hello tout le monde !

désolée de poster le chapitre aussi tard, j'avais complètement zappé ! mais le voilà, rien que pour vous ! un de mes préférés jusqu'à maintenant, sortez les mouchoirs.

TW : mention de dépression, de viol et de violences.


« Oh, simple thing, where have you gone?

I'm getting old, and I need something to rely on

So tell me when you're gonna let me in

I'm getting tired, and I need somewhere to begin

This could be the end of everything

So why don't we go

Somewhere only we know? »

Somewhere Only We Know — Keane


Octobre 2022

Les choses changent en permanence. La vie est une espèce de montagne russe constante et elle n'attend pas qu'on soit attaché pour nous précipiter dans le vide.

Marinette en sait quelque chose.

Elle a connu beaucoup de précipices. Devenir Ladybug. Rencontrer Adrien. Rencontrer Chat Noir. Devenir Gardienne. Voir des gens mourir. Presque faire partie de ces gens. Perdre Adrien. Perdre Chat Noir. Se perdre. Se perdre encore.

Ce qui est bien avec les précipices, c'est qu'ils sont forcément suivis d'une ascension. Du moins, c'est ce que pense Marinette. C'est ce qu'elle s'oblige à penser. Sinon, ce serait juste trop difficile. D'ouvrir les yeux chaque matin en disant qu'elle ne sortira peut-être plus jamais le trou dans lequel elle est tombée.

Elle a essayé de sortir. Elle a vraiment essayé. Elle a essayé, essayé et essayé encore. Pour elle-même et pour Adrien. Le peu d'énergie qu'il lui restait après tant de précipices, elle lui a tout donné. Parce qu'elle ne voulait pas le laisser dans ce trou qu'il s'était creusé.

Parce qu'elle ne voulait pas y retomber non plus.

Elle lui a tendu la main. L'a forcé à accepter son aide. L'a forcé à attraper sa main tendue. Mais son précipice à lui est tellement profond. Et elle était à peine en train de remonter du sien.

Alors, quand il s'est accroché à sa main tendue, à la première main qu'on ne lui ai jamais tendue, à sa main fragile et encore en train de guérir, Marinette a glissé. Elle a glissé et n'a pas su se raccrocher. Elle est tombée dans le trou.

Dans le précipice.

C'est embêtant. Parce que la seule personne capable de la sortir de ce trou est avec elle. En plus, elle n'a même pas envie de sortir de ce trou. À quoi bon ?

Adrien a l'air d'avoir envie d'en sortir, cependant. Il essaie tout un tas de choses. Il grimpe, il tombe. Il grimpe encore. Il la secoue, l'empêche de s'endormir.

Parce que si on s'endort au fond du précipice, il n'y a plus d'ascension possible. Plus de main qui se tend. Plus de lumière. Plus rien.

Encore une fois, Marinette en sait quelque chose.

« C'est plus possible, il faut faire quelque chose !

— Ça fait plus de trois semaines, maintenant, elle devrait aller mieux—

— Comment tu veux qu'elle aille mieux avec ce que tu lui as balancé en pleine tête ?

— C'était la vérité, d'accord ? Je croyais que c'est ce que tu voulais que je fasse depuis le début, que je lui dise la vérité—

— Oui, mais—

— J'aurais jamais dû lui dire, je le savais

— C'est pas le sujet, d'accord ? De toute façon, c'est fait, non ? On doit faire avec, maintenant.

— Et vite. Ça fait trois semaines qu'il s'est rien passé et ça devient vraiment bizarre. Je pense que mon père prépare quelque chose.

— C'est pour ça que tu vis quasiment chez elle, maintenant ?

— Me regarde pas comme ça.

— Comme quoi ?

— Comme si c'était mon putain de but ! Comme si ça me faisait plaisir de la voir comme ça et d'être obligée de dormir chez elle—

— Fais pas comme si tu détestais ça, non plus, mec.

— Je déteste ça.

— Hmmm—

— Tu vas arrêter ? De me le faire payer ?

— Non. Pas quand ma meilleure amie que je connais depuis quasiment vingt ans est dans cet état à cause de toi

— Vous savez que j'entends tout ce que vous dites ? »

Alya, Nino et Adrien tournent leurs regards vers elle d'un mouvement commun. Leurs bouches se referment au même moment et leur dispute s'arrête aussi net.

Marinette lève les yeux au ciel. « Vous avez pas autre chose à faire que de me surveiller ? » Sa voix est sèche. Ses propos sont durs. Elle le sait. Le regretterait peut-être si ça ne faisait pas trois semaines qu'ils se disputent à longueur de journée à son sujet.

Elle n'a juste pas envie de parler. Pas envie d'aller travailler. Pas envie d'aller à son stage. Pas envie de faire quoi que ce soit sauf rester sur son canapé à regarder la télé.

Elle a toujours sous-estimé sa télé, se dit-elle en reportant ses yeux sur l'émission qui défile dessus. C'est une des seules choses qui peut la divertir aussi longtemps.

« On te surveille pas—

— Si, » elle coupe Nino sans le regarder. « Surveillez-moi si vous voulez mais sans faire de bruit, alors. Ça devient chiant. »

Elle a toujours été catégorisée comme quelqu'un de gentil. Une gentille fille. Ça ne l'a jamais vraiment dérangée à proprement parler, sauf quand les gens avaient du mal à la prendre au sérieux à cause de ça. Marinette ? Elle est trop gentille. Elle s'énerve jamais.

Elle a toujours été sincèrement gentille. Elle a toujours été sensible et a toujours eu tendance à mettre tout son cœur dans ses sentiments.

Jusqu'au jour où son cœur a été brisé et où elle a dû traverser la moitié de la planète seule. Ça forge quelqu'un, ce genre d'épreuve. Après ça, elle n'a longtemps été qu'une coquille vide.

Avant sa crise de larmes, trois semaines auparavant, quand Adrien lui a dit la vérité sur ce qu'il s'est réellement passé il y a quatre ans, Marinette n'avait pas pleuré depuis des années. Elle qui avait toujours eu la larme facile. Devant les films. Les livres. Les animaux mignons. Quand elle s'énervait. Quand elle était trop joyeuse. Triste. Tout le temps.

Quelque chose a changé depuis ce jour-là. Elle a pleuré longtemps. Tellement longtemps que ses yeux sont restés gonflés plusieurs jours après. Tellement longtemps qu'elle se serait attendue à avoir évacué le trop-plein d'émotions. C'est à ça que ça sert de pleurer, non ?

Mais ce n'est pas du tout ce qu'il s'est passé. Ce trop-plein est resté en elle. Contre elle. Elle se déteste. Se déteste plus qu'elle n'a jamais détesté personne.

Se déteste tellement qu'elle ne veut plus que personne ne l'aime. Se déteste tellement qu'elle ne peut s'empêcher d'être amère à chaque interaction humaine. Se déteste tellement qu'elle ne peut penser à riend'autre.

Se déteste pour tellement de raisons qu'elle n'arrive pas à apercevoir une porte de sortie. À trouver la lumière dans l'obscurité de la culpabilité qui la ronge de l'intérieur.

Le canapé s'affaisse à côté d'elle. « Hey, » lui dit Nino. « Tu veux qu'on aille faire un tour ? On peut aller se promener ou—

— Non.

— Mari— »

Elle tourne si soudainement la tête que Nino sursaute. « T'es obligé de continuer à lui faire payer ? » lui lâche-t-elle d'une voix froide. « Il en bave largement assez comme ça. Il a pas besoin de tes réflexions en plus du reste. »

La surprise se matérialise sur le visage de Nino. Suivie par la confusion. Un léger agacement, peut-être même. « Tu lui as peut-être pardonné, mais pas moi. »

Elle secoue la tête. Reporte ses yeux sur la télévision devant elle. « Comme s'il y avait quelque chose à pardonner, » soupire-t-elle.

Elle sait que c'est peine perdue. Que la rancune de Nino est tenace et qu'il aura besoin de temps pour pardonner Adrien mais elle ne peut pas s'empêcher de trouver ça ridicule. Il ne s'est pas éloigné seulement pour la protéger elle mais pour protéger tous les autres, aussi. Pour protéger Nino.

Mais il n'a pas l'air de voir les choses comme ça. Il ne voit pas la situation de la même manière que Marinette parce qu'il ne sait pas tout, se rappelle-t-elle. Il ne sait pas la pire partie. Il ne sait pas ce qui l'empêche de dormir la nuit.

Nino attend quelques secondes avant de se lever. Soupire. Dépose ses lèvres sur son front. « Je suis là si t'as besoin, Minibug. »

Marinette ravale la boule dans sa gorge. Ferme les paupières pour empêcher les larmes de couler.

Quelqu'un s'assoit à nouveau à côté d'elle. Elle sait que c'est Alya. « Mari, » souffle-t-elle d'une voix qui lui fait tourner le visage. « Mari, s'il-te-plaît— » Elle ferme les yeux, se pince les lèvres. Lorsqu'elle rouvre ses paupières, son regard est vitreux, voilé par les larmes. « Tu peux pas continuer comme ça. Tu peux pas— Pas encore

— Al, » murmure Marinette. « C'est pas la même chose—

— Non, » soupire Alya. « Mais c'est toujours aussi dur de te voir comme ça. Écoute, » dit-elle en se rapprochant d'elle, « je sais pas exactement pourquoi t'es dans cet état mais on a besoin de toi, d'accord ? On doit comprendre ce qu'il se passe avec le père d'Adrien et on doit te protéger—

— Les Miraculous. On doit protéger les Miraculous.

— Mais t'es la Gardienne— »

Marinette hausse les épaules. « Je pourrais ne plus l'être. »

Un verre tombe par terre. Marinette lève les yeux. Adrien est en plein milieu de sa cuisine, les yeux écarquillés, une expression d'horreur sur le visage.

Elle baisse ses yeux. Le regarder plus de trois secondes est devenu impossible.

« Qu'est-ce que tu viens de dire ? »

Sa voix est rauque. Brisée. Marinette fixe la télévision. « Tu devrais ramasser. Faudrait pas que Lady marche dedans. »

Adrien vit pratiquement chez elle depuis trois semaines. Adrien et Lady. Ça ne la dérange pas. Elle adore Lady.

« Qu'est-ce que tu viens de dire ? » répète-t-il.

« Que tu devrais ramasser—

— Je m'en occupe, » lâche Alya en se levant.

Marinette ferme les yeux. Quand elle les rouvre, Adrien est accroupi devant elle. « Adrien, » soupire-t-elle. « Fais pas ça—

— Toi, fais pas ça ! Dis pas quelque chose comme ça. Tu le penses pas—

— Qu'est-ce que t'en sais ? » murmure-t-elle sans jamais le regarder. « Peut-être que je le pense. Peut-être que ce serait plus simple pour tout le monde si je confiais les Miraculous à quelqu'un d'autre. Peut-être que j'aurais dû le faire depuis un moment. Peut-être que j'aurais jamais dû les avoir—

Arrête ! » s'écrie-t-il. « Arrête de dire ça ! »

Elle ne répond pas. Le verre brisé fait du bruit sur le sol.

« Comment tu peux— Comment tu peux dire— comment tu peux penser ça—

— Comment tu peux l'avoir jamais pensé ?

— Parce que t'es Ladybug, un point c'est tout ! Parce que t'es la Gardienne ! Parce que personne d'autre est meilleur que toi pour— »

Un rire nerveux s'échappe de ses lèvres. Elle secoue la tête. « Comment tu peux être aussi aveugle—

— Comment tu peux être aussi aveugle ?

— Tout le monde pourrait faire ça mieux que moi, Adrien, » soupire-t-elle. « La preuve : j'ai pas réussi à reconnaître ce qui était devant moi depuis tout ce temps—

— Tu sais très bien que c'était pas devant toi, j'ai fait exprès pour—

— J'aurais dû le voir. J'aurais dû savoir que t'aurais jamais fait ça de ton plein gré. J'aurais dû savoir que Plagg mentait. Une vraie Ladybug et une vraie Gardienne l'aurait su, en tout cas.

— Ma La—

— Dis pas ça. Je le suis plus. Plus maintenant. Plus jamais. »

Son ton est sec. Elle peut sentir la douleur d'Adrien. Peut sentir son mouvement de recul sans même le regarder.

Mais il reste là. Reste accroupie devant elle. « Tu le seras toujours pour moi, princesse. J'attendrai jusqu'à ce que tu sois prête pour le redevenir. »

Marinette ferme les yeux. Sent une larme rouler le long de sa joue. Ravale son sanglot. Adrien se lève, pose sa main sous son menton et ses lèvres sur son front. Essuie sa larme.

Marinette sent son cœur se reconstituer et se briser à nouveau.


Les heures s'étirent et se ressemblent. Deviennent des jours. Marinette ne prend plus aucun plaisir à aller à son stage ni à travailler chez Comet. Elle qui adorait mettre en application les connaissances qu'elle acquérait depuis trois ans, découvrir de nouvelles choses chaque jour et discuter de ce qu'elle avait appris avec Julie. Elle qui adorait travailler avec Mélanie, Jade et les garçons.

Elle sourit aux clients par politesse. Écourte les discussions avec Mel. Prétexte une fatigue intense pour ne pas chanter les samedis soir. Même les vendredis après-midi qu'elle passait à l'école avec Olivia sont devenus moroses. Adrien continue d'assurer ses cours mais Marinette s'assoit au fond de la salle, maintenant.

C'est ridicule. Ils habitent pratiquement ensemble. Au cours des trois derniers mois, il l'a vue complètement saoule, l'a vue s'étouffer dans ses pleurs, l'a vue nue, il l'a vue en pleine crise d'angoisse, l'a vue dans tous les états possibles et imaginables — pourtant, dès qu'ils sont hors de leur immeuble, c'est comme s'ils ne se connaissaient pas.

C'est ridicule. Complètement ridicule. Il continue de la protéger, continue de la garder le plus éloignée possible. Sans savoir qu'il ne la garde pas éloignée du tout, en fait. Sans savoir qu'elle touche la vérité du doigt et que cette vérité est tellement épouvantable qu'elle n'arrive à penser à rien d'autre.

Elle est ridicule. Il faut qu'elle lui dise. Il faut que ça sorte. Avant que ça ne la dévore complètement.

Octobre 2022

Deux jours s'étaient écoulés depuis qu'Adrien avait tout avoué. Marinette n'avait pas pu aller travailler après qu'il lui ait révélé l'identité de Papillon, ses motivations et tout ce qu'en s'en suivait.

Crise d'angoisse après crise d'angoisse, elle avait tellement pleuré que ses yeux étaient toujours douloureux quarante-huit heures après. Adrien avait été tellement doux. Il l'avait prise dans ses bras, lui avait séché ses larmes et lui avait répété à quel point il l'aimait. Toute la nuit.

Ça faisait beaucoup d'informations à traiter. Papillon était Gabriel. Gabriel voulait ramener sa femme. Adrien lui avait pris son Miraculous et lui avait donné — avec le sien — pour le rendre inoffensif. Il avait tout abandonné pour éloigner son père. Ses amis. Son Miraculous. Plagg. Elle. Il avait tout laissé derrière lui au détriment de son bonheur. Au détriment de sa santé.

Elle ne pouvait qu'imaginer le cauchemar que ç'avait dû être. De se retrouver complètement seul. Lui qui détestait la solitude par-dessus tout. Lui qui s'était battu pour se sortir de l'emprise de son père. Lui qui avait déjà imaginé tout un futur avec elle.

Marinette s'était toujours dit qu'il n'avait jamais pensé tout ça. Toutes ses déclarations. Toutes les fois où il lui avait dit qu'il voulait passer le reste de sa vie avec elle et se marier et avoir des enfants et vieillir à ses côtés. Elle avait mis un voile sur ces souvenirs et s'était convaincue qu'il n'avait jamais été sincère.

Ç'avait de l'autoprotection, à l'époque. Elle avait été tellement brisée que la seule manière de se reconstruire avait été de reprendre à zéro. Sans attentes. Sans peut-être. Sans se dire qu'il reviendrait un jour.

Mais aujourd'hui, le voile s'était levé. Et ça lui faisait un mal de chien.

Parce que pendant qu'elle se convainquait qu'il ne l'avait jamais vraiment aimée, il était là, à l'autre bout du monde, à gravir l'enfer pour la protéger.

Marinette arriva sur le palier du troisième étage, la gorge serrée et les yeux alourdis par la tristesse et la fatigue. Elle était allée travailler chez Comet après son stage pour rattraper les heures qu'elle n'avait pas faites deux jours plus tôt. Un mélange de hâte et d'appréhension lui contractait l'estomac à l'idée de retrouver Adrien.

Il vivait pratiquement chez elle depuis quarante-huit heures. Il n'avait pas voulu la laisser seule et Marinette n'avait omis aucune objection. L'avoir auprès d'elle lui procurait un sentiment doux-amer — la douceur de le savoir à ses côtés et l'amertume de tout ce qu'il avait dû endurer qui lui retournait au visage à chaque fois qu'elle posait les yeux sur lui.

Des voix s'élevèrent au moment où elle s'apprêtait à sortir de la cage d'escaliers. Par réflexe, Marinette se cacha derrière le mur, un sentiment de déjà-vu lui serrant le cœur.

« T'es pas sérieux, Adrien ? » cracha Lila.

Marinette sentit tout son cœur se contracter en entendant sa voix.

« Bien sûr que si ! Tu m'as dit que t'allais rien faire, que tout ça, ç'a toujours été que du bluff et que tu l'aurais jamais vraiment mise en danger ! Tout ça pour tout balancer à Thibault ? T'es vraiment une—

— Fais attention à ce que tu dis. »

Son ton était si dur. Tellement différent de la voix mielleuse qu'elle avait toujours adoptée en présence d'Adrien.

« J'ai eu un moment de faiblesse, d'accord ?

— Un moment de faiblesse ? » répéta-t-il. Il semblait ne pas y croire ses oreilles. « Un moment de faiblesse—

— Oui ! Je sais que ça peut être dur à croire mais j'ai des sentiments. Et tu m'as blessée, Adrien. Vraiment blessée. »

Il ne répondit rien. Marinette avala difficilement sa salive.

« Ne pas m'avoir dit qu'elle était rentrée... je me suis sentie utilisée. »

Son rire sonnait faux. « Tu t'es sentie utilisée ? Tu te fous de ma gueule, Lila ? Tu te fous de ma gueule— »

Ce fut au tour de Lila de ne rien répondre.

« Tu te sers de moi depuis quatre ans et parce que je t'ai pas dit que Marinette était rentrée tu dis que tu te sens utilisée ?

— C'est ta voisine

— Oh, je suis tellement désolé de pas t'avoir dit qu'elle habite littéralement dans l'appart à côté du mien, Lila ! Tellement désolé que tu te soies sentie utilisée ! Tellement désolé d'avoir blessé tes sentiments et ton petit ego personnel—

— Arrête ça.

— Toi, arrête ça ! Tu te rends pas compte ou alors tu le fais exprès ?

— De quoi tu—

— Tu crois que ça me plaît ce qu'on fait depuis quatre ans ? Tu crois que j'en ai envie ? »

Marinette fronça les sourcils. Une sensation d'étouffement rendait sa respiration compliquée. Est-ce qu'il voulait vraiment dire ce qu'elle pensait qu'il voulait dire ?

Non. Non, impossible. Impossible—

« Oh, pas à moi, Adrien ! Essaie pas de me convaincre que t'as jamais pris ton pied ! Comme si tu m'avais jamais appelée au milieu de la nuit, comme si t'avais jamais initié quoi que ce soit—

— Peut-être que je l'ai fait. Mais au début. Au début, Lila— Je l'ai jamais voulu. Jamais. Donc, toi, essaie pas de me convaincre que tu le savais pas. Essaie pas de me faire croire que tu m'as pas forcé à faire quoi que ce soit. »

Marinette était paralysée. Son corps n'était capable que de trembler.

Un rire s'échappa du nez de Lila. « Arrête, Adrien. Arrête de jouer la victime—

— Je joue rien du tout. C'est ton truc, ça. »

Un bruit d'une main qui s'abat contre une joue. Marinette sentit les larmes envahir ses yeux en imaginant la main de Lila s'abattre sur le visage d'Adrien.

En imaginant tout ce qu'elle avait pu lui faire.

« M'insulte pas. J'ai peut-être beaucoup de défauts mais mes sentiments pour toi ont toujours été sincères, Adrien. »

Il ne répondit rien. Ou peut-être que si. Marinette n'arrivait plus à entendre quoi que ce soit à part le bruit de son pouls qui battait contre ses tempes et celui de ses propres pensées.

Elle n'arrivait qu'à repenser à ce qu'elle avait fait il y a deux jours. Qu'à repenser à la réaction d'Adrien. Qu'à repenser à quel point c'était logique.

Effroyablement logique.

Plus tôt en octobre 2022

Marinette avait passé la journée à écouter Adrien. Les hommes sous les ordres de son père. Ceux sous ses ordres, à lui. Comment il les avait ralliés à sa cause. Son père qui ne savait pas que c'était son propre fils qui était à la tête de sa plus grande opposition. Léopold. Ryle. Thibault. Il lui avait fait une biographie de chaque homme qu'il avait tué. Tous ceux qui avaient été envoyé par son père pour trouver des informations sur elle ou tous ceux qui avaient compris qu'Adrien était celui qui se cachait derrière l'organisation qui voulait faire tomber Gabriel.

Il lui avait raconté pourquoi il s'était montré aussi froid au début. Lui avait dit qu'il avait essayé de rester à l'écart mais n'avait pas réussi. Que s'il avait été aussi perturbé quand ils s'étaient croisés sur le pallier la deuxième fois — un des jours les plus chauds de l'été, lorsque Marinette venait de monter trois étages avec ses courses dans les mains — c'était parce qu'il avait vu qu'elle portait toujours la bague de sa mère.

Marinette était tellement habituée à porter ce bijou qu'elle n'avait rien remarqué. Il faisait partie d'elle, à ce stade. Un souvenir à son annulaire qu'elle n'avait jamais été capable de retirer.

Il lui avait aussi dit qu'il n'était pas son voisin par hasard. Qu'il l'avait attendue à l'aéroport le jour de son retour à Paris — qu'elle l'avait même bousculée. Qu'il avait pris de ses nouvelles indirectement pendant tout ce temps. Qu'il avait tout fait pour garder son père loin d'elle en l'occupant avec autre chose — c'était une des raisons pour lesquelles il avait décidé de créer cette organisation, en premier lieu.

Il avait raconté sa rencontre avec Enzo. Lui avait avoué que c'était en partie grâce à lui qu'il était encore en un seul morceau — et encore sain d'esprit.

Il lui avait aussi raconté comment Nino avait tout appris. Marinette avait vu la douleur dans ses yeux à l'évocation de celui qui avait été son meilleur ami.

Elle avait pleuré. Beaucoup. Lui aussi. Ç'avait été la discussion la plus difficile et la plus émotionnelle de sa vie. Elle n'avait jamais ressenti autant de choses en même temps.

Il restait encore beaucoup de choses à dire. Beaucoup de choses à discuter. Mais elle était tellement fatiguée.

« Je suis désolé pour tout à l'heure, » lui dit-il soudainement, après quelques minutes de silence.

Marinette ouvrit ses paupières lourdes. Sa tête reposait sur les cuisses d'Adrien, sa main caressant distraitement son avant-bras. « Désolé pour quoi ? »

Le regard baissé vers elle, il laissait ses doigts jouer avec ses cheveux. « Pour la douche, » dit-il.

« C'est rien. C'est pas comme si c'était la première fois. »

Quelque chose qui ressemblait à un sourire lui redressa les lèvres. « J'ai pas le souvenir d'avoir été habillé quand on prenait une douche tous les deux, » murmura-t-il.

Marinette frôla la peau de son poignet de la pulpe de ses doigts. « Moi non plus, » souffla-t-elle. « Mais j'ai des bons souvenirs. »

La main d'Adrien se figea un instant dans ses cheveux. Avant de reprendre ses caresses. « Moi aussi. Tu te souviens quand Nathalie nous a surpris ?

— La première fois que je t'ai...

— Hmmm. Mémorable. »

La voix d'Adrien lui lécha le bas du ventre. Elle ferma les paupières. « Mémorable, » répéta-t-elle. « Mais ça reste injuste. »

Elle pouvait sentir la confusion d'Adrien. « Injuste ? »

Elle hocha la tête. « Tu m'as vue toute nue deux fois.

— Je t'ai vue toute nue bien plus que deux fois, Mari. »

Le timbre de sa voix lui fit rouvrir les yeux. Son regard était sombre. Les doigts dans ses cheveux glissèrent le long de sa tempe, tracèrent le contour de sa mâchoire, le relief de sa gorge. Marinette sentit son souffle se couper. « Tu vois ce que je veux dire, » murmura-t-elle.

Il hocha la tête. Son fantôme de sourire avait disparu. « Ton corps est bien plus intéressant que le mien.

— Ça dépend du point de vue, » répondit-elle, ses doigts courant le long de sa paume. « Ton corps a toujours été très intéressant pour moi. »

Les secondes passaient. Les souffles s'accéléraient. La chaleur se répandait.

Marinette se redressa, animée par une force inconnue — par une force qu'elle n'avait pas connue depuis longtemps, plutôt. La main droite d'Adrien était pressée sur le côté de son cou et elle avait toujours la sienne posée sur son avant-bras gauche, échoué sur le canapé.

Ses cheveux étaient détachés et encadraient son visage de leurs larges ondulations dorées. Marinette ne résista pas à l'envie de passer sa main dedans. C'était aussi doux que dans ses souvenirs. « Ça te va vraiment bien, » murmura-t-elle d'une voix gutturale.

« Toi aussi, » souffla-t-il. Sa main quitta son cou pour se promener à nouveau dans ses cheveux. « T'es tellement belle, » lui dit-il, tellement doucement qu'elle l'entendit à peine. Il y avait de l'incrédulité dans sa voix. Ses yeux allaient et venaient le long de son visage, comme s'ils ne savaient pas où se poser.

Son cœur battait si vite. Et il était sur le point d'accélérer encore puisque Marinette se sentit se rapprocher. Elle était attirée par lui, par son corps, par ses lèvres, attirée tellement fort qu'elle n'arrivait pas à ne pas rapprocher son visage du sien.

Elle n'en avait pas vraiment envie, non plus.

Tu comprends toujours pas, c'est ça ?

Je suis amoureux de toi, Marinette.

Ma priorité, c'est toi. C'est pour toi que j'ai fait tout ça, avant n'importe qui d'autre. C'est pour toi que je continue de faire tout ça.

Parce que je t'aime, Mari.

Tous ces mots, chacun de ceux qu'il lui avait dit ces dernières heures se repassaient en boucle dans sa tête. Il posa finalement ses yeux dans les siens et la seule pensée claire qui se matérialisa dans sa tête était qu'il était amoureux d'elle. Il l'aimait.

Il l'aimait encore. Il l'avait toujours aimée. Depuis une décennie. Depuis presque la moitié de sa vie.

« Adrien, » murmura-t-elle, son visage si proche du sien qu'elle pouvait sentir son souffle caresser sa peau à chaque expiration, « Adrien, moi aussi, je— »

Il la fit taire en posant ses lèvres sur les siennes et Marinette ne savait plus comment parler, de toute façon. Elle ne savait plus faire grand-chose à part lui rendre son baiser.

Et il s'avéra qu'embrasser Adrien Agreste était comme faire du vélo : ce n'était pas quelque chose qui s'oubliait.

À la seconde où elle appuya ses lèvres contre les siennes, son corps passa en mode autopilote et n'eût plus besoin de consulter son cerveau pour agir. Il savait exactement ce qu'il avait à faire.

Sa main gauche quitta ses cheveux pour se presser contre sa nuque où sa peau était douce et vierge de toute cicatrice. La droite, jusqu'ici agrippée à son avant-bras, remonta jusqu'à son épaule dont les muscles se tendirent sous son tee-shirt. Tee-shirt qu'elle avait terriblement envie de lui enlever.

Les lèvres d'Adrien se firent plus audacieuses, tout à coup. Elles quittèrent les siennes et suivirent une ligne de baisers imaginaire jusqu'à sa mâchoire. Sa main gauche posée sur sa cuisse, l'autre toujours dans ses cheveux, il rapprocha sa bouche de son oreille.

Marinette se sentit frissonner lorsque son souffle brûlant lui heurta la peau. « Ça fait quatre ans que je rêve de faire ça, » murmura-t-il en embrassant la jonction entre sa mâchoire et son cou. « Ça fait tellement du bien... »

Marinette se pinça les lèvres et se rapprocha un peu plus de lui, sa cuisse collée contre la sienne. La main d'Adrien quitta ses cheveux pour se poser sur sa hanche et sa respiration se coupa lorsqu'il introduit la peau de son cou entre ses lèvres.

La tête penchée en arrière, Marinette pressa sa main contre sa nuque, lui ordonnant silencieusement de rester à cet endroit. Adrien sourit contre sa peau, sa main remontant doucement le long de sa cuisse.

Le soleil s'était couché depuis un moment. Marinette avait troqué sa tenue de travail auquel elle n'était pas allée contre un large tee-shirt et un jogging tout aussi grand. C'était loin d'être sa tenue la plus séduisante mais Adrien n'avait pas l'air dérangé.

Au contraire, ses lèvres continuaient de dévorer sa peau et Marinette se disait tellement de choses tellement vite que ses pensées n'étaient plus qu'un flux désordonné de mots et de souvenirs. La première fois qu'il l'avait embrassé dans le cou. La première fois qu'il avait souri tout contre elle. La première fois qu'il avait posé sa main sur sa cuisse. La première fois qu'il avait glissé sa main sous son tee-shirt—

Sa peau était si chaude. Ses doigts étaient si doux contre sa taille. Son pouce frôla le haut de son ventre et Marinette se fit la remarque qu'il n'était qu'à quelques centimètres de toucher le papillon enflammé tatoué en bas de son sternum.

La bouche d'Adrien relâcha sa peau dans un bruit sec. Les paupières toujours closes, Marinette chercha ses lèvres, désespérée de les sentir contre les siennes. Son souffle caressait sa joue à chaque expiration, chacune plus rapide que la précédente.

« Ad— Adrien— » articula-t-elle lorsque ses lèvres frôlèrent les siennes. Elle le sentait sourire. Le sentait reculer à chaque fois qu'elle s'avançait. C'est dingue, pensa-t-elle. Même une demi-décennie plus tard et il continuait ce petit jeu.

« Un problème ? » demanda-t-il d'une voix qui lui fit oublier pourquoi elle était sur le point de lever les yeux au ciel.

Sa main droite quitta son épaule pour s'agripper à son tee-shirt, le tirant vers lui avec une impatience qui le fit sourire un peu plus — pas pour longtemps, cependant, parce que ses lèvres devinrent vite très occupées.

Marinette glissa sa langue dans sa bouche et la saveur si familière et si lointaine d'Adrien l'emplit de nostalgie et de joie tout à la fois.

Sa main droite se pressa un peu plus contre sa hanche et elle interpréta ça comme une invitation. Elle se redressa légèrement, obligeant Adrien à lever légèrement son visage pour garder ses lèvres contre les siennes — à cet instant, il lui semblait qu'il aurait fait n'importe quoi pour continuer à l'embrasser. Désormais à genoux sur la cuisse d'Adrien, Marinette agrippa ses deux mains à ses épaules et se décala davantage encore, jusqu'à ce que ses genoux se retrouvent de part et d'autre de ses cuisses.

Ses mains se crispèrent sur son corps lorsqu'elle s'assit au-dessus de lui. Il décolla ses lèvres des siennes, le souffle court. « Mari, » murmura-t-il. « Mari, je— »

Elle ouvrit les yeux. L'expression d'Adrien la heurta. Il avait l'air d'avoir mal. Elle posa ses mains sur ses joues, doucement.

Il ferma les paupières. Les rouvrit. Essaya de respirer. N'avait pas l'air d'y arriver. « Je peux pas, » murmura-t-il en secouant la tête. « Je peux pas faire ça. »

Marinette fronça les sourcils. « Q-Quoi— Adrien— »

Il posa ses mains sur ses poignets. « Tu mérites tellement mieux que ça, » soupira-t-il. « Tellement mieux, Mari.

— Mais—

— Tu devrais dormir, » murmura-t-il en embrassant l'intérieur de son poignet. « Tu peux rester chez moi, si tu veux. Je prendrai le canapé. »

Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose. Pour dire que non, qu'elle voulait continuer de l'embrasser et qu'elle voulait qu'il aille au lit avec elle. Pour dire qu'il n'y avait plus de question de mériter ou de ne pas mériter, qu'ils avaient largement passé ce cap et que c'était bien plus compliqué que ça.

Elle voulait lui dire un tas de choses, vraiment. Mais il avait l'air de tellement souffrir. Physiquement. Il avait l'air d'avoir physiquement mal et Marinette ne comprenait pas.

Il la souleva comme si elle ne pesait rien et la repoussa de ses genoux jusqu'à ce qu'elle soit à nouveau assise sur le canapé. « Adrien, » murmura-t-elle. « Adrien, qu'est-ce que— »

Il posa ses lèvres sur son front. « Désolé, » souffla-t-il. « Je suis désolé, Marinette. »

Octobre 2022

Marinette referme la porte de son appartement et pose ses clés sur le comptoir de la cuisine. Elle enlève ses chaussures et son manteau. S'avance dans son appartement. Tout ça est machinal.

Elle reste immobile un moment. À fixer quelque chose qui n'est pas vraiment là. La journée touche à sa fin et le soleil couchant est masqué par les nuages et la pluie. Le mois d'octobre est toujours déprimant, à Paris. Marinette a toujours détesté être née en fin d'année.

Mais peut-être que c'est juste comme ça que les choses sont censées être. Peut-être que la pluie et le ciel gris la représente mieux qu'elle ne le laisse paraître. Peut-être que cette obscurité au fond d'elle n'est que sa vraie nature.

Adrien est né en juillet, avec le soleil et les longues journées. Avec les fruits et les glaces, la chaleur et les vacances, les pique-niques et les promenades sur la plage. Ça lui va bien.

Ça lui allait bien.

Marinette fond en larmes. Au milieu de son salon. Son corps s'écroule. Tout s'écroule. Les sanglots sont si nombreux et si gros qu'ils lui écorchent la gorge à chaque nouvelle respiration. Elle hurle, elle pleure, elle renverse chaque objet qui lui tombe sous la main.

Ses livres. Son mannequin de couture. Ses plantes. Ses cadres. Ses photos. Tout finit par terre, ensevelit sous ses larmes.

Tikki lui parle, peut-être. Ou Plagg. Ou les deux. Marinette n'entend plus rien sauf ses propres cris. Ne voit plus rien sauf ses propres larmes.

Tu crois que ça me plaît ce qu'on fait depuis quatre ans ? Tu crois que j'en ai envie ?

Je l'ai jamais voulu. Jamais. Donc, toi, essaie pas de me convaincre que tu le savais pas. Essaie pas de me faire croire que tu m'as pas forcé à faire quoi que ce soit.

Arrête, Adrien. Arrête de jouer la victime.

Je peux pas. Je peux pas faire ça.

Je suis désolé, Marinette.

Des mots. Des mots et des mots et des mots dans sa tête. Les souvenirs se superposent. La première fois qu'elle a couché avec Adrien. La dernière fois qu'elle a couché avec Adrien. Luka qui l'embrasse. Alex qui l'embrasse. Adam. Adam, au lycée. Adam qui la touche et— Lila qui touche Adrien. Sauf que c'est pire. C'est tellement pire

Marinette ne peut plus respirer. Elle ne peut plus faire grand-chose à part se repasser ces images en boucle et s'imaginer la souffrance d'Adrien. Encore et encore et encore—

Et si elle enfilait son Miraculous ? Et si elle mettait sa bague et activait le Cataclysme et que— Est-ce qu'elle disparaîtrait, simplement ? L'idée lui paraît tellement apaisante au milieu de ses hurlements et des larmes qui coulent le long de ses joues.

Disparaître.

« M-Mari ? »

Le murmure d'Adrien se réverbère partout. Dans sa tête, dans son cœur, dans ses membres qui tremblent. Sa vision brumeuse lui permet de distinguer une silhouette accroupie en face de la sienne. Il est vraiment là ?

Elle ne sait pas vraiment où elle est dans son appartement. Ne sait pas vraiment combien de temps est passé depuis le moment où elle est rentrée chez elle. Peut-être qu'il fait nuit.

« Mari, » répète-t-il. « Marinette— » Sa voix se brise.

Elle arrive à distinguer la manière dont il presse son poing contre sa bouche et dont ses sourcils s'inclinent, comme s'il était sur le point de pleurer.

« Quelqu'un... quelqu'un t'a fait du mal ? »

Marinette secoue la tête, un sanglot lui tailladant à nouveau la gorge. « Non, » murmure-t-elle d'une voix rauque, à peine audible. « C'est moi. »

Il tend une main vers elle. Se ravise. Marinette se dit qu'elle aurait dû se raviser aussi quand elle l'a embrassé, il y a trois semaines.

« Je t'ai entendu parler avec Lila.

— Q-Quoi ?

— J'ai tout entendu, » lui dit-elle, ses yeux se remplissant à nouveau de larmes. « Je— Je suis tellement désolée, » murmure-t-elle. « Je suis tellement, tellement désolée, » répète-t-elle. « A-Adrien— »

C'est peut-être le fait de prononcer son prénom ou le fait de voir une larme s'échapper de son œil mais Marinette explose en sanglots — encore.

Elle pleure et pleure et pleure et se demande comment il peut lui rester autant d'eau en réserves tellement elle pleure.

Adrien la prend dans ses bras et la porte jusqu'à son lit — un des seuls endroits intacts. Recroquevillée contre lui, Marinette essaie de retrouver sa respiration. Essaie. Essaie encore.

« Ça va, » murmure-t-il tout contre elle. « Il faut que ça sorte. Laisse-toi aller, Mari. Je suis là, d'accord ? Je suis là. »

Le temps passe. Les larmes coulent. Elle verse toute sa culpabilité et sa colère sur sa chemise qui finit trempée de sentiments.

La joue pressée contre son torse, Marinette garde ses yeux fermés et sa concentration sur sa respiration, troublée par les sanglots incontrôlables qui continuent de lui trancher la gorge.

« Chhh, » murmure Adrien. « Je suis là, » répète-t-il, ses lèvres dans ses cheveux, « je suis juste là. J'irai nulle part. »

Marinette hoche la tête. Inhale ses mots et essaie de se les approprier, essaie d'y croire et de s'y accrocher. De se convaincre qu'il est vraiment là.

« Tu veux un verre d'eau ? »

Et juste comme ça, tout lui revient en pleine tête. Cette phrase lui rappelle à quel point il est parfait et— Et pas elle. « Pourquoi... pourquoi tu dis que tu me mérites pas ? » demande-t-elle en ouvrant ses yeux, sa joue toujours pressée contre sa chemise.

Son bras passé autour de sa taille se tend. « Parce que c'est le cas. »

Marinette secoue la tête. « Si j'avais— si j'étais restée... ce serait pas arrivé. Elle t'aurait jamais— Elle aurait pas—

— Je suis presque sûr que si.

— Mais je t'aurais jamais laissé— Tu le sais ? Que je t'aurais jamais laissé faire ça ?

— Bien sûr que je le sais, » souffle-t-il dans ses cheveux.

« Pourquoi tu m'as rien dit ? » finit-elle par demander.

Marinette se sent incroyablement hypocrite à la seconde où les mots quittent sa bouche. Parce qu'elle ne peut empêcher sa voix de prendre cette inflexion de reproche et qu'elle n'a absolument aucun droit de le blâmer quant à sa sincérité — elle ne lui a toujours pas tout dit non plus, après tout.

« Parce que je voulais pas que tu me regardes différemment. Je voulais pas que t'aies pitié de moi, » murmure-t-il.

Marinette se redresse. « J'aurais jamais pitié de toi, Adrien, » lui dit-elle, les yeux dans les yeux.

Il replace une mèche de ses cheveux derrière son oreille. « T'es sûre de ça ? »

Elle ouvre la bouche. Fronce les sourcils. « Oui, » lâche-t-elle. « Je ressens un tas de choses, mais pas de la pitié.

— Tu ressens quoi ?

Tu ressens quoi ? C'est pas à propos de moi, c'est à propos de toi. »

Il la regarde. La regarde encore et encore, sans rien dire. « Tu veux vraiment savoir ce que je pense ? »

Marinette hoche la tête.

« D'accord, » murmure-t-il. « J'ai quelque chose à te montrer, alors. »

L'appartement d'Adrien est déjà l'opposé de celui de Marinette en temps normal mais le contraste est encore plus flagrant aujourd'hui. Tout est rangé, aligné, propre. Rien n'est brisé ou étalé sur le sol.

Adrien lui fait boire deux verres d'eau et l'assoit sur le canapé. « Je reviens, » lui murmure-t-il, sa main quittant la sienne dans une caresse.

Marinette hoche vaguement la tête, ce brouillard assombrissant toujours son esprit et l'empêchant de penser clairement. Elle entend quelque chose s'ouvrir et se refermer depuis sa chambre. Quand Adrien revient, il tient quelque chose entre ses mains. Un journal.

Les yeux baissés, il s'accroupit devant elle et met quelques secondes à la regarder. Il y a quelque chose de faux dans la manière dont il la rassure en souriant. « T'es pas obligé, Adrien, » souffle-t-elle. « Vraiment. »

Il hoche la tête. « Je sais. Je sais. Mais... ce sera plus simple si tu lis ça. Tu comprendras.

— Comprendre quoi ?

— Que c'est pas ta faute, » murmure-t-il en se redressant, ses lèvres se posant sur son front au passage. « Je dois y aller. Je serai pas parti longtemps. »

Marinette hoche la tête, toujours tiraillée entre la familiarité et l'inconnu de ses lèvres contre sa peau. Il lui sourit à nouveau, lui sourit de cette manière qui fait battre son cœur brisé.

« Adrien, » dit-elle lorsqu'il se rapproche de la porte, « jusqu'où je peux—

— Tu peux tout lire, » la coupe-t-il en ajustant son manteau sur ses épaules.

Marinette lève les yeux vers lui. Il la regarde un peu trop longtemps avant d'ouvrir la porte.

C'est comme ça qu'elle se retrouve sur le canapé d'Adrien, un jeudi soir, en train de lire ce qui ressemble à un journal intime.

La nuit est officiellement tombée, la pluie avec elle. Le bruit des gouttes qui tombent contre les fenêtres et des ronronnements de Lady sur ses genoux pourraient la bercer si ce qu'elle lisait n'était pas aussi dramatique.

« 9 septembre 2018 :

J'ai retrouvé ce vieux carnet dans les affaires de maman — celles que je gardais dans ma chambre, au manoir. J'ai officiellement déménagé alors j'ai officiellement fait du tri donc j'ai retrouvé pas mal de trucs. Y compris ce carnet.

Bref, c'est pas très important. Je me suis dit que ce serait bien que je mette quelques trucs par écrit. Les trucs que je peux pas dire ou que j'ai trop honte de dire. J'espère que maman a pas une connexion spirituelle ou une connerie comme ça à toutes ses affaires parce que c'est bien la dernière personne à qui je voudrais dire tout ça.

Il est 3h12. Je suis assis sur un matelas au milieu du salon. C'est le seul meuble que j'ai. Mais même sans meubles et dans un immeuble aussi pourri que celui-ci, c'est déjà un milliard de fois mieux que de vivre avec mon père. Il m'a à peine regardé quand je lui ai dit que je déménageais. Il a eu sa période de colère mais maintenant il en a juste rien à foutre. Je sais pas ce qui est pire. Je devrais être soulagé. Au moins, j'ai plus de bleus. Enfin, ce sera une histoire pour un autre jour. »

Marinette essuie sa larme avant qu'elle ne tombe sur le papier et tourne la page.

« 23 septembre 2018 :

J'ai refusé mon premier shooting, aujourd'hui. Mon père a pas été si énervé que je pensais. Peut-être qu'il s'en doutait. Ou peut-être qu'il s'en fout, encore. Je crois que je commence à m'en foutre un peu, aussi. On s'est pas parlé depuis plus de deux semaines. Il est pas passé me voir à l'appart. Mais c'est pas plus mal. Je sais qu'il me reprocherait d'avoir choisi d'habiter ici alors que j'aurais pu trouver beaucoup mieux. J'ai pas envie de lui mentir.

Je commence à travailler chez Gabriel lundi prochain. Je suis censé voir Lila, ce soir. Je pense pas écrire avant un moment. »

Marinette sent sa gorge serrée à la mention de Lila. C'est étrange de s'imaginer Adrien à cette période. De s'imaginer son existence en parallèle de la sienne, à New-York.

Elle rate une respiration en voyant la date de la prochaine page.

« 7 novembre 2018 :

C'est l'anniversaire de Marinette, aujourd'hui. Je fais que de me rappeler son anniversaire de l'an dernier. Des fois, c'est comme si ça avait jamais existé. Peut-être que c'est le cas. Peut-être que cette soirée a jamais eu lieu, qu'elle a jamais porté cette robe rouge et que je lui ai jamais offert la bague de ma mère.

Je me demande si elle la porte toujours. Probablement pas. J'espère qu'elle va bien. J'espère qu'elle aime New-York et Pratt et sa vie. J'espère qu'elle mange et qu'elle dessine et rêve toujours autant.

Je la vois partout. Dans toutes les filles aux cheveux noirs. Dans toutes les nuances de bleu. Dans toutes les pâtisseries, tous les jolis sourires. Dans tous les livres et les magazines de mode et dans le pull qu'elle m'avait tricotté. Je l'ai sur moi, là.

J'ai mis toutes les photos de nous deux et celles que j'ai d'elle sur une clé USB. Je suis en train de les regarder. C'est bizarre, comme sentiment. Je suis triste mais je me dis qu'elle est mieux loin de moi.

Enfin, je crois. »

Marinette se souvient de cet anniversaire. Probablement un des pires de sa vie.

« 26 décembre 2018 :

J'ai passé Noël à Gabriel. Il y a vraiment beaucoup de travail, en ce moment. Plus le temps passe et plus on s'appuie sur moi, plus on me donne des responsabilités. Je pensais pas dire ça un jour, mais j'aime bien travailler ici. J'aime bien apprendre des choses et être un leader.

J'ai toujours pas revu mon père. Il est jamais aux bureaux, jamais aux séances photos, jamais aux essayages. Jamais nulle part. Je me demande s'il va bien. »

Marinette presse sa paume contre ses lèvres en passant ses doigts tremblants sur les mots raturés.

« 12 février 2019 :

Ça fait un moment que j'ai rien écrit. Parce que je sais qu'il faut que je parle de ce pour quoi j'ai commencé ce journal de base.

J'ai couché avec une fille, hier soir. Enzo, le frère de notre nouvelle associée, il m'a proposé d'aller boire un verre. Je sais pas trop pourquoi j'ai dit oui. On s'est retrouvés dans un bar, je sais pas trop comment. Elle souriait. Un joli sourire. Et elle avait des fossettes. Ça m'a rappelé Marinette. C'est pour ça que je lui ai souri, au début, je pense. On a bu. On a dansé. Je l'ai embrassée, je crois. On s'est retrouvés chez elle.

C'était bien. Pour la première fois depuis Marinette, j'avais vraiment l'impression d'être là, de vivre le moment. Ça a pas duré bien longtemps, avec l'alcool et tout, mais suffisamment pour qu'on finisse tous les deux.

J'ai pas fait de cauchemar. Sûrement à cause de — ou grâce à — l'alcool, encore une fois. Je devrais peut-être boire plus souvent. Elle était déjà réveillée quand j'ai ouvert les yeux. Elle avait des beaux yeux bruns. Des cheveux un peu plus clairs, longs. Elle était jolie, même avec la gueule de bois. Il y avait quelque chose dans son regard, quelque chose qui m'intriguait. C'est la seule personne depuis des mois que j'ai eu envie de connaître.

On s'est embrassés. Je me sentais bien. Comme si tout était pas perdu pour moi. Comme si j'étais capable d'éprouver quelque chose d'autre que de la douleur. Et puis, elle s'est mise au-dessus de moi. Ça allait, pendant cinq secondes. Jusqu'à ce que ça aille plus du tout.

La mémoire corporelle ou j'en sais rien. Je suis parti. Je suis juste parti. J'ai mis des heures à arrêter de trembler.

Un jour, j'expliquerai pourquoi. »

Marinette sait pourquoi. Elle sait pourquoi il s'est enfui de chez cette fille — il n'a même pas écrit son prénom. Elle sait pourquoi il s'est enfui quand c'était elle qui était au-dessus de lui.

Tout se bouscule. Toutes les questions. Que s'est-il passé avec la sœur d'Enzo ? Qu'est-ce qu'il se serait passé avec cette fille s'il ne s'était pas enfui ? Est-ce qu'elle connaîtrait son prénom, aujourd'hui ? Est-ce qu'il explique pourquoi, plus tard dans le journal ?

Marinette tourne la page.

« 9 mars 2019 :

Kiara a officiellement investi. On est allés boire un verre avec Enzo pour fêter ça. Ils sont vraiment opposés. Il est toujours en train de parler et de rire et elle est toujours en train de râler et de lui dire de se taire. Je les aime bien. Ils me font un peu penser à Ladybug et moi, quand on était petits. Ça fait toujours aussi bizarre de nous voir sur Internet, sur des affiches dans Paris, dans des petites figurines que les gens vendent avec les tours Eiffel.

Je me demande si ça l'aide d'avoir les kwamis avec elle. Plagg. Il me manque. J'espère qu'il m'en veut plus. Qu'il a compris. Que voir Marinette heureuse lui rappelle que ça vaut le coup. »

Un éclair fend le ciel, éclairant momentanément la pièce sombre. Le bruit vient quelques secondes plus tard, la faisant sursauter — Lady aussi.

Elle espère qu'Adrien est au sec, peu importe où il est.

« 26 mars 2019 :

Ça va pas du tout. Je la vois partout. Je suis passée devant la boulangerie, aujourd'hui. Ça m'a rappelé toutes les fois où je suis entré en douce. Toutes les fois où je me suis faufilé dans sa chambre. Dans son lit. J'aurais dû plus profiter de ces années passées avec elle. J'aurais dû plus profiter de chaque seconde.

J'espère que ses parents m'en ont jamais voulu d'être entré en secret quand ils l'ont appris. Je les aimais tellement. Ils ont toujours été si gentils avec moi, si accueillants.

Ils me manquent. Elle me manque. Ils me manquent tous. »

Marinette renifle face à l'écriture bâclée et au papier gondolé à certains endroits. Des larmes ont dû couler. Ses larmes.

Elle se rappelle sa douleur. Se rappelle qu'elle le voyait partout, aussi. Se rappelle avoir repassé en boucles les moments passés ensemble et s'être reproché de ne pas avoir assez profité de sa présence, aussi. Se rappelle la tristesse de ses parents. Ils le considéraient comme leur fils.

Seulement, là où sa douleur a été entachée par ce sentiment de rejet, par cette voix qui lui disait qu'il n'éprouvait plus rien pour elle et à quel point elle était ridicule, celle d'Adrien a été accentuée par le fait qu'il en était responsable.

Marinette ne peut qu'imaginer à quel point ç'a dû être affreux.

« 3 avril 2019 :

J'ai revu mon père. Il est dans un sale état. Il m'a donné rendez-vous au manoir. C'était comme si j'avais eu seize ans, encore et encore. Sans Marinette.

Il m'a dit qu'il essayait de trouver des pistes pour sauver maman mais que l'information coûtait beaucoup, beaucoup d'argent. Qu'il avait déjà dépensé la plus grosse partie de ses économies et qu'il avait détourné l'argent de Gabriel. Qu'il avait besoin de plus d'argent.

Il avait l'air tellement désespéré. Tellement humain. »

Lady se recroqueville davantage contre elle, dans le creux de ses genoux pliés. Marinette attrape un plaid et se niche dedans.

Cette histoire d'argent et d'investissement et de sœur d'Enzo qu'elle n'a jamais vue — elle n'aime vraiment pas ça.

« 29 avril 2019 :

C'est bizarre. Tout le monde investit dans Gabriel. Kiara était juste le début d'une longue entrée d'argent. Tout le monde dit que c'est l'entreprise la plus prometteuse, la plus sûre dans laquelle faire un placement.

Mais je repense à mon père. Je repense à son regard et à ce qu'il m'a dit. J'aime vraiment pas ça. Je devrais dire à Kiara de faire attention mais je dois pas laisser entendre que mon père essaie de faire quoi que ce soit — il est déjà assez bas comme ça. »

L'histoire se répète. Adrien tiraillé entre son père et le reste du monde.

« 3 mai 2019 :

J'ai tout raconté à Lila. Je sais pas pourquoi j'ai fait ça. Elle était là. Elle savait déjà tellement de trucs, je me suis dit que ça changerait pas grand-chose.

Elle m'a dit de rien dire à Kiara. Que ça compliquerait tout. Mais je l'ai pas écoutée. Kiara a pas dit grand-chose — je crois pas qu'elle m'ait pris au sérieux. Je lui ai juste dit de pas miser trop d'argent dans cette affaire. »

Marinette tourne la page. Vérifie son téléphone avant de reporter son regard sur le journal.

« 18 mai 2019 :

J'ai l'impression que quelque chose va arriver. Quelque chose d'horrible. Tout est trop calme. On me laisse de plus en plus de responsabilités chez Gabriel. Je suis officiellement en charge du secteur communication avec les autres entreprises. Je décide des partenariats, je m'occupe de l'image de la marque dans le milieu. Il y a des choses que je savais depuis un moment et d'autres que j'ai apprises sur le tas — on m'a beaucoup aidé.

J'ai repris le sport. Je me suis inscrit à la salle. Ça fait du bien. J'apprends à cuisiner, aussi. À manger de vrais repas. À ne pas me priver et à passer outre la voix de mon père dans ma tête qui me dit de ne pas manger ça. C'est long. Je rechute, des fois. Mais je sens que je fais des progrès. Je me dis que Marinette serait fière de moi.

Lila me lâche un peu en ce moment. J'ai couché avec une autre fille. Je l'ai rencontrée à la salle. Je me suis pas enfui, cette fois-ci. Et elle s'est pas mise au-dessus. C'était sympa. »

L'angoisse lui pèse sur la poitrine. Elle aussi a l'impression que quelque chose va arriver.

La prochaine date lui coupe le souffle.

« 26 mai 2019 :

Ça fait un an qu'on est mariés, avec Marinette. Je suppose qu'on a divorcé à la seconde où je l'ai laissée partir.

Je suis pas allé travailler, aujourd'hui. J'ai rien mangé non plus. »

Marinette ferme les yeux un instant, sa main pressée contre son cœur.

« 3 juin 2019 :

La dernière fois qu'on a couché ensemble, un an plus tôt. Lila a voulu qu'on se voit, ce soir. J'ai dit non. Elle s'est pointée chez moi. A voulu qu'on couche ensemble. J'ai pas voulu. Je l'ai fait quand même.

Elle dort, à côté de moi. Je me sens pas bien. »

Elle tourne la page de ses doigts tremblants.

« 30 juin 2019 :

C'est la merde. Kiara a enquêté sur mon père. Elle m'a montré. Depuis tout ce temps, elle a jamais voulu investir. C'était du bluff pour le coincer. Enzo en savait rien, apparemment. Elle a plein de preuves. Des enregistrements vocaux, des vidéos, des photos, des messages, des relevés de comptes. Elle a le pouvoir de le faire tomber.

Je sais pas quoi faire. Je sais pas pourquoi elle m'en a parlé. Elle m'a dit que j'étais la première victime de mon père. J'en ai marre d'être la victime de tout le monde.

Je me demande ce que Marinette ferait. »

Elle presse sa main contre son front, les yeux baissés vers le journal. Un autre éclair la fait sursauter.

« 8 août 2019 :

J'ai tout dit à Lila. Je sais pas pourquoi. Je sais pas pourquoi je lui dis tout. Je sais pas pourquoi je l'ai appelée au milieu de la nuit. Je sais pas pourquoi je continue de revenir vers elle. Je déteste la personne que je suis quand je suis avec elle.

Elle m'a dit de pas m'en mêler. De pas aider Kiara mais de pas aller voir mon père, non plus. De rester en dehors de tout ça. Elle avait vraiment l'air inquiet. »

Marinette ne voit qu'une seule finalité pour toute cette histoire et la déteste d'avance. La date de la prochaine page la prend de court.

« 11 février 2020 :

On est allés sur la tombe de Kiara avec Enzo, aujourd'hui. »

Elle s'en doutait. Mais ses yeux se remplissent quand même de larmes.

« 22 février 2020 :

Je peux pas dormir. Cette nuit me revient toujours en mémoire. Kiara et moi. Enzo était parti nous acheter à boire. La pluie. La chaleur. On se promenait dans une petite ruelle. On parlait. On riait. Kiara avait une robe jaune et ses longs cheveux noirs étaient lâchés. Ce quelqu'un qui a surgit puis disparu. Le sang sur la robe de Kiara. Le sang sur mes mains. La pluie. Les cris. Le sang.

Les mêmes images. Encore et encore et encore. Le point de vue est toujours le même et je suis toujours incapable de voir qui a tiré sur Kiara. »

Cette soirée au bar lui revient en mémoire. La première fois qu'elle a vu Enzo. Ryle. La colère d'Adrien. La peur d'Adrien. C'était de la peur. De la terreur.

Toutes ses actions, se rend-elle compte, sont motivées par la peur de la perdre.

« 17 avril 2020 :

Enzo me fait peur. On arrête pas de se disputer. Il ne parle que de vengeance et de meurtres et de comment coincer mon père. Je lui répète que c'est impossible que ce soit mon père — je lui répète depuis des mois. Il me dit que je suis aveugle.

Il m'a dit que j'étais un lâche. Que j'étais en partie responsable de la mort de Kiara et que je devrais y mettre un peu plus du mien pour retrouver le coupable.

Ça ne peut pas être mon père. Peut-être que si. »

Marinette réalise un peu plus à chaque nouveau mot l'ampleur du sacrifice d'Adrien à son égard. Réalise le cadeau qu'il lui a offert en la gardant loin de tout ça. S'il avait fait des choix différents, ç'aurait peut-être été elle qui se serait retrouvée en sang dans une ruelle.

« 23 avril 2020 :

Je suis vraiment trop con. Bien sûr que c'est lui. Il a déjà tué des gens, a manipulé les sentiments des gens pendant des années — il ne s'est jamais arrêté de faire ces deux choses.

Comme la dernière fois, il l'a avoué quand je suis allé le voir. Il a avoué être responsable de la mort de Kiara et que si j'avais été plus intelligent, je l'aurais mise hors d'état de nuire depuis déjà des mois. Elle en savait trop. Et elle est sûrement pas la première.

L'histoire se répète. Mon père m'avoue ses crimes. M'explique la raison. M'explique qu'il a besoin d'argent et de personnes à son service pour sauver maman. Pour retrouver les Miraculous. Je pensais qu'il avait lâché l'affaire, qu'il cherchait une autre manière de la ramener mais pas du tout.

Je lui ai dit que je le suivrais mais que je refusais de tuer qui que ce soit. Il m'a dit que ça viendrait de toute façon, que je le veuille ou non.

Je pense qu'il a raison. »

Marinette laisse sa joue tomber contre l'accoudoir du canapé. C'est difficile d'assimiler autant d'informations. D'assimiler qu'Adrien a vécu toute une vie pendant ces années. Toute une vie sans elle. Et même si la majeure partie d'elle lui est reconnaissante de l'avoir gardée à l'écart, une autre partie aurait aimé vivre tous ces moments avec lui. Faire partie de ce journal autrement qu'un souvenir.

« 29 juin 2020 :

Je sais pas comment j'ai pu penser que rester à l'écart était une option. Comment j'ai pu penser que c'était possible de protéger Marinette sans faire ce choix — le choix de trahir mon père, encore. Enzo a récupéré la plupart du travail de Kiara. Il m'a tout montré : toutes les preuves, toutes les photos, tous les enregistrements. On a fait une liste de tous ceux qu'on sait sous ses ordres, de tous ceux qu'on soupçonne. Ça fait un paquet de gens. Plus de la moitié de l'entreprise.

Un enregistrement parle de Marinette. J'ai dû tout expliquer à Enzo. Que je suis Chat Noir, qu'elle est Ladybug — était. Ce que j'ai fait. Pour la première fois, je me rends compte que je peux pas faire ça tout seul, que je peux pas la protéger juste par moi-même.

J'arrête pas de me dire que Marinette et Kiara se seraient bien entendues. »

Marinette referme le journal. C'est trop. Trop, trop, trop. Et elle en est à peine à la moitié. Sa mère, son père, Kiara, tous ces amis : d'une manière ou d'une autre, Adrien a toujours tout perdu.

La manière dont il s'accroche à elle, la manière dont il a toujours tout fait pour la protéger même si ça voulait dire qu'elle ne fasse pas partie de sa vie, c'est probablement l'acte le plus généreux qu'elle n'ait jamais vu de sa vie.

Mais ça ne peut plus durer. Elle ne peut plus rester à fixer le mur et à rester dans ce précipice. Elle doit se lever, l'aider, lui rappeler juste à quel point il mérite de vivre et juste à quel point elle l'aime. Cette vie, elle n'en veut que s'il en fait partie.

La porte de l'appartement s'ouvre au même moment où un éclair frappe dans le ciel. Le flash de lumière éclaire tout l'espace de quelques secondes : Adrien, les yeux à peine ouverts, le bras pressé contre son ventre et Enzo, le soutenant du mieux qu'il peut, l'air inquiet. Marinette a à peine le temps de voir le sang que la pièce redevient sombre, secouée par le bruit de l'éclair.


je sais, je sais, ça fait beaucoup. c'est un chapitre très lourd et compliqué à lire mais j'espère qu'il vous a plu quand même. j'ai essayé d'illustrer au mieux l'état d'esprit de Marinette et la culpabilité qu'elle doit gérer et d'essayer de rendre tout ça le plus réaliste possible. même chose avec adrien et son journal, je trouvais ça important d'en apprendre un peu plus sur sa version des 4 ans donc voilà voilà.

pour être honnête, j'ai un peu de mal à écrire en ce moment. ce n'est pas l'envie qui manque mais plutôt le temps, et même quand je le trouve, l'inspiration est rarement de mon côté. je vais essayer de remédier à tout ça pour ne pas vous laisser sans chapitre, promis !

passez une bonne semaine, on se retrouve à la fin du mois !

— lucie.