56
LES DERNIERS MALEFOY
Le premier jour qui suivit l'annonce de l'emprisonnement de Scorpius, Morgane rejeta l'information de son esprit. Elle ne voulait aucun mauvais nuage dans ses retrouvailles avec ses parents. Son bonheur était immense et il était hors de question qu'elle se laisse distraire par cet horrible individu. Elle profita donc de cette merveilleuse journée emplie de surprises.
Les gobelins les conduisirent à une salle de banquet qui ressemblait beaucoup à la grande salle de l'école de Poudlard, si ce n'était les dizaines de créatures venues se restaurer qui partagèrent leur repas dans une cacophonie de rires et de cris. Morgane y retrouva Grim qui bondit sur elle, avec de petits cris de joie lorsqu'il revit sa plus vieille amie. Harry était subjugué, admiration qui trouva écho dans le caractère curieux de Albus. Morgane sourit en les voyant, tout à coup, en grande conversation sur ce qu'avait découvert Albus au sujet du repaire ancestral des gobelins. Lorsque Harry dévoila à ses pères qu'ils étaient bel et bien entrés dans la forêt de Brocéliande, ce fut au tour d'Albus de les bombarder de questions.
— Vous avez rencontré le fantôme de Merlin?! s'exclama-t-il choqué. Mais comment se fait-il que…? Peu importe, se ravisa-t-il en secouant sa tête. Alors? Il est comment?
— C'est un vieux fou, répondit Harry avec un grand sourire. Quand on l'a rencontré, il a essayé de nous servir du thé. Il n'est pas très doué…
Harry se mit à se lancer dans le récit de leur séjour à Brocéliande tout en dévorant son assiette remplie de fruits et de légumes rôtis à la broche. Morgane, qui écoutait d'une oreille distraite, le remercia intérieurement d'épargner ses pères à propos de son dérapage et de la présence de Maximus à leurs côtés. Ces souvenirs étaient encore trop douloureux et elle sentait les larmes monter à chaque fois qu'elle y pensait. Albus était pendu à ses lèvres, s'enivrant de toutes les merveilles décrites dans les moindres détails par son cousin. En les observant, Morgane comprit tout à coup pourquoi elle s'était aussi bien entendue avec Harry. Il ressemblait tellement à son père.
Lorsqu'un orchestre d'elfes se mit à chanter au milieu du banquet en l'honneur de leur roi, Morgane découvrit que son autre père avait été couronné roi. Elle se tourna, ébahie, vers Liam qui poussa un long soupir gêné alors qu'Albus lui lançait un regard long de sous-entendu.
— Tu es roi? s'étonna Morgane.
— C'est rien…, marmonna-t-il en se servant du cidre.
— Il est mieux que cela, répondit Albus avec un sourire moqueur. Ton père est en réalité un des gardiens de la magie ancestrale. Rien que ça!
Liam marmonna encore dans son verre et Morgane vit ses oreilles rosir légèrement, signe qu'il était embarrassé mais tout de même fier. Sa fille lui posa mille questions. Au fur et à mesure de ses réponses, les pièces du puzzle s'emboîtèrent dans l'esprit de Morgane. L'histoire de son maître lui revint en tête et eut beaucoup plus d'impact. Liam avait du sang d'hécateri, le même que celui de Morrigan, celle qui avait tant jalousement gardé la source primale aux yeux des hommes, qui l'avait caché pour n'être retrouvée que bien plus tard par un jeune fringant sorcier du nom de Merlin. La magie retenue dans la baguette qu'elle gardait dans sa poche était de la même nature que celle qui coulait dans le sang de son père. D'ailleurs son regard, discret mais pénétrant, était éloquent. Il devait sans nul doute pressentir la magie renfermée dans le cœur de sa fille. Heureusement pour elle, il ne posait aucune question pour le moment.
Ils burent, mangèrent et chantèrent de longues heures. Les gobelins étaient ivres. Albus aussi. Il riait aux éclats de la description d'Ombrage de Harry qui partit dans une imitation fort ressemblante en montant sur la table, heureux d'attirer tous les regards sur lui. Liam, qui ne buvait que très peu, se mit à rire lui aussi et Morgane s'enchanta de ce son. Elle savoura cet instant de pure bonheur qu'elle n'avait plus connu depuis longtemps. Elle se sentait heureuse et si chanceuse. Elle qui pensait avoir perdu au moins l'un de ses parents, ne réalisait pas encore de les avoir retrouvés tous les deux. Liam devait partager ce sentiment car, de temps en temps, il lui pressait la main ou lui déposait un baiser dans ses cheveux.
Le seul détail qui venait entacher ce charmant tableau était la pensée de savoir Lancelot emprisonné non loin. Malgré son amusement, malgré son allégresse, son esprit revenait toujours à cette ombre qui la hantait depuis trop longtemps. Lorsqu'il fut l'heure d'aller se coucher, elle y pensait encore.
Contrairement à leur première visite, ils eurent droit aux plus belles chambres et un elfe de maison les guida à travers les galeries pour ouvrir une porte dorée qui menait à deux lits à baldaquin, aux draps de soie et aux tapis tissés à la main.
— Tu ne viens pas? demanda Harry avec un large bâillement.
Morgane s'était immobilisé sur le perron devant l'elfe qui s'était tellement incliné que son nez en trompette touchait le dallage à ses pieds. Elle était aussi épuisée que son cousin mais elle savait pertinemment à quel point elle n'arriverait pas à trouver le sommeil tant qu'elle ne se débarrasserait pas de cette pensée incessante.
— Il faut…que je fasse quelque chose, se contenta-t-elle de répondre, incertaine de la réaction de son cousin.
Harry sembla la comprendre à demi-mot car il devint tout à coup très sérieux. Il ne dit pas un mot mais son regard en disait long. Il prit une profonde inspiration et acquiesça.
— Prends ton temps, lâcha-t-il avec un petit sourire compréhensif.
Il disparut dans la chambre et Morgane demanda à l'elfe de la guider vers les geôles de Grimstone.
OoO
Le bastion de Grimstone n'avait rien à envier aux cellules d'Azkaban. Son guide aux oreilles poilues la guida sans poser de question. Il soulevait la petite lanterne dans sa main tout en descendant un long escalier de colimaçon. Si Morgane ne se souvenait pas de son entrée à Grimstone, elle aurait pu croire se retrouver propulsée à la prison des sorciers. Le souvenir était si vif, qu'elle eut soudain une bouffée d'angoisse qui opprima ses poumons et la fit tressaillir au moindre courant d'air. C'était le lieu où elle avait laissé le détraqueur la posséder. C'était le lieu où Tonks l'avait torturé. C'était le lieu cauchemardesque où elle avait rencontré pour la première fois son véritable père.
Ils descendirent, toujours plus en profondeur, par cet interminable escalier de pierre. L'air devenait plus frais, l'humidité plus traître. Une horrible odeur de moisi lui chatouilla le nez. Ils arrivèrent enfin sur un perron obscur et l'elfe éclaira un long couloir sans issue. La petite créature lui indiqua la première cellule et Morgane s'avança, les mains tremblantes.
Le prisonnier était enfermé dans une large cellule au barreau de fer, certainement enchanté. Il était assis sur le sol froid, pieds et mains cadenassés à des chaînes reliées aux murs. Il avait la tête baissée, les jambes croisées. Il ne bougeait pas. Morgane eut l'image saisissante d'elle-même, enchaînée de la même manière, dix mois plus tôt. À l'époque, c'était elle la prisonnière vaincue et lui qui venait lui rendre visite pour la questionner. Elle trouva l'ironie de la situation quelque peu risible.
Elle s'approcha, tout en restant à bonne distance, comme si sa malfaisance pouvait la contaminer. Il entendit ses pas sur la pierre, le clapotis de ses talons sur l'eau stagnante. Il releva tout à coup la tête.
Lancelot avait changé, elle devait bien le reconnaître. Ses cheveux avaient été coupés. Il les portait courts à présent. Son habit était différent. Il avait perdu l'allure arrogante et puissante des chevaliers. Il ressemblait davantage à l'un des sorciers qu'elle avait eu la chance de côtoyer. Cette différence causa un trouble dans son cœur. Elle avait l'horrible impression d'avoir affaire à une toute autre personne. Mais son regard bleu, si similaire au sien, était le même que celui de l'époque. La même peur, la même incertitude qui lui hérissa le poil au souvenir de ses méfaits.
Il y avait cependant une chose que Morgane remarqua dans ses yeux écarquillés, une pointe d'émotion qu'elle retrouvait si souvent dans le regard de ses parents. Elle la rejeta aussitôt.
— Morgane, murmura-t-il la voix enrouée par l'émotion et la captivité.
Sa voix la fit tressaillir. C'était la même que celle qui lui annonçait la mort de son père. Son visage se ferma aussitôt et ses poings se serrèrent inconsciemment. Il la dévisagea un long moment qui sembla durer une éternité. Puis, il eut un rictus.
— C'est étrange comme situation, dit-il amèrement. La dernière fois qu'on s'est vu, c'est moi qui te regardais de la sorte pendant que tu étais échaînée.
Elle garda le silence. Elle ne voulait surtout pas qu'il sache qu'elle avait pensé exactement la même chose. Il lui présenta ses chaînes avec un petit sourire triste.
— Ne crois pas que je pense que je ne le mérite pas. Je comprends. J'ai tué tellement de gens, tellement de créatures. Même si Albus a supplié pour qu'on me laisse ma liberté, je le mérite entièrement.
C'était, en effet, ce que lui avait rapporté son père. Lancelot avait été capturé par les centaures qui avait reconnu en lui l'ancien chevalier tant aimé de leur ennemi commun. Il n'avait pas été question de le laisser en paix et Liam ne s'y était pas opposé. Le conseil des créatures avait voté son exécution mais Albus avait réussi à plaider en sa faveur en expliquant les circonstances de son endoctrinement. Il l'avait aussi expliqué à Morgane qui ne savait si elle pouvait y croire.
— Il m'a dit que ce n'était pas de votre faute, parla enfin Morgane d'une voix dure.
Scorpius releva la tête vers elle.
— Il m'a dit que c'était à cause d'un sortilège, continua-t-elle.
Son ton indiquait qu'elle n'en croyait pas un mot et Scorpius le comprit. Toutefois, elle attendit qu'il se justifie. Elle avait besoin qu'il s'explique. Cela pouvait peut-être l'aider à accepter qu'un tel monstre lui soit apparenté. Cela pouvait peut-être la guider sur la raison pour laquelle elle s'était tellement laissée tenter par une magie noire.
Elle vit la même honte dans son expression et cela l'irrita car son visage était si semblable au sien. Comme il gardait le silence, elle insista.
— Est-ce que c'est vrai?
Il acquiesça douloureusement.
— Je n'essaie pas de justifier mes actes, lui dit-il en la dévisageant, ni d'en minimiser l'atrocité.
Il attendit qu'elle dise quelque chose mais il n'eut droit qu'à son silence amer. Scorpius comprit qu'elle attendait plus de lui que de simples excuses. Il continua:
— Je me suis souvenu de cette fameuse nuit. Celle de ta naissance… On avait décidé de combattre Merlin et ses chevaliers, avant qu'il ne pompe toute la magie de Stonehenge. Tout s'est mal passé. Merlin…il nous a révélé toutes les personnes qu'il avait tué en un claquement de doigts. Mes parents sont morts cette nuit-là et ceux d'Albus aussi. J'ai…j'ai essayé de le combattre. Je n'ai pas réussi. Merlin était sur le point de me tuer, il aurait peut-être dû. Mais Harry s'est interposé.
— Harry Potter? ne put s'empêcher de demander Morgane.
— Le père d'Albus, oui. Il a proposé un marché à Merlin. Sa vie contre la nôtre. Merlin m'a laissé vivre grâce à lui. Ce sont les derniers mots qu'il m'a dit avant de mourir. Il m'a demandé de vivre.
Il se tut et Morgane l'observa. Il se passa une main nerveuse dans ses cheveux si courts. Il n'osait plus croiser le regard de Morgane. Sa voix devint plus enrouée et il cacha ses yeux de sa paume pour se donner un peu d'intimité.
— Je devais rester pour me battre mais…Rose, sa voix se brisa quelque peu. Rose était en danger. Je suis parti la retrouver. Je pensais arriver à temps mais il était déjà trop tard. J'ai retrouvé son corps dans la cabane de pêcheur sur la plage. Tu n'étais plus là, ajouta-t-il en la regardant timidement. Il y avait tellement de sang. J'ai cru…j'ai cru que tu n'avais pas survécu.
Scorpius se prit la tête, la baissa, détourna le regard. Morgane en eut le souffle coupé. Elle percevait une souffrance sans nom et comprit à quel point l'homme devant lui était brisé. Il n'avait plus rien de l'aura dangereuse et malfaisante de Lancelot. Elle ne vit en lui qu'un homme qui, en l'espace d'une nuit, avait tout perdu. Elle n'arrivait pas à se dire qu'une de ces choses était elle-même.
— J'ai attendu qu'il arrive, continua-t-il. Je savais qu'il viendrait. Il ne pouvait pas me laisser. Il avait eu beaucoup d'attentes envers moi et puis, je l'avais trahi. J'étais sûr qu'il allait me tuer et je ne voulais qu'une chose: rejoindre ta mère. Merlin est venu avec Keu. J'étais vraiment persuadé qu'il allait me tuer, répétait-il sans cesse. Il le fallait mais il ne l'a pas fait. Il m'a obligé…Il m'a fait tout oublier et Lancelot est né.
Le silence se fit sur cette sentence. Scorpius fuyait le regard de sa fille. Morgane le contemplait, le cœur battant, assimilant chaque phrase qu'elle rejetait de tout son être. La mention de sa mère l'avait fait trembler. Il y avait tant d'amour dans sa voix, tant de regrets et ce qui lui fit le plus mal, était qu'il avait cette même intensité, si ce n'était pas plus, lorsqu'il avait parlé de sa perte. La colère prit le pas sur la porte de son cœur qui s'était soudain ouverte. Elle ne pouvait pas lui faire confiance et sa fureur était son seul rempart à cette blessure qui était née depuis qu'elle avait fait sa connaissance.
— Pourquoi ne vous-êtes vous pas battu? cracha-t-elle avec une telle haine qu'il la dévisagea sans comprendre. Quand Harry Potter vous a demandé de vivre, pourquoi vous ne l'avez pas écouté? Pourquoi avez-vous abandonné si vite?
Elle était si en colère et les larmes lui montaient aux yeux. Elle lui en voulait de ne pas s'être battu, de n'avoir pas gardé espoir. Car s'il l'avait fait, il n'aurait jamais laissé Merlin le transformer en Lancelot. S'il n'avait pas cru en la mort de sa fille, il serait peut-être parti à sa recherche. Il se serait encore battu pour elle.
— Je ne pouvais plus Morgane, répondit-il. Cette nuit-là, j'ai perdu ma famille, ma femme et mon enfant. J'ai vraiment cru que tu étais morte. J'ai perdu l'amour de ma vie. J'en avais assez de souffrir.
Ils se dévisagèrent, l'une avec fureur, l'autre d'un air terriblement las. Le père et la fille se firent face, se toisant l'un l'autre. Morgane cherchait quelque chose à lui balancer, un argument qui aurait dû le pousser à continuer à vivre. Elle méprisait sa lâcheté, son abandon et sa souffrance. Elle les rejetait car elle pouvait les comprendre et cela la rendait malade.
— Si tu es venu pour me tuer, je comprends, lâcha-t-il soudain. Vas-y. Je ne t'en empêcherai pas. Je le mérite pour avoir fait du mal à ceux que tu aimes et surtout à toi.
Morgane fut surprise par ses paroles. Elle le contempla, abasourdie. Puis, peu à peu, elle reprit contenance. La colère s'amenuisa. L'émotion se tarit. Elle reprit son masque de froideur car il venait de lui donner l'occasion pour elle de lui reprocher réellement quelque chose.
— Un véritable père n'oblige jamais sa fille à se salir les mains.
— Comme tu l'as dit si bien, rétorqua-t-il sur le même ton, je ne suis pas ton père. Même si je supplie le ciel pour que tu changes d'avis.
— Vous ne le serez jamais! l'avertit Morgane.
— Je comprends…
Il poussa un profond soupir qui devait sans doute masquer son désarroi. Son regard était clair et son expression fermée. Morgane avait le même visage lorsqu'elle tentait de cacher sa véritable émotion, souvent intense. Scorpius avait plus d'expérience que sa fille. Il arborait soudain une nouvelle arrogance, une dignité proche de celle de Lancelot mais toutefois bien différente. Une détermination qui faisait écho à la sienne.
— Mais pour moi, tu resteras toujours ma fille.
OoO
Morgane remonta à toute vitesse les marches de la prison. Elle était en nage lorsqu'elle revint à la lumière. Les paroles de Scorpius tournaient en boucle dans sa tête avec le flot d'émotions virulentes qui lui étreignait le cœur. Elle avait peur. Elle était en colère. Elle regrettait de lui avoir parlé. Morgane ne savait plus quoi penser. Comme à chaque fois que cela lui arrivait, elle cherchait le réconfort d'une personne de confiance, quelqu'un qui aurait pu partager son ressenti, quelqu'un qui pouvait comprendre ses tourments.
Elle ne rejoignit pas sa chambre tout de suite. Elle se dirigea plutôt vers celle de ses parents. Morgane les avait vus tourner à gauche dans la large galerie qui jouxtait celles des chambres plus modestes. Elle ne tarda pas à trouver la porte qui l'intéressait. Morgane toqua dans un geste timide. Elle ne voulait pas les déranger mais avait tellement besoin de leurs mots et de leurs étreintes.
— Entrez.
Morgane ouvrit la porte et découvrit Albus attablé à son bureau, une pile de parchemins et de livres ouverts. Il travaillait à la lueur d'une bougie, le visage concentré. Elle s'étonna de le voir encore debout après toute la quantité d'alcool qu'il avait englouti. Malgré sa soirée mouvementée, il trouvait encore le temps de travailler. Lorsqu'elle remarqua les cicatrices sur ses avants-bras, fraîches blessures acquises durant leur éloignement, Morgane comprit que, tout comme elle, il avait besoin de cela pour se rassurer et de pas perdre pied au profit de la souffrance. Elle eut le souvenir de lui, dans leur vieux grenier, en train d'étudier cartes et manuscrits, une activité qui l'avait toujours rassurée. Elle fut heureuse que la guerre et l'enfermement ne l'aient pas changé à ce point.
Il lui adressa un grand sourire lorsqu'il la découvrit mais celui-ci disparut bien vite lorsqu'il croisa le regard de sa fille. Aussitôt, il comprit que quelque chose n'allait pas.
— Dad? l'appela-t-elle. Je ne te dérange pas?
— Jamais, répondit-il. Qu'est-ce qu'il se passe?
Elle s'approcha à pas lent. Il se leva à son tour et ils s'assirent sur le grand lit, digne de celui d'un roi.
— Papa n'est pas avec toi?
— Il sort toujours la nuit pour le retour des patrouilles, expliqua-t-il. Je pense que c'est l'excuse qu'il me donne pour souffler un peu de ses toutes nouvelles responsabilités.
Son ton était moqueur et Morgane ne put s'empêcher de sourire. Elle repensa à ce qui l'avait mené jusqu'à leur chambre et son visage s'assombrit. Elle ne savait pas par quoi commencer.
— J'ai vu…Lancelot, je veux dire Scorpius, en bas. Je lui ai parlé.
— Ah! se contenta de répondre Albus.
Morgane sentit toutefois qu'il s'était raidi.
— Qu'est-ce qu'il t'a dit?
— Il m'a expliqué comment il était devenu Lancelot.
— J'imagine que ça t'a fait un choc. Comment tu te sens par rapport à ça?
— Je comprends…mais je ne sais pas si cela me suffit. Tu sais…je l'ai vu à Azkaban. Je…je l'ai vu tuer son propre grand-père sous mes yeux. Il l'a fait sans la moindre hésitation. Il…il a fait du mal à Harry et à Raymar. Je sais qu'il voulait me tuer. Il a fait tellement de mal…
— Je sais…, répondit Albus d'une petite voix.
Le regard de son père partit dans le vide de ses pensées. Celui-ci s'assombrit soudain. Tous ses muscles se tendirent et il serra ses poings pour ne pas montrer à sa fille que ses doigts tremblaient encore au souvenir de ce que lui-même avait dû endurer au contact de Lancelot.
— Tu sais…, commença Albus. Il m'a sauvé quand ils ont voulu m'exécuter à Londres. Pendant un bref instant, il a retrouvé ses esprits et il n'a pas hésité à me sauver la vie.
Morgane fronça les sourcils. Elle n'aimait pas cette révélation. Albus avait un pâle sourire comme s'il s'accrochait à ce vain espoir. Celui-ci attisait la colère de la jeune fille qui ne parvenait pas à accepter cette réalité plus compliquée.
— Il veut mourir, ajouta-t-elle. Il me l'a dit. Est-ce qu'on…est-ce qu'il devrait mourir? Est-ce qu'il mérite seulement de vivre? C'est un monstre, souffla-t-elle. Il mérite d'être puni… Mais toi, Dad…Il m'a dit aussi que tu l'avais sauvé du conseil. Pourquoi t'es-tu interposé? Pourquoi tu l'as sauvé?
Morgane sondait son père en quête d'une réponse. Elle en avait terriblement besoin. De nouveau, un faible sourire s'esquissa sur ses lèvres, témoins d'une autre vie et de souvenirs plus tendres.
— Parce que c'est Scorpius, répondit-il tout simplement.
Sa fille le dévisagea sans comprendre. Il poursuivit:
— J'aurai aimé que tu le connaisses avant Lancelot… Non, avant qu'il n'entre à Azkaban. Pas du temps de Merlin mais bien avant ta naissance. Bon, c'est vrai que tu n'étais pas née et il y a peu de chance que tes véritables parents t'auraient procréé si Scorpius n'était pas parti à Azkaban. Ou peut-être que si…, dit-il rêveusement. Quoiqu'il en soit, c'était un homme complètement différent. C'était un jeune sot. Intrépide. Idiot. Terriblement loyal. Je le connaissais depuis mon arrivée à Poudlard, depuis mes onze ans. Depuis qu'il s'est assis à côté de moi dans le train qui nous conduisait à l'école.
Morgane gardait le silence même si elle avait envie de détruire cette image idyllique d'un homme qui n'existait plus depuis longtemps. Elle se tut car l'expression qu'elle vit se peindre sur le visage de son père était inédite et semblait rejaillir d'un passé merveilleux.
— Scorpius a toujours eu beaucoup de problèmes avec sa famille. Il s'est fait un point d'honneur à toujours se différencier d'eux. Malgré cela, il était persécuté à l'école. Nous l'étions tous les deux. Deux élèves à Serpentard et l'un d'eux issu d'une famille de mages noirs…Scorpius ne m'a jamais laissé tomber. Même lorsque je l'entrainais dans les pires plans, même quand je risquais nos vies inutilement. Il ne m'a jamais abandonné.
Il soupira et Morgane perçut soudain de la culpabilité en lui.
— Tu sais c'est de ma faute… Je ne te l'ai jamais dit mais j'ai menti à Scorpius pendant des années. Lui et Rose s'aimaient lorsqu'ils ont fini leurs études à Poudlard. Mais quand j'ai entendu la prophétie de ta naissance, j'ai eu peur pour eux. J'ignorais à l'époque qu'ils allaient mettre au monde la petite fille la plus incroyable et la plus courageuse que j'ai jamais connu.
Il lui serra la main et son visage devint soudain plus pâle.
— Je les ai séparés. J'ai obligé Rose à lui mentir et à le quitter. Ils ont eu le cœur brisé, tous les deux, par ma faute. Mais je n'ai fait que retarder l'inévitable en causant énormément de souffrance à tes véritables parents.
— Tu t'en veux, comprit Morgane. C'est pour cela que tu le protèges.
— Non, Morgane, répondit-il tout à coup très sérieusement. Cette culpabilité-là, je la porterai toute ma vie et elle ne regarde que moi. Mais cela n'a rien à voir avec ma relation avec Scorpius. C'est mon ami, répéta-t-il, depuis toujours. Comme je te l'ai dit, il ne m'a jamais laissé tomber même alors qu'il a découvert que je lui avais menti pendant tout ce temps. Je ne peux pas abandonner à mon tour, soupira-t-il.
Il baissa la tête, vaincu.
— Je ne peux pas perdre l'espoir qu'il redevienne, un jour, mon meilleur ami et l'homme dont Rose est tombée amoureuse.
OoO
Liam avait du mal à croire en son bonheur.
Sa fille lui était revenue et pour la première fois depuis presque un an, ils avaient partagé un repas tous ensemble. Il avait retrouvé tout ce pour quoi il priait chaque matin. Morgane, Albus et lui, réunis, en sécurité. Il ne demandait pas plus. Pourtant, par la force des choses, il était devenu responsable de bien plus. Il avait une soudaine envie de tout laisser tomber, de fuir loin comme il y avait quinze ans, sa fille et son compagnon sous le bras. Fuir loin de Merlin, des chevaliers, des miliciens, des résistants, des géants, centaures, gobelins et surtout des hécateris. Il chassa bien vite cette idée. Albus ne l'aurait pas permis et il n'était pas d'une nature à fuir ses responsabilités.
La patrouille du soir, celle des gobelins et des centaures, lui avait fait son rapport depuis longtemps. Comme chaque nuit, depuis plusieurs semaines, pas de signe de miliciens, encore moins de chevaliers. Ils avaient comme disparu des bois, comme s'ils avaient compris qu'un nouveau maître avait élu domicile dans ce territoire hostile, comme si une puissance mystérieuse les y chassait inconsciemment. Mais Liam n'était pas dupe. Si les hommes de Merlin avaient fui les bois, il n'en était rien des grandes villes. Même après tout ce temps, il était encore trop dangereux d'envoyer des éclaireurs à Londres ou à Bristol. L'affront fait à Merlin lors de la libération d'Albus était encore dans toutes les mémoires. De plus en plus d'insurrections éclataient dans les faubourgs. L'idée que le dieu sauveur et tout puissant puisse être défait par des mortels commençaient à germer dans tous les esprits. Liam savait que le conflit était inéluctable. Les centaures l'avaient vu dans les astres et répandaient la nouvelle à travers les forêts.
Il ne restait plus qu'à savoir où et quand.
Liam avait trouvé refuge au sommet d'une colline. De là, il avait une vue magnifique sur les bois. Le ciel nocturne était clair, les étoiles brillaient pour lui. Il était adossé à un arbre et toutes ses pensées étaient dirigées vers Morgane.
Quelque chose clochait. Il le sentait, il le voyait. Il était indéniable que sa fille avait changé. Il était normal que les derniers évènements et tout ce qu'elle avait enduré l'aient fait grandir. Mais il y avait un petit quelque chose que Liam ne parvenait pas à saisir. Une aura curieuse flottait autour d'elle. Une puissance et une magie incommensurables, renfermée en un si petit corps. Dans sa lettre, Hugo lui avait parlé d'une voie dangereuse que Morgane avait empruntée. Il se demanda si c'était à cela que le petit génie avait fait mention. Pourtant, la magie de Morgane n'était pas maléfique, elle n'avait rien de mauvaise. Au contraire, Liam se sentait attiré par elle, comme un aimant, fasciné par une énergie qui résonnait à la sienne. Malgré tout, il demeurait inquiet.
— Papa?
Il avait senti sa présence avant même qu'elle ne l'appelle. Liam se retourna et vit Morgane approcher. Elle avait les traits tirés comme si elle avait pleuré. Il eut aussitôt une bouffée d'amour pour sa fille et il lui sourit en réfrénant son envie de lui demander ce qu'il pouvait bien la rendre aussi triste.
— Qu'est-ce que tu fais? Tu n'as pas sommeil?
— Et toi?
Elle sourit à son tour et cela lui fit plaisir. Morgane s'arrêta à ses côtés pour contempler le paysage à son tour. Son regard se perdit dans le vide. Liam observa son profil un long moment comme si elle pouvait disparaître à tout moment.
— La maison me manque, pas toi? demanda-t-elle.
— Si, répondit-il. La voiture me manque… J'en ai plus qu'assez de faire des kilomètres à pied. Quoique…le vol à dos de dragon était plutôt sympa.
— Tu as volé sur un dragon? s'exclama-t-elle soudain émerveillée.
Liam ressentit une brusque montée de fierté devant l'expression fascinée et admirative de Morgane. Il en joua.
— Ton vieux père est plein de surprises, figure-toi. J'ai même combattu un géant.
— Quoi?!
Il ne put s'empêcher d'éclater de rire devant sa bouche bée et ses yeux écarquillés. Pendant un instant, il retrouva sa petite fille qui écoutait toutes ses histoires, fascinée.
— Tu te moques de moi! s'offusqua-t-elle.
— Même pas… La magie c'est plutôt cool mais n'en parle pas à Dad, d'accord? Il serait jaloux.
Ils rirent ensemble pendant un moment. Puis, leurs éclats de gaieté laissa la place aux non-dits. Liam retrouva sa bonne vieille peur et ses inquiétudes et Morgane ce qu'elle n'osait avouer à son père.
— Tu as été voir Scorpius, devina-t-il.
Elle ne répondit pas. Liam acquiesça. Il savait qu'il avait vu juste. Il raisonna sa colère, sa peur. Il ignora son regret de ne pas entendre Morgane lui jurer que non. Il aurait tant aimé qu'il n'entre jamais dans sa vie. Mais il avait fait une promesse à Albus. Une promesse qui lui coûtait cher.
— Il n'est plus l'homme qu'il était, se força-t-il à ajouter.
— C'est ce que Dad m'a dit aussi.
Elle hésita, comme lorsqu'elle était plus jeune et qu'elle s'apprêtait à avouer l'une de ses bêtises d'enfant.
— J'ai quelque chose à te demander, commença-t-elle difficilement. Libère-le, s'il te plait…
Il ne s'attendait pas à ça. Inconsciemment, Liam se redressa pour la dévisager. Ses traits se crispèrent et Morgane le contempla, comme prise en faute.
— Tu es sûre? fut la seule chose qu'il trouva à lui répondre.
Elle acquiesça.
— Je crois qu'il faut lui donner une chance de redevenir celui qu'il était.
Même s'il chercha à le cacher, les yeux de Liam s'écarquillèrent d'angoisse. Dans cette simple phrase, il comprit tout autre chose, un sens terrible pour lui, celui d'un homme à qui l'on privait l'une des choses qu'il chérissait le plus au monde, car au fond, elle ne lui appartenait pas vraiment, pas par le sang.
Morgane le vit. Elle se jeta dans ses bras.
— Toi et Dad êtes mes pères. Tu es mon père, affirma-t-elle, et cela ne changera jamais!
Ces mots résonnèrent en lui. Il la contempla, ému sans toutefois oser lui montrer à quel point il en était touché. Alors, comme un père, il la serra dans ses bras à son tour.
— Je sais, dit-il tout bas.
