Stiles s'efforça de sourire devant son père et surtout, de lui raconter objectivement ce qu'il s'était passé. L'inquiéter n'était pas dans ses projets, mais il se devait être honnête avec lui. C'était loin d'être facile. L'hyperactif n'était pas du genre à s'étaler sur ses problèmes, bien au contraire. Il avait tendance à relativiser, à faire passer ceux des autres avant les siens parce que… Ça lui paraissait normal. Il avait toujours eu cette habitude de s'oublier au profit de son entourage, à tel point que c'était devenu un automatisme. Noah le lui avait longtemps reproché, à tel point que cela avait donné lieu à de violentes disputes, que Stiles ne comprenait pas toujours. Durant la dernière en date, Noah avait pleuré. Pas beaucoup. Il avait juste lâché deux ou trois larmes de rage et de tristesse mélangées, mais cela avait suffi à briser le cœur de Stiles, qui avait commencé à comprendre que son bien-être pouvait important. A défaut de l'être à ses yeux, il l'était à ceux de son père. Alors, il faisait un effort, même si ça lui coûtait beaucoup et qu'il détestait la sensation qui l'étreignait. Celle de se plaindre pour pas grand-chose. C'était pour cela qu'il essayait de ne pas trop faire l'étalage de son ressenti et de se concentrer sur les faits. Noah fronça un sourcil.

- Donc tu es en train de me dire qu'un homme est venu te proposer de l'argent contre… Du sexe ?

Il semblait avoir du mal à y croire mais pas parce qu'il doutait de Stiles. Simplement parce que… C'était aberrant. Et qu'un père n'arrivait pas à imaginer cela concernant son enfant.

Stiles se mordit la lèvre inférieure.

- Je dis pas que c'est ça. Il a pas dit le mot, tenta-t-il.

- Il ne l'a pas dit, mais c'est pourtant ce que ça veut dire, objecta Noah avant de se reculer dans sa chaise et de croiser les bras sur son torse.

Il fit le vide dans son esprit et soupira. Contenir ce qui montait en lui était difficile. Il releva ses yeux bleus inquiets et les posa sur le visage de son fils. Ce merveilleux fils qu'il aimait tant. Objectivement, il était mignon et dégageait quelque chose de certain y comprit un charme qui pouvait faire tourner des têtes, mais… Des têtes de son âge, des têtes de lycéens ou lycéennes. Pas des hommes matures.

- Ce qui m'embête, c'est pas ça, lâcha Stiles, c'est que… Enfin, avec Isaac, on buvait juste un verre et il a insisté pour me le payer. Voilà, c'était… Un verre entre potes. Ce qui me dérange, c'est le fait que ça ait été détourné. C'est… Pervers.

L'hyperactif frissonna. Il avait mis du temps à comprendre, principalement parce qu'il ne voulait pas capter la signification à peine cachée des paroles de l'homme, justement parce qu'il ne voulait pas salir cette sortie avec Isaac. Mais forcément, au bout d'un moment, les mots faisaient sens. Et ils frappaient là aux portes de sa pseudo-innocence. N'allez pas croire que Stiles, même puceau, ne connaissait rien à la vie d'en bas : c'était même l'inverse. Il s'était un peu trop renseigné pour le jour où ça arriverait. Et, forcément, il savait des choses, d'autres choses. Des choses que tout le monde savait parce que… C'était là. Disons qu'en être témoin était une chose, le vivre en était une autre. Alors forcément, il était un peu troublé, voire désarçonné. En fait, des doutes perfides commençaient sérieusement à s'insinuer en lui.

- C'est compréhensible, fils, mais n'y pense pas.

Stiles leva des yeux outrés vers son paternel qui comprit qu'il s'était mal exprimé :

- Pardon Stiles, c'était maladroit. Ce que je veux dire, c'est que ce qui s'est passé ne doit pas t'empêcher de prendre un autre verre avec Isaac, ni même de faire n'importe quelle sortie avec tes amis. Tu vois ce que je veux dire ?

L'hyperactif, redevenu calme, hocha la tête. Oui, bien sûr, il comprenait, mais c'était… Perturbant. Il avait beau être intelligent et rapide d'esprit, il n'avait que dix-sept ans. Dix-sept ans, bordel ! Pouvait-on faire plus malsain que cela ?

- Tu peux me le décrire ? Demanda Noah, le regard assombri.

Il gardait la face et revêtait peut-être la casquette du shérif mais il restait avant tout un père. Un père aimant, qui ne supportait pas l'idée qu'on ait posé un œil lubrique sur son enfant. Stiles avait peut-être dix-sept ans, mais il resterait son bébé à jamais. Forcément, l'envie de retrouver ce pervers qui avait osé faire cette proposition plus qu'indécente et carrément déplacée le tiraillait. Stiles se retrouva alors fort dépourvu, complètement décontenancé. Il avoua ne pas l'avoir bien regardé parce que sur le coup… Oui, sur le moment, il était perturbé. Il s'excusa platement. La culpabilité se lisait sur son visage. Noah hocha la tête et lui assura que ce n'était pas grave mais qu'il ne fallait pas hésiter à lui dire si un détail lui revenait. Stiles acquiesça. Mais sa soudaine timidité et cet air gêné ne plaisaient pas au shérif qui se leva de sa chaise et vint l'étreindre maladroitement. Père et fils ne se faisaient pas souvent de câlins, mais l'hyperactif se blottit avec plaisir contre son paternel. La rareté de leurs marques d'affection ne rendait celles-ci que plus précieuses et pour être honnête, Stiles devait avouer qu'il en manquait. Il savait que son père l'aimait et ne mettait absolument pas cela en doute, simplement… C'était comme s'il avait oublié comment agir avec lui, depuis la mort de Claudia. Il prenait soin de lui, s'inquiétait pour lui et l'aimait sans aucun problème… Il ne savait juste plus vraiment comment en faire la démonstration. Mais cette fois, il faisait un effort et Stiles ne pouvait qu'apprécier. Il se serra fort contre son père et posa son menton sur son épaule.

Il restait préoccupé. En fait, cet épisode tournait en boucle dans sa tête, comme s'il avait raté quelque chose, un élément crucial. Et cette idée l'empêcha de penser à autre chose. D'un air innocent et à moitié détaché, il demanda distraitement :

- Papa ? Est-ce que je fais pute ?

Il ne le vit pas, mais Noah fronça les sourcils et lui tapota doucement le dos.

- Non, fils, bien sûr que non.

Puis, il le repoussa légèrement pour l'obliger à le regarder et ses mains vinrent se placer au niveau de ses avant-bras, qu'il caressa doucement, tel un père rassurant son fils.

- Pourquoi tu te poses cette question ?

- Ben je… Peut-être que ça pourrait expliquer… Enfin tu sais… Balbutia Stiles.

Noah soupira. Comme toujours, Stiles avait besoin de comprendre pour avancer. Il détestait rester dans le flou et s'il le comprenait, malheureusement, il ne pouvait pas trouver d'explication « logique » à ce genre de comportements. Du moins, pas d'explication qui conviendrait à l'esprit complexe de son jeune hyperactif.

- Ecoute-moi, fils, lui dit-il d'un air sérieux. Cet homme est, si tu me permets l'expression, en chien. Il a vu un joli minois qui lui a plu, en l'occurrence le tien, et il a pensé pouvoir t'acheter pour satisfaire ses envies. En plus d'être complètement illégal, c'est parfaitement malsain. Ce type est un malade, tu comprends ?

Stiles hocha fébrilement la tête mais Noah vit à son regard que cela ne lui suffisait pas. Néanmoins, il lui dit :

- Tu ne dois pas te sentir responsable de la manière dont il t'a considéré.

- Peut-être que j'étais habillé un peu…

- La manière dont tu t'habilles n'a rien à voir là-dedans, le coupa Noah.

En plus, il était vêtu parfaitement normalement, avait le même style que d'ordinaire. Rien ne changeait.

- De manière générale, la tenue ne justifie rien. Tu n'es responsable en rien, Stiles. Regarde-moi, fils. Tu as dix-sept ans et tu es sorti avec ton ami boire un verre. Cet homme est arrivé, il t'a abordé et a tenté de t'acheter. Où te vois-tu responsable de quelque chose, là-dedans ? Est-ce que tu es allé vers lui ? Est-ce que tu lui as demandé quoi que ce soit ? Non. Tu n'as rien fait, Stiles. Parfois, il y a des gens détraqués qui font tout pour assouvir leurs pulsions, des gens malades qui s'en prennent aux mineurs comme toi.

Et rien que penser à cela le rendait malade. Stiles, c'était son bébé, la chair de sa chair, le dernier vestige de Claudia et imaginer qu'un pervers pose son regard lubrique sur lui le faisait frissonner. Ce fait mis à part : il détestait voir son fils aussi fébrile, peu serein, peu sûr de lui. Stiles, c'était le soleil qu'il n'espérait pourtant pas à la mort de sa femme. Et pourtant, c'était arrivé. Son fils avait changé sa vie, dans le bon sens du terme. Il l'avait illuminée de manière inespérée. Alors le voir ainsi perturbé et l'entendre clamer sa potentielle responsabilité dans cette histoire lui faisait mal au cœur. Sa casquette de père souffrait et cachait une colère sourde. Celle du policier était déjà en train de réfléchir pour faire un hypothétique signalement. Un homme tel que celui qui avait honteusement abordé Stiles pouvait être dangereux. Il s'était adressé à un mineur ! A son fils, dont il aimerait bien conserver l'innocence de ce côté-là. Il tapota son front d'un doigt.

- Rentre-toi ça dans le crâne, fils : ce n'est pas de ta faute.

Stiles détourna le regard et hocha toujours aussi fébrilement la tête. L'envie de commettre un homicide se renforça dans l'esprit de Noah. Mais c'était un homme droit alors bien sûr, alors il devrait se contenter d'une arrestation en bonne et due forme.

- Si le moindre détail te revient, parle-m'en tout de suite. Et s'il t'approche à nouveau, tu m'appelles.

- Oui… Merci papa…

Et cette fois, c'est Stiles qui initia le câlin. Il n'aimait pas se plaindre, détestait parler de lui. Mais il fallait avouer que parfois, ça faisait du bien.