57
CONSEIL DE GUERRE
Morgane et Harry profitaient le plus possible de Grimstone car bientôt, il fut l'heure du départ.
Durant leur court séjour là-bas, ils eurent l'impression de redevenir des enfants. Au début, ils s'en réjouirent. Il était si plaisant de laisser la responsabilité aux adultes, de ne se soucier que de soi, de pouvoir rendre visite à Grim quand ils en avaient envie pour admirer son travail sur le squelette du dragon découvert par Liam. Puis, petit à petit, le fait d'être mis de côté en raison de leur jeune âge, commença à leur taper sur le système. Après tout ce qu'ils avaient vécu, ils ne trouvèrent pas juste de plus avoir leur mot à dire dans la suite des opérations. Au fil des jours, ils se trouvèrent d'autres activités que la survie ou leurs séances de boudage. Harry se passionna pour les géants et les centaures. Il leur posa un millier de questions, osa même toucher du doigt le pied de la taille d'un rocher de l'une de ces créatures postées aux frontières du territoire des créatures magiques qui remarqua à peine sa présence. Il passait ensuite ses soirées à étudier avec Albus. Ces deux-là s'extasaient sur l'histoire perdue des gobelins, retrouvée dans leurs vieux grimoires jalousement gardés. Morgane était presque jalouse de la complicité de son cousin avec l'un de ses pères. Mais le temps que Harry passait avec Albus, Morgane le passait avec Liam.
Elle ne le quittait plus depuis que Scorpius avait été autorisé à sortir de sa cellule. Liam avait dû user de son autorité au conseil et les gobelins avaient finalement cédé. Le prisonnier ne s'était pas beaucoup mêlé aux autres. Morgane l'avait souvent observé de loin, discrètement. Il disparaissait souvent en journée, dans les bois, seul, pour ne revenir que tard dans la nuit. Au début, Albus s'inquiétait de ses disparitions. Girga trouvait cela suspect. Quant à Morgane, à chacune de ses absences, elle espérait au plus profond de son cœur qu'il ne reviendrait jamais. Mais Scorpius était toujours revenu à Grimstone, taiseux et fermé. De temps en temps, alors qu'il traversait la grande salle de banquet, le regard du père et de la fille se croisait. Cela ne durait qu'un instant où les yeux bleus se contemplaient, l'un empli d'espoir, l'autre d'appréhension. C'était toujours Scorpius qui détournait le regard le premier car l'aura de Liam n'était jamais loin.
Harry aussi était mal à l'aise en sa présence. À chaque fois qu'il le croisait dans une galerie, il faisait demi-tour en retenant un petit cri de frayeur. Il n'avait pas pu oublier leur première rencontre et il n'arrivait toujours pas à croire que Morgane avait demandé sa libération. Celle-ci ne sut si l'ancien chevalier avait appris qu'il la devait à sa fille biologique. La seule personne à qui il adressait encore la parole était Albus et Morgane ignorait s'il lui en avait parlé. Lorsqu'il ne partait pas dans les bois, Scorpius aidait au chargement des artefacts, armes et baguettes pour les convois hebdomadaires. Le travail était dur, harassant. Chaque gobelin et centaure faisaient remonter les armes à la surface pour les charger dans de lourdes carrioles protégées de sorts puissants. Scorpius passait de longues heures à la forge, se donnant corps et âme dans ce travail pénible. Il ne se plaignait jamais et burinait si dur qu'il réussit à gagner un certain respect de la part des maîtres-gobelins.
Lorsque le dernier convoi réussit à passer la frontière sans embûche, escorté par les centaures lourdement armés, Liam décida qu'il était temps de partir à leur tour. Les adieux furent plus difficiles que lors de leur premier départ car ils avaient passé beaucoup plus de temps avec leurs compagnons. Morgane retint ses larmes en serrant doucement Grim et Melvin sur son épaule. Le petit diablotin promit de veiller sur son compagnon botruc et de frapper Merlin de sa petite canne si jamais il osait se pointer à Grimstone. Harry remercia les plus vieux gobelins, restés en leur bastion, loin de la guerre, pour le savoir qu'ils lui accordèrent à propos de la fabrication d'objets magiques. Harry souffla à sa cousine que les créatures s'étaient bien gardés de leurs plus précieux secrets mais il saluait tout de même le geste.
— Après tout, il reste des gobelins, lui chuchota-t-il.
Les elfes, les gobelins, toute créature restée à Grimstone étaient sortis de leur trou pour venir saluer le roi. Liam fut gêné par tous ces regards braqués sur lui, toutes ces révérences profondes sur son sillage. Certains elfes se mirent même à chanter et Liam s'empressa de rejoindre le convoi avec de simples gestes de la main pour leur dire au revoir.
Morgane se réjouissait de ce voyage. Pour une fois, elle ne le faisait pas par fuite, par nécessité et surtout pas par survie. Albus lui avait expliqué qu'il se rendait au quartier général de la résistance pour organiser la guerre qui se préparait. Ils allaient réunir leurs forces comme devait certainement le faire Merlin à la tour blanche. Cette nouvelle l'emplissait d'appréhension mais aussi d'excitation. Bientôt toute cette souffrance prendrait fin et la chaleur émise par la baguette restée cachée dans sa poche le lui rappelait sans cesse.
Elle aurait même pu fredonner sur le chemin s'il n'y avait pas eu la présence de Scorpius dans leur sillage. L'ancien chevalier les suivait, en arrière, loin de tous, terriblement isolé. Les créatures le fuyaient comme la peste. De temps en temps, certaines créatures le bousculaient avec un hennissement méprisant. Il ne bronchait pas et continuait à marcher en silence.
— C'est vrai qu'il a l'air différent…, commenta Harry en jetant un œil derrière lui.
Ils marchaient à deux, aux côtés de quelques gobelins déjà parés pour le combat. Noak, le jeune gobelin qui avait failli les éventrer à leur arrivée à Grimstone, marchait d'un pas cadencé comme s'il allait fouler la terre de Stonehenge d'un instant à l'autre.
Morgane ne put s'empêcher de l'étudier à son tour. De nouveau, elle croisa le regard de Scorpius. Elle se retourna vivement, mal à l'aise.
— Apparemment Merlin lui aurait jeté un sort pour lui faire perdre la mémoire. C'est comme ça qu'il est devenu Lancelot, expliqua-t-elle.
— Et tu y crois?
— J'en sais rien! répondit-elle un peu trop agressivement.
— En tout cas, si c'est vrai…j'ose même pas imaginer ce qu'on doit ressentir après avoir retrouvé la mémoire. Tu imagines? Comprendre que tu as tué tellement de gens innocents… J'aimerai pas être dans sa tête.
La remarque de son cousin l'irrita car elle était pertinente et adoucissait l'image qu'elle se faisait de son chevalier de père. Même si Albus l'avait convaincue de lui laisser une chance, Morgane n'en demeurait pas moins méfiante. Elle avait trop de mal à se défaire de son expression lorsqu'il avait torturé Raymar sous ses yeux. D'ailleurs celui-ci avait décidé de voler haut dans le ciel pour échapper à sa présence. Durant de longues nuits, il lui avait crié les mêmes questions que son cousin, la même incompréhension. Peu à peu, ses rugissements s'étaient tus pour une empathie amère. Raymar avait connu Scorpius du temps de sa mère. C'était la raison pour laquelle il n'avait pas pu riposter à Azkaban. Il avait côtoyé l'amour qu'éprouvait Rose Weasley pour cet homme qui avait commis tellement de crimes.
Morgane ne savait toujours pas quoi penser de cette situation et elle n'était pas prête à lui adresser de nouveau la parole de sitôt.
OoO
Scorpius profitait de ces longues heures de marche pour réfléchir.
Il avait été surpris d'avoir été libéré aussi vite. Dans son fort intérieur, surtout après son tête à tête avec Morgane, il avait été persuadé qu'il finirait ses jours lamentables dans cette geôle pourrie. Comble de tout, il s'était souvenu que ce n'était pas sa pire expérience d'incarcération. Tout lui était revenu, à présent.
Tout en avançant un pas après l'autre, il ressassait sa vieille mémoire défectueuse. Il faisait abstraction de ses années à Poudlard, seuls moments heureux de sa triste vie. Il fit rejaillir l'entraînement chez les aurors, la proposition d'Harry Potter. Il se força à repenser à Azkaban, Ombrage, les néo-mangemorts, Clovis et surtout Gwen. Il repensa avec rage à Galaad et son initiation. La mort de James et ses derniers mots. Et Rose…
Surtout Rose.
Ses pires souvenirs étaient toujours entrelacés de moments merveilleux. Il se souvint de leur première nuit après une longue séparation. Il fit renaître sa voix lorsqu'elle lui annonça qu'elle était enceinte. Il se remémora son regard alors qu'elle décidait du prénom de leur futur enfant.
À chacun de ces souvenirs, ses yeux se dirigeaient, par réflexe, vers cet enfant qu'il avait perdu depuis longtemps. Morgane marchait en tête avec un garçon qu'il comprit être son cousin. Il s'en souvenait. Du moins, la mémoire de Lancelot le lui rappela. Aussitôt, il revit une avalanche d'images de lui en train de les faire souffrir. Il serrait alors les poings pour se maudir et détournait le regard, trop indigne de seulement croiser leurs regards.
Morgane était le portrait craché de sa mère et Scorpius s'en félicita. Toutefois, il remarqua quelques différences. Déjà physique, lorsqu'il plongeait son regard dans le sien. Ses yeux étaient similaires à ceux de Malefoy, froid et calculateur. Elle avait le menton légèrement pointu et un nez plus droit que celui de sa mère qui lui rappelait le profil de son père. Scorpius n'avait eu droit à lui parler que de rares fois mais il avait cependant eu le temps de discerner des ressemblances dans leurs caractères respectifs. À chaque fois qu'il l'observait, il décelait dans son expression la méfiance typique de la grande famille des Malefoy. Elle était aussi têtue, tout comme l'était son véritable père, ainsi qu'une intelligence froide qui lui faisait un peu froid dans le dos.
Il ne voyait en elle que ses défauts, car c'était tout ce qu'il lui restait. Mais il voyait surtout Rose en elle: sa générosité, son courage et son abnégation. Alors qu'il marchait, tel un paria, en bout de file du convoi, il aurait tout donné pour avoir la chance de lui parler sans se faire repousser. Mais à chaque fois, son regard le lui interdisait ainsi que celui de Liam, dans une menace silencieuse.
Depuis qu'il l'avait libéré, Scorpius avait une furieuse envie de lui faire du mal. Pas comme Lancelot, pas avec sa puissance de chevalier mais d'homme à homme, ou plutôt de père à père. Il ne supportait plus l'expression d'amour et de tendresse qu'il adressait à sa fille ni celui qu'elle lui rendait. Il exécrait ses gestes paternels alors que cinq mètres et une parade de créatures les séparaient. Pour la première fois depuis son combat avec Keu, il avait des pulsions de meurtres envers cet homme qui lui avait volé sa fille.
Ces pensées l'effrayaient et il les repoussait en se rappelant le bon souvenir de Lancelot. Il n'était plus ce monstre qui torturait des sorciers qu'il avait jadis connu. Il n'était plus le bras gauche du maître qu'il avait adulé alors qu'il lui avait caché la mort de son épouse tant aimée. Il n'avait plus rien de ce chevalier dont le seul nom faisait trembler les miliciens. Il n'était plus qu'un ancien sorcier, renié, bafoué, en perdition et qui étudiait le dos de son unique fille qui ne viendrait plus jamais lui parler.
La nuit, alors que tout le convoi prenait ses aises dans la forêt pour dormir et se restaurer, Scorpius prenait soin de ne déranger personne et s'isolait un peu plus loin. Assez pour que personne ne soit gêné par sa présence, ni trop loin pour ne pas inquiéter ceux qui auraient l'idée de se mettre à sa poursuite pour l'achever. Il avait eu plusieurs fois l'idée de s'enfuir loin. De tout quitter pour ne plus jamais revenir. Plusieurs choses l'en empêchaient à chaque fois qu'il fixait l'horizon en quête d'une nouvelle liberté. Morgane le retenait toujours et ses espoirs de devenir un véritable père pour elle. Albus en second qui incarnait, à lui tout seul, tout ce qu'il avait un jour été, le meilleur de lui-même. Merlin ensuite…
Il ne partirait pas avant d'avoir vu ce pourri crever la gueule ouverte, de préférence de sa main.
Il ne voulait pas non plus donner l'impression de les trahir. Scorpius savait qu'à la minute où il s'éloignerait un tant soit peu, Liam jetterait sur lui ses nouveaux sbires qui crieraient à la haute trahison. Le chevalier qu'il était auparavant, savait pertinemment qu'il n'aurait aucune difficulté à s'en défendre. Mais en redevenant Scorpius, celui-ci s'était fait un tout nouveau serment: plus jamais il n'ôterait la vie à qui que ce soit, exceptée la sienne.
À une heure avancée de la troisième nuit, Scorpius partit chercher de l'eau lorsqu'il fut sûr que tout le monde dormait. Il n'aimait croiser personne surtout à cause des expressions méprisantes, au mieux apeurées qu'on lui laissait toujours. Depuis qu'il les accompagnait, il avait l'étrange sensation de n'être plus qu'un fantôme. Ni tout à fait là, ni absent, écartelé entre deux mondes, celle de sa nouvelle vie ou celle de sa précédente mort. Il se faisait cette réflexion lorsqu'il tomba nez à nez avec le griffon de sa fille.
Scorpius stoppa net face à Raymar, sa gourde vide en mains. Il eut l'écho saisissant de lui, vingt ans plus tôt, lors de sa première rencontre avec la créature légendaire. Il avait la même posture arrogante et menaçante, le même pelage soyeux et éclatant, le même regard de fureur. Comme la première fois, Scorpius ne bougea pas tandis que le lion géant le jaugeait, partagé entre son désir ardent de le tuer et celui de lui laisser la vie sauve. Le sorcier décelait aussi dans le fond de ses iris violents, cette lueur de tristesse qui faisait écho à la sienne. Il ne pouvait pas le comprendre, il n'avait jamais eu le même lien avec lui que Rose en tant que sa maîtresse mais ces deux êtres partageaient cependant cette connexion immuable pour la même personne, et la douleur tragique de la perte de sa mère.
Scorpius fut submergé par cette émotion. Il oublia la menace d'un griffon prêt à le déchiqueter au moindre geste suspect. Il ignora le faible grondement qui montait de la gorge de l'animal. Il plongea son regard dans le sien.
— Elle me manque aussi…, souffla-t-il.
Raymar ne s'était pas attendu à ce qu'il lui dise cela. Scorpius le vit dans ses yeux. Malgré lui, il fit resurgir une douleur enfouie depuis de longues années et enterrée par le contact de sa nouvelle maîtresse. Raymar gronda plus fort, s'approcha à la limite de l'attaque pour lui faire bien plus peur. Cela ne marcha pas. Scorpius savait qu'il n'était pas capable de lui faire le moindre mal et il ne craignait plus la mort depuis longtemps. Contre toute attente, impuissant, Raymar prit son envol, frustré et accablé.
Le sorcier le suivit du regard pendant de longues minutes. Puis, lorsque le ciel devint trop sombre pour discerner sa silhouette, Scorpius descendit le ruisseau. Tandis qu'il remplissait sa gourde pour le long voyage de demain, il se forçait à vider son esprit. Sa rencontre avec Raymar avait réveillé le souvenir de Rose et à chaque rugissement de désespoir dans le ciel, c'était son propre malheur qui envahissait ses pensées. Il entendait à nouveau son rire, sa voix, contemplait ses yeux, son expression. Il voyait son teint pâle dans la mort, son faible sourire, son sang qui tachait ses vêtements. Il percevait les ordres de Merlin, la malédiction de Keu et ses propres sorts qui avaient failli causer la mort de sa fille unique.
Dans un geste rageur, il frappa sa gourde contre une pierre. Il eut envie de hurler mais la crainte de rameuter tout le camp le retint. À la place, il marcha vers l'arbre le plus proche, un pin à l'écorce rêche et malade. Il le frappa et lorsqu'il constata que ce simple coup faillit déraciner l'arbre centenaire, il s'effondra au sol avec un rire nerveux.
Il s'assit ensuite dans l'herbe humide, près de la rivière, dans le silence de la nuit et calma son esprit sur sa respiration de plus en plus longue et profonde.
— Tu es là! s'exclama une voix familière dans son dos.
Il se retourna car il n'en avait plus l'habitude. Il y avait des années, il n'aurait pas pris cette peine car il savait d'emblée que son meilleur ami aurait pris place à ses côtés pour contempler avec lui l'horizon de leurs pensées muettes. Il fut toutefois surpris de constater que malgré leur vécu, Albus n'avait pas renoncé à cette habitude. Celui-ci s'assit à côté de lui, pestant sur l'herbe qui allait tacher son pantalon et mouiller son derrière.
— Qu'est-ce que tu fais là? soupira Scorpius.
— Je suis venu voir comment allait mon ami.
— Tu ne devrais pas m'approcher. Liam ne serait pas content…
— D'une, Monsieur ronfle…, commenta Albus, et de deux, je n'ai pas besoin de sa permission pour aller où cela me chante.
Il sortit de sa poche une bouteille de Whisky Pur-feu. Scorpius ne put s'empêcher de sourire.
— Où as-tu déniché ça? demanda-t-il en arrachant le bouchon d'un coup de dent.
— J'ai dû marchander durement avec un diablotin. Apparemment, c'est la dernière bouteille d'un grand cru. Cela se savoure…
Pour toute réponse, Scorpius en avala une bonne lampée qui fit rire son ami.
— Tiens, j'ai ça aussi pour toi…
Il lui tendit un paquet de cigarette, vieux, dont le tabac avait dû sécher au fil du temps.
— Cela fait longtemps.
— Oui…comme lorsqu'on était deux jeunes sorciers arrogants et fous qui passaient leurs heures de libre sur le toit de la tour d'astronomie.
Scorpius ne répondit pas. Le souvenir de leurs jeunes années était douloureux. Il sortit une cigarette et l'alluma par réflexe. La première bouffée le fit tousser. Cela faisait beaucoup trop longtemps. Albus prit la bouteille à son tour. Lorsqu'il la porta à ses lèvres, l'une de ses manches s'abaissa sur son avant-bras nu couvert de cicatrices encore fraîches. Aussitôt, la mémoire de Scorpius lui rappela les méfaits de Lancelot.
— Je suis désolé pour cela, dit-il en désignant son bras.
Albus secoua la tête.
— Ce n'était pas toi, assura-t-il. Et si je dois vraiment en vouloir à quelqu'un, c'est plutôt à Galaad.
— J'aurais dû te sauver plus tôt.
— Comment aurais-tu pu? répliqua Albus. Non, s'il te plaît…Ne parlons pas de ça, tu veux bien? Pour quelques heures, redevenons Albus et Scorpius, comme autrefois. Comme quand tu fumais en douce tes cigarettes à la bibliothèque pendant que je faisais le guêts pour éviter Mrs. Pince, d'accord?
— Tu avais surtout peur que je ne mette le feu à tes précieux grimoires.
— Et j'avais raison!
— C'était un bouquin sur les sorts les plus inutiles de l'histoire de la magie!
— Et quand tu as voulu éteindre le feu en aspergeant à moitié le devoir de Lily… J'ai bien cru qu'elle allait te jeter par-dessus le balcon, rit Albus.
— Je t'aurais emmené avec moi.
Ils rirent, comme avant mais ce son si réconfortant s'éteignit aussi vite que ce souvenir chaleureux. Ils burent un temps en silence.
— Je me demande comment aurait été ma vie, dit tout à coup Scorpius, le regard lointain. Je m'imagine à mon mariage. Rose en robe de mariée au bras de son père qui serait certainement en train de faire un arrêt cardiaque. Ma mère et mon père sur le point de fondre en larmes mais pas pour les mêmes raisons. James qui râle un peu plus loin. Toi à mes côtés en tant que témoins. Lily qui rattrape le bouquet de Rose pour le montrer à Tom. Ton père qui me félicite…
À l'évocation de son père, Albus avala une généreuse rasade de Whisky. Scorpius ne s'arrêtait plus, emporté par une vie merveilleuse qui aurait pu être la sienne.
— J'aurais tenu mon bébé dans mes bras. J'aurai appris à Morgane à voler sur son premier balai. Je l'aurai vu partir dans le Poudlard Express. J'aurai assassiné son premier petit copain…
— Ça n'arrivera jamais, répondit Albus sur un ton catégorique. Elle n'aura jamais de petit-ami. Je ne le permettrai pas!
Scorpius ne l'écoutait pas. Il était fasciné par la vision de sa fille qui l'aurait aimé comme son véritable père, qui aurait eu la même expression d'admiration et de respect qu'elle adressait toujours à Liam.
— Je l'aurai consolé de son premier chagrin, de ses cauchemars, de ses doutes. Je l'aurai protégée de tout. Mais je n'aurai jamais imaginé devenir celui qu'elle redoute tant…
Il but à son tour, vaincu par cette triste réalité. Albus lui tapota l'épaule.
— Elle sait…, dit-il. C'est plus que tu ne pouvais espérer. Et elle est plus forte que tu ne le crois. Elle tient ça de son père.
— De sa mère, plutôt, corrigea Scorpius.
— Des deux, je dirais, ainsi que de votre sale caractère. Je ne te raconte pas ses crises de colère!
Albus rit mais Scorpius resta de marbre. Le silence se fit entre les deux amis, séparés par cette barrière permanente de celui qui avait espéré devenir un père et l'autre qui redoutait la réalité de ne pas en être totalement un.
— Tu sais, dit tout à coup Albus. Malgré tout ce qu'on a vécu, tous ceux que l'on a perdu, je ne regrette pas le passé. C'est horrible de dire ça, j'en ai conscience. Mais sans tout ça, je n'aurai jamais connu Liam et je ne me serai jamais occupé de Morgane comme ma fille.
— Vous avez fait du bon boulot avec elle…, se força à répondre Scorpius.
— Merci.
Le ton était faux car l'un comme l'autre se partageait ce mensonge. Lorsqu'il le dévisagea, Scorpius vit dans les yeux de son meilleur ami à quel point il était torturé à l'idée de le rassurer sur le fait qu'il était le véritable père de Morgane. Il avait envie de lui dire que ses espoirs seraient un jour possible lorsque tout redeviendrait comme avant, qu'il pourrait serrer Morgane comme sa fille, qu'il redeviendrait l'homme qu'il était censé devenir depuis longtemps.
Mais Albus était incapable de le formuler et Scorpius comprit pourquoi. Il sourit, d'un sourire amer et satisfait à la fois car il savait qu'il n'avait plus le droit d'espérer plus.
— Vous êtes ses pères, répondit-il à sa phrase muette. Vous le serez toujours. Pour ma part, je ne mérite pas de devenir plus que l'homme qui regrette de lui avoir fait du mal.
Il grilla sa cigarette d'une très longue bouffée. Albus ouvrit la bouche pour répliquer, en bon ami qu'il était mais se retint. Scorpius l'en remercia silencieusement.
De toute façon, il n'y avait plus rien à dire.
OoO
L'expédition dura trois longues semaines.
Curieusement, Morgane fut plus éreintée par ce périple que toutes ces autres escapades depuis qu'elle avait quitté la ferme familiale. Lorsqu'elle se confia à son cousin à ce sujet, il fut du même avis. Il y avait quelque chose de fatiguant de toujours marcher dans la même direction, suivre le mouvement, s'occuper l'esprit d'autre chose que de la route interminable vers le nouveau quartier-général de la résistance.
Ils devaient bien l'admettre, le danger leur manquait. Il y avait bien eu cette tension la première semaine. Tout le monde était à cran de croiser un groupe de milicien ou un guet-apen mené par un chevalier à chaque fois qu'ils s'arrêtaient quelque part. Mais au fil des jours, ils durent se rendre à l'évidence que personne ne viendrait pour les arrêter. Liam s'efforçait, chaque jour, de maintenir une certaine discipline. Seuls les centaures et les gobelins restaient sur le pied de guerre, prêt à l'action, sous les ordres de leur nouveau roi toujours aussi prévoyant. Toutefois, pour les autres, la tension se relâcha. Morgane passa plus de temps avec Albus et Harry. Son père répondait à toutes les questions de son cousin à propos de son homonyme et sur ses exploits. Morgane écoutait, l'esprit ailleurs.
Outre la présence toujours gênante de son géniteur, à chaque fois qu'Albus relatait une aventure de son défunt père, Morgane ne pouvait s'empêcher de repenser à sa propre rencontre avec le premier élu, ainsi que sur l'avertissement qu'il lui avait lancé. La baguette dans sa poche lui rappelait sa véritable mission qu'elle avait gardée secrète, enfermée dans les tréfonds de son cœur, avec sa peur, ses doutes et l'appréhension d'un futur échec.
Dans ces moments-là, elle ne pouvait s'empêcher de penser à Maximus. Elle regrettait sa présence et avait un besoin vital de se remémorer avec quelqu'un ce qu'ils avaient vécu. Elle avait décidé de ne plus jamais en parler avec son cousin, surtout lorsque celui-ci avait failli parler de leur ancien compagnon à ses pères, lors d'un dîner autour du feu de camp. Morgane lui avait alors lancé un si violent coup de pied que Harry en avait lâché son écuelle et un petit cri de douleur. Depuis, il avait compris qu'il devait garder le silence.
Malgré cela, Maximus lui manquait. Elle aurait tant aimé l'avoir à ses côtés pour la rassurer surtout lorsque son père lui parla de ce qu'ils les attendaient lorsqu'ils arriveraient enfin à destination.
— Tu vas enfin faire la connaissance de ta famille! lui avait-il dit avec un grand sourire ému.
Ce mot l'avait tétanisé.
Sa seule expérience avec sa "famille" avait été la rencontre avec les parents de Harry. Elle n'en avait pas gardé un souvenir extraordinaire, plutôt une séance de regrets partagés avec la nostalgie de membres vaincus par une sorte de terrible malédiction dont tous les espoirs reposaient sur ses frêles épaules. Cependant, elle avait fait du chemin depuis. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'appréhender cette rencontre, encore persuadée de ne pas être à la hauteur des espérances de cette famille.
— Ils vont t'adorer, l'avait rassuré Liam en la prenant dans ses bras.
Cela n'avait pas suffit.
Son trac grandit lorsqu'ils sortirent des bois pour emprunter la voie escarpée des dunes. Au loin, Morgane aperçut des criques, des pics de calcaire ainsi que le bruit des vagues. Pendant un temps trop court à son goût, elle se laissa subjuguer par le paysage d'une mer apaisée. Le seul souvenir de la mer qu'elle gardait en mémoire était celui des flots déchaînés d'Azkaban. Harry et elle restèrent sans voix devant l'horizon de l'eau et du ciel qui se confondait au loin.
— On arrive! cria un centaure parti en éclaireur.
Le pas des gobelins se fit plus cadencé. Les centaures bombèrent le torse. Liam marchait au centre aux côtés de Albus, d'Harry et de Morgane, comme une famille royale escortée par une garde royale. Ils empruntèrent un chemin plus sinueux, surplombé d'immenses falaises de calcaire. Lorsque Morgane leva la tête, sentant sur elle des regards, elle découvrit des hommes postés en leur sommet qui les observaient, en tenue de soldat, armés de grands fusils.
Des cris résonnèrent dans les grottes à leur approche et la jeune fille comprit qu'on prévenait de leur arrivée. Elle sentit le stress monter et lorsqu'elle chercha le regard de son cousin, elle comprit qu'il ressentait la même chose.
— Je vais revoir mes parents, lui chuchota-t-il. Ils vont me tuer…
Le pas des gobelins et le sabot des centaures claquaient sur la pierre à mesure qu'ils approchaient de l'entrée principale. Liam regardait droit devant lui, plus concentré que jamais. Morgane pensa qu'il n'avait pas l'air particulièrement heureux de revenir chez les résistants et elle comprenait pourquoi. De plus en plus de soldats encadraient leur arrivée, plus lourdement armés à mesure que le convoi entrait sur leur territoire. Les soldats moldus étudiaient les petites créatures en armures, armées d'épées, de lances, de heaumes et de boucliers. D'autres s'écartèrent vivement de l'encolure des centaures qui leur jetaient un regard tout aussi méprisant.
Enfin, ils passèrent l'arche de pierre vers le monticule qui menait à l'entrée de la grotte principale. Morgane retint son souffle. Une foule immense les y attendait. Elle craignit que tout ce monde s'était rassemblé pour elle seule. Elle contempla les visages, tour à tour heureux et méfiant. Certains étaient terriblement vieux, d'autres plus jeunes. Elle dévisagea des militaires avec leur posture raide et leur mine froide. Elle se demanda qui parmi eux étaient de sa famille dont lui avait tant parlé ses pères. Elle reconnut dans la foule Neville, Hannah, Seamus et Luna. Cette dernière croisa son regard et lui fit un petit signe, émue.
Le convoi s'arrêta. Le silence se fit.
Les centaures s'écartèrent pour saluer leur roi. Les gobelins se positionnèrent en haie d'honneur pour accompagner les premiers pas de leur souverain. Liam s'avança le premier, suivi de près par Albus. Celui-ci encouragea Morgane à les accompagner avec un petit sourire timide.
Un couple âgé se détacha du cortège pour s'avancer à la rencontre de Liam. Celui-ci leur chuchota quelque chose avant que son regard ne tombe sur sa fille. Morgane retint son souffle en contemplant les deux inconnus. La femme avait de longs cheveux d'un blanc de neige, encore bouclés, comme les siens. Son visage ridée était ému et ses doigts tremblaient alors qu'elle tentait vainement de cacher son émotion, les larmes aux yeux. L'homme, tout près d'elle, avait le teint aussi blanc que la peau de Morgane. Ses grands yeux bleus contemplaient la jeune fille, quelque peu effrayé. Ils s'avancèrent lentement vers Morgane, aidé par Albus qui encouragea sa fille à aller à leur rencontre. La jeune fille se présenta à eux sans savoir quoi dire.
— Bonjour, dit-elle.
— Regarde-toi, souffla la vieille sorcière. Tu es une jeune fille…
Elle leva une main hésitante vers son visage et Morgane eut un petit mouvement de recul. Elle s'abstint lorsqu'elle croisa les yeux de la femme. Il était d'une douceur incroyable, empli d'un amour démesuré comme ceux de son mari. Morgane perçut, au fond de son cœur, une tendresse immédiate pour eux. Elle accueillit la caresse de sa grand-mère et savoura ce contact inespéré. Bientôt, son grand-père la serra dans ses bras en laissant éclater un faible sanglot.
Morgane profita de leur étreinte. Son grand-père sentait la poudre et le vieux bois tandis que sa grand-mère, l'odeur de parchemin et de fleurs fraîchement coupées. Elle ne put retenir plus longtemps ses propres larmes qu'elle cacha sur l'épaule d'Hermione.
— Merci, dit Ron en se tournant vers Liam et Albus. Merci de l'avoir ramenée.
Morgane releva un peu la tête pour contempler la foule qui ne les quittait plus des yeux. Elle entendit plusieurs personnes lancer d'une voix sonore: "C'est l'élue…" ou encore "C'est leur petite-fille…". Elle se rendit tout à coup compte que les expressions autour d'elle exprimaient un espoir qu'elle n'avait plus vu depuis longtemps, en errance dans la forêt de Brocéliande. Le poids de sa mission se rappela à elle, avec tout ce qu'il incombait.
D'autres membres de sa famille s'approchèrent et Hermione s'essuya rapidement les yeux pour la présenter. Morgane dévisagea une vieille sorcière à la longue chevelure argentée, qui prit l'un de ses pères dans ses bras avant de se tourner vers elle. Celle-ci était accompagnée d'une autre femme, qui lui ressemblait beaucoup, aussi rousse que Morgane et les même yeux que ceux qu'elle avait contemplé dans la source. Morgane retint son souffle face aux membres de la famille Potter.
— On dirait Rose, murmura Lily d'une voix étranglée.
— Tu es magnifique, sourit Ginny.
— Ce n'est pas ma petite-fille pour rien, réussit à plaisanter Ron.
Morgane avait le tournis. Elle rencontra, tour à tour, ses grands-oncle, Bill et Charlie, ses cousines jumelles, Molly et Anna. Toute sa famille vint se présenter à elle, vieux comme jeunes, tous avec ce point commun: brisé par des années de souffrances. Au milieu de ce maelstrom d'émotions, elle s'amusa de voir les parents de Harry se précipiter sur lui. D'abord, ils le serrèrent à tout rompre dans leurs bras, puis Victoire se mit à lui hurler dessus, entre larmes et fureur. Harry devint cramoisi.
Au milieu de la foule, elle reconnut enfin un visage familier et son cœur manqua un battement, sous le choc.
— HUGO! s'exclama-t-elle.
Morgane s'arracha à l'étreinte de ses grands-parents pour se précipiter vers le sorcier qui l'avait tant aidé. Elle se jeta dans ses bras et il la serra à son tour en la soulevant du sol. À ses côtés, se tenait une belle jeune femme indienne qui ne s'arrêtait plus de pleurer, émue par les retrouvailles.
— Je croyais que tu étais mort, s'exclama-t-elle. Je t'ai vu dans…
Hugo s'abaissa, un doigt sur ses lèvres avec un étrange sourire.
— Tu étais…, dit-elle avec plus d'hésitation.
— Je sais, lui répondit-il en lui ébouriffant sa crinière de feu.
Il s'approcha de son oreille pour que personne ne l'entende.
— Il vaut mieux garder ça secret, souffla-t-il sur un ton taquin.
Le sang de Morgane se glaça dans ses veines avec la compréhension de ses paroles pleines de mystère. Elle le dévisagea gravement et acquiesça devant son expression d'amusement feinte. Elle se dit que c'était ce qu'il aurait voulu.
— Vous êtes venus en nombre! s'exclama tout à coup une voix autoritaire.
Un homme, petit et trapu, en tenue militaire, fendit la foule de spectateurs pour s'avancer directement vers Liam d'un pas soutenu. Il était escorté par plusieurs militaires qui avaient toujours leurs doigts sur la gâchette. Tout à coup, à son approche, l'émoi des retrouvailles ne fut plus qu'un souvenir et un silence glacial suivit son entrée. Liam se présenta à lui, peu impressionné.
— Lorsque vous êtes parti pour retrouver votre fille, je ne m'attendais pas à ce que vous rameniez tous le bestiaire de votre monde magique, fit Riggs sur un ton suffisant.
Chapman machouillait un cigare entre ses dents et toisait l'ancien policier avec un sourire qui n'annonçait rien de bon.
— Vous aviez besoin de renforts, répliqua Liam, je les ai apportés avec moi.
Noak, armé de sa grande lance qui dépassait Chapman d'une bonne tête, se planta devant les moldus pour se mettre au garde à vous.
— Nous, gobelins, suivons notre nouveau roi, croassa-t-il.
Chapman éclata de rire devant la dégaine moyen-âgeuse de la petite créature. Mais Riggs ne partageait pas son hilarité. Il fixait le gobelin d'un regard inquiet et méfiant, de celui qui sentait le coup fourré arrivé à plein nez. L'ombre d'Alcades, le chef de la harde des centaures, s'étira sur les deux moldus qui levèrent soudain le nez pour le contempler. Ses sabots claquèrent sur la pierre avec fierté et les militaires ne purent s'empêcher de reculer.
— Nous, centaures, avons juré de combattre aux côtés de notre roi, tonna-t-il.
— Qui est ce roi? s'agaça Riggs.
— C'est moi, répondit Liam.
Lorsqu'il le clama, toutes les créatures présentes s'inclinèrent profondément devant lui. Les sorciers et moldus retinrent leur souffle en contemplant l'armée de gobelins, de centaures, d'elfes, de diablotins et de gnomes saluer l'homme qui se tenait debout devant eux. Morgane esquissa un petit sourire tandis qu'elle remarquait soudain la pâleur du général.
— Scorpius…
Lily avait brisé le silence. Loin derrière le convoi, Scorpius attendait discrètement. Lorsque toutes les créatures s'inclinèrent, il devint beaucoup plus visible et les regards se braquèrent sur lui.
— Scorpius! cria plus fort Lily.
Morgane ne comprit pas l'affection dans sa voix ni que sa tante se mette à courrir dans sa direction. Elle sauta à son cou pour le serrer dans ses bras comme un vieil ami disparu depuis trop longtemps.
— Il est revenu…, souffla Hugo près de Morgane, lui aussi surpris.
— Qui est-ce? demanda Sofia.
L'air grave de son compagnon lui fit comprendre qu'il ne fallait pas poser plus de questions. Hugo baissa les yeux vers Morgane et elle lut dans son regard toute la portée de ce retour. Ses grands-parents étaient tout aussi choqués. Ils se tenaient la main en contemplant le mari de leur fille décédée, guidé par Lily qui le menait vers sa vraie famille. Ginny était pâle. Neville et les autres prisonniers serraient les poings, les traits tirés. Seamus avait l'air particulièrement en colère et Morgane comprit que s'il avait eu une baguette et encore de la magie, il n'aurait pas hésité à lui jeter un sort pour lui faire payer les mauvais traitements à Azkaban.
Scorpius n'en menait pas large. Il suivit Lily à reculons, hésitant et fébrile. Ses yeux bleus étaient fuyants et son teint aussi pâle que la mort. Il s'avança tout d'abord vers ses beaux-parents alors que les créatures se relevaient et que tous les observaient. La tension était extrême mais bien plus pour celui qui revenait d'une longue vie d'atrocités pour se présenter à ceux qui lui avaient confié la vie de leur fille.
Il gardait sa tête baissée, refusant de dévisager le vieux couple. Morgane retint son souffle, sachant pertinemment ce que signifiait cette nouvelle rencontre.
— Tu es revenu, dit Ron dont le ton sonnait comme une question.
Scorpius acquiesça.
Contre toute attente, Hermione posa sa main sur sa joue pour l'amener à lever les yeux vers eux. Morgane ne les voyait que de dos et à l'expression de l'ancien chevalier, elle se demanda ce qui pouvait l'effrayer autant.
— Tu en as mis du temps, ajouta Hermione, la voix tremblante.
Son regard s'agrandit. Sa mâchoire se contracta. Ses yeux devinrent soudain humides et il acquiesça de plus belle. Hermione l'attira contre lui, telle une mère et il se laissa aller dans ses bras.
Au milieu de ces étreintes, des pas cadencés brisèrent le moment. Une dizaine de soldats entourèrent le couple Weasley ainsi que Scorpius. Les armes se braquèrent sur eux et Scorpius se détacha immédiatement de ses beaux-parents, plus tendu que jamais. Riggs s'avança, s'écartant ostensiblement du nouveau souverain et de ses émissaires pour rejoindre ses hommes et faire face à cette distraction fort bienvenue.
— N'êtes-vous pas Lancelot? demanda-t-il. L'un des seconds du faux dieu Merlin?
— C'était moi…, répondit Scorpius sur le même ton que Liam.
— Je m'en doutais. Arrêtez-le!
— NON!
Morgane fendit la foule, brava l'escadron de militaires, ignora les armes menaçantes et se posta devant Scorpius. Elle ne voulut pas croiser son regard surpris et lui tourna immédiatement le dos pour affronter le général.
— Vous ne pouvez pas faire ça! s'écria-t-elle. Il vous l'a dit! Il est avec nous maintenant! Ce n'est plus Lancelot!
— Morgane…, souffla Ron quelque peu surpris.
La jeune fille sentait le regard de son géniteur sur elle. Morgane ignorait ce qu'il l'avait poussé à prendre sa défense et elle avait autant de mal à croiser celui de Liam dont elle redoutait l'expression. Celle du général lui était plus familière: aussi pompeuse que méprisante.
— Je ne sais pas qui vous êtes, jeune fille, mais je peux vous assurer que vous n'êtes pas en mesure de contredire mes ordres.
— C'est ma fille, répliqua Liam en s'approchant à son tour pour épauler Morgane.
Lui aussi tournait le dos de Scorpius mais pour d'autres raisons que sa fille.
— Et l'élue…, ajouta-t-il. Je crois que vous devriez l'écouter.
Riggs se tut, l'air contrarié. Le général avait l'air moins stupide que le bonnêt bourrin qui l'accompagnait avec son cigare en bouche. Son regard perçant se promena sur la foule de créatures armées jusqu'aux dents, sur les sorciers encore émus et revigorés par l'arrivée de l'élue tant attendu, sur les fidèles moldus comme mages qui avaient prié pendant des années pour ce moment. Riggs était un homme intelligent et son visage se radoucit en une fraction de secondes.
— Nous sommes heureux de vous compter parmi nous, Mademoiselle, dit-il sans sourire.
Il se tourna ensuite vers Liam.
— Vous êtes roi… Fort bien. Sachez cependant qu'ici, vous êtes encore sous mon autorité. Je ne doute pas qu'une discussion s'impose et qu'il est temps pour nous de réunir nos forces. Je l'accepte, assura-t-il. Nous souhaitons la même chose et avons le même ennemi et les mêmes espoirs. Cependant, Mr. Jones, cet homme, (et il désigna Scorpius), est un criminel recherché pour crime de guerre. Beaucoup de gens ont souffert à cause de lui et je pense que beaucoup auront à cœur qu'il soit jugé selon une cour impartiale et non par une jeune fille de quinze ans, aussi exceptionnelle soit-elle.
Les paroles du général éclatèrent comme un écho. Tous se turent. Morgane tourna un regard suppliant vers la foule et sa famille mais aucun ne prit la parole. Elle voyait sur leurs visages de la compréhension, de la résignation et pour certains un puissant sentiment de justice. Liam toisa longuement Riggs. La tension était à son maximum. Les soldats réajustaient leur ligne de mire, les gobelins serraient plus forts leurs épées et leurs lances dans leurs mains griffues. Liam se tourna vers Scorpius. Les deux pères se dévisagèrent en silence dans une question muette dont tous attendaient la réponse. Au bout du compte, Scorpius hocha la tête et une pierre tomba dans l'estomac de Morgane.
— Vous avez raison, se contenta de répondre le roi.
À ces mots, Riggs fit un signe à ses hommes et les militaires s'avancèrent vers Scorpius. Celui-ci n'opposa aucune résistance et se laissa menotter sous les yeux effarés de sa fille.
— Non! s'exclama-t-elle encore. Vous ne comprenez pas…
— Morgane, retentit la voix cassante de Liam. Tais-toi, s'il te plaît.
— Liam…, commença Albus en s'approchant à son tour.
Mais le regard froid et décidé de son compagnon le fit taire. Albus et Scorpius se dévisagèrent brièvement alors que les soldats moldus l'emmenaient, devant la foule immense, à l'intérieur de sa nouvelle prison.
— Tu m'avais promis! s'écria Morgane avec rage.
Déjà, Riggs invitait les convives et l'assemblée à entrer en proclamant qu'il y avait beaucoup à décider et à faire. Liam le suivait déjà et s'arrêta un bref instant pour s'adresser à sa fille.
— Je suis désolé, répondit-il sincèrement.
Mais cela ne suffisait pas à la jeune fille.
OoO
Morgane était toujours en colère contre son père alors qu'ils s'étaient tous réunis dans la salle de conférence privée du général Riggs.
L'élue aurait pu s'estimer heureuse d'y être conviée même si elle savait pertinemment que sa présence n'était que de la figuration. Elle incarnait l'espoir des troupes, la prophétie possible à propos de la défaite d'un ennemi tout-puissant. Hélas, ses quinze ans ne lui donnaient aucun droit sur un quelconque avis à donner. Elle était cependant assise entre ses deux grands-parents qui ne tarissaient pas d'éloges sur sa beauté et son courage. Cependant ses compliments étaient loin de lui plaire, mis en sourdine par la haute trahison de l'un de ses pères.
Beaucoup de monde avait été convié à cette réunion exceptionnelle. L'heure était grave et chaque personne présente avait son poids et son rôle à jouer. Morgane vit Hugo et Sofia assis en bout de table, serrés l'un contre l'autre. Elle avait appris que la compagne de son oncle était une grande scientifique moldu qui avait élaboré avec lui beaucoup d'armes censées combattre les miliciens. Ginny et Lily étaient là aussi. Malgré sa colère, Morgane ne pouvait s'empêcher d'admirer sa tante qui avait la prestance d'une grande guerrière. Celle-ci ne quittait jamais une longue épée sertie de joyaux dont l'éclat brillait à la lueur des nombreuses torches disposées un peu partout. Chapman présidait avec Riggs, l'air toujours aussi bête, arrogant mais dont les muscles énormes imposaient le respect. Dron, l'émissaire gobelin ainsi qu'Alcades avaient été invités comme les grands généraux de l'armée du nouveau souverain des créatures magiques. Le titre avait d'ailleurs fait le tour de la base et tout s'interrogeait sur ce revirement étrange. Anna et Molly étaient assises à côté de leur oncle Bill. Anna était apparemment chargée des unités médicales et Molly de l'entretien de l'armement. Morgane ignora sa curieuse ressemblance avec ses deux cousines. Elle qui avait été habituée à l'apparence de Harry et de Tonks, bien loin de la sienne, se demanda soudain si tous les parents Weasley avaient cette couleur caractéristique de cheveux et cet air perpétuellement mutin.
Enfin, Albus et Liam, assis aux premiers rangs, faisaient face à Riggs. Le regard incendiaire de leur fille était braqué sur les omoplates de son père qui devinait son courroux sans se donner la peine de se retourner.
Morgane n'avait aucune nouvelle de Scorpius. Personne ne lui en avait donné. Cela faisait de longues heures qu'il avait dû être enfermé quelque part et à chaque minute passée, la colère de Morgane ne faisait qu'augmenter. Elle aurait tant aimé avoir Harry à ses côtés. D'une part car cela lui aurait fait un allié dans sa bouderie, d'autre part car elle se serait sentie moins seule au milieu de tous ces adultes à l'expression austère et grave. Harry aussi avait supplié d'assister à la réunion. Il avait crié, s'était débattu dans la poigne de son père pour tenter d'entrer dans la salle alors que les grandes portes se refermaient sur lui. Sa dernière réplique avait été que de toute façon, Morgane lui raconterait tout par la suite.
— Nous avons récolté de nombreux rapports de nos espions, commença Riggs. Ils sont tous formels. Les miliciens ont tous reçu l'ordre de quitter leur fief pour se rassembler à la tour blanche.
— Cela explique pourquoi nous n'en avons croisé aucun sur notre route, commenta Bill en croisant les bras sur sa poitrine.
— Nous savons pourquoi? demanda Ginny.
— Cela me semble évident, répondit Albus. Merlin sait que Morgane a réussi à pénétrer dans la forêt de Brocéliande. Elle y a trouvé le moyen de le battre et il veut rassembler toutes ses forces pour l'accueillir.
— Tu es entrée dans la forêt de Brocéliande? lui souffla Hermione.
Morgane sursauta. Elle n'avait rien écouté, toujours occupée à fusiller du regard le dos de son père. Lorsqu'elle contempla l'expression emplie de fierté de sa grand-mère, elle rougit. Elle réalisa tout à coup que tous les regards étaient braqués sur elle.
— Et quel est ce moyen, au juste? demanda Riggs sceptique.
Elle sentit soudain une boule dans sa gorge qui lui donna envie de tousser. Encouragée par l'espoir de sa famille, Morgane se leva gauchement. Elle contempla l'assistance, ignora les expressions méfiantes et hostiles des militaires et prit une grande inspiration. Elle sortit la baguette de vie de sa poche et la dévoila à leurs yeux.
— Un bout de bois? rit Chapman. La gamine qui va sauver le monde de la puissance d'un dieu avec…un vulgaire bout de bois!
— Ce n'est pas qu'un bout de bois! s'irrita Morgane. C'est la baguette de Morrigan, la dernière gardienne de la plus puissante source magique du pays. Cette baguette magique est la réponse à l'outrage de la trahison du Faux Merlin envers l'essence de ce monde. Elle…
Elle s'interrompit lorsqu'elle remarqua les visages émues de ses grands-parents et d'Albus. Tous les sorciers l'écoutaient avec attention, comme irradié d'une puissance nouvelle. Hugo et Sofia étaient tout aussi subjugués, emportés par la description d'un savoir inatteignable.
— Il n'y a que ce vulgaire bout de bois, comme vous dites, qui permettra de réparer ce qui a été brisé.
— Tu penses que cette baguette peut nous rendre nos pouvoirs? demanda Molly, pleine d'espoir.
— Mieux que ça! Quand je parle de ce qui a été brisé, je ne fais pas que mention de ce qu'a fait le Faux Merlin. Je parle de la malédiction qui a frappé les humains, bien avant nous.
— De quoi parlez-vous? s'irrita Riggs.
— Elle parle du châtiment des gardiens de la magie sur les hommes, intervint tout à coup Liam. Si Morgane réussit sa mission, elle pourra redonner le choix aux humains, comme l'ont les créatures magiques. La magie ne sera plus un privilège de sang mais de compétences et d'intentions. Comme elle aurait toujours dû l'être.
Le silence se fit. Même pour les sorciers, les paroles de Liam étaient sources d'inquiétude. En quelques mots, leurs faibles espoirs de retrouver le monde qu'ils avaient toujours connu, s'effondraient tout à coup. Il n'était plus question de retrouver leurs vieilles coutumes et habitudes. Un nouveau monde était sur le point de se créer.
— La magie est un réseau d'énergie, expliqua Albus. La forêt de Brocéliande en est l'épicentre. Notre vieille magie n'est qu'une copie réalisée par les prouesses du plus grand sorcier qui ait jamais existé. Mais cette magie est fausse et nous ne devrions pas pleurer pour le vol d'une copie factice.
— Surtout si nous avons la possibilité de goûter à la vraie, sourit Hugo.
Devant l'incrédulité des sorciers présents dans l'assistance, Hermione se leva d'un bond. Elle semblait avoir retrouvé toute sa vigueur d'antan, sa farouche intelligence.
— Ne soyez pas si étonnés! les gronda-t-elle. Nous savions que nous ne pouvions plus retrouver notre ancien monde. Le secret magique est brisé! Regardez-nous! Nous sommes tous réunis ici, moldus, sorciers et mêmes créatures magiques. Tout ce que nous avions toujours espéré pour le meilleur de nos mondes se trouve en cet instant historique. Voudriez-vous réellement retrouver nos systèmes étriqués? C'est à cause d'eux que nous nous sommes retrouvés dans cette situation et que Merlin a pu aussi bien nous détruire, chacun d'entre nous! Nous avons l'occasion de bâtir un monde meilleur. Il faut la saisir, je vous en prie!
— Surtout si c'est ma petite-fille aux commandes! renchérit Ron, gonflé de fierté.
Morgane ne savait plus où se mettre. Soudain, la baguette de Morrigan lui parut beaucoup plus lourde dans sa paume. Elle eut soudain envie de la jeter au loin, de préférence aux pieds de quelqu'un beaucoup plus apte à supporter une telle pression. Elle contempla Riggs, assis à sa table, les mains jointes, dans une profonde réflexion. Il la dévisageait aussi, prudent comme un serpent qui évalue sa proie.
— Vos espoirs vous honorent, dit-il calmement. Je dois vous avouer que je ne suis guère sensible à votre foi mais c'est certainement mon côté moldu qui parle. Tout ce qui m'intéresse, c'est la victoire contre Merlin. Et vous dites, jeune fille, que cette baguette, aussi puissante soit-elle, sera capable de tuer ce faux dieu?
— Elle ne doit pas servir à tuer, répondit-elle aussitôt.
Les sourcils de Riggs se haussèrent tandis que Morgane serrait plus fort la baguette dans sa main, comme pour la protéger des intentions du moldu.
— Vraiment? Et comment pourra-t-elle nous sauver dans ce cas?
— C'est la baguette de la vie! répéta Morgane. Comme je vous l'ai dit, elle est là pour réparer, non pas pour détruire. Je ne l'utiliserai pas pour le tuer.
Son ton était catégorique, malgré le regard courroucé du général, malgré ses quarante ans d'expérience en tant que chef de guerre, malgré ses quinze jeunes années à vagabonder dans la forêt. Elle l'affronta avec la certitude que jamais elle ne céderait à cette directive. Liam et Albus se tournèrent vers leur fille et Morgane oublia un instant sa colère lorsqu'elle découvrit le fier sourire de ses deux pères.
— Je répète ma question, ne démordit pas Riggs. Comment comptez-vous "réparer" au juste notre situation précaire?
— Euh…je…, bafouilla la jeune fille. Je…je sais que je dois me rendre à la source de Stonehenge.
— À la Tour Blanche?! s'exclama Chapman qui en cracha presque son cigare.
— Petite…, commença Riggs de plus en plus agacé. Une véritable armée se dresse entre toi et la Tour. Comment penses-tu réussir à y pénétrer, toute seule?
— Elle n'est pas seule…
Lily se leva à son tour et défia le général. Chapman cracha par terre et la sorcière se retint d'émettre une grimace de dégoût.
— On est là pour ça, non? continua-t-elle. On est tous réunis pour aller casser la gueule à ce grand connard. C'est parfait, non? Morgane veut réparer la magie et nous, nous voulons la guerre. Offrons-lui la possibilité d'accomplir cette fameuse mission.
— Nous avons aussi notre armée, renchérit Ginny. Nous travaillons dur depuis toutes ces années, c'est bien pour une raison, non?
— De quelle armée parlez-vous au juste? demanda Riggs. Celle de mes soldats qui prennent tant de risques pendant que les sorciers, impuissants, restent cachés dans nos grottes?
Le ton montait. Mère et fille partageaient le même tempérament et aussitôt elles se tendirent, prêtes à prouver au général qu'elles n'étaient pas si impuissantes que cela.
— Attendez! s'écria Morgane pour les calmer. Si je répare la magie, les sorciers retrouveront leur puissance. Ils seront même plus puissants qu'ils ne l'ont jamais été!
Elle avait parlé à tort et à travers et s'en aperçut dès qu'elle contempla le visage placide du général.
— Voilà qui est intéressant…, dit-il tout bas.
— Vous m'oubliez, général, intervint Liam sur un ton calme mais menaçant. Nous avons le soutien des gobelins et des centaures. Sans compter la tribu de géants qui est déjà en route pour Stonehenge et les loups-garous qui nous demandent de lancer l'attaque le jour de la pleine lune.
— C'est quoi ce délire?! s'exclama Chapman.
Il avait bondi de sa chaise, outré. La cendre de son cigare tomba sur le bureau de Riggs.
— On ne va tout de même pas laisser des monstres de foires circuler sur nos routes sans rien faire!
— Ce ne sont plus vos routes depuis quinze ans, répondit Liam. Ni les nôtres non plus. Toute aide est bonne à prendre et comme vous pouvez le constater Général, vous n'avez aucune idée de l'étendue de l'aide que j'ai reçue.
Chapman ouvrit la bouche pour balancer une de ses répliques bien sanglantes. Il fut immédiatement interrompu par son supérieur qui, d'un seul regard, lui intima l'ordre silencieux de se rasseoir et de se taire.
— Très bien, capitula-t-il avec un profond soupir. Il serait idiot de ne pas participer aux réjouissances. C'est un moment historique, Mrs Weasley, dit-il en se tournant vers Hermione. Vous assistez à la réconciliation des moldus, sorciers et créatures magiques réunis sous une même bannière. Je suis d'accord pour faire front commun. Nous lancerons une attaque contre la Tour Blanche pour laisser le temps à Miss Jones de faire ce qu'elle a à faire…(il agita le poignet dans un vague signe dubitatif). Il me semble dangereux pour les sorciers de se joindre aux combats. En revanche, ajouta-t-il en croisant le regard de Lily, tout sorcier ou sorcière entraînés et prêts à se battre sont les bienvenus.
— Euh…
Morgane se tenait toujours debout dans la salle. Tandis que le Général annonçait leur décision, elle avait levé une main timide, par réflexe. Son teint était pâle et elle fut parcourue de tremblements légers alors que tous les regards se braquaient sur elle.
— Désolé de vous interrompre, dit-elle d'une voix fluette. C'est super tout ce que vous avez dit. Par contre…Une question, si vous me le permettez. Quand vous dites "pour laisser le temps à Miss Jones de faire ce qu'elle a à faire…", ça veut dire que vous m'envoyez à la tour, toute seule?
L'expression impatiente et agacée du militaire ne la rassura pas. Le rictus de Chapman éclata dans le silence qui avait suivi sa question.
— Je n'ai pas peur! se justifia-t-elle. Mais je ne connais pas l'intérieur de la tour. Je ne sais même pas comment y entrer. Sans parler des vestiges de la source de Stonehenge. Et j'imagine que la tour ne sera pas vide. Je dis quoi au Faux Merlin? Je lui demande de patienter, le temps d'aller jeter un oeil à sa cave?
— Le plan est de vider la tour, expliqua Bill dans son dos.
— Compte sur nous…, dit Lily avec un sourire mauvais. On va l'énerver assez pour le forcer à sortir de sa fichue tour. Lui et le reste de ses chevaliers.
— Très bien, répondit Morgane qui n'était toujours pas rassurée. C'est super…et merci. Mais je ne sais toujours pas me repérer dans la tour. Vous avez un plan? Une carte? N'importe quoi?
Tous se dévisagèrent en quête de la réponse. Morgane allait d'un visage à l'autre, membres de sa famille, créatures, militaires ou scientifiques dans l'espoir d'une solution miracle.
— Il faut quelqu'un qui s'y soit déjà rendu, dit Hugo en brisant le silence. Quelqu'un qui y a passé beaucoup de temps et je connais un gars que vous avez enfermé… Je pense qu'il sera partant.
— Il en est hors de question! s'exclama Liam, outré.
— Je suis d'accord avec Mr. Jones, intercéda Riggs. Lancelot est un chevalier, de ce fait un ennemi. S'il a réellement changé de camp, il n'en reste pas moins un traître, au mieux…
Hugo fit la moue. Il ouvrit grand les bras avec une expression qui se voulait conciliante.
— Il n'a pourtant opposé aucune résistance quand vous êtes venu l'arrêter.
— C'est vrai, se leva tout à coup Ron aux côtés de Morgane. Nous l'avons interrogé pendant des heures depuis son arrivée. Il a répondu à toutes nos questions sans aucune hésitation. Il nous a renseigné sur tous les effectifs de Merlin et ses stratégies. Pourquoi ne pas lui faire confiance?
— Et comme vous l'avez dit, s'en mêla Lily avec ce même sourire carnassier, c'est un chevalier. Même s'il n'est plus avec Merlin, il en garde tout de même la puissance. Imaginez l'un des plus puissants chevaliers de notre ennemi, à nos côtés…
— À juste titre Miss Potter… Dois-je vous rappeler que les chevaliers tirent leur magie du sceptre de Merlin? Ils doivent certainement être liés à cet artefact magique. Si vous l'envoyez avec votre élue dans la Tour de son maître, qui vous dit qu'il ne virera pas de bord une fois en sa présence? Qui vous dit qu'il ne la tuera pas une fois loin de votre surveillance?
— Parce qu'un père ne trahirait jamais sa fille.
Tous se turent. Tous se concentrèrent sur Albus. Il avait parlé d'une voix calme, si basse qu'ils furent tous étonnés de l'avoir entendu. Liam se tourna vivement vers son compagnon. La détresse et la colère étaient lisibles sur ses traits tendus. Il mourrait d'envie de la laisser exploser dans cette salle mais le regard résigné d'Albus le retint. Liam ne fut pas le seul surpris. Riggs leva ses fins sourcils, presque transparents. Il contempla Liam et Albus, puis lentement son regard monta jusqu'à Morgane.
— Oh! Je vois…
OoO
Liam était toujours en colère alors que la réunion s'achevait peu à peu.
Le sang lui battait les tempes et il se répétait sans cesse les paroles d'Albus dans sa tête. Il n'aimait pas ça. Il ne supportait pas cette idée, ni dans son esprit, ni dans la bouche de son compagnon. Ils le savaient tous les deux. Ils n'étaient pas stupides et ils en avaient longuement parlé à plusieurs reprises avec les autres membres de leur grande famille de sorcier. Mais jamais, au grand jamais, Liam n'avait entendu Albus affirmer que Scorpius était le véritable père de Morgane, devant une salle entière.
Albus se tenait raide sur son siège. Il avait conscience qu'il venait de blesser son compagnon. Il n'osait plus croiser son regard et s'était contenté de garder la tête baissée jusqu'à la fin. Lorsque Riggs déclama qu'une nouvelle réunion, de stratégie militaire cette fois, se tiendrait demain, Albus se leva de sa chaise et partit en premier. Liam le contempler s'en aller avec l'envie irrépressible de le rattraper pour décharger sa colère et sa frustration sur lui. À la place, il dévisagea Morgane qui lui adressa un petit sourire timide. Au moins, elle ne lui en voulait plus, du moins pour le moment. Riggs avait accepté l'idée stupide de Hugo de confier sa fille unique à son chevalier de géniteur pour une mission périlleuse. Il ignorait encore comment mais il trouverait un moyen d'annuler cet ordre stupide.
— Mr Jones? l'appela le Général.
Tous étaient déjà partis. Liam s'était enfin levé pour dire deux mots à Hugo en privé lorsqu'il s'arrêta sur le pas de la porte.
— Auriez-vous quelques instants à m'accorder?
— Pour quelles raisons? demanda Liam qui n'était pas d'humeur à l'affronter.
— Allons, l'encouragea-t-il. Vous et moi savons qu'il est impératif que nous parlions de tout ça.
Il fit un signe à Chapman et celui-ci comprit qu'il était temps pour lui de disparaître. Le soldat passa près de Liam qui reçut la fumée malodorante de son cigare en pleine figure. Sa sortie fut ponctuée d'un rictus qui n'annonçait rien de bon et la porte claqua derrière lui.
— Asseyez-vous…, l'invita Riggs.
Liam eut un sentiment de déjà-vu. Lors de leur dernier entretien, seul-à-seul, c'était lui alors qui avait une faveur. En l'espace de quelques mois, les rôles s'étaient inversés. Liam avait appris à connaître le fameux général des forces moldus. Il était intègre, fort et consciencieux, mais Liam avait découvert une nouvelle facette, son esprit acéré et calculateur. À l'époque, il lui avait promis son sang pour tenter de sauver Albus. Il avait plus de poids dans sa main aujourd'hui pour négocier.
Il s'assit en face de lui et Riggs prit son temps pour parler. Il pesait chacun des mots qui traversaient son esprit brillant.
— Cette réunion fut fort instructive, commença-t-il. Je ne sais si nous avons nos chances mais nous nous devons de la saisir.
— En effet…, répondit simplement Liam.
— Vous et moi sommes des hommes pragmatiques, Mr. Jones. Si votre fille échoue, ou nous-même, nous perdrons cette guerre et cette conversation n'aura plus d'importance. Cependant, je ne peux m'empêcher de réfléchir à l'avenir avec la possibilité, si ténue soit-elle, que l'élue réussisse à accomplir sa prophétie…
Liam l'écoutait attentivement. Son visage n'exprimait aucune émotion mais il était captivé par sa mise en bouche.
— Votre fille l'a dit elle-même… Si elle réussit à ramener la magie aux sorciers, elle leur fera don d'une puissance exceptionnelle, tel qu'ils n'en ont jamais eu. Sans compter votre armée de créatures magiques…et vous comme roi.
— Où voulez-vous en venir? le coupa Liam.
— Là, où je veux en venir, Mr. Jones c'est où se situent exactement les moldus dans ce joli petit tableau. Qu'adviendra-t-il de nous une fois la guerre gagnée? Comment les moldus auront-ils la moindre chance de l'emporter contre une armée qui aura réussi à vaincre Merlin? D'autant plus puissante après l'exploit de leur élue…sorcière.
— Vous êtes en train de m'expliquer que vous ne voulez pas participer à cette guerre?
— Ce n'est pas ce que…
— Écoutez!
Liam s'était avancé sur le bureau pour toiser le général. Son humeur massacrante ne lui permettait pas de jouer les diplomates.
— Vous vous dégonflez? Parfait. Dites-vous bien que si vous faites machine arrière, vous ne nous manquerez pas. Nous n'avons pas besoin de vous dans cette guerre. Nous pourrions marcher sur Stonehenge, nous battre avec justement cette armée qui vous effraie tant.
Les traits de Riggs étaient indéchiffrables. Liam continua, yeux dans les yeux, roi contre général, avec la ferme intention de ne plus jamais se laisser intimider.
— Ce n'est pas ce que je désire, dit-il encore. Aucun d'eux ne le désire. Hermione Weasley s'est battue toute sa vie pour voir nos trois communautés enfin unies. Nous y sommes! Je vais vous dire…cette guerre, on va la gagner. Et lorsque tout sera fini, si vous avez préféré rester cloîtré dans vos grottes de sels, ce sera vous…les grands perdants de cette guerre qui auront marqué l'histoire.
— La gloire m'importe peu, Mr. Jones, répondit Riggs. Tout ce qui m'importe, c'est la sécurité des citoyens de ce pays. C'est le serment que j'ai prononcé, tout comme tous ces soldats qui œuvrent tous les jours pour survivre. Je crains que nous, moldus, ne soyons laissés pour compte à la fin de cette guerre. Je ne peux pas prendre ce risque.
Il était sincère, terriblement honnête. Liam découvrit dans son regard une peur réelle à l'idée de l'issue possible de cette guerre, l'angoisse de l'avenir. Il n'avait pas tort et s'il avait été à sa place, il aurait pensé la même chose. Si les sorciers retrouvaient leur magie, rien ne les empêcherait de retrouver leur ancien mode de vie. Ils seraient parfaitement capables de reléguer les créatures magiques à leur condition misérable et d'effacer la mémoire de tous les moldus, comme si les atrocités qu'ils avaient eux-même vécues n'avaient jamais compté. Toutes les mémoires…sauf une.
— Je ne le permettrai pas, lâcha Liam.
— Je vous demande pardon?
— Je ne peux pas me porter garant pour les sorciers car je n'en suis pas un. Je suis un moldu, général, tout comme vous. Un moldu insensible à la magie, qui a découvert qu'il était capable de la contrôler. Je suis un moldu devenu souverain des créatures magiques qui m'ont toutes prêté allégeance par serment d'une magie ancestrale. Je ne permettrai pas aux sorciers de réinstaurer leurs vieilles habitudes.
Les yeux du général se plissèrent de méfiance.
— Donc, vous souhaitez prendre le pouvoir…
Liam laissa échapper un rictus.
— Cela ne m'intéresse pas et ne m'a jamais intéressé, sourit-il.
La réplique du nouveau roi ne réussit pas à convaincre le général. Liam poussa un profond soupir.
— Si cela peut vous rassurer, je peux vous faire le serment d'abandonner mon titre. Je n'ai jamais cherché à devenir roi et je ne tiens pas forcément à le rester. La magie dont j'ai hérité n'est en aucun cas une quête de puissance. Je ne suis pas roi, je suis un gardien. Le dernier à pouvoir réguler cette puissance qui vous échappe.
— C'est bien beau mais ces créatures vous considèrent tout de même comme leur souverain.
Liam le toisa une longue seconde dans un silence tendu. Il tapotait le bout de ses doigts sur la table. Lorsqu'ils s'immobilisèrent, il prit une décision.
— Lorsque tout sera terminé, vous inviterez Hermione Weasley et Albus au futur nouveau gouvernement et vous ne vous opposerez pas à l'introduction des créatures magiques à ce nouveau système politique.
— Je n'aime pas beaucoup qu'on me dise ce que je dois faire, Mr Jones.
Liam ignora sa menace et continua:
— Et vous n'utiliserez mon sang ni dans ce conflit, ni plus tard, de quelque manière que ce soit.
La voix du gardien était sombre et bien plus menaçante que celle du général. Celui-ci le fixait avec sérieux, impassible devant cette froideur.
— Si vous acceptez ces conditions, je vous jure d'abandonner mon influence sur les créatures magiques ou sur la magie. Si vous refusez et essayez de nous doubler…
Sa phrase resta en suspens mais son regard était éloquent. Riggs y vit les siècles de luttes, de carnages et de guerre à venir s'il ne prenait pas la bonne décision. Il essuya son crâne soudain luisant de sueur.
— Très bien, dit-il d'une voix plus forte comme si l'idée venait de lui. Si nous remportons cette guerre, un traité sera signé entre les sorciers, les moldus et les créatures magiques. Nous travaillerons avec Mrs Weasley et Mr. Potter à cette future alliance.
— Vous êtes un homme sage, mon Général, sourit Liam.
Son ton était sarcastique mais Riggs n'osa pas relever. Liam estima que leur entrevue était terminée. Il se leva sans le saluer pour se diriger vers la sortie. Riggs, en vaincu, ne l'avait pas suivi et était resté assis à contempler le vide de sa défaite.
— J'espère, pour vous, que votre fille réussira.
— Je doute de beaucoup de choses, Général, sauf de ça…
Et il prit congé.
