Titre : Le Fil rouge du Destin
Auteur : Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient.
Pairing et personnages pour ce chapitre : Angelo x Shura.
Rating : T

Note : Bonjour à tous ! Merci de continuer le voyage avec moi, merci pour les divers ajouts dans les favoris et/ou liste de suivis.

Merci Mini-Chan j'espère que la suite te plaira tout autant, je suis heureuse et très soulagée que tu ne sois pas déçue jusqu'à présent. Ton commentaire m'a aussi touchée, je te remercie pour ce partage. Savoir que j'ai réussi à retranscrire ce que ces deux personnages m'inspirent et qu'on peut adhérer à ma vision de leur évolution et de leur relation sans la trouver incohérente ou exagérée, cela me rassure et me motive pour la suite. La voici d'ailleurs.

Bonne lecture à tous.

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Le Fil rouge du Destin.

Chapitre dix-neuf : Appelle-moi par ton nom et je t'appellerai par le mien.
(Call MeBy Your Name)*

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Le Sanctuaire,
Mercredi 13 septembre 1989
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Le lendemain matin, Shura et Angelo prirent le petit-déjeuner avec les autres occupants de la Villa présents, avant de rejoindre le Sanctuaire.

- Tu es libre ce matin, tu as prévu quelque chose ? demanda Shura, alors qu'ils commençaient leur ascension du Grand escalier sacré à petites foulées rapides.

- Je vais sûrement passer la matinée au Treizième. Du coup, je dépose vite fait mon sac et je t'accompagne jusque chez toi.

- D'accord.

Shura était intrigué, Angelo se rendait souvent au Palais du Grand Pope et parfois pour longtemps, il se demandait bien pourquoi.

Il ne posa pas la question à son compagnon, cependant, il se résolut à attendre son retour, plus tard.
Peut-être lui parlerait-il de lui-même, cette fois-ci ?

- On se voit pour déjeuner, alors ? demanda-t-il plutôt confirmation, alors qu'ils arrivaient déjà au Quatrième Temple.

Sans s'arrêter, Angelo téléporta son sac dans ses appartements pour ne pas interrompre leur course ni leur discussion.

- Sûr ! répondit-il à Shura dans le même temps. J'embarquerais Aphrodite au passage, s'il est là, tu veux ?

- Je lui avais déjà proposé hier midi, vu qu'il y avait pas mal de restes de notre déjeuner et qu'il ne voulait rien emporter chez lui. Mais il n'était pas sûr d'être rentré à temps. Il envisageait même de manger à l'extérieur.

- Rentré d'où ? s'étonna Angelo. D'ailleurs, je sens pas sa présence… fit-il remarquer après s'être concentré un moment. Et y a personne ici, constata-t-il alors qu'ils traversaient la Maison de la Vierge. Je suis sûr qu'ils sont fourrés ensemble ! Où est-ce qu'ils ont été fricoter de bon matin ?

- Ils sont ensemble, mais c'est pas ce que tu crois, calme ton imagination débridée. Ils devaient rejoindre Aioros à Kalamaki, où il connaît un magasin spécialisé.

- Un magasin spécialisé ? C'est quoi, un sexshop ?

- Qu'est-ce que je viens de te dire, au sujet de ton imagination ? le réprimanda Shura. Non, c'est une espèce de jardinerie où Aioros se fournit pour l'oliveraie.

- Mais il est pas censé être en vacances, le futur Pope ? Je pensais qu'il resterait avec ses invités...

- Tu n'as rien écouté, hier soir ! se désola le Capricorne. C'est avec Marine et Aiolia que Letizia et Sergio vont se balader, aujourd'hui. Ernesto prévoyait de déambuler tout seul pour prendre des photos de l'Acropole, notamment. Ça libère Saga, qui a un rendez-vous très important impossible à déplacer au nord d'Athènes et Aioros, qui a promis plusieurs fois à Aphrodite de l'accompagner à ce fameux magasin, mais qui n'arrivait pas à se dégager du temps pour se faire.

- T'es vraiment au courant de tout ! se moqua Angelo en le poussant affectueusement d'un coup d'épaule. Je croyais que c'était Aphrodite, la commère du Sanctuaire, mais il a déteint sur toi, on dirait !

- N'importe quoi. J'écoute simplement les autres, quand ils me parlent, moi.

- Tchhh… C'est surtout qu'y a Saga dans l'histoire, alors forcément, tu sais ce qu'il fait et ce qu'il se passe autour de lui !

Shura soupira en levant les yeux au plafond : ils étaient arrivés chez lui et se tenaient devant la porte de ses appartements, qu'il avait ouverte.

- Tu veux reprendre un café avant de monter au Treizième ? proposa-t-il au Cancer, préférant ne pas poursuivre sur le sujet « Saga ».

Celui-ci grimaça en consultant sa montre.

- J'en prendrai un là-haut, il est déjà tard. Je voudrais bien finir ce que j'ai à faire rapidement, comme ça, je pourrais te rejoindre plus tôt.

- Ce serait bien, oui, n'oublie pas que je dois descendre au port avec Milo pour réceptionner les commandes. On a rendez-vous à 14h45. Et toi-même, tu dois t'occuper de Simon.

Par automatisme, Angelo jeta de nouveau un œil à sa montre, même s'il avait retenu l'heure.

Déjà presque 10h.
Mais c'était largement suffisant.

- Je serai là à 12h, assura-t-il avant de l'embrasser rapidement. A tout à l'heure, Shurizo mio !

- À plus tard, Ángel, répondit Shura en hochant la tête.

Il suivit son compagnon des yeux, jusqu'à ce qu'il disparût à sa vue, sa haute silhouette avalée par les ombres de son Temple.

Après avoir savouré jusqu'à la dernière seconde de sa présence et de son odeur, comme à chaque fois et malgré le temps qui passait et qui n'y changeait rien, le Dixième gardien rentra chez lui et se mit vite au travail.

Finalement, Angelo revint bien plus vite que prévu, à peine une heure après avoir laissé Shura devant la porte de ses appartements.
Il retrouva le Capricorne assit sur son canapé, une pile de documents bien rangés sur la table basse devant lui, quelques feuillets et un stylo dans les mains.

Avec une précaution qu'il ne témoignait qu'à son amant, le Cancer s'installa à ses côtés en veillant bien à ne faire s'envoler, ou même simplement déplacer, aucune feuille de papier.

- Tu rentres tôt. Je ne t'ai pas mis de pression, au moins ? l'accueillit Shura.

- Nan, j'avais juste fini ce que j'avais à faire. Je savais que ce serait plié aujourd'hui, mais je voulais pas trop m'avancer sur l'horaire.

Shura reposa ses documents et se tourna à-demi vers Angelo.

Qui était en train de boire son verre d'eau.
Rien de plus normal, en soi.

Mais il connaissait bien son compagnon, et il sentait qu'il y avait quelque chose, même s'il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.
Cela devait avoir un lien avec ce qu'il faisait là-haut, puisque tout allait bien, lorsqu'ils s'étaient quittés, une heure plus tôt.

Et il y avait réfléchi, c'était le cas à chaque fois qu'ils se voyaient après le passage d'Angelo au Treizième.
Y en avait-il un aussi avec ses confidences récentes et inhabituelles sur leur passé et ses sentiments pour lui ?

Shura sentait que c'était le cas, sans parvenir à l'établir.

Il remarqua aussi, à cet instant, une petite différence avec les autres fois : Angelo était plus nerveux que préoccupé ou simplement dans ses pensées.
Ce qui le décida.

- T'es souvent au Treizième, ces derniers temps, se lança-t-il. Tu prépares une mission ou quelque chose ?

- C'était pour un truc perso, répondit le Cancer en reposant le verre sur la table, sans le regarder.

- Tu as un souci ?

- Va tutto bene.

- D'accord, tant mieux.

Tout allait bien, donc... d'après lui.

Ce n'était pas le genre de Shura d'insister, même quand il sentait qu'Angelo était un peu préoccupé par quelque chose et que ça l'inquiétait légèrement.
Jamais trop, car si cela était grave, il lui en parlait rapidement.

Et comme son ami et amant savait qu'il pouvait lui parler de tout, s'il ne le faisait pas, Shura préférait le respecter.
Il ne doutait pas qu'Angelo finirait par lui parler, il le faisait toujours, après avoir pris le temps dont il avait besoin.

Et Shura en eut la démonstration, cette fois encore, mais bien plus vite que prévu, cependant.

- Dis, tu savais que t'étais l'un des seuls à avoir un nom de famille, parmi les Ors ? Et le seul à en avoir deux.

Le Capricorne ne s'attendait pas à cette réflexion.

- C'est une tradition espagnole et je suis le seul de cette origine, dans la Garde dorée. Chaque enfant porte le premier nom de famille de son père et le premier nom de famille de sa mère. Mais on utilise souvent que le premier, de manière informelle. Pourquoi tu t'intéresses à ça, tout d'un coup ?

- Parce que moi, j'en ai aucun et que c'est pas juste. Tu pourrais partager, tu crois pas ?

- Partager ? répéta Shura.

La conversation n'avait pour l'instant aucun sens, à ses yeux.

- M'en donner un des deux. Le premier, celui que t'utilises le plus, ce serait bien, on aurait le même.

Shura ne pouvait croire ce qu'il entendait.

Pourtant, Angelo était sérieux, vu qu'il le regardait à présent avec un air de défi, celui qu'il utilisait pour cacher sa gêne quand il parlait de choses intimes et personnelles sans grande assurance.

Il avait tout de même besoin d'être sûr de ne pas être en train de s'emballer.

- Tu veux m'emprunter mon nom quand tu as besoin d'en avoir un à l'extérieur, plutôt que celui donné par le Sanctuaire et la Fondation ? Cela ne me pose aucun problème. Il faut juste t'assurer qu'on ne te demande pas de justifier ton identité.

Dans un Sanctuaire dominé par le Lémure, Angelo n'avait jamais eu besoin de nom de famille. Il n'avait jamais aucun contact prolongé avec le monde extérieur qui le nécessitait, à part les soirées dans les bars ou les clubs douteux...mais personne n'avait jamais osé lui demander une pièce d'identité.

Deathmask ne s'était jamais infiltré pour commettre ses assassinats.
Il apparaissait, tuait sa cible, souvent d'autres personnes autour, faisant peu cas des dommages collatéraux, puis disparaissait après avoir semé la mort.

Contrairement à Aphrodite qui aimait s'infiltrer, jouer des rôles, remplir sa mission et assister au désespoir provoqué par son action. Il adorait que personne ne put le soupçonner, car personne ne voyait jamais en lui un suspect. Trop innocent, trop convaincant. Trop insaisissable aussi. Il entrait en invité et sortait en serveur, venait en employé et partait en client, changeant de sexe aussi très facilement. La seule chose qui pouvait le mettre en danger, c'était sa beauté, qui marquait forcément et fortement les esprits. Mais même s'il se faisait arrêter, interroger ou fouillé, il n'était jamais inquiété. Son poison était indétectable, il ne laissait aucune trace. Il était bu à même ses lèvres blessées par ses propres soins ou les dents de sa victime qu'il avait su rendre fou de désir… Et si sa cible n'était pas réceptive à cette approche, il lui suffisait de glisser quelques gouttes de son sang maudit dans un verre de vin toujours opportunément disponible.

Ce temps-là de meurtres et d'assassinats vicieux et injustes était heureusement révolu.

Et depuis deux ans, les Chevaliers se voyaient charger de missions qui les impliquaient davantage avec les humains qu'ils devaient cette fois protéger, souvent au nom de la Fondation.

Ils avaient souvent à se présenter, d'où la nécessité d'une identité fixe.

Shion et Athéna leur en avaient ainsi attribué en discutant avec eux pour le choix, authentifiés et officialisées grâce à la Fondation Graad, dont ils pouvaient se servir légalement.

Mais Angelo ne semblait pas en être satisfait, car il grimaça et se frotta l'arrière du crâne.

Oui, il était vraiment nerveux.
Et sérieux.

- C'est pas ça ! Ça n'a pas vraiment de lien avec eux… J'pensais à quelque chose de plus…

- Oui ?

- Officiel.

Le mot était lâché.
Et il résonnait dans le silence comme un gong dans un temple.

Shura avait bel et bien compris le sens des propos d'Angelo !

Sa nervosité le confirmait, par ailleurs, son talon battait furieusement la mesure sur son tapis à l'en transpercer.
Et il n'en revenait pas.

- Il n'y a qu'un moyen de donner officiellement son nom à une autre personne, Angelo. Tu en es conscient ?

- Tchhh… Me prends pas pour un con !

- Je veux juste m'assurer qu'on parle bien de la même chose.

- T'as parfaitement compris !

Le défi dans les yeux brilla plus fort encore.

- Mais par Athéna ! d'où t'es venu une telle idée ?

- Pourquoi t'as l'air aussi surpris ? répliqua Angelo du tac-au-tac.

La technique habituelle du Cancer, répondre à une question embarrassante par une autre question, avec toujours cet air bravache.

- C'est juste que le mariage entre gens de même sexe est impossible, alors je me demande pourquoi tu abordes le sujet. Si c'est une façon de me dire à quel point tu m'aimes…

- Tchhh… le coupa-t-il. Ce serait vraiment tordu, tu crois pas ? Et puis, tu le sais déjà, que je t'ai dans la peau, non ? ajouta-t-il en tendant ses lèvres pour réclamer un baiser, provocateur.

Mais Shura plaqua sa main sur sa bouche et le repoussa.

- Justement. Nous savons tous les deux qu'on veut passer notre vie ensemble et qu'on va le faire. Quel est l'intérêt d'évoquer une union officielle et civile qui ne nous est pas permise ?

Angelo libéra son visage pour pouvoir parler et répondre à cette question essentielle, sur laquelle il avait travaillé car il l'avait anticipé.

- D'après l'OLKE, la loi de 1982 qui a établi le mariage civil dans le pays ne mentionne pas le sexe des deux personnes qui s'unissent. Y a pas mal de discussions à ce sujet, depuis quelques années.

Shura était presque sous le choc.

Non pas à cause de l'information elle-même, mais du fait qu'Angelo soit au courant d'un tel détail.

Comment connaissait-il même seulement l'existence de l'association qui défendait les droits des homosexuels en Grèce ? Lui-même n'avait appris son existence que très récemment, au cours d'une conversation avec Saga où son aîné l'avait évoqué.

Qu'Angelo la connaisse, cela ne pouvait signifier qu'une chose...

- Tu as vraiment fait des recherches approfondies sur le sujet… C'est pour ça que t'étais au Treizième ! Tu étais à la bibliothèque et aux archives, n'est-ce pas ?

- Et je parlais avec des gens au téléphone, oui, et alors ? Pourquoi t'as l'air si étonné, cette fois-ci ? C'est presque vexant !

- Tu prends vraiment ça à cœur, en fait ! réalisa le Capricorne, abasourdi. Je ne sais pas quoi dire…

- Bah ferme-là, alors ! répliqua le Cancer en se détournant, les bras croisés sur son torse puissant.

Shura ne s'offusqua pas le moins du monde.

Angelo était passé en mode défense pour ne pas trop montrer sa sensibilité et ce qu'il qualifiait de vulnérabilité.
Or, il n'en était que plus adorable aux yeux du Capricorne, plus touché – et amoureux - que jamais.

Il savait qu'Angelo l'aimait passionnément et intensément.

Mais lorsque son amour se matérialisait ainsi par des actes concrets si parlant, que le Cancer essayait vainement de faire passer pour banals… cela bouleversait vraiment Shura.

Et l'humeur ronchon dans lequel le mettait le fait d'être démasqué le faisait complètement craquer.

Angelo lui tournait à moitié le dos, alors Shura se colla contre lui et le ceintura de ses bras forts avec tendresse, mais aussi fermeté, pour l'empêcher de fuir son étreinte.

Ce n'était cependant pas l'intention d'Angelo, qui se laissa faire, malgré un grognement de protestation à peine crédible.

Après un court instant à profiter de ce moment en silence, Shura embrassa sa nuque, se détacha et vint lui faire face, s'agenouillant à moitié devant lui.
Il ôta la chevalière qu'il portait et, prenant la main droite d'Angelo qui le regardait, surpris, il la glissa à son annulaire.

Elle lui allait parfaitement.

Ce geste simple, mais lourd de symbolisme, leur provoqua à tous deux une vague de frissons qui les parcourut intégralement.

Dans le même temps, leurs cœurs commencèrent à s'emballer, leurs battements se répondant en un rythme commun.

- Je ne peux pas te donner légalement l'un de mes noms ou les deux, mais si tu l'acceptes, porter mes initiales signifie plus concrètement que tu es ma famille, Ángel.

Le Cancer se mordit la lèvre, prit par une déferlante d'émotion à laquelle il ne s'attendait pas.
Il réussit néanmoins à la canaliser.

- Tu y tiens beaucoup, fit-il remarquer, alors que Shura revenait s'asseoir à ses côtés.

Sa voix ne le satisfit pas il l'avait espéré sûre, ferme, mais elle l'avait trahi en dévoilant son émoi.

- C'est pourquoi elle est parfaite à ton doigt, répondit le Dixième gardien avec un petit sourire.

Mais nulle moquerie, pour la simple et bonne raison qu'il était dans le même état.
Ce qu'Angelo réalisa, tout comme il dut bien reconnaître, en l'observant, qu'il avait plutôt, comme lui en témoignait, de quoi être fier de ressentir et de provoquer de tels sentiments.

- Pourquoi celui-là, précisément ?

Sa voix avait repris son assurance.

- L'annulaire de la main gauche signifie l'amour dans le mariage, celui de la main droite symbolise un engagement tout aussi fort. Même si nous le voulons, nous ne pouvons pas nous marier.

- J'ai passé des heures à me documenter, les gens de l'association sont à fond, je t'ai pas parlé de tout ça à la légère, tu sais ? Je suis sûr qu'il y a un truc à faire avec ce vice de forme dans la loi !

- Je suis parfaitement conscient du sérieux de ta démarche et des efforts que tu as fourni, ´Gelo. J'aurais été ravi de mener ce combat avec toi, crois-moi. Mais ce ne sera pas à nous de nous immiscer dans cette brèche créée par l'imprécision de la loi.

- Pourquoi pas ? insista Angelo.

Shura secoua la tête négativement.

- Cela ferait trop de bruit. Nous ne pouvons pas provoquer ainsi le gouvernement, cela nous propulserait immédiatement au-devant de la scène, pas seulement nationale, mais vu le sujet, cela dépassera rapidement les frontières. Or, d'une part, nous devons demeurer discrets pour la sécurité du Sanctuaire et d'Athéna, et d'autre part, souviens-toi de ce que nous a dit Rhadamanthe, l'autre soir : nous sommes des anomalies dans ce monde, nous ne sommes pas censés y exister encore. Nous devons être mesurés et prudents dans nos actions pour ne pas trop influer sur le cours de l'Histoire, ni irriter les Dieux qui nous ont ramené, presque ou franchement à contrecœur.

- Cazzo di merda ! s'irrita Angelo avec humeur.

Shura avait gardé sa main entre les siennes, en se réinstallant, aussi la serra-t-il plus fort.

- On a été béni par Athéna, cela suffit, non ? C'est plus sacré pour nous que le mariage.

- C'est surtout de pouvoir le dire haut et fort qui m'intéresse, là-dedans. C'est pas le côté sacré et sacrément, on est pas chrétien, on a déjà tout ça avec la bénédiction d'Athéna, comme tu l'as souligné.

- Mais le dire à qui ?

- A tout le monde ! répondit Angelo avec emphase. A l'extérieur… Je voulais juste pouvoir te montrer et dire « c'est mon mari » et que personne dehors puisse ouvrir sa grande gueule, parce que ce serait devenu légal, ce serait reconnu qu'on fait rien de mal, que c'est pas un crime, on risquerait pas la taule parce qu'on s'aime et qu'on baise !

- Mais on s'en fout de ce que les gens pensent, ´Gelo, toi le premier, et ça a toujours été le cas !

- On dit ça, mais on se tient toujours à carreau et on se cache comme si c' était une faute de s'aimer. Ça n'en est pas une ! assena-t-il fermement. Et ça me fout en rogne à chaque fois que je dois retenir mes gestes envers toi, en public, ou qu'on nous regarde de travers parce qu'on est trop proches !

- Parce que tu en aurais, des gestes affectueux, si c'était possible ? demanda-t-il, un brin sceptique. Tu es tactile, mais pas forcément démonstratif.

- Poser ma main sur la tienne au resto ou…

Shura sembla s'étouffer à ces mots et toussa dans son poing.

- Bah quoi ? fit Angelo, ne comprenant pas sa réaction.

- Tu es plus du genre à piquer dans mon plat que me tenir la main.

- Ok, peut être à la taverne ou la cantine du coin, mais si on se fait un bon resto à une bonne table, tu sais pas comment je pourrais être avec toi !

- Oh si, je le sais, répliqua Shura. Parce qu'on a eu ce dîner au Belgarion, et cet autre a l'Ambroisie, surtout, où tu as été sage pendant l'entrée et le plat, jusqu'à la fin où tu m'as chipé le halloumi grillé que je me réservais pour le déguster tranquillement.

- Justement ! J'allais te prendre la main et j'ai entendu qu'on arrivait, alors je me suis dit que ça choquerait moins si on me voyait plutôt piqué dans ton assiette que d'avoir ce geste envers un prétendu collègue…

Le Capricorne haussa un sourcil.

- Tu allais me prendre la main ?

- Oui !

- Avec ta fourchette ?

- Je l'ai attrapé après coup, tu sais comme je peux être rapide ! expliqua le Cancer avec un large sourire.

- Ok, on va faire comme si je te croyais… soupira Shura, sachant qu'il ne pouvait rien contre sa mauvaise foi.

- Non, mais sérieusement, Shurizo… reprit plus gravement Angelo. C'est pas mon genre, c'est vrai, mais pris dans une ambiance un peu romantique, à l'abri des regards moqueurs et taquins de nos chers voisins, c'est un truc que je ferai sans problème et de manière très naturelle, comme je le fais à la maison. Tu sais que j'aime te toucher, te sentir proche de moi, contre moi... Mais je dois constamment surveiller nos arrières !

- Je n'imaginais pas que ça te pesait autant.

- Bien sûr que ça me les brise ! Même sans parler d'un resto, juste dehors, dans la rue… Ok, je suis pas du genre à te prendre la main, je le répète, mais t'attraper par la taille ou par le cou, parce que j'ai envie de sentir ta peau et ta chaleur, t'embrasser même juste sur la joue, comme ça, sur une impulsion, t'imagine même pas le nombre de fois où j'ai voulu le faire et où j'ai mordu ma langue ou ma joue jusqu'au sang pour me retenir… et parce que je devais le faire !

- Je l'ai bien remarqué quelques fois, reconnut Shura. Je ressens la même chose que toi, tu sais, ça m'est arrivé aussi.

- Alors tu peux comprendre pourquoi c'est important, pour moi, tout ça ! Je voudrais que ce soit leur tour, Shurizo. Je voudrais voir la détresse sur leurs visages en nous voyant faire toutes ces choses, en s'imaginant encore plus de trucs, même, parce qu'ils pourraient plus rien faire, la loi ne serait plus de leur côté, c'est pas eux qui auraient raison, leur dégoût et leur intolérance ne seraient plus cautionnés !

- Angelo, calme-toi… murmura Shura en caressant tendrement sa main qui tenait toujours la sienne. On ne vit pas vraiment en société, on est dans notre monde à nous. On a pas à supporter ce genre de choses très souvent, tu ne devrais pas autant t'en inquiéter.

- Bien sûr que si, ça arrive tout le temps ! protesta-t-il, à peine calmé. Chaque fois qu'on sort, qu'on nous regarde bizarrement ou pas, on le subit parce qu'on est obligé de faire semblant. Obligé de confirmer qu'on est juste des collègues ou au mieux, des amis. T'es pas juste un ami, bordel de merde ! Fanculo il mondo !

J'emmerde le monde, rien que ça, soupira Shura intérieurement.

Angelo était vraiment remonté comme un coucou suisse.

Shura n'en était pas si étonné, il avait toujours détesté être jugé. Si Deathmask avait décidé de faire comme si cela ne l'atteignait pas ou au contraire, de surenchérir dans la provocation, voire même parfois, se venger de ceux qui l'avaient méprisé ou pris de haut, Angelo, lui, en était aujourd'hui plus facilement blessé et révolté.

Peut-être à cause de l'influence nouvelle d'Athéna, il ne supportait pas l'injustice et l'intolérance, il les avait en horreur.

- Ignore-le, plutôt, ce monde qui t'emmerde tellement, on est très bien entre nous, lui répondit-il en accentuant les caresses de son pouce sur le dos de sa main. Ce genre de personnes ne mérite pas une seconde du temps que tu leur consacres. Pas une calorie de ton énergie. Pas un millième de ton attention.

Angelo inspira, puis expira, aidé par les petits ronds que Shura traçaient sur sa peau pour l'apaiser.
Cela fonctionnait.

- Je sais bien que t'as raison, mais…

- Il n'y a pas de mais, le coupa doucement le Capricorne. Si c'est juste à cause de ça que tu voulais qu'on se marie, ne sois pas déçu qu'on ne puisse pas le faire. On est uni et béni par l'autorité la plus sacrée qui soit, à nos yeux, on est reconnu et soutenu par ceux qui comptent réellement pour nous. Le reste n'a aucune espèce d'importance. D'accord, Àngel ?

- Ok, ok, mais…

- Qu'est-ce que j'ai dit ? le coupa Shura, sourcils froncés et en serrant sa main plus fort, presque douloureusement.

- C'est pas par rapport à ça… le rassura Angelo en relevant les yeux qu'il avait précédemment baissé. C'est juste que j'avais une autre raison de vouloir qu'on se marie.

- Laquelle ?

- Je te l'ai dit dès le début. Je voulais un nom de famille classe.

- Même espagnol ? le taquina Shura, brusquement attendri.

- Peu importe, du moment que c'est le tien, qu'on a le même, répondit Angelo en lui pinçant le nez.

Shura repoussa sa main, mais la garda dans la sienne, lui tenant les deux, à présent.

- Tu as ma chevalière, tu peux utiliser mes noms sans problème, tu sais. Sauf dans mon petit village, en Catalogne, cela va de soi. Il y a trop peu d'habitants et toutes les familles se connaissent, pour que ça puisse passer sans soulever de questions.

- J'y suis jamais allé, rappela le Cancer.

Shura était étonné par le ton pris par Angelo.
Il y avait comme du regret … et de l'espoir ?

- Attends une minute… Tu… le souhaiterais ? s'étonna Shura. Vraiment ? Toi, en Espagne ?

- Ce serait surtout moi rencontrant des gens que tu connais… Qui ont connu tes parents…

- Oui. Et ce qu'il reste de ma famille, les plus proches, en tous cas. C'est ce qui t'effraie ?

- Tchhh…

- Moi, ça me ferait vraiment plaisir de te faire découvrir mon petit village catalan et tout le Val d'Aran où il se trouve, avec ses beaux lacs et ses sentiers de montagne, le pic du Montarto qui culmine à plus de 2800 mètres, le parc d'Aigüstortes et l'Estany de Sant Maurici, assura Shura en s'appuyant contre lui. En plus, je pensais à y aller, justement, tu pourrais...

- Quoi ? s'offusqua Angelo en le fusillant du regard. Et tu m'en parles que maintenant ? Tu sais que j'aime pas quand tu te barres !

- J'y pense, seulement, calme-toi ! le tranquilisa le Capricorne. Je n'en ai pas parlé à Athéna, ni aux Popes. C'est assez soudain, quelque chose est arrivé ce matin…

- Quoi ? C'est grave ? Ta famille ?

- Rien de personnel, rassure-toi. C'est juste que la Passionaria a été hospitalisée à cause d'une pneumonie. Elle a 93 ans, je doute qu'elle y survive. Du coup, je voulais me tenir prêt pour avoir une chance d'assister à ses funérailles, il va sûrement y avoir foule .

- Ah, désolé, Shurizo, je sais que c'est une figure importante, pour toi, le réconforta Angelo en passant son bras gauche autour de ses épaules.

- Elle l'était surtout pour mes parents. Même si j'ai plus beaucoup de souvenirs, je me rappelle qu'il y avait toujours un portrait d'elle caché dans la cuisine, et ma mère me lisait ses poèmes que je ne comprenais pas, forcément, à 4 ans. Je sais qu'ils auraient voulu l'accompagner pour son dernier voyage, c'est surtout pour eux que je le fais.

- T'es un bon fiston.

- J'ai pas vraiment eu le temps ou l'occasion de l'être, répliqua Shura. Je les ai pas vu souvent et toujours en coup de vent, après mon départ pour rejoindre le Sanctuaire à 6 ans. Ils sont morts, maintenant et depuis des années, c'est trop tard, mais je peux au moins faire ça pour eux. Et puis, y a le reste de la famille que j'apprends à connaître, pour qui elle est importante aussi.

- Elle l'est pour toi aussi, quand même. J'me souviens, quand t'as eu ton armure et la charge du Dixième Temple, tu nous as dit, à ´Dite et moi, un truc du genre que comme la Passionaria qui s'était dressée pour défendre la république sur son balcon en criant je ne sais plus quoi, tu te dresserais aussi sur le parvis de ton Temple face à tes ennemis avec les mêmes mots.

- ¡No pasarán ! « Ils ne passeront pas ! », répondit Shura. Tu te souviens de ça… ajouta-t-il, stupéfait.

- V'la que tu recommences ! Je t'ai pas vu autant de fois étonné dans tout notre vie que depuis une heure !

- C'est justifié, là.

- Absolument pas ! J'me souviens de tout ce qui te concerne, Shurizo, c'est plutôt normal, non ?

- Mais ça, c'était juste un détail et pourtant, tu es très précis…

- C'était une journée importante, t'étais devenu Chevalier d'Or du Capricorne, rien n'était un détail.

- Toi aussi, du Cancer !

- J'étais plus content et fier de toi que de moi, alors évidemment, j'ai plus retenu ta réaction et tes mots que tout le reste.

- C'est vrai, je me rappelle que tu t'en fichais presque, de ton armure, à ce moment-là.

- Elle m'avait pas encore prouvé qu'elle pouvait me rendre plus fort, même si j'avais senti sa propre puissance, grimaça-t-il.

Shura pinça les lèvres.

Non, il était hors de question qu'Angelo replongea dans les regrets et la tristesse, pas alors que le moment qu'ils partageaient était si fort.

Il dégagea une de ses mains et prit le menton du Cancer entre ses doigts pour le tourner vers lui, avant de combler la faible distance entre eux pour l'embrasser.

Un baiser chaste, où il apposa ses lèvres contre les siennes, mais de manière appuyée et tendre.

Lorsqu'il se recula pour le regarder dans les yeux, il vit que cela avait fonctionné les sombres nuages qui avaient commencé à s'amonceler dans les yeux d'Angelo avait laissé place à une lumière familière et bien connue, mêlant amour, reconnaissance et désir.

Pour s'assurer qu'ils ne reviendraient pas, Shura changea de sujet.
Enfin, il revint à celui qui les intéressait, avant leur digression.

- Tu sais, si tu peux supporter de passer quelques jours dans une région un peu à part d'Espagne entouré de catalans, avec moi, je t'emmènerais avec plaisir.

- T'as dit les mots qu'il faut : avec toi. Je peux tout faire et aller partout, tout supporter, tant que t'es là…

- Mais... ? devina Shura au ton employé.

Angelo l'observa un moment.

- Mais dans notre cas, ça dépend quand même d'un truc. Est-ce que je vais devoir te rendre ta chevalière ?

Si la question semblait anodine, en vérité, il n'en était rien.

- Elle t'appartient, répondit Shura avec assurance, en serrant sa main droite ornée du précieux bijou, qu'il tenait toujours.

- Et si certains ne sont pas d'accord avec ça ? Ils sont au courant, d'ailleurs, que tu préfères les robinets aux tirelires ?

Le Capricorne leva les yeux au plafond en retenant un soupir.

La bibliothèque d'images et d'expressions d'Angelo était un véritable tonneau des Danaïdes, sans fond, inépuisable, mais aussi incroyablement riche et varié, tant elle empruntait à toutes les langues et les cultures.

- Je ne sais pas, répondit-il simplement. Je ne m'en suis jamais caché, mais je n'ai pas eu de relations ou d'aventures non plus, lorsque j'y étais.

- Même un coup d'un soir, vite fait ?

- Je suis suffisamment discret pour ne pas me faire remarquer, dans ces cas-là, et j'allais plutôt à Barcelone pour ça.

- Tchhh… je savais que tu prenais du bon temps, quand t'étais là-bas...

- Excuse-moi d'avoir dû régulièrement évacuer ma frustration de vivre à tes côtés au quotidien comme un simple meilleur ami.

Angelo se crispa, soupira, puis déposa un baiser au coin des lèvres de son compagnon en guise d'excuse, même s'il n'y avait eu aucun reproche dans le ton de Shura.

Comme à son habitude, il avait simplement annoncé une vérité sur un ton égal.

- Et du coup, reprit le Cancer, peu désireux de s'attarder sur le sujet, ils vont sûrement deviner, si je garde ta chevalière. En plus à ce doigt-là, c'est presque une revendication. Je le comprends que maintenant, j'ai rencontré des gars de l'OKLE et ceux qui avaient un partenaire portaient fièrement une bague à cet endroit, la même ou presque. C'est pas une coïncidence, vu ce que tu m'en as dit.

- Non, c'est même plutôt connu, en Espagne. Dans les grandes villes, surtout.

- Alors si y a des gens qui sont contre ma présence et notre relation, dans ta famille, si les plus jeunes qui ont la référence en parlent aux plus anciens, il se passera quoi ?

- Je ne compte pas ter présenter autrement que comme mon compagnon, tu sais. Je suis conscient que cela ne plaira pas à tout le monde, j'imagine déjà le vertige de ma tante catholique et conservatrice, pour ne citer qu'elle. Mais peu m'importe. S'ils s'y opposent, nous partirons, tout simplement.

- Tu risquerais de ne plus être le bienvenu, là-bas… fit remarquer Angelo, peu à l'aise avec cette idée.

Shura avait encore une famille, quelque part, c'était une chance que peu d'entre eux avaient.

Aldébaran, Camus et lui étaient les seuls dans ce cas, même s'ils n'en étaient pas proches.
Alors, Angelo ne voulait pas couper Shura complètement de ce dernier lien avec ses parents, qu'il avait connu et aimé.

- Il y a beaucoup d'autres très belles régions, en Espagne, tu sais, ´Gelo, même si elles ne valent pas la Catalogne et le Val d'Aran.

- On parle de ton village natal, Shurizo.

- J'y suis né, parce qu'une partie de ma famille s'y était installée pendant la guerre civile pour se rapprocher de la frontière française au cas où. Mais à la base, elle était établie plus au sud en Catalogne, dans le petit village de Benifallet. J'aimerais te le faire découvrir aussi, c'est plus proche du littoral.

- Oui, tu m'en as déjà parlé plusieurs fois. Mais ce n'est pas là que tes parents sont enterrés, ils sont restés où vous viviez ensemble. Tu dois pouvoir y retourner librement pour te recueillir.

- Et personne ne pourra m'empêcher de visiter leurs tombes, ne t'inquiète pas pour cela, assura Shura avec détermination et confiance. C'est la seule chose qui compte vraiment pour moi, là-bas. Pour le reste… J'ai vécu plus longtemps au Sanctuaire avec toi, rappela le Capricorne. Je n'aurais aucune hésitation à rompre tout lien avec ceux qui n'acceptent pas ce que je suis. Remettre en cause mes choix équivaut à ne pas les respecter. Tu es mon choix. Le premier, depuis toujours et tu es aussi le dernier. Ceux qui ne te respectent pas n'ont droit qu'à mon indifférence ou mon mépris.

- Ton raisonnement est étonnement confus, mais j'aime où ça te mène, répondit Angelo en posant sa tête tout contre son cou.

Dont il inspira profondément le parfum, les faisant réagir tous les deux.
Ce qu'il pouvait l'aimer, son pragmatique et implacable Capricorne !

- Alors, le sujet est clos ? demanda justement celui-ci dans un murmure un peu rauque.

- Ouais, on peut dire ça ! répondit-il en se redressant. Et puis, j'ai la dalle, c'est l'heure de manger, non ?

Il allait se lever, mais Shura le retint encore pour l'embrasser.
Angelo se laissa faire sans protester et participa même plutôt activement à leur baiser.

Si Shura voulait satisfaire d'autres appétits, son estomac pouvait bien attendre un peu...
Mais non, son compagnon mit fin à leur échange un peu trop tôt à son goût.

Le Cancer allait protester, mais le regard sérieux et intense de son Capricorne bloqua son élan.
Il était plein d'amour et de reconnaissance, et c'était rare qu'il soit si transparent, même avec lui.

- Merci d'avoir sérieusement réfléchi à tout cela, mi cielo.

Shura ne l'appelait pas toujours ainsi, mais chaque fois que c'était le cas, Angelo en éprouvait un bonheur et un plaisir indescriptibles et bouleversants, qu'il avait du mal à expliquer.

Alors encore une fois, il se retrancha derrière la banalisation de son geste pour cacher son émotion.

- C'était l'occasion de faire chier ce gouvernement de merde et toute cette bande d'intolérants qui nous crache si facilement à la gueule. Dommage !

- Si tu n'es pas trop déçu, c'est le principal.

Angelo leva la main entre eux et admira la belle chevalière qui ornait son doigt, à présent.

- C'est plus classe que la corde au cou.

- Certes. Et les initiales peuvent prendre un tout autre sens, tu sais, révéla-t-il en se saisissant d'une feuille et de son stylo. Si l'on garde le S de Shura, qu'on remplace le A de Armengol par le A de Angelo et qu'on garde le A de Amoros, on obtient Shura-Angelo-Amoureux. Ou encore Shura - Amoureux - Angelo. Oui, je sais, j'en suis conscient, c'est sûrement un peu trop, même extrêmement trop romantique et kitchissime, pour toi, termina-t-il en reposant le panier griffonné de sa belle écriture. Désolé de t'infliger ce…

- Ça me va, le coupa Angelo sans le regarder. Mais je t'en ferai faire une, décida-t-il ensuite en relevant les yeux vers les siens. Et ce sera mon initiale en premier.

- Tu n'es pas obligé…

- Tu veux pas ? se vexa-t-il presque en libérant sa main.

- Bien sûr que si. Je te précise juste que ce n'est pas une obligation.

- J'y tiens.

- D'accord, dans ce cas. Merci.

- C'est moi qui te remercie, Shurizo mio.

Angelo se frotta l'arrière du crâne, gagné par l'émotion de Shura.
Il lui vola un rapide et chaste baiser, avant de se lever.

- Bon, on va grailler, avant que je te saute dessus ?

- Je vois que je ne suis déjà plus ta priorité. Sympa, le mariage.

- Mais c'est pas ça, rétorqua Angelo en le tirant pour le faire se lever et le prendre dans ses bras, tout sourire. J'étais pas loin de te renverser sur le canapé, tout à l'heure. Et pas qu'une fois, d'ailleurs. Mais je veux juste calmer mon estomac pour qu'il me laisse satisfaire d'autres appétits, après, sans risque d'être interrompus. Je veux pas entendre mon ventre brailler, je veux juste écouter tes gémissements et tes couinements.

- Je préfère ça, murmura Shura, alors qu'Angelo lui mordillait le cou. Mais pour info, je ne couine pas.

- Non, pardon, tu fais juste de délicieux petits bruits hyper excitants, corrigea Angelo en le libérant difficilement.

Car il n'était pas loin de craquer et de changer ses plans.

- Tu nous ferais pas du pain à la tomate pour rester dans l'ambiance espagnole ? proposa-t-il en gagnant la cuisine. En plus, c'est rapide, j'aurais le temps de manger et te dévorer toi, ensuite, sans te mettre en retard à ton rendez-vous pro !

- Excellente idée, tiens ! accepta Shura en le suivant. Le pain ira bien avec les boulettes qu'il nous reste.

- Les tiennes avec de la seiche ou celles d'Aphrodite à la viande ?

- Les deux. Et il nous a aussi laissé des pommes de terre rôties.

- Je croyais que j'avais bouffé toutes tes boulettes, hier midi ? s'étonna Angelo.

- J'en ai laissé de côté, il faut juste les cuire. T'as pas remarqué que tu m'en demandes toujours un ou deux jours après en avoir déjà mangé une première fois ?

Angelo avait tout plein de petites manies, surtout culinaires.

- C'est que c'est bon, ces machins !

Cette remarque fit sourire Shura, alors qu'il ouvrait le frigo.

- Ça va te suffire ou on prépare autre chose ?

- Je pense que ça ira, avec les patates en décolleté d'Aphrodite, y en restait encore beaucoup malgré tout ce qu'on a mangé déjà hier.

- En éventail, le corrigea-t-il.

Le nez dans un placard, Angelo haussa les épaules.

- C'est pareil.

- Ne lui dit pas ça, tu risquerais de le vexer. C'est un plat national suédois, je te rappelle.

- Et alors ? Déjà, ça fait une paie qu'il y est pas retourné, il a dû y aller à peine dizaine de fois dans sa vie. Je vois pas d'où lui vient sa fierté !

- Et c'est toi qui dit ça ? s'amusa Shura.

- Tu peux pas nous comparer, se défendit Angelo, j'ai toujours été au moins deux à quatre fois par an en Sicile !

- Mais même sans cela, tu as très tôt manifesté une grande fierté d'être italien.

- C'est pas pareil. Aphrodite est fier parce qu'il pense que sa beauté vient de ses origines.

- Il n'a pas tort.

- Non, je le reconnais. Mais il était pas obligé d'adopter les habitudes culinaires nordiques. Sérieusement, quel besoin de tout ce chichi pour cuire des patates ?

- C'est ce qui donne son aspect croustillant à l'extérieur et fondant à l'intérieur. En plus, c'est joli dans l'assiette. Mais bien sûr, toi, tu prends pas le temps de regarder…

- Bah nan ! Si ça sent bon, c'est que ça se mange, ça va finir en purée de toute façon !

Shura secoua la tête en faisant un dernier aller-retour du frigo à la table.

- T'es vraiment un rustre… soupira-t-il, dépité, mais retenant tout de même un sourire.

- Peut-être, mais tu viens de me passer la bague au doigt, je te rappelle ! répliqua Angelo en montrant fièrement sa main ornée. Ce qui veut dire que tu l'aimes quand même, ce rustre !

- Ce n'est clairement pas pour cet aspect de ta personne.

- M'en fiche, puisqu'y en a plein d'autres ! Je suis un virtuose de la petite mort et un pro du p'tit noir, et ça, on peut dire que t'apprécies et pas qu'un peu !

- Fais pas le malin, idiota.

- Je vais te dire un truc, ma biquette, y a qu'une chose que je veux bien prendre le temps de déguster, c'est toi, répliqua Angelo en l'enlaçant par derrière, sa joue contre la sienne. Et y a qu'une chose que j'aime mater en cuisine : toi qui prépares à manger, surtout quand c'est pour moi. Ce que tu peux être sexy, un couteau à la main... Je sais rapidement plus ce que j'ai envie d'attaquer en premier ! ajouta-t-il en mordillant la jonction découverte entre son cou et son épaule.

Shura arrêta de couper ses tomates et lui donna une tape sur le front.

- Au lieu de m'empêcher de cuisiner, justement, rends-toi utile et allume plutôt le gaz et le four. On va réchauffer tout ça, pendant que je fais le pain à la tomate,

- À tes ordres, Shurizo mio ! Je t'ai déjà tout sorti pour le préparer, déclara-t-il fièrement.

- J'ai vu, merci.

Angelo piqua un baiser appuyé sur la légère trace de dents due à sa morsure sur la peau de Shura, avant de faire ce qu'il lui avait demandé.

Celui-ci grimaça, soupira et frissonna tout à la fois.
Puis il sourit, et ce sourire s'attarda longtemps sur ses lèvres et dans ses yeux, alors qu'il jetait de fréquents regards à son amant.

L'élément le plus important qu'il retenait et qu'il n'oublierait jamais, c'était ce qu'Angelo avait fait pour lui, pour eux, ce jour-là.

.

Dix-neuf ans plus tôt, alors âgés de six ans, Shura et Angelo s'étaient rencontrés et aimés dès le premier regard, car à travers leurs yeux d'enfants, deux âmes-sœurs s'étaient reconnues et retrouvées.

Neuf ans en arrière, adultes dans des corps encore adolescents, ils avaient vécu ce terrible moment sur le Mont Pelion, qui, pourtant, en leur faisant prendre conscience de leur lien indéfectible, avait scellé leurs deux destins en les révélant être une seule et même Destinée.

Ils étaient morts sans avoir pu la réaliser, il y avait déjà deux ans et demi.
Revenus à la vie, ils pouvaient enfin marcher sur la route qu'elle traçait, ce qu'ils faisaient depuis neuf mois.

A présent plus que jamais, et c'était le cas depuis la bénédiction d'Athéna, ils se sentaient plus unis, liés et mariés, et aucune procédure ne pourrait leur apporter un sentiment supérieur à celui qu'ils éprouvaient.

Ce bonheur, ils le devaient à Athéna.
Mais aussi et surtout, à l'autre, à eux-mêmes, et au couple atypique mais oh ! combien solide qu'ils formaient tous les deux, à jamais.

Pour le meilleur, après avoir connu le pire.

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A suivre.

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Notes :

Le titre du chapitre est une citation du film Call me by your name que je vous recommande si vous ne l'avez pas vu. La célèbre plateforme qui commence par un N le diffuse encore normalement. Elle offre un large catalogue de films LGBTQIA+ qui ne se valent pas tous, n'hésitez pas à me demander si vous voulez des recommandations car j'en ai vu beaucoup.

OLKE est l'Union grecque des homosexuels et lesbiennes. Elle est parmi les premières associations de ce genre, offrant un espace de sécurité et de soutien à ses membres depuis plusieurs décennies. Pour cette partie, je me suis inspirée de l'histoire vraie de deux couples qui ont été mariés en juin 2008 par le maire de Tilos, qui a profité de la faille dans la loi de 1982 pour le faire. Mais bien évidemment, la Justice a déclaré que malgré tout, ces unions étaient nulles et illégales, mais n'a pas condamné le maire qui n'avait pas enfreint la loi. Je rappelle qu'aujourd'hui, le mariage n'est toujours pas autorisé en Grèce, qui a mis en place une sorte de partenariat civil ouvert aux personnes de même sexe en 2015. La Slovénie est le premier pays d'Europe de l'est à avoir légalisé le mariage homosexuel en juillet dernier.

Amorós, qui signifie « amoureux » en catalan, est un nom de famille très répandu en Catalogne et dans la région de Valence.

Armengol est un patronyme catalan issu du prénom médiéval Armengol.

Bien évidemment ces deux noms et le passé de Shura sont totalement inventés.

La Passionaria : Dolores Ibárruri Gómez, aussi surnommée La Pasionaria, née le 9 décembre 1895 à Gallarta en Biscaye et morte le 12 novembre 1989 à Madrid, est une femme politique basque espagnole. Elle a été secrétaire générale du Parti communiste espagnol (PCE) entre 1942 et 1960, puis présidente de ce parti entre 1960 et 1989, devenant la première femme à diriger un parti en Espagne. Elle soutient les troupes républicaines anti-franquistes pendant la guerre d'Espagne en prononçant des discours incendiaires à la radio et en visitant les troupes au front pour leur remonter le moral. Elle est connue pour son fameux slogan ¡No pasarán! « Ils ne passeront pas » prononcé au moment de l'offensive franquiste contre Madrid. Elle revient en Espagne après la mort de Franco en sa 1977 et est de nouveau élue députée. Le 13 septembre 1989, elle est hospitalisée, gravement malade d'une pneumonie. Elle se rétablit et quitte l'hôpital le 15 octobre, mais elle fait une rechute le 7 novembre et meurt le 12 novembre à l'âge de 93 ans.


Merci d'avoir lu ce chapitre, en espérant qu'il vous ai plu et donner envie de poursuivre.
Nous retrouverons les autres personnages pour la suite et la fin qui se rapproche pas à pas.

Bonne continuation à vous.
Lysanea