter, pour l'extirper du coin obscur où elle se cachait. Le cling-cling mécontent de ses sœurs lui chatouilla les oreilles mais il les ignora, et quand elle fut enfin libre, un sourire satisfait fendit le visage du pirate. Un liquide ambré emplissait les trois quarts de la bouteille et lui suggérait des promesses alléchantes.
Sans perdre une seconde de plus, Zoro arracha le bouchon avec les dents pour le recracher quelques mètres plus loin, avant de s'empresser de porter le goulot à ses lèvres. Il but, tel un assoiffé ayant souffert de la sécheresse pendant des jours, et apprécia cette douce brulure qui lui ravageait la langue et s'engouffrait dans son gosier. Il fallut quelque seconde de plus pour sentir les prémices des effets de l'alcool, engourdir ses muscles et alléger sa tête. Assis à même le sol, le dos callé contre le bar et le poignet posé sur son genou surélevé, Zoro pencha la tête pour l'appuyer contre le meuble et ferma l'œil.
Voilà peut-être la seule chose positive de la journée. Cependant, la douce euphorie qu'il ressentit, ne dura que quelques secondes, car très rapidement, ses problèmes avec Nami ressurgirent. Comment allaient-ils faire ? Est-ce qu'une cohabitation était envisageable ? Ils y arrivaient bien avant, alors en quoi cela serait différent ?
Tu le sais pourquoi, lui répondit une version Tontatta de lui-même, juchée sur son épaule. Tes sentiments pour elle, sont beaucoup trop fort pour que tu la laisses redevenir une simple amie.
- Il faudra bien que j'y arrive, maugréa Zoro. Il en va du bien-être de l'équipage.
Sauf si Luffy en décides autrement… Après tout, ce n'est pas parce qu'il ne t'a rien dit tout à l'heure, que tu es sauf de son jugement. Tu es en sursis le temps que le capitaine prenne une décision.
- S'il veut que je quitte le navire, je n'irais pas à son encontre, déclara-t-il sombrement avant de prendre une lamper de rhum.
Cette perspective le plongea dans un silence méditatif funeste. Ce n'était vraiment pas ce qu'il souhaitait, car il appréciait sa vie sur le Sunny, entouré de ses compagnons (même avec l'autre tordu), mais s'il y avait une personne essentielle sur ce navire, c'était bien Nami. Sans elle, aucun d'eux n'avait de chance d'atteindre leurs objectifs. Elle les guidait tous, elle était leur phare dans cette mer brumeuse, elle était leur boussole, ou plutôt elle était sa boussole. A ses côtés, il se sentait moins perdu, aussi bien physiquement que métaphoriquement. Sans elle, Zoro était voué à une vie d'errance, vide et insipide, comme celle qu'il avait mené sans s'en rendre compte jusqu'à sa rencontre avec Luffy.
Il pouvait très bien s'en accommoder, tant qu'il poursuivrait son objectif, car il l'avait promis à Kuina, mais sa réussite n'aurait certainement pas la même saveur sans Nami et Luffy à ses côtés. Ne parlons même pas de l'après… Cependant, c'était une possibilité qu'il ne devait pas écarter, malgré qu'elle le rebutât au plus haut point.
Un rictus amer déforma ses traits tandis que son regard se perdait dans le vide. Ses sentiments l'avaient sacrément ramolli…
Si cela devait être sa dernière nuit sur le Sunny, autant en profiter depuis l'extérieur, avec le vent chargé d'embruns qui venait lui caresser les cheveux et le doux chant des vagues.
…
Le cadavre de la bouteille de rhum gisait dans la pelouse, vide depuis plus d'une heure, aux pieds de son agresseur. Celui-ci était accoudé au bastingage et observait les étoiles qui se reflétaient dans l'eau. Une heure plus tôt, il s'était approché de la porte de leur chambre avec sa bouteille à la main (un nœud s'était formé dans son estomac à la réalisation que ce ne serait bientôt plus leur), et avait fixé longuement le plateau repas intouché. Zoro était resté là, bêtement, à ne savoir quoi faire, les bras étrangement lourds, trop lourds pour oser se lever et donner un petit coup à la porte. Alors, agacé par son indécision, il avait embarqué le plateau pour le remettre dans la cuisine. Puis il était ressorti pour aller s'installer à sa place actuelle et s'en était fini de la bouteille.
Par intermittence, une bourrasque de vent contraire venait lui apporter les fragrances suaves des mandariniers situés un peu plus haut. Il humait avec mélancolie, cette odeur si rattachée à celle qu'il l'aimait, et à chaque fois, l'idée de ne plus la sentir, lui creusait un peu plus la poitrine. Quelle chochotte il était devenu ! Mais c'était la triste vérité. Cela allait lui manquer. Comme beaucoup d'autres choses.
Des pas, marchant dans sa direction, interrompirent son flots de pensés maussades. Nul besoin de se retourner pour savoir de qui il s'agissait, sa présence était reconnaissable entre toute par sa prestance. C'était maintenant que son avenir allait se jouer.
Le bruit de pas disparu, au lieu de quoi, il perçut le froissement des vêtements et celui du caoutchouc qui s'étire, puis une forme atterrit juste à côté de lui, à sa droite, sur la rambarde. Le nouveau venu se laissa tomber sur ses fesses et croisa les jambes en tailleur, pour fixer à son tour l'océan. L'importance du moment s'était imposée à lui à l'instant même où le capitaine avait foulé l'herbe du pont. Luffy n'était pas ce qu'on pouvait communément appeler un noctambule. Si jamais il devait se lever en pleine nuit pour assouvir un besoin urgent, il le faisait en étant à moitié endormi pour retourner se coucher aussitôt fait. Donc, le voir assis à côté de lui, sans aucune nourriture entre les mains de surcroît, était suffisamment exceptionnel pour en comprendre la nature solennelle du moment.
Le silence était long, imprégné de gravité, et ni Luffy, ni lui, ne semblaient prêt à le briser. Pourtant, au bout d'un certain temps, Zoro ressentit le besoin de s'expliquer face à son capitaine :
- Elle m'a demandé de me séparer d'Enma.
C'était certes, un peu bref, mais ajouter quelque chose de plus serait superflu. Pour lui, ce seul fait, justifiait tout.
- Je sais, admit Luffy d'un ton monocorde sans quitter l'horizon des yeux. Et je comprends ton choix, Zoro.
Un faible sourire souleva le coin de ses lèvres. Evidemment qu'il comprenait, tous deux partageaient la même vision des choses, ils étaient comme deux frères, mais cet aveu le soulagea d'un poids.
- Alors tu comprends qu'une décision doit être prise… Je n'ai pas réussi à me faire pardonner et tout ce que j'ai fait, c'est la rendre encore plus malheureuse. On ne peut pas continuer ainsi…
- Depuis quand tu abandonnes sans te battre ?
Le reproche dans sa voix était plus qu'évident et attira l'attention du bretteur. Luffy tourna lentement la tête vers lui et leurs regards s'entrechoquèrent. Zoro fut un peu déstabilisé par l'intensité avec laquelle son capitaine le fixait, bien qu'il se gardât de le montrer.
- Nami et moi, c'est fini…
Sa voix s'éteignit sur la fin de la phrase, comme si celle-ci avait nécessité toute son énergie pour le dire. En tout cas, l'avouer de vive voix, rendait désormais la situation bien réelle et la douleur dans sa poitrine s'intensifia.
- Elle m'a posé un ultimatum ! s'énerva-t-il. Comment pourrait-elle me pardonner d'avoir choisi un sabre au lieu d'elle ?! Pourtant elle aurait dû savoir ! Après tout ce temps passé ensemble, elle aurait dû comprendre !
Oui, il lui en voulait. Parce qu'il n'avait pas envie que leur relation se termine comme ça, pas à cause de ça. Si cette maudite femme ne l'avait pas embrassé… s'il ne s'était pas laissé surprendre… rien de tout ça ne serait arrivé !
Zoro détourna le regard et fixa le bastingage qu'il étreignait d'une poigne de fer de ses deux mains. Bien sûr que non, il n'avait pas envie que ça s'arrête là ! Bien sûr qu'il voulait se battre, mais toutes les issues convergeaient dans la même direction, et il ne voyait aucune lumière au bout de ce tunnel plongé dans l'obscurité.
- J'ai beau tourner ça dans tous les sens, je ne vois pas comment ça pourrait fonctionner…
- Te renvoyer de mon équipage serait la meilleure solution.
Cela venait dit comme une affirmation et, bien que s'y étant préparé, Zoro accusa le coup. Oui c'était sans doute la meilleure solution. Dans ce cas, pourquoi il avait cette boule dans sa gorge, prête à l'étouffer ?
- C'est ce que je pense aussi...
- Nami t'aimes vraiment. Te voir partir va la faire énormément souffrir. Alors si tu penses que c'est la seule solution et que tu veux renoncer à la promesse que tu m'as faite, peut-être que tu as raison. Elle mérite quelqu'un qui l'aime vraiment.
Zoro fronça les sourcils. Cela ressemblait étrangement à ce que pourrait dire Du-sourcil, sauf dans la bouche de Luffy, les mots résonnaient plus durement et avaient beaucoup plus d'impact. Cependant, cela avait beau être son capitaine, il ne se laisserait pas insulter de la sorte.
- Evidemment que je l'aime ! Tu crois que j'ai envie de la quitter ?! de quitter le navire ?! Jamais je ne renoncerais à une promesse !
Son regard solitaire se fondit avec détermination dans celui du Chapeau de paille.
- C'est pourtant bien ce que tu fais en attendant que je te renvoie, non ? fit remarquer le capitaine d'un ton froid.
La rétorque fit mouche et laissa l'épéiste sans voix. Luffy avait raison, il était sur le point d'abandonner ce à quoi il tenait le plus cher, alors qu'il avait promis de tout faire pour rendre Nami heureuse. Honteux, Zoro baissa la tête et serra le poing. Son comportement n'était pas digne du vice-capitaine du futur Roi des pirates.
- Jamais je ne laisserais quelqu'un douter de ce que je ressens pour elle, siffla-t-il entre ses dents.
Il redressa la tête et défia le Chapeau de paille du regard. Contre toute attente, un large sourire naquit sur le visage juvénile de Luffy.
- Je préfère ça, déclara-t-il tout guilleret.
Alors là, Zoro était largué.
- Maintenant que tu as compris, tu vas commencer à te battre ?
Puis soudain, la lumière se fut dans son esprit. Cet idiot l'avait manipulé. A aucun moment, il n'avait eu l'intention de se séparer de lui. Luffy voyait encore de l'espoir dans leur relation, et c'était suffisant pour que Zoro envisage d'y croire aussi. La voilà, sa lumière au bout du tunnel était là, devant lui.
- Oui, affirma l'épéiste avec détermination. Mais je ne sais pas par où commencer…
- Peut-être que tu devrais essayer de lui expliquer pourquoi tu ne peux pas céder Enma. Je suis certain qu'elle comprendra elle aussi.
Zoro l'observa comme si une deuxième tête était apparue sur l'épaule du capitaine. Depuis quand Luffy était passé maître dans les conseils et les thérapies de couple ? Et pourquoi il n'y avait pas pensé lui-même dès le début ?! C'était pourtant bête comme choux ! Peu importe, maintenant qu'il avait un angle d'attaque, le bretteur sentait sa motivation revenir au grand galop.
- Effectivement, c'est un début, admit-il alors qu'un sourire venait égayer ses traits.
- Bien !
Après un bon bâillement, Luffy bondit sur ses pieds tout en tenant son chapeau d'une main et sauta en arrière.
- Bon bah je vais retourner dormir, moi. Oh et Zoro ?
L'interpelé se retourna et il n'eut pas le temps d'analyser qu'un poing vint se loger avec force dans sa mâchoire. Le coup le déstabilisa et il s'écroula contre le bastingage.
- Ne t'avise plus d'envisager d'abandonner l'équipage et de faire pleurer Nami.
Luffy était loin d'y avoir mis toute sa force mais il n'en demeurait pas moins douloureux pour autant. En tout cas, c'était bien mérité, et cela renforça son envie de tout donné afin de reconquérir son âme sœur.
- Sur ce, bonne nuit Zoro ! chantonna-t-il joyeusement comme si de rien n'était.
Pendant quelques secondes, le bretteur resta affalé contre la rambarde, une main sur sa joue meurtrie pour la deuxième fois aujourd'hui, mais incapable de retenir le sourire de s'enfoncer dans ses zygomatiques.
Demain, il mettrait son plan en action.
A suivre...
