- Pour le meilleur et pour le pire -


Disclaimer

Cette histoire ne prend pas en compte le final de la saison 4, car je l'ai commencée avant que celle-ci soit terminée. Je précise aussi que les titres de chapitre, sur un seul mot, ont été décidés avant que le nom des épisodes de la saison 5 soient annoncés. C'est juste une coïncidence si ce sont également des noms uniques.

Par ailleurs, ce n'est pas vraiment une saison 5, car cela commence quand nos amis commencent leurs études après avoir terminé le lycée.

Grand merci à Fenice, Tryphon21 et Mayamauve pour leurs précieuses corrections.

Pour ceux qui s'intéresseraient à l'analyse psychologique des personnages de Miraculous : gentil-minou. tumblr. com (compte en anglais).


VII - Acceptation

Marinette revint à l'appartement trois heures plus tard.

La jeune fille avait envoyé un message une demi-heure après avoir quitté son compagnon et leur visiteuse, puis encore trente minutes après. Constatant que ses envois n'étaient pas lus, elle avait commencé à paniquer. Elle avait tenté de se détendre en appliquant la procédure qu'elle avait mise au point avec Phénicia. Mais elle n'était pas arrivée à se persuader qu'il était normal qu'Adrien la laisse sans nouvelle suite à la visite du matin. Même s'il n'anticipait pas son inquiétude, il devait l'imaginer curieuse de ce qui s'était dit. À la fin de sa seconde heure de cours, elle décida de rentrer chez eux pour en avoir le cœur net.

Sur le chemin, elle avait plus ou moins réussi à imaginer qu'elle se faisait du souci pour rien. Quand elle poussa la porte, elle était pratiquement certaine qu'Adrien n'était plus là et qu'il était sagement allé à ses propres cours. Elle jeta un regard rapide vers le salon et elle était déjà détournée pour se diriger vers la cuisine quand elle analysa ce qu'elle venait de voir. Elle se précipita sur son ami, recroquevillé sur un fauteuil.

— Adrien, que se passe-t-il ? questionna-t-elle, affolée.

Les yeux rouges du jeune homme et son expression hagarde ne la rassurèrent pas.

— Oh, mon chaton, mais qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

Elle le prit pour le serrer contre elle, mais il sursauta en poussant un gémissement. Elle vit alors la main qu'il tenait contre lui, difforme et bleuie.

— Mais qu'est-ce qui est arrivé ? Qui t'a fait ça ?

— Rien, personne, c'est moi…

— Mais tu…

Marinette inspira un grand coup puis décida :

— On verra ça après. Il faut que tu fasses une radio pour vérifier que tu n'as rien de cassé.

Elle regarda sur ton téléphone pour trouver le cabinet de radiologie le plus proche, appela pour savoir si on pouvait passer sans rendez-vous, se renseigna sur le prix et fit se lever Adrien.

— Tu peux marcher ? C'est à trois cents mètres.

Il hocha la tête et se dirigea vers le palier. Marinette vérifia qu'il avait sa carte Vitale et le pilota vers l'endroit qu'elle avait repéré. Dans la rue, il avoua d'une voix gênée :

— J'étais furieux, j'ai tapé contre la porte.

— Ce sont des choses qui arrivent, répondit-elle doucement. Ça va aller.

Ils n'attendirent qu'une demi-heure dans un silence morose. Adrien partit à la radio, en revint la mâchoire crispée. Cela avait dû être douloureux. Un quart d'heure plus tard, cependant, ils étaient rassurés. Les os étaient intacts, il ne souffrait que de contusions. Ils passèrent à la pharmacie qui recommanda des compresses froides, de porter le bras en écharpe. Ils achetèrent une crème anti-inflammatoire et un antalgique.

Une fois de retour chez eux, Adrien regarda Marinette par en dessous alors qu'elle retirait sa veste.

— Je suppose que tu veux savoir ce qui s'est passé.

— Si tu as envie de m'en parler, dit prudemment Marinette.

— Il n'y a pas grand-chose à en dire, en fait. Je me suis bêtement mis en colère et je me suis explosé la main tout seul. Je suis incroyablement stupide.

— Adrien, la situation justifie que tu perdes le contrôle de toi-même. Et puis pour les réactions idiotes dans les moments de stress, je suis désolée, mais tu ne m'arrives pas à la cheville, alors arrête de te vanter.

Sa dernière phrase arracha un sourire à Adrien qui vint poser sa tête contre son épaule, prenant soin de ne pas bloquer sa main entre eux.

— Je me sens perdu, confia-t-il. Je ne sais pas ce que je dois faire.

— C'est normal, mon chaton. Il va te falloir un peu de temps pour faire le tri dans ce que tu ressens. Allez, viens, je vais te mettre du froid sur ta main.

oOo

— Qu'est-ce qu'on va faire pour mon père ? demanda-t-il, une fois qu'elle lui eut prodigué les soins préconisés par la pharmacienne.

— Tu veux qu'on aille le dénoncer à la police ? l'interrogea-t-elle.

— Nathalie craint que je le fasse.

— C'est ton intention ?

— Avons-nous le choix ?

— Bien entendu. Et pour tout te dire, je suis loin de penser que ce serait une bonne idée.

— Pourquoi ?

— Parce que cela te compliquerait beaucoup la vie. C'est déjà gênant pour toi d'être un ancien mannequin. Te retrouver le fils de celui qui fut l'ennemi numéro un à Paris serait une épreuve supplémentaire.

— Je suppose que tous les criminels ont une maman et de la famille. Si on les prend en compte, on n'arrêterait personne.

— Il y a aussi plein de criminels en liberté, qui ont fait bien pire.

— Ce ne serait pas mon père, tu n'hésiterais pas à le faire.

— C'est possible. Mais c'est ton père et il ne présente plus aucun danger. À quoi cela servirait de le mettre en prison ?

— Ce serait… juste ?

— Tu ne mérites pas d'être puni pour ce que ton père a fait. C'est peut-être la justice, mais ce n'est pas juste.

— Pour toi, c'est mieux de le laisser sans punition ?

Marinette resta songeuse un moment avant d'analyser :

— Aucune solution n'est bonne. Ni de le faire échapper à ses responsabilités ni de te les faire endosser. Alors, à tout prendre, je choisis la situation qui est la meilleure pour toi.

— Tu parles en tant que Marinette. En tant que Ladybug et gardienne, tu es certaine que tu agis selon ton devoir ?

Marinette soupira et dit doucement :

— Si mes séances avec Phénicia m'ont appris quelque chose, c'est d'arrêter de prendre le poids du monde sur mes épaules et de me demander plutôt ce qui est bon pour moi. Je ne suis ni policière ni juge. Ce n'est pas à moi de le mettre derrière les barreaux. En tant que Ladybug, je protège mon partenaire. En tant que Marinette, je prends soin de mon amoureux. C'est ma position.

— Et la mienne, c'est que je refuse qu'il soit épargné par ma faute ! répliqua rageusement Adrien.

— Eh bien, va le dénoncer ! Comment veux-tu que je t'en empêche ?

— Tu me laisserais faire ? s'étonna Adrien.

— Je t'ai fait savoir pourquoi je désapprouvais. Que puis-je te dire d'autre ?

Adrien tourna la tête et s'enferma dans un silence boudeur. Au bout d'un moment, Marinette remarqua :

— Même si on voulait le faire, on ne nous croira pas sans nos costumes.

— Pas besoin de preuves. Il avoue de lui-même.

— Nathalie trouvera bien un avocat qui fera remarquer que les propos d'un monsieur sénile ne peuvent être considérés comme des preuves. Il est peut-être moins fou que tu ne le pensais, maintenant que ses propos prennent du sens, mais il lui suffira de faire croire qu'il l'est pour échapper à la prison. Il retournera vivre à la campagne, cela ne changera rien pour lui. Ce ne sera pas de la justice, Adrien. Ni même une vengeance.

— Je n'ai jamais dit que je voulais me venger ! protesta Adrien.

— Dans ce cas, pourquoi le veux-tu en prison ?

— C'est Nathalie qui parle ou c'est toi, là ? contra Adrien d'un ton agressif. Vous vous êtes mises d'accord toutes les deux, c'est pas possible ! Toi aussi, tu vas me parler d'indulgence ?

L'expression choquée de Marinette lui fit comprendre qu'il était allé trop loin.

— Désolé, marmonna-t-il.

— Je ne défends pas ton père, précisa Marinette presque dans un murmure. C'est toi qui m'importes. J'espère simplement que tu ne feras rien qui te portera préjudice.

— Je sais, ma Lady. Pardon, je suis insupportable, aujourd'hui.

— Non, c'est ma faute, le contredit-elle en le prenant dans ses bras. Ce n'est pas le bon jour pour discuter, voilà tout.

oOo

Le lendemain, Adrien ne se rendit pas à son école. Il ne pouvait pas prendre de notes avec sa main, justifia-t-il et il avait peur qu'on la lui heurte dans les transports. Il trouverait bien un camarade pour lui transmettre ses cours.

— Profites-en pour appliquer du froid sur tes contusions deux fois dans la journée, conseilla Marinette. J'ai mis le pain de glace dans le compartiment supérieur du congélateur.

Elle le retrouva le soir en train de regarder un film sur le grand écran.

— Tu n'es pas sorti ? s'enquit-elle.

Il haussa les épaules.

— Tu veux faire un tour avec moi ? On va faire des courses.

— Je n'ai pas envie. Je ne suis pas habillé.

Il était effectivement encore en pyjama. Évidemment, avec sa main fragilisée, il ne devait pas être facile d'enfiler un pantalon ou un pull.

— D'accord, j'y vais toute seule.

Marinette prépara ensuite le dîner. Elle trouvait normal de le faire, mais regretta qu'il ne vienne pas discuter avec elle pendant qu'elle s'affairait. Durant le dîner, elle raconta sa journée, mais elle n'eut pas l'impression qu'il l'écoutait vraiment. De son côté, il affirma qu'il n'avait rien fait d'intéressant et ne relança pas la conversation. Il retourna bien vite dans le salon, se plonger dans son téléphone.

— Tu viens te coucher ? l'invita Marinette quand elle fut prête à se mettre au lit.

— Dans un petit moment, répondit-il.

Pourtant, il se fit attendre. Sa compagne sombra dans le sommeil avant qu'il ne vienne la rejoindre.

oOo

Le reste de ma semaine s'écoula ainsi. Adrien se couchait tard, et ne se levait pas le matin. Il se montrait renfermé et semblait fuir toute interaction avec Marinette, répondant sèchement à ses tentatives d'approche. Celle-ci comprenait qu'il veuille échapper à la réalité, mais il fallait bien qu'il finisse par s'y confronter.

Le vendredi, elle reçut un appel de Nino.

— Marinette, que se passe-t-il avec Adrien ? Il est devenu injoignable.

— Peux-tu passer ce soir à la maison ? Je ne peux pas t'expliquer ça par téléphone.

— Il lui est arrivé quelque chose ? s'inquiéta Nino.

— Il a appris une mauvaise nouvelle. On en parle ce soir.

En rentrant chez elle, Marinette trouva Adrien avachi dans le canapé, en train de jouer sur la console, comme la veille. Elle se retint de lui demander s'il ne ferait pas mieux de rattraper ses cours. Il l'avait assez mal pris deux jours auparavant quand elle avait fait cette suggestion.

— Bonjour, mon chaton, dit-elle d'un ton léger. Nous avons de la visite, ce soir.

— Hein ? Qui ? demanda-t-il, nettement sur la défensive.

— J'ai invité Nino.

Adrien laissa tomber sa manette de jeu.

— Mais pourquoi tu as fait ça ? lui reprocha-t-il d'une voix irritée.

— C'est ton ami, Adrien, il s'inquiète pour toi.

— Ce ne sont pas tes affaires, affirma le jeune homme sèchement. Je n'ai pas envie de le voir.

— Ce n'est pas une bonne idée de garder tout ça pour toi. Tu peux tout lui dire, à lui.

Elle vit le regard d'Adrien vaciller et son visage s'adoucir :

— C'est vrai, tu as raison. Je suis désolé de t'avoir répondu comme ça.

— Ce n'est pas grave. Toi aussi, tu subis ma mauvaise humeur quand je ne suis pas bien, dit-elle avec douceur.

Sentant que le moment était propice, elle l'approcha et l'enlaça.

— Ne te renferme pas sur toi, Chaton. C'est trop dur de régler de telles choses tout seul. Laisse-nous t'aider.

— Je ne veux pas être un fardeau pour vous.

— Adrien, tu m'as soutenue pendant des mois. On est un couple, on s'épaule, c'est normal. Et tu ferais plus de mal à Nino en le repoussant qu'en le laissant te réconforter.

— Merci, ma Lady. Tu as raison, comme d'habitude.

Marinette relâcha son étreinte et renifla ostensiblement.

— Si tu allais prendre une douche avant que Nino n'arrive ?

oOo

Quand leur ami arriva, Adrien avait retrouvé son état normal. Il accueillit Nino avec le sourire et lui offrit une bière dans la cuisine, où Marinette préparait le repas. Adrien avait encore la main endolorie et était dispensé des corvées domestiques.

— Alors, mec, qu'est-ce qui t'arrive ? demanda Nino après avoir bu quelques gorgées.

— Rien de grave. On a juste découvert qui était le Papillon.

— Sérieux ? Tu me fais marcher ! s'écria Nino en jetant un regard vers Marinette qui se détourna pour ne pas intervenir.

— Parole de Chat Noir ! confirma Adrien.

— Alors, qui est-ce ?

— Mon père.

Nino éclata de rire, avant de s'arrêter en constatant que le sourire en coin d'Adrien ne remontait pas jusqu'à ses yeux.

— Attends, ce n'est pas possible ! s'exclama-t-il.

Adrien lui raconta les détails de l'entrevue. Son ami l'écouta avec attention avant de commenter :

— Tu m'avais parlé de cette visite, et j'avais bien l'idée que ton silence radio y était lié, mais… je n'imaginais pas un truc pareil !

— Et moi donc ! lança Adrien d'une voix légère. Enfin, voyons le bon côté des choses. On ne va plus craindre qu'il tente de nous reprendre son Miraculous. Il n'est plus en état de le faire. C'est un soulagement, hein, ma Lady !

— On peut voir les choses comme ça, Chaton, répondit-elle d'une voix neutre, rendue un peu mal à l'aise par l'exubérance d'Adrien, qui contrastait avec son apathie des jours précédents.

— Tu en as parlé à Alya ? s'enquit Nino auprès de Marinette.

— Pas encore. C'est le secret d'Adrien, pas le mien.

— Tu peux le lui dire, Nino, fit l'ancien mannequin, grand prince.

— D'accord. Et qu'est-ce que vous allez faire ?

— On n'a pas encore décidé, répondit Adrien. Rien ne presse.

— C'est vrai, s'il n'a pas conscience de ce qu'il a dit, il n'a aucune raison de s'enfuir, raisonna Nino.

— Nathalie sait que j'ai compris, précisa Adrien, mais je doute qu'elle prenne le risque de faire quoi que ce soit qui confirmerait qu'il y a quelque chose à cacher. La démence de mon père et le manque de preuve les protègent.

— Je n'avais pas pensé à Nathalie, avoua Nino. Elle est dans le coup, tu penses ?

— Dans le coup jusqu'au cou, si tu veux mon avis, assura Adrien, visiblement fier de son jeu de mots. Je me demande d'ailleurs pourquoi elle l'a aidé. Elle est folle de mon père, elle n'avait pas intérêt à ce que ma mère revienne.

— Elle pouvait, par amour, souhaiter le bonheur de ton père, au détriment du sien, supposa Marinette. À moins qu'elle ait fait semblant de l'aider pour lui faire croire qu'elle était de son côté, tout en faisant son possible pour saboter chacun de ses efforts, espérant le récupérer à la fin. Ce qui est le cas, même si ce n'est sans doute pas ce qu'elle espérait.

Adrien haussa les épaules. Les ambitions de Nathalie ne paraissaient pas l'intéresser outre mesure.

La soirée s'écoula en donnant l'apparence de normalité. La conversation dériva sur d'autres sujets, comme si rien n'avait changé. Marinette eut pourtant du mal à se mettre au diapason. D'une certaine manière, Adrien agissant et plaisantant normalement lui paraissait plus inquiétant que lorsqu'il exprimait son mal-être. Mais peut-être était-ce simplement une impression due à une de ses angoisses intimes. Elle nota de reprendre rendez-vous avec Phénicia.

Quand Nino les quitta, Adrien l'aida à ranger, malgré sa main encore jaune et bleu, puis retourna au salon. Quand Marinette l'y rejoignit, il avait repris sa manette de jeu.

— Tu viens te coucher ? l'invita-t-elle, songeant que cela faisait près d'une semaine qu'ils ne s'étaient pas retrouvés au lit.

— Plus tard, répondit-il.

Comme les soirs précédents, Marinette dormait déjà quand il regagna la chambre.

oOo

Les jours suivants s'avérèrent compliqués. Adrien était retombé dans une humeur sombre et apathique. Bien que sa main soit guérie, il ne sortait plus, passant son temps à dormir, jouer sur la console et surfer sur internet. Les quelques suggestions de Marinette de reprendre un rythme de vie plus normal reçurent une réponse sèche, voire hargneuse. Ce qui inquiétait le plus la jeune femme, c'était la manière dont son compagnon se négligeait. Il ne se lavait qu'occasionnellement et ne quittait pas le t-shirt et pantalon de jogging qui lui servaient ordinairement de pyjama. Il ne partageait plus les repas de Marinette, préférant grignoter des chips et barres chocolatées qu'il se faisait livrer.

Marinette avait le sentiment qu'Adrien se punissait en maltraitant le corps qu'il avait pris soin jusque-là de maintenir en bonne forme. Il avait gardé de sa période de mannequinat une saine hygiène de vie et semblait désormais s'appliquer à prendre à contre-pied toutes ses bonnes habitudes. La jeune femme savait qu'elle l'aimerait tout autant s'il devenait moins séduisant. Elle craignait toutefois que son regard sur lui-même soit moins bienveillant et elle considérait sa dégradation physique comme le symptôme d'une autodépréciation qui s'amplifiait et se nourrissait de sa propre déliquescence. La jeune femme se sentait totalement impuissante devant le cycle infernal qui était en train de se mettre en place.

Au fur et à mesure que les semaines s'écoulaient, Marinette supportait de moins en moins bien la situation. Elle se sentait devenir étrangère dans l'appartement qu'elle habitait. Elle n'entrait pratiquement plus dans le salon où Adrien s'était retranché, s'y sentant indésirable. Ils ne faisaient que se croiser entre la cuisine et les sanitaires. S'il dormait, c'était entre l'aube et midi, et le plus souvent sur le canapé. Marinette assurait la totalité des corvées ménagères, et devait même insister pour aérer et passer l'aspirateur dans la pièce où Adrien avait élu domicile.

Elle avait renoncé à échanger avec lui autrement que des banalités. Ses conseils étaient sèchement rejetés et ses tentatives de discussions neutres et légères se heurtaient à de l'indifférence. Pire, elle avait l'impression que le seul fait qu'elle veuille communiquer avec lui l'exaspérait. Il avait érigé un mur entre eux deux qu'elle n'arrivait pas à contourner et encore moins à abattre.

Alya, qui s'était fait du souci pour Adrien dans un premier temps, s'inquiétait désormais pour Marinette. Cette dernière avait du mal à retenir ses larmes quand elle évoquait ses relations avec son amoureux.

— Marinette, tu es en train de t'épuiser mentalement, lui dit-elle à plusieurs reprises. Il faut que tu te protèges. Cela n'aidera pas Adrien que tu sombres à ton tour. Tant qu'il n'admet pas qu'il a un problème, tu ne peux rien faire.

— Mais je ne peux pas l'abandonner. Il m'a tellement soutenue quand j'avais mes crises d'angoisse !

— Tu étais consciente de l'aide qu'il t'apportait et il avait la satisfaction de se sentir utile. Et puis, je ne te dis pas de rompre avec lui, seulement de prendre un peu de recul avant de craquer à ton tour.

Phénicia, que Marinette retournait voir chaque semaine, tenait à peu près le même discours. Elle confirma, autant qu'elle puisse en juger de loin, que l'attitude d'Adrien était inquiétante et qu'une aide extérieure était souhaitable. Elle enjoignait cependant sa patiente à ne pas se considérer responsable de l'état de son compagnon ni en charge de le remettre sur pied.

— Beaucoup de paramètres vous échappent, Marinette. Vous avez déjà fait le maximum dans les limites de vos possibilités. Pensez un peu à vous et à vos propres besoins. Les mettre de côté serait nocif pour vous et inopérant pour votre ami.

— C'est de lui dont j'ai besoin, affirma Marinette.

— Vous avez besoin qu'il aille mieux, et cela ne dépend pas que de vous. Attendez qu'il soit en mesure de se faire aider. De votre côté, concentrez-vous sur ce qui vous fait du bien. Quand il se tournera de nouveau vers vous, il aura besoin d'une petite amie bien dans sa peau et heureuse de vivre.

Autant pour suivre les conseils de sa thérapeute que pour se changer les idées, Marinette s'investissait à fond dans son travail scolaire et des créations personnelles. Elle se ruinait en tissus et accessoires, qu'elle transformait en cadeaux pour ses connaissances.

oOo

Un soir, alors qu'elle était sur le retour, elle sentit son ventre se tendre. Une douleur sourde naquit et s'épanouit dans son abdomen, devenant de plus en plus inconfortable. Elle pensa dans un premier temps aux signes précurseurs d'une indisposition mensuelle avant de réaliser que la raison était tout autre. C'était l'angoisse qui lui tordait les entrailles.

Au beau milieu du trottoir, elle s'arrêta net, manquant de se faire bousculer par les passants. Elle en était là. La simple perspective de rentrer chez elle lui donnait mal au ventre. L'idée de pénétrer dans l'appartement, d'entendre Adrien s'abrutir avec un jeu ou une vidéo dans le salon, devoir ranger le désordre qu'il avait laissé dans la cuisine ou la salle de bain, voir les emballages de malbouffe traîner sur la table. Le croiser dans le couloir, le teint hâve, les cheveux gras, les vêtements fripés, le regard mort et fuyant… Elle en était malade d'avance.

Alya et Phénicia avaient raison. Marinette s'usait inutilement à perpétuer une cohabitation qui n'avait plus de raison d'être. Adrien avait clairement indiqué, au cours des semaines passées, le peu d'intérêt qu'il lui portait désormais. Il n'y avait plus rien entre eux : ni désir ni sentiments. Il attendait simplement qu'elle le comprenne, qu'elle libère la chambre qu'elle occupait indûment pour qu'il puisse s'y réinstaller.

Alors que son souffle devenait court, elle réalisa qu'elle était en proie à une crise d'angoisse. Elle devait résister à la spirale négative dans laquelle elle s'était laissé entraîner. Heureusement, c'était un exercice qui lui était familier. Elle contra une à une toutes les idées désespérantes qui lui étaient venues.

Adrien ne la rejetait pas. Il était juste trop perdu en lui-même pour avoir la capacité d'interagir avec elle. Il n'y avait rien de personnel dans ce désintérêt : il ne répondait pas davantage aux messages de Nino et n'avait repris ni l'école ni le sport. C'est lui-même qu'il ne supportait plus, pas elle. S'il voulait réellement qu'elle parte, il le lui aurait fait clairement comprendre.

Il y avait cependant un point qu'elle ne pouvait nier : elle ne pouvait rien faire pour son compagnon. Il ne souhaitait pas son aide ou n'était pas en état de l'accepter. Et elle en souffrait énormément, se sentant coupable de ne pouvoir lui apporter le soutien dont elle avait bénéficié de sa part l'année précédente.

Elle sentit qu'il était temps pour elle de suivre les conseils qu'on lui avait donnés : elle devait prendre du recul, s'occuper d'elle-même. Mieux, laisser les autres prendre soin d'elle.

Elle prit son téléphone et appela Alya.

— Salut, Marinette.

— Salut.

— Tu as une toute petite voix. Ça ne va pas ?

— Je vais aller chez mes parents et y rester quelques jours.

— D'accord. Tu veux que Nino garde un œil sur Adrien ?

— Je sais qu'il a beaucoup de travail…

— Je t'ai dit qu'on prendrait le relais si tu en avais besoin. On va gérer, Marinette, ne t'en fais pas. Sois un peu égoïste. Et si tu as besoin de parler, je suis là.

— Vous êtes les meilleurs amis du monde !

— Exactement ! Et tu as intérêt à en profiter !

oOo

Tom et Sabine furent étonnés, mais ravis, d'avoir leur fille à dîner. Ils s'enquirent poliment d'Adrien et acceptèrent l'excuse qu'elle donna pour expliquer son absence. Après le repas, le boulanger partit se coucher et Marinette demanda à sa mère si elle pouvait passer la nuit sur place.

— Qu'est-ce qui se passe, ma chérie ? s'inquiéta Sabine. Je vois bien que tu n'es pas comme d'habitude. Et puis cela fait longtemps qu'on n'a pas vu Adrien. Cela ne va plus entre vous deux ?

Marinette raconta tout, hormis l'objet de la révélation que Gabriel avait laissé échapper. Elle se borna à dire qu'Adrien avait eu une discussion terriblement difficile avec son père, puis avec Nathalie, et que, depuis, il broyait du noir.

— Peut-on faire quelque chose ? s'enquit Sabine.

— Je ne crois pas. D'après ma thérapeute, il faut attendre qu'il réalise qu'il va vraiment mal et qu'il a besoin d'aide. C'est loin d'être le cas. Et moi, j'ai besoin de souffler un peu.

— Tu peux rester ici le temps que tu veux, assura sa mère. J'espère qu'il va se reprendre rapidement.

— Moi aussi, soupira Marinette. Mais assez parlé de lui pour ce soir. J'ai envie de me vider la tête. Tu regardes toujours ta série ?

— Oui, et j'ai quelques épisodes de retard. Je te raconte ce que tu as raté et tu visionnes la suite avec moi ?

— Avec plaisir !

À minuit passé, alors que Marinette faisait son lit avec l'aide de sa mère, son téléphone vibra. Pour la première fois depuis des semaines, Adrien lui avait envoyé un message.

#Tu ne rentres pas ?

#Pas ce soir, je suis chez mes parents.

La conversation s'arrêta là et Marinette en conclut qu'Adrien était retourné à son jeu vidéo. Elle ne devait pas vraiment lui manquer. Elle était presque surprise qu'il se soit aperçu de son absence.

Le lendemain, alors qu'elle était encore à son école, elle reçut un appel d'Alya.

— On sort toutes les deux ce soir ?

— Je ne sais pas, hésita Marinette, qui n'avait pas le cœur à faire la fête.

— Nino va aller dîner avec Adrien, tu peux arrêter de t'inquiéter pour lui, insista Alya.

Marinette sentit un grand poids, dont elle n'avait pas eu conscience jusque-là, quitter ses épaules.

— Tu as raison, cela va me faire du bien, accepta-t-elle. Une bonne vieille soirée entre filles, c'est toujours un bon remède.

oOo

Par les récits de Marinette, dont il avait indirectement connaissance par Alya, et par le silence inquiétant que lui opposait son ami, Nino savait qu'Adrien n'allait pas bien. Il n'était cependant pas préparé à le voir aussi changé. Il eut un sursaut quand son ami lui ouvrit la porte et qu'il découvrit son teint brouillé et son aspect négligé. Sans compter l'odeur de transpiration qui flottait autour de lui.

Il se reprit rapidement :

— C'est le livreur de pizza ! prétendit-il en brandissant les boîtes qu'il avait prises en chemin.

— Je t'avais dit que ce n'était pas la peine de venir, protesta Adrien.

— Et depuis quand on n'en profite pas quand nos copines sortent ensemble ? contra Nino. Nous aussi, on a le droit d'avoir notre soirée.

— Pas certain que Marinette soit encore ma copine, marmonna Adrien en se poussant pour laisser son ami entrer.

— Adrien, on en a discuté tout à l'heure au téléphone. Elle ne t'a pas quitté. Elle prend quelques jours de break chez ses parents. Elle va revenir. Par contre, je serais à sa place et je te verrais dans cet état, je ne sais pas si j'aurais envie de rester. Si tu commençais par prendre une douche et te changer ?

Sans répondre, Adrien partit vers la salle de bain. Nino obliqua vers le salon dans l'idée de poser les pizzas devant le grand écran, comme il le faisait habituellement quand ils étaient tous les deux. L'état repoussant de la pièce lui fit froncer le nez. Il commença par ouvrir les fenêtres pour aérer et contempla le fouillis.

Adrien avait toujours été ordonné, davantage que Marinette, qui avait tendance à disperser ses affaires dans toutes les pièces. Ni l'un ni l'autre, cependant, n'était du genre à laisser traîner par terre des restes de nourriture et des vêtements roulés en boule. Son tour dans la cuisine ne le rassura pas. Des emballages de barres chocolatées s'empilaient sur la table. Sans doute les derniers repas d'Adrien. Ce n'était pas normal. Même s'il ne brillait pas aux fourneaux, l'ancien mannequin avait toujours veillé à manger équilibré. Rien n'allait dans cette maison.

Nino prit une éponge et nettoya sommairement la table avant d'y poser ses pizzas. Un quart d'heure plus tard, Adrien revenait, lavé, rasé et avec des vêtements propres. Nino l'invita à s'asseoir et lui demanda :

— Mec, qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Les yeux rivés sur les mains qu'il tordait sur son giron, Adrien marmonna :

— J'ai tout foiré avec Marinette.

— Elle va revenir, je te dis. Elle n'est pas du genre à lâcher le morceau si facilement.

— Je ne sais même pas si je veux qu'elle revienne, avoua Adrien. Je ne veux pas continuer à lui faire du mal.

— Et pour toi, la solution, c'est qu'elle te quitte ?

— Je ne la mérite pas.

— Adrien, vous vous aimez et vous vous entendez bien. Qu'est-ce qui a changé ?

— Tu le sais !

— Non, je ne vois rien dans la situation qui implique que vous vous sépariez. Ok, ton père est une pourriture. Et après ? C'est du passé. Pourquoi, soudainement, tu te conduis ainsi ?

— PARCE QUE JE N'ARRIVE PAS À FAIRE AUTREMENT ! hurla soudainement Adrien.

— Et il ne te vient pas à l'esprit qu'il faut que tu tentes d'y remédier ? contra calmement Nino.

— Tu ne comprends pas !

— Ce que je comprends, c'est que tu n'es pas toi-même en ce moment. Le mec que je connais, il se transformait en Chat Noir et faisait le joli cœur sur les toits quand son père lui faisait la misère chez lui. Je vois bien que tu as perdu le contrôle. Je ne te reproche pas de te sentir mal, mais de refuser de reconnaître que tu as besoin d'aide. Tu crois qu'on va te laisser foutre en l'air ta relation avec Marinette et accepter de te voir crever là, tout seul ?

— Mais, qu'est-ce que tu penses faire ?

— Adrien, à ce niveau, ce n'est pas juste une mauvaise passe ou une petite déprime, d'accord ? C'est de la dépression, mec, une maladie. Tu dois te faire aider par des professionnels.

— Mais qu'est-ce que tu en sais ? Tu fais des études de médecine, maintenant ?

— J'ai une tante qui est dépressive. Quand ma mère a appris que sa sœur avait fait une tentative de suicide, j'étais présent. J'ai vu ce que ça fait d'entendre ça et de se demander ce qu'on aurait pu faire pour l'éviter. Je n'ai pas envie de passer par là pour que tu te décides enfin à aller voir quelqu'un. Arrête de te mentir et de faire comme si tout allait bien alors qu'il est évident que ce n'est pas le cas. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour Marinette.

Adrien resta la tête baissée un moment, avant de s'enquérir d'une voix tremblante :

— Ta tante, elle s'en est tirée, finalement ?

— Oui, et elle est suivie par un psychiatre depuis trois ans. Elle va beaucoup mieux. Je sais que ce n'est pas toujours facile, mais elle sait vers qui se tourner quand elle sent qu'elle perd pied.

Adrien renifla, s'essuya les yeux et demanda :

— Tu as le nom d'un médecin ?

oOo

Alya et Marinette avaient mangé dans un restaurant indien, parlant de tout, sauf d'Adrien. Elles avaient continué leur conversation en flânant dans les rues de Paris, cette ville qu'elles avaient eu la fierté de défendre. Le lendemain, Marinette avait passé une soirée en famille, se faisant chouchouter par ses deux parents. Cela contribua à la revigorer totalement. Le troisième jour, elle se sentit prête à rentrer chez elle.

Dans l'après-midi, Marinette appela Alya :

— Je vais revenir ce soir, lui indiqua-t-elle. Je me sens mieux et puis je commence vraiment à ne plus rien avoir à me mettre.

— Tu es certaine ? Nino peut prendre ce dont tu as besoin et te l'apporter.

— Adrien me manque, Alya. Même si on ne se parle plus trop… J'ai besoin de le voir.

— Très bien. Alors, voici les nouvelles du front : Adrien, en constatant que tu n'étais pas rentrée, a cru que tu étais partie pour de bon et a un peu paniqué.

— Quoi ? Mais vous auriez dû me le dire ! s'écria Marinette, sentant les prémisses d'une crise d'angoisse monter.

— Du calme, ma belle, tout va bien. Nino a géré. Il a rassuré Adrien sur ton retour imminent, a passé du temps avec lui, et lui a fait remarquer que si rien ne changeait, tu n'allais pas tenir éternellement. Il a incité Adrien à se reprendre et à admettre qu'il n'arrivait pas à faire face tout seul et qu'il avait besoin d'aide. Il l'a accompagné hier chez un médecin généraliste, qui l'a redirigé vers un psychiatre. Adrien a un rendez-vous dans six semaines.

— Oh ! fit Marinette les jambes flageolantes. Je… Vous… Bravo, Nino.

— Je transmettrai. Donc rien n'est réglé, tu t'en doutes, mais Nino pense qu'Adrien a pris conscience de son état et envisage enfin de se faire suivre. La situation a des chances de s'améliorer d'ici à quelques semaines. Ça ira pour toi ?

— C'est déjà formidable d'en être arrivé là. Nino est génial, assura Marinette.

— Ce n'est pas moi qui vais te contredire. Cela dit, c'est pas gagné, alors n'hésite pas à faire de nouveau appel à nous si tu en ressens le besoin.

— Oui, merci, merci à vous deux.

Les deux jeunes femmes raccrochèrent, et Marinette se prépara à aller retrouver Adrien.

oOo


Voilà, il fallait bien qu'on se penche sur le cas d'Adrien. Il fallait bien qu'il se confronte à ce qu'il a vécu plus jeune.

Le chapitre suivant a pour titre "Evolution". Dans cette attente, dites-moi ce que vous pensez de celui-ci !

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