Hey !
Lalalala. Drame. La fin de cette partie approche doucement. (Et il faut que je planifie la seconde avant que ne vienne l'heure de l'écrire.)
Je vous laisse avec Ilya et Asra.
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !
L'inévitable
Julian
.
Julian tape du pied.
Près de lui, les fines mains d'Asra s'enroulent autour d'une de ces boissons fantaisistes qu'il adore. Le futur médecin imagine le froid contre sa peau, le regarde attraper les billes noires du bout de sa paille de fer. Ça a l'air amusant. Il faudra qu'il essaie, un jour. Ne serait-ce que pour se faire une idée.
Il pense à toutes les fois où il aurait pu imiter la commande de son petit ami et s'amuser avec lui, grimacer sur des goûts étranges et le regarder rire. Puis il avale son café d'une traite.
— Alors, t'as prévu un truc pour ces vacances ?
— Pas encore. J'irai peut-être avec Muriel chez sa grand-mère.
— Oh ? Elle est du coin ?
Le malaise. Il ne peut pas faire comme s'il ne le sentait pas, là. C'est lourd, un poids dans l'air qui se glisse autour de sa gorge. Ses poumons lui font mal, il a l'impression.
Il caresse son cou par réflexe. Réflexe stupide. Il a vérifié trois fois ce matin, les suçons se sont effacés. Il n'a rien à cacher. C'était juste un coup d'un soir, qu'est-ce que ça change à ce qu'il ressent pour Asra ? Rien.
Mais Asra aspire ses billes sans le regarder.
— Elle habite à deux heures d'ici.
— Cool, c'est… err. Tu vas y rester les deux semaines ?
— Probablement pas.
Et Ilya sent que ça ne va pas. Leur fluidité complice s'est évaporée. Habituellement, les mots viennent seuls, les plaisanteries se taillent une place entre leurs sourires pétillants. Le café n'est pas aussi amer. Même le rire d'Asra est plus léger. Là, ses gloussements brefs sont pires qu'un long grincement de porte.
— Et ton tarot ? Tu travailles toujours dessus ?
Un bref éclat passe dans le regard de l'angelot. Asra abandonne sa paille, relevant ses mirettes mauves sur lui. Ilya déglutit. C'est… Il est beau. Vraiment. Mais pas comme ces mecs à la barbe de trois jours, rustres et francs qui font se dresser tous les poils de son corps - et pas que - quand il les voit s'approcher. Ces types dont l'attention inattendue font fondre ce qu'il a de décence. Et il ne peut plus le regarder sans penser au fossé qui sépare cette relation et celles qu'il a connues avant. Asra est…
Asra n'est pas l'avenir qu'il imaginait. En fait, Julian n'imagine même pas l'avenir. Il vit au jour le jour la tête entre deux fiches de révision, fume et sort pour faire retomber la pression. Il encaisse la vie comme un coup.
Brusquement, il a l'impression de ne plus rien savoir de celui avec qui il a passé des nuits à discuter.
— Je bloque toujours sur les mêmes cartes, il explique.
— Lesquelles ?
Il demande ça alors qu'il n'y connait rien. C'est mignon, cette foi du garçon bohème pour les forces qui ne s'expliquent pas. Mais ce ne sont que des croyances. Et Ilya est trop terre à terre pour croire aux arcanes, à l'avenir et aux relations durables.
— J'hésite toujours à reprendre les représentations traditionnelles pour les arcanes mineures. Et je n'arrive pas à me fixer sur le Pendu.
— Tu voulais faire, err… Un corbeau, c'est ça ?
— Oui. Mais c'est trop simple. Ça ne dit pas tout du sens de cette carte.
— Et quel sens elle a ?
Poser des questions dont la réponse ne l'intéresse pas. Ilya est tombé bas, mais qu'est-ce qu'il pourrait faire d'autre ? Il n'a plus les mots pour Asra. Il le regarde et son esprit retourne irrémédiablement à cette voix chaude contre son cou, ces mains sur sa taille, le silence qu'il garde depuis. Il ment, et son interlocuteur ne se doute de rien.
C'est tellement facile.
Il hoche la tête aux explications qu'on lui donne, sans écouter. Et toujours, le fossé s'élargit. Les goûts de son petit ami, les secrets qu'ils se font. Leur regard qui s'évitent alors qu'il hésite à lui prendre la main - pour quoi faire ?
Une déception froide l'étreint. C'est ça, l'amour ? C'est faire semblant, acquiescer et dissimuler ?
— Ilya ?
Asra se décide enfin à lui faire face et le dénommé ne trouve rien sur son visage qui ne ressemble à l'émerveillement qui le renversait, au début. Il se force à sourire, mais à quoi bon ? Il ne sait plus pourquoi il fait ça.
— Oui ?
Il l'aime, ce garçon. Mais le sentiment se tasse comme un minuscule détail sous le poids de ce qui les sépare. Et ça le frappe. Une évidence.
— J'ai… Au lycée, Asra commence.
Ça ne marchera jamais.
Cette fois, ce n'est pas la peur qui parle, c'est la raison. Il a merdé, encore une fois, et ce ne sera pas la dernière. Ilya ne sait pas tenir ses relations. Il brise tout ce qu'il croit serrer avec amour. Les relations humaines, l'affection, tout ça, il ne sait pas faire. Ça marche un temps alors il se laisse y croire, mais ça finit toujours de la plus horrible des manières. Le pire, ce n'est pas de l'avoir trompé, mais de comprendre que c'est juste un début. Qu'il y aura les études et le temps qui manque, l'absence qu'il va lui laisser quand son petit ami aura besoin de lui. Une vie de fantôme pleine de frustration qui se terminera en disputes. En silence lourd, comme celui qu'ils partagent.
Ce qu'il y a eu entre eux, c'était beau. Vraiment. Mais c'était.
Il ne peut pas laisser Asra y croire alors qu'il sait déjà comment ce drame va finir.
— Tu vois quelqu'un d'autre ?
La question tombe comme un couperet.
— Quelqu'un d'autre ? il demande, incertain.
Asra sait ? Non. Il n'était pas là et les chances qu'il connaisse ce type sont… Julian ravale un rire jaune. C'est impossible. Ou alors, il a compris.
— C'est ce que tes amis racontent, au lycée.
La peur coule dans sa voix. Ses petites mains se serrent autour de sa tasse froide sans plus toucher à la paille. Le verre est à moitié vide, il n'a même pas pris de gâteau. Est-ce qu'il a mangé, ce matin ? Ilya l'ignore et il n'a pas le courage de le lui demander. Ses muscles fondent. Le sol disparaît.
Il pourrait dire à Asra qu'il n'a pas vraiment d'amis. Enfin, il y a bien Natiqa et Anged, mais l'un ne sait rien de cette histoire sale et l'autre ne perdra pas de temps à la raconter. Pour ce qui est des autres… Merde, il y avait bien ce type du lycée à la fête. Une de ces milliers de têtes à qui il adresse un bavardage de convenance quand il les croise. Mais ce n'est pas un ami, et Asra le surestime vraiment s'il croit que ces dizaines de gens avec qui il partage une clope sont ses potes, parce que-
Non. Peu importe les mots qu'il utilise, le problème n'est pas là.
— Tu penses vraiment que j'ai le temps de voir quelqu'un d'autre, avec tout ce que je dois réviser pour le bac ? Tu m'as surestimé, il plaisante.
Mais Asra ne rit pas.
— Tout le monde en parle au lycée.
Ilya déglutit. Mais quel con. Il ne pouvait pas faire ses cochonneries sur une soirée pleine d'inconnus, non. Il aurait dû réfléchir, plutôt que de courber le dos pour un gars qu'il ne reverra jamais. Agiter son cerveau, aller voir Nat' au lieu de baisser son pantalon. Mais non.
— Tout le monde ?
Evidemment, ça s'est répandu comme une traînée de poudre. Ça dérape toujours quand il merde, le bruit va plus vite que la lumière et en un claquement de doigts- non. Il ne doit pas paniquer.
— J'aimerais bien savoir de quoi les gens parlent, parce que je suis le dernier au courant.
Il ment tellement naturellement, ça lui fait peur. Mais il ne peut pas faire ça à Asra. Pas quand il lève ses yeux trouillés vers lui, cette peur d'une déception qui menace. Pas besoin de demander pour comprendre qu'il remue ça depuis des jours, les entrailles nouées comme une paire d'écouteurs dans une poche. Il a dû y penser toute la nuit, et toute la journée, c'est…
Asra n'est pas fait pour ce genre de choses.
— Il s'est rien passé, il lui jure, sa main cherchant la sienne. J'ai… C'est- un pote. J'ai croisé un pote en soirée, avec Nat'. On a discuté, c'est tout. J'étais un peu- non, complètement torché, mais il s'est rien passé.
La vie au milieu des rumeurs, Ilya connaît, c'est même sa spécialité. Il a le don d'attirer l'attention pour de mauvaises raisons, essuie les merdes où il saute à pied joint. Son quotidien est une série dont les gens se régalent en attendant le prochain rebondissement. Les rires et les regards à la dérobée, il gère. Mais pas Asra.
Asra vit en secret, il est discret, fluide. En lui proposant égoïstement cette relation, il l'a poussé sur le devant de la scène.
— Je te jure, il insiste. Jamais je…
C'est désespérément simple. Il a juste à ouvrir la bouche pour que les mots sortent.
— Je t'en aurais parlé. S'il y avait eu un truc, c'est moi qui t'en aurait parlé, pas n'importe quel crétin du lycée. C'est que des rumeurs, les gens passent leur temps à raconter n'importe quoi pour s'occuper. Dès qu'ils croient tenir quelque chose…
Le silence, pesant. Asra tourne les billes dans sa tasse sans les avaler. Et quand enfin ses doigts acceptent de s'enrouler autour des siens, c'est tout son corps qui vient se presser contre son grand torse maigre. Ilya déglutit.
Il passe ses bras autour de son petit ami, parce qu'il n'y a pas d'autre réaction acceptable.
— Désolé, Asra murmure. C'est juste-
— Je sais, il le coupe.
Il se penche et embrasse ses cheveux bouclés comme on plonge dans un nuage.
— Ça met le doute de voir des gens décortiquer ta vie dans ton dos, il ajoute.
Asra le serre plus fort, et il le laisse enfouir sa tête sous ses fringues de croque-mort. Le goût du café trop amer macule encore sa bouche. Une tâche sur son palais. Dans sa chair. Le dégoût remonte le long de sa gorge.
il aurait dû savoir, dès le début, que cette relation était une mauvaise idée. Qu'il ferait du mal à Asra. Maintenant, il ne peut pas se sortir de là sans faire plus de dégâts.
Quoi qu'il fasse, il va briser un garçon qui n'a rien demandé.
Julian est moins simple à écrire que je ne le pensais, surtout dans son côté autosabotage. Mais je me dépatouille. J'espère que c'est toujours chouette à suivre pour vous !
A la semaine prochaine !
