58

LIESSE ET CONFESSIONS


Depuis cette fameuse réunion qui s'était déroulée le jour de son arrivée, Morgane n'eut ensuite plus le droit d'assister à toutes les autres qui suivirent. Elle ne sut exactement si elle en fut outrée ou soulagée. La tension était palpable entre les participants qui s'y rendaient, tous les matins, les traits tendus, la mâchoire crispée et le regard fixe. Aucun ne sortait de cette vaste salle avec le sourire aux lèvres et en plaisantant avec les autres participants. Pendant plusieurs semaines, Morgane et Harry assistèrent au défilement des soldats moldus, aux allers-retours de Liam, de plus en plus anxieux, à Sofia qui se précipitait dans le bureau de Riggs avec toujours tout un attirail technologique dans ses bras, à Hermione Weasley qui se forçait à leur faire un petit signe de la main pour les rassurer et même à Scorpius Malefoy qui fut traîné en salle d'interrogatoire, enchaîné de la tête aux pieds, la mine lasse et le regard froid.

Le découvrir ainsi opprimé provoquait un tourbillon d'émotions contradictoires dans la tête de Morgane. La proposition de son oncle était encore marquée au fer rouge dans son esprit. Dans le maelstrom de ses peurs sur ce qui l'attendait dans la tour blanche, elle était surtout concentrée sur la panique d'avoir son géniteur et ancien chevalier comme guide. Ce début de plan avait aussi de sérieuses répercussions sur le reste de sa famille. La nuit, Morgane partageait une chambre avec ses pères, bien plus vétuste et spartiate que celle offerte à Grimstone mais assez agréable pour ne pas s'y sentir oppressé. Morgane dut cependant se réhabituer à la vie commune avec ses parents. Le plaisir de les retrouver après presque une année de séparation, était quelque peu terni par la cohabitation dans un endroit trop étroit pour détendre les humeurs. Liam s'était énervé contre le désordre. Albus avait marmonné de longues heures, dans son coin, lorsque Morgane avait renversé l'encrier sur ses parchemins et l'adolescente avait levé une bonne centaine de fois les yeux au ciel à chaque élucubration de ses pères. Mais ce n'était pas cela qui l'inquiétait le plus.

Liam lui avait aménagé un petit coin plus intime, délimité par un drap tendu. Tard dans la nuit, lorsqu'elle s'éveillait d'un long cauchemar où Merlin riait d'elle car elle avait trébuché sur un caillou en courant vers lui, elle percevait le chuchotement de ses parents, encore éveillés à cette heure. Morgane n'entendait pas grand-chose, parfois son nom, celui de Scorpius et son cœur eut un petit raté lorsqu'elle entendit Albus murmurer:"Elle restera toujours sa fille à ses yeux…"

De ce fait, Liam était d'une humeur massacrante. Morgane connaissait bien son père, si bien qu'elle doutait qu'il permette au chevalier de l'escorter dans la Tour Blanche, en tout cas lui vivant. Elle se dit que toutes ces réunions servaient justement à trouver une solution, un meilleur plan pour empêcher Scorpius de se mêler à la bataille et de risquer la vie de l'élue. Cette pensée la soulagea quelque peu. Elle n'y pensa plus et préféra profiter des derniers moments qui lui étaient permis avant d'accomplir sa mission.

Morgane passait de longues heures avec sa famille. En matinée, Lily les traînait jusqu'à la piste rouge, elle et son cousin, pour s'entraîner à se battre. Les deux adolescents avaient beau lui répéter qu'ils avaient connu bien pire sur leur route et qu'ils étaient tout à fait capables de se défendre, Lily faisait la sourde oreille. Leur tante leur promit de les laisser tranquille s'ils réussissaient à la faire tomber. Ils n'y étaient jamais parvenus. Morgane aimait beaucoup sa tante. Elle était belle, combative et son visage lui rappelait celui de son père qu'elle avait croisé dans la source. Lily riait toujours lorsque Harry s'étalait dans la poussière en poussant de gros jurons. Toutefois, son regard devenait un peu triste lorsqu'elle croisait celui de Morgane. Celle-ci ne s'en offusqua pas. Depuis qu'elle côtoyait les sorciers et sa famille, elle dévisageait très souvent ce genre d'expression chez les autres: comme l'écho d'une blessure profonde et ancienne.

Le midi, elle rejoignait la troupe de sorcier pour se restaurer autour d'une longue table de bois. C'était le seul moment où Liam venait les rejoindre pour grignoter quelque chose entre deux entretiens. Il s'asseyait toujours à côté de son compagnon et ne lui parlait qu'à lui seul, exténué, irrité et beaucoup trop fermé au goût de Morgane. Celle-ci avait pris l'habitude de s'installer entre Bill et Charlie, en face de Victoire et de Fleur. Mère et fille lui relataient continuellement de vieilles histoires de famille qui faisaient toujours mourir de rire Harry et Morgane. Le rire gras de Charlie résonnait dans toute la grotte et les lèvres de Bill esquissait un faible sourire, beaucoup plus digne et sérieux que son petit frère. Morgane remarqua bien vite la tristesse qui imprégnait chacun des membres de sa famille, jusqu'à sa cousine la plus éloignée. Albus lui avait soufflé, un matin, qu'ils venaient de perdre Percy, l'un des oncles de son père, une nouvelle perte douloureuse pour cette famille d'ordinaire unie. Avec ces derniers événements, ils n'avaient pas encore eu l'occasion de le pleurer. La famille Weasley et Potter avaient cette grande capacité à donner le change, à tenir en temps de guerre et de chaos, pour rendre hommage lorsque le temps le leur permettrait.

Ses après-midis, elle les passait avec ses grands-parents. Ginny et elle s'amusèrent à se tresser les cheveux. La sorcière, tout comme sa fille, avait une force incroyable et une beauté sauvage à couper le souffle. Elles passèrent de longues heures à discuter et Ginny lui raconta de nombreuses anecdotes sur Albus et les nombreuses bêtises qu'il avait faites dans son enfance. Ginny lui révéla aussi l'existence du grand frère de son père, trop vite décédé. Morgane écouta avec attention le portrait de James Potter. Elle fut choquée et attristée que son père ne lui en ai jamais parlé mais elle comprit pourquoi lorsque Morgane lui demanda comment il était mort.

— C'est…compliqué, murmura-t-elle soudain très pâle. Il travaillait avec…Scorpius, contre Merlin. Scorpius s'était porté volontaire pour infiltrer le groupe de Merlin. À l'époque, notre ennemi n'était pas aussi puissant qu'aujourd'hui.

Morgane était sous le choc. Pas un seul instant, elle n'avait imaginé Scorpius Malefoy dans la peau d'un héros. Il lui avait révélé qu'il avait été envoûté mais dans son esprit, il s'était fait prendre au piège après une attaque aléatoire de Merlin contre des sorciers, du genre lui en pantoufles et peignoir, fumant la pipe et un journal dans les mains. Elle eut beaucoup de mal à imaginer le prisonnier enfermé sous ses pieds en espion charismatique, risquant sa vie tous les jours pour renverser le pire ennemi du monde magique. Elle ne savait quoi en penser.

— Et James? demanda-t-elle pour détourner le sujet. Il était un espion lui aussi?

— Non. Il aidait plutôt Scorpius à ne pas devenir fou. Merlin cherchait à tuer mon mari, expliqua Ginny. Scorpius l'a découvert et en a averti mon fils.

Elle brossait les boucles rousses de Morgane et son sourire devint tout à coup plus triste et ses gestes plus mécaniques.

— Cet idiot s'est rendu au lieu de rendez-vous. C'était un piège. Scorpius a tout fait pour le sauver mais malheureusement il n'y avait plus d'issues. Mon fils a demandé à Scorpius de l'aider à abréger sa vie.

Morgane retint sa respiration, ses yeux bleus agrandis par l'effroi. Ginny ne la dévisagea pas. Elle se contentait de brosser, à coups réguliers.

— Il l'a tué? murmura Morgane, épouvantée.

— Non, répondit Ginny avec patience. Ce n'est pas lui qui l'a tué. Ce sont les chevaliers et les miliciens qui l'ont piégé.

— Mais pourquoi il ne l'a pas sauvé en se battant à ses côtés? Ils auraient pu y arriver à deux!

Ginny sourit de plus belle à sa réplique. Elle posa sa main sur sa joue rebondie et la dévisagea avec une tendresse émue.

— Ma chérie, ils seraient morts tous les deux et ça, mon fils le savait.

Cette révélation bouleversa pendant longtemps la jeune fille. Morgane remettait en question tout ce qu'elle croyait savoir sur les relations de chaque membre de sa famille, surtout vis à vis de son géniteur. Elle se répétait en boucle la scène des retrouvailles entre Scorpius et sa tante. Lily Potter était une femme froide, autoritaire et dure. Et pourtant, lorsqu'elle avait aperçu Scorpius, elle s'était précipitée dans ses bras, émue. Les parents de sa véritable mère aussi avaient accueilli l'ancien chevalier avec affection. Elle y repensait sans cesse: Scorpius Malefoy avait tué James Potter, sous la contrainte, certes, mais bel et bien tué. Lily et Albus Potter avaient toujours beaucoup d'affection pour l'homme qui avait assassiné leur grand frère. Chacun des membres de cette famille le portait dans leur cœur. Tous excepté Liam. Était-il le seul à voir ce qu'il était vraiment?

Morgane méditait cette question alors qu'elle était assise devant un échiquier impressionnant, vestige d'un époque révolue et sauvée in-extrémis par un vieux sorcier. Ron Weasley l'avait mise au défi de remporter la partie. Ils avaient commencé à jouer ensemble lorsque son grand-père avait découvert qu'Albus lui avait appris les échecs depuis son plus jeune âge. Depuis qu'ils s'étaient défiés, Morgane n'avait jamais réussi à gagner une partie face au commandant des sorciers et pourtant, elle avait déjà battu son père plus d'une fois. La jeune fille comprenait d'où Hugo tirait son extraordinaire intelligence.

— Fais attention, biquette, tu vas perdre ta tour.

Les doigts ridés de son grand-père chassèrent sa main qui déplaçait le fou. Morgane sortit de sa rêverie. Elle dévisagea le vieux sorcier qui lui adressa une sorte de sourire-grimace censé la faire rire. Ron Weasley ressemblait très fort à ses frères. Il dégageait toutefois une espièglerie qu'elle ne retrouvait chez aucun d'eux, si ce n'était son fils qui avait repris ses tics, ses sourires en coin et la lueur de malice dans le fond de ses yeux. La petite-fille et le grand-père partageaient toutefois un trait de caractère: celui de la susceptibilité. Elle grommelait comme lui lorsqu'elle se rendait compte trop tard qu'elle avait bougé la mauvaise pièce, et ce détail faisait lever la commissure de ses lèvres avec une expression attendrie.

— Tu m'as l'air perplexe, dit-il encore. Quelque chose te tracasse?

— Est-ce que si je te pose une question, tu me promets de me répondre sincèrement?

Ron eut un instant d'hésitation. Bien vite, il reprit son éternel bonne humeur et avança l'un de ses pions.

— Ça promet… Mais je te le promets, rit-il.

Il lui lança un clin d'œil insistant pour vérifier qu'elle avait saisi son jeu de mot. Morgane le contempla, sceptique.

— On dirait ta grand-mère… Elle non plus n'est pas friande de mes jeux de mots. Mais vas-y, je t'écoute.

— Est-ce que tu apprécies Scorpius Malefoy?

Le cavalier, tenu par le sorcier, se suspendit dans les airs. Il prit une courte pause pour digérer la question. Puis, il reposa la pièce avec soin, pesant chacun de ses mots dans les secondes qu'il prit pour jouer en silence. Ensuite, il croisa les mains et son visage s'assombrit aussitôt.

— Si tu veux tout savoir, au début, répondit-il, je ne l'aimais pas. Mais ce n'est pas vraiment de sa faute, il était le fils de l'un de mes pires ennemis quand j'étais à Poudlard.

— Qui est-ce?

— Ton…ton autre grand-père, si je puis dire. Drago Malefoy. C'était une véritable petite fouine, (curieusement, il se mit à rire), un mangemort aussi, tout comme l'était son père, Lucius…

— Je l'ai rencontré, dit Morgane. Avec…Arthur avant qu'ils ne…

Elle s'interrompit, ses yeux rivés sur le roi noir sur sa partie d'échiquier. La forme et la couleur lui rappelèrent, d'une manière saisissante, l'allure sombre de Lancelot qui se présenta à eux à Azkaban. Elle se souvenait encore de la voix suppliante de son arrière-grand-père alors qu'il tentait de ramener son petit-fils à la raison. Le craquement de sa nuque brisée lui revint en tête, tel un coup de tonnerre tonitruant dans son esprit.

— Scorpius n'était pas comme sa famille, continua Ron. Il venait d'une famille de "sang-pur", de sorciers qui se mariaient essentiellement entre eux, expliqua-t-il en voyant l'air interrogateur de sa petite-fille. Pourtant ce petit freluquet préférait traîner avec des moldus. Il les connaissait sur le bout des doigts et il adoptait chacune de leurs coutumes juste pour agacer son père.

— Mais il a épousé une sorcière…?

Ron poussa un profond soupir. Ses rides sur son front se creusèrent et ses sourcils broussailleux se froncèrent sous son regard d'acier.

— Il faut croire qu'il l'aimait assez pour renier ses principes…

— Tu étais contre leur mariage? demande Morgane d'une petite voix.

La jeune fille voyait bien que ses questions faisaient remonter des souvenirs douloureux à son grand-père mais elle mourrait d'envie d'en connaître chaque réponse. Ron lui parlait sans détour et cela lui plaisait.

— Évidemment! s'exclama-t-il d'une voix bourrue. J'aurai préféré n'importe qui plutôt qu'un Malefoy, par Merlin ! Mais je dois bien l'admettre qu'il l'aimait, au point de tout risquer pour la retrouver. Et Rose devait bien l'aimer pour une bonne raison aussi, bien que cela me dépasse encore aujourd'hui. Je lui suis toutefois sincèrement reconnaissant pour une chose…

— Quoi?

Il lui adressa encore un de ses sourires énigmatiques.

— Toi, évidemment. Sans lui, tu ne serais pas là.

Malgré la sincérité de son grand-père, cela n'aida en rien Morgane. Elle était d'autant plus perdue. Elle ne savait si elle devait être fière d'appartenir à la famille de Scorpius Malefoy ou au contraire, d'en rougir. Bientôt, toutes ses interrogations prirent d'autant plus d'ampleur et d'angoisse. Molly vint à la rencontre de ses petits-cousins pour leur annoncer une grande nouvelle.

— Ça y est! s'exclama-t-elle. C'est décidé!

— Qu'est-ce qui est décidé? demanda Harry la bouche pleine de petits gâteaux concoctés par Luna.

— Deux choses et l'une vous concerne. Premièrement, la date des combats a enfin été fixée. Cela se passera dans quatre jours, pour la prochaine pleine lune.

— Et la deuxième? demanda Morgane anxieuse.

Molly attendit quelques secondes pour l'effet dramatique. Morgane eut envie de lui balancer l'un des muffins d'Harry à la figure. Comme elle était plus grande et plus musclée et qu'elle ne pouvait décidément pas jeter un sort à sa cousine, elle s'abstint.

— Vous allez à la Tour blanche avec Scorpius Malefoy. Liam a fini par céder. Vous partirez avant nous, pour vous permettre de trouver une bonne position pour entrer dans la Tour.

— Oh…, lâcha Harry.

Il étudia le profil de sa cousine, tout à coup très silencieuse.

— C'est pas génial? s'extasia Molly.

— Si, si…, murmura Morgane.

— J'ai trop hâte de tester les machines de Sofia et d'Hugo sur le champ de bataille. Les miliciens n'ont qu'à bien se tenir! Mais avant, on va fêter ça comme il se doit. Vous êtes partant pour de la bière de gobelins? Ah! Ben non…vous êtes encore des enfants. Quel dommage…

Elle se désintéressa très vite d'eux pour héler un centaure qui traversait la galerie. Harry observa encore sa cousine qui n'avait plus rien dit. Il savait, d'un seul coup d'œil, que quelque chose n'allait pas et connaissait la cause de sa soudaine déprime.

— Ça va aller? demanda-t-il sur un ton prudent.

Elle acquiesça.

— Il faudra bien…

— T'inquiète pas! assura Harry. Si jamais il fait quoique ce soit de bizarre, je me transforme en loup et je lui arrache la tête!

Morgane laissa échapper un rictus. Elle lui sourit pour le remercier mais doutât, malgré sa puissance, qu'il puisse un jour égaler Scorpius Malefoy. De toute façon, ce n'était pas ce qui l'inquiétait le plus. Avec la magie qu'elle avait développée grâce à l'enseignement de leur maître, elle n'avait plus peur d'affronter qui que ce soit, si ce n'était son ennemi originel. Elle avait plutôt peur de se retrouver en tête à tête avec celui qui lui avait donné la vie. Elle avait peur de devenir comme Ron, comme Ginny, comme Albus et tous les autres.

Elle craignait de commencer à l'apprécier.

OoO

Molly avait vu les choses en grand.

La jeune femme avait toujours entendu dire, de la bouche de ses collègues, techniciens comme soldats, qu'une bonne veille de combat se préparait avec minutie et se célébrait comme il se doit. De fait, le branle-bas était achevé. Les troupes étaient entraînées, rassemblées, formées en escadron. Les soldats moldus étaient armés, leurs fusils lustrés et nettoyés, leurs munitions rangées le long de leur ceinture. Les casques étaient visés sur les têtes et les armures blindées. Les créatures n'étaient pas en reste. Durant des jours, ils continuèrent à s'exercer au combat. Les centaures parcouraient de longs kilomètres au galop, munis d'arcs et de flèches. Les gobelins patrouillaient les environs de leurs lances et n'acceptaient de rendre compte qu'à Liam. Les machines étaient huilées, la science prête à faire des étincelles. Sofia sortait de temps en temps de son laboratoire, lessivée mais heureuse et surtout satisfaite de son travail. Tout était fin prêt. Il ne restait plus qu'à boire et à chanter.

Molly s'aida de nombreux soldats pour organiser la fête. Ils décorèrent la vaste grotte principale, là où ils prenaient d'ordinaire leur repas, pour lui donner une ambiance plus chaleureuse. Les militaires moldus accrochèrent des lampions aux murs de granit. Des braseros furent dispersés un peu partout. De longues bougies brillaient sur les tables de bois et de grandes guirlandes lumineuses traversaient la salle de part en part. D'un lieu sombre et quelque peu lugubre, ils découvrirent une grotte sémillante, baignée d'une lumière douce. Molly dénicha un vieil homme capable de jouer du violon et un autre de la guitare. Dieu seul savait comment elle avait pu trouver ces instruments mais elle réussit à monter un petit orchestre pour garantir le fond sonore.

Encouragé par les troupes et les sorciers, le général Riggs avait fermé les yeux sur ce relâchement de la discipline qu'il avait instauré depuis de longues années. Dans son regard, chacun pouvait discerner cette lueur fébrile d'un homme sur le point de mettre sa vie en jeu, comme tout un chacun en ce moment décisif. Il leva les lois sur le rationnement et autorisa les cuisines à préparer un véritable festin pour les futurs combattants.

Alors qu'ils ne se nourrissaient, d'ordinaire, que d'une bouillie infâme et d'un morceau de pain, ils eurent droit à plusieurs rôtis, des pommes de terre au beurre, persillées, un assortiment de légumes cuits au four, dont l'arôme avait envahi toutes les galeries, ameutant les estomacs affamés.

Tous entrèrent avec des regards ébahis pour un lieu qui ne leur avait inspiré que de l'angoisse et de la tension. Morgane et Harry pénétrèrent dans la salle, émerveillés, sous les grands sourires de Molly, très fière de sa décoration. Les soldats s'éparpillèrent entre les tables, droit vers les premiers mets disposés sur des nappes de fortune. Les rares créatures à oser se mêler aux hommes sautèrent sur leur siège, lorgnant les baies et les fruits alléchants. Puis, alors que les premières notes de musique s'élevèrent dans la grotte, les sorciers firent leur entrée.

Ce soir, chaque communauté était mélangée. Le soldat trinquait avec le gobelin. Le sorcier discutait avec rires et gentillesses avec des militaires. Morgane prit une assiette, suivie de près par son cousin qui la remplit à ras bord. Ils s'installèrent un peu à l'écart pour contempler ce spectacle extraordinaire. L'élue était émue par cette mixité. Elle n'avait pourtant jamais connu le secret magique, n'avait jamais vécu le mépris des sorciers envers de sous-race indigne de leur gouvernement. Et pourtant, aujourd'hui, alors que l'heure était aussi grave, les cinq races étaient à nouveau réunis comme au temps de Merlin. Son rêve était presque pleinement accompli.

Après le repas, les convives décidèrent qu'il était temps de danser. Molly entraîna sa sœur, considérée comme trop austère, sur la piste. Elle l'attira dans les bras d'un militaire du même âge qui rougit en lui prenant la main. Ron invita Luna le temps d'une danse. Bill et Victoire les imitèrent. Morgane s'empêcha d'éclater de rire lorsqu'elle vit Albus tenter des pas de danse en compagnie de Sofia et de sa sœur. Teddy discutait avec Liam avec animation. Neville souriait à qui croisait son regard, comme s'il revivait après de longues années de souffrance.

Morgane les observa un long moment, son assiette sur les genoux. Elle comprit que ce qu'elle contemplait était la famille dont elle avait toujours rêvé. C'était ainsi que cela aurait toujours dû être. Une famille unie, riant, discutant, s'esclaffant, dansant, souriant, sans aucun malheur, sans aucune larme, sans aucune blessure qui ne pourrait jamais se cicatriser. Sans l'ombre des morts qui hantaient leurs cauchemars et chacun de leurs décisions. Elle pensa à ce qu'il lui restait à faire, à la baguette dans sa poche, toujours aussi puissante et menaçante. Si elle réussissait, elle n'aurait plus l'occasion de les voir ainsi. Elle ne pourrait plus contempler leur sourire, leur mine ravie, leur tendresse et leur amour. Morgane sut qu'elle devait en profiter tant qu'il en était encore temps. En son for intérieur, elle eut un regret, faible car elle comprenait que si elle n'agissait pas, tout cet amour s'éteindrait dans les ténèbres de son ennemi.

Elle ne craignait pas la mort. Elle ne se lamentait pas de son sacrifice. Elle était heureuse et honorée d'avoir l'occasion de protéger une famille si extraordinaire que la sienne.

Son regard se posa sur sa grand-mère. Hermione Weasley ne s'était pas encore levée pour quelques pas de danse, malgré les encouragements de ses neveux et nièces. La vieille sorcière restait assise à sa table, un verre de vin dans la main, les yeux rêveurs. Morgane était seule, elle aussi. Harry était parti rejoindre Molly pour un défi de danse et il était en train de perdre lamentablement avec une tentative navrante d'un saut périlleux arrière. Morgane se leva pour aller la rejoindre.

— Oh! Quelle charmante surprise, sourit Hermione en la voyant s'asseoir à ses côtés. Tu viens me tenir compagnie?

Morgane acquiesça. Elle s'installa et les deux parentes se laissèrent bercer par la musique et les gestes hypnotisants de Ron qui voulait encore paraître jeune avec un déhanché précaire.

— Regarde ton grand-père! Dit-elle avec un petit rire. Il va se faire mal ce grand nigaud!

Les lèvres de Morgane esquissèrent un sourire. Elle n'avait plus vraiment le cœur à la fête car malgré elle, toutes ses pensées étaient à présent tournées vers les combats de demain. Elle contempla le magnifique profil de la sorcière à ses côtés.

— Ce n'est pas ta première guerre, dit brusquement Morgane.

— Non, en effet. J'espère que celle-ci est la dernière. Je pense que j'ai mérité ma retraite.

— Est-ce que tu avais peur? Je veux dire…quand tu étais jeune et que tu as dû affronter Voldemort?

Hermione posa son verre et se tourna vers sa petite-fille, le regard brillant et intelligent. Elle lui souriait mais son expression n'était pas dupe de la question innocente que venait de lui poser la jeune fille.

— Oui, répondit-elle sincèrement. Mais je n'étais pas seule. J'avais ton grand-père près de moi et Harry…

— Est-ce que c'est vrai qu'il s'est sacrifié? demanda Morgane.

— Pendant un court instant, il était mort. J'ai encore du mal à comprendre comment il a réussi à revenir.

— Tu t'en es douté? Tu savais qu'il devait se donner la mort pour tous vous sauver?

La sorcière garda le silence. Elle but une gorgée, fixa la piste de danse dont l'énergie était tout à fait autre que ses vieux tristes souvenirs.

— J'en avais une petite idée. Je ne voulais pas l'admettre parce que Harry était mon meilleur ami. Je ne voulais pas croire qu'il faille lui dire au revoir pour terminer ce cauchemar. Je pense que je ne lui ai rien dit, à l'époque, parce que je savais qu'il n'y avait pas d'autres solutions.

— Tu l'aurais empêché si tu l'avais su?

— Peut-être, répondit-elle hésitante. Oui, sûrement. C'est pour cela qu'il ne nous a rien dit et c'est pour cela que je ne lui ai jamais parlé de mes craintes.

Morgane digéra ses paroles. Elle se demanda soudain si sa grand-mère avait deviné ses intentions. Si c'était bien le cas, la persuaderait-elle d'y renoncer ou garderait-elle le silence car elle savait pertinemment que rien ne permettrait leur salut sans ce terrible sacrifice? Elle n'osa plus lui poser de questions à ce sujet, de peur d'en connaître la réponse. Morgane dépérissait à vue d'œil. Au fond de son cœur, la seule personne au courant lui manquait terriblement. Elle n'osa prononcer son nom, même dans son esprit.

— Il me manque, dit tout à coup Hermione. Harry était un ami exceptionnel. Il me manque, tout comme Rose et les autres que nous avons perdus.

Elle se tourna vers la jeune fille et celle-ci remarqua les larmes dans ses yeux marrons. Hermione s'empressa de les essuyer avec un faible sourire.

— Excuse-moi, rit-elle à moitié. Cette fête me rappelle tant de souvenirs. J'aurai tant aimé qu'ils soient tous là, avec nous.

Elle caressa une mèche rousse qui bouclait sur la joue de sa petite-fille.

— Tu lui ressembles tant. Tu es le portrait de ta mère. Rose t'aurait tant aimé.

— Comment était-elle? demanda Morgane.

— Tu sais, Hugo avait l'habitude de s'attirer un tas d'ennuis. Un jour, alors qu'ils devaient prendre le train pour aller à Poudlard. Des élèves de Serdaigle, plus grand que lui, lui ont reproché de les avoir ridiculisés en cours. Ils l'ont houspillé sur le quai. Ils étaient trop loin pour que Ron et moi ne les remarquons. Mais Rose…elle les a vus. Elle ne portait pas son petit frère dans son cœur. Mais elle est venue le sauver. Elle a bousculé les deux élèves et a sorti sa baguette en leur promettant de les transformer en cochons, même si elle devait se faire renvoyer de l'école pour ça.

— Pourquoi elle se serait faite renvoyée? s'étonna Morgane.

Hermione eut un petit rire.

— Il est interdit d'user de la magie en dehors de l'école. C'était le règlement de Poudlard. Tout a bien changé maintenant.

— Est-ce que c'était une sorcière puissante?

— Très! rit Hermione. Même si elle en doutait souvent. Ce n'est pas pour rien qu'elle a été choisie par un griffon, tout comme toi.

— J'aurai tant aimé la connaître, lâcha Morgane sur un ton attristé. Est-ce qu'elle a combattu Merlin? Et est-ce qu'elle a eu peur en le rencontrant?

Hermione ne dit mot. Toujours avec son petit sourire énigmatique, elle reprit une gorgée de son breuvage et claqua sa langue sur son palet. Sur la piste, Charlie tenta de soulever Harry qui gesticulait dans tous les sens. Un peu plus loin, ses deux pères dansaient, enlacés.

— Tu sais à qui tu devrais poser toutes tes questions?

— À grand-père Ron?

— Non, je pense qu'il est un peu occupé en ce moment.

Ron avait délaissé la piste de danse pour s'asseoir aux côtés de Chapman, pour une fois de bonne humeur. Ils se disputaient les chopines de bières, clamant haut et fort à quel point ils avaient la meilleure descente d'alcool encore jamais vue. Chapman tanguait sur son tabouret, de la mousse lui dégoulinant sur son visage buriné, tandis que le long nez fin de son grand-père restait englouti dans sa choppe, trop ivre pour avoir la force de le lever.

— Tu devrais en parler à quelqu'un qui l'a bien connu, continua Hermione.

— Qui? Quelqu'un de la famille?

— Pas exactement, répondit-elle d'un ton mystérieux. Quelqu'un qui était auprès d'elle, jour après jour, nuit après nuit, jusqu'à ta naissance…

Le visage de Morgane s'éclaira soudain. Aussitôt, il s'assombrit. Elle réfléchit, son regard plongé dans celui de sa grand-mère qui n'osait prononcer le nom de celui qu'elle avait en tête. Encouragée par le petit sourire d'Hermione, ainsi que par sa bienveillance et sa confiance, Morgane opina, bien qu'encore très sceptique.

— Vas-y, insista Hermione. Je te couvre.

Ayant pris sa décision, Morgane se leva avec un dernier regard pour sa famille et spécialement pour son père. Celui-ci ne remarqua pas son départ et lorsqu'il tourna la tête dans sa direction, Morgane avait déjà disparu.

OoO

Le site bêta n'avait pas été pensé pour de futurs incarcérations. Les moldus s'étaient pourtant fort bien débrouillés pour mettre au fer l'un des criminels les plus célèbres de leurs pays. Ce n'était pas Merlin qui reposait entre leur mur mais un chevalier assez puissant pour qu'ils fassent l'effort de l'enfermer comme il se doit.

Morgane eut beaucoup de mal à retrouver l'endroit. Elle eut fort heureusement la chance que toute la base soit dans un esprit festif. La discipline s'était quelque peu relâchée et les gardes s'étaient dispersés dans les galeries, ivres, heureux et peu soucieux de la dégaine de l'élue, pas plus grande qu'une simple adolescente. D'ordinaire, celle-ci aurait été arrêtée dès qu'elle eut tourné dans la mauvaise galerie. Ce soir, elle put vadrouiller à sa guise et s'enfoncer plus profond dans le réseau de pierre de la base rebelle.

Au bout d'un certain temps qu'il lui parut trop long pour une jeune fille impatiente, elle déboucha enfin sur la cellule de leur unique prisonnier. Les techniciens moldus avaient forgés des barreaux métalliques et les avaient encastrés dans la roche et le calcaire. Morgane savait pertinemment à quel point cette protection ne servait à rien face au grand chevalier. À Grimstone, les liens magiques baignés de la puissance des créatures permettaient de museler la force de Lancelot. Ici, s'il en avait le désir, il lui suffisait d'un coup bien placé pour se libérer aisément. Pourtant, Scorpius Malefoy ne bougeait pas. Il demeurait tranquille et calme, assis sur la pierre, les mains et les pieds liées par de grosses chaînes de métal blanc.

Il ne réagit pas lorsqu'il entendit les pas du nouveau venu. Son visage ne s'éclaira que lorsqu'il vit celui de sa visiteuse. Il ne fit pas le moindre geste, se contentant de la regarder, curieux et content qu'elle daigne se présenter à lui. Les yeux de Morgane glissèrent sur la grille, ses chaînes, les anneaux fixés aux murs, le seau dans un coin, les gamelles entassées dans l'autre. Elle repensa à sa propre captivité à Azkaban. Elle n'en gardait pas un merveilleux souvenir.

— J'ai l'habitude, dit-il, comme s'il avait lu ses pensées.

Il avait un petit sourire au coin, impertinent et amusant à la fois. À sa grande surprise, Morgane s'assit en face de lui, à sa hauteur. Elle se sentait plus à l'aise que lors de sa première visite.

— Qu'est-ce que tu fais là? demanda-t-il. Liam sait que tu es ici?

— Je suis venue vous poser des questions sur ma mère.

Scorpius se raidit. Son expression surprise la dévisagea une seconde avec appréhension. Puis, il acquiesça.

— Qu'est-ce que tu veux savoir?

— Est-ce que vous l'aimiez?

Il laissa échapper un petit rictus.

— Plus que tout au monde, répondit-il sans hésiter.

— Et elle? Elle vous aimait?

— Tu es née de notre amour, Morgane, insista Scorpius. Il n'aurait jamais pu en être autrement. Je n'ai jamais forcé ta mère à faire quoique ce soit. C'était plutôt l'inverse, marmonna-t-il.

Morgane se sentit coupable. Au fond d'elle, la jeune fille espérait peut-être ternir la relation de ses parents biologiques. Elle cherchait, malgré elle, à repousser Scorpius Malefoy de ses liens du sang ou de la vision qu'elle avait de Rose Weasley. Toutefois, Scorpius paraissait sincère et son amour aussi lorsqu'il évoquait son souvenir. Ils partageaient au moins ceci: le manque de la femme et mère qui avait marqué leur vie à tout jamais.

— Comment vous êtes-vous rencontrés? demanda Rose.

Le regard de Scorpius se voila un instant. Il replongea dans ses souvenirs, tristes et heureux à la fois. Un nouveau souvenir amusé s'esquissa sur ses lèvres.

— Je la connais depuis nos onze ans, commença-t-il. Je l'ai rencontré dans le train pour Poudlard. Mais on a été envoyés dans des maisons différentes. J'étais à Serpentard avec Albus et Rose était à Gryffondor. Comme elle restait la cousine d'Albus, on s'est un peu côtoyé, mais sans plus. Et puis, en dernière année, je l'ai sauvée.

— Sauvée de quoi? demanda Morgane captivée.

Scorpius hésita. Il avait une envie d'éclater de rire et en même temps, se sentait mal à l'aise de confier cet événement. Il triturait les maillons de ses chaînes dans un cliquetis discrets.

— Rose était amoureuse d'un Poufsouffle qui l'a fait tourner en bourrique. Elle est montée à la tour d'Astronomie pour… Et bien…hum. Elle était jeune et stupide, il ne faut pas l'oublier. On l'était tous à cet âge.

Les sourcils de Morgane se froncèrent tandis qu'elle digérait ces informations. Sa mère était amoureuse d'un élève de Poufsouffle. Cela lui rappelait quelque chose. Son esprit lui souffla la phrase pernicieuse: "telle mère, telle fille!". Elle la rejeta en bloc ainsi que le souvenir d'elle en train d'hurler à Maximus de monter sur Raymar, au sommet de la tour d'Astronomie. Son expression et son regard sombre la troubla un instant avant de se concentrer sur le chevalier qui continuait à parler.

— Cet incident nous a rapproché, Rose et moi. Je suis tombé amoureux d'elle le premier. J'ai souffert, beaucoup souffert avec ta mère. Elle est…était très têtue dans son genre.

— Elle vous a rejeté…, comprit Morgane.

— Plusieurs fois, sourit-il.

Elle se surprit à sourire à son tour. Morgane discernait l'amusement et le bonheur du prisonnier à évoquer ses vieux souvenirs avec sa fille et celle-ci devait bien admettre que cela lui plaisait aussi. Elle aimait l'image de sa mère qui se construisait au fil de ses paroles, pour la rendre plus humaine, pleine de défauts et de qualités et surtout plus accessible.

— Et une fois, elle a eu le culot de m'avouer son amour pour me quitter au milieu d'une gare pleine de moldus.

Morgane réprima un éclat de rire en imaginant l'air penaud de Lancelot dont l'orgueil aurait été réduit à néant par une petite bonne femme rousse d'une simple parole et d'un claquement de doigt. Scorpius eut un rire plus amer.

— Qu'est-ce qui l'a décidé à vous épouser? demanda Morgane une fois calmée.

L'ambiance se ternit quelque peu. Morgane devina la mine tout à coup sombre du chevalier. Scorpius renifla, de tous autres souvenirs jaillissaient dans sa mémoire malmenée. Des souvenirs qu'il aurait préféré oublier à tout jamais.

— À l'époque, nous combattions Merlin. Enfin…, on tentait lamentablement de comprendre ses plans. Rose et moi avions traversé beaucoup d'épreuves. Nous nous sommes retrouvés à la mort de James…

Il se tut et Morgane retint son souffle. Si sa grand-mère disait vrai, c'était lui qui avait achevé la vie de son oncle. C'était Scorpius qui l'avait tué. Elle vit l'homme baisser le regard, se frotter le nez avec un léger tremblement. Harry avait raison, songea-t-elle, elle n'aimerait pour rien au monde se retrouver dans sa tête.

— Nous avons été heureux pendant neuf mois, ajouta-t-il avec un faible sourire. Neuf mois de paix précaire où nous n'étions que tous les trois…

Il la regarda droit dans les yeux et la gêne envahit tout à coup Morgane. Dans ce silence, elle comprit le profond regret de son géniteur dans ces quelques mois qui auraient pu être la promesse d'une vie de famille heureuse. Elle baissa les yeux car elle eut mauvaise conscience de comprendre son ressenti. Elle avait déjà une vie de famille heureuse, sans lui. Morgane préféra changer de sujet.

— On m'a parlé de la prophétie qui annonçait ma naissance mais aussi la mort de ma mère. Je me demandais… Est-ce que…est-ce qu'elle a regretté…quand elle a su que j'étais là?

— Pas un seul instant, répondit-il aussitôt.

Scorpius était sorti de l'ombre de sa cellule pour s'approcher des barreaux. Le ton qu'il avait pris pour lui répondre était si tendre, si sincère que Morgane eut beaucoup de mal à retenir ses larmes. Cette question l'avait beaucoup tourmentée depuis qu'elle avait appris l'existence de cette prophétie.

— Est-ce qu'elle avait peur de…?

Elle n'osa pas finir la fin de sa phrase, trop inquiète par la réponse. Scorpius nia doucement de la tête. Il lui adressait un léger sourire.

— Elle avait surtout peur de ne jamais avoir l'occasion de te connaître.

Le cœur de Morgane se serra. Elle prit une grande inspiration pour empêcher ses lèvres de trembler.

— C'est elle qui a choisi ton prénom, ajouta-t-il.

— C'est vrai?

— Je croyais que comme tous mes ancêtres avant moi, tu ne pouvais être qu'un garçon. Les Malefoys ont toujours des fils. Rose était la seule à croire que tu serais une fille. Je crois qu'elle le sentait. Liam lui a expliqué que d'après la légende, c'est la fée Morgane qui a réussi à vaincre Merlin. Elle voulait que tu portes le nom d'une femme qui aurait inspiré ta quête. Elle savait que tu serais à la hauteur et que tu serais assez forte pour te dresser contre lui.

Morgane retint son souffle. Scorpius se tenait maintenant presque pressé contre la grille. S'il tendait le bras, il aurait peut-être l'espoir de lui prendre la main si elle y consentait. Mais Morgane se tenait toujours à bonne distance, toujours méfiante, toujours gênée mais revigorée par ses paroles.

— Tu t'appelles Morgane car nous savions, tous les deux, que tu réussiras là où nous avions échoué.

— Je vais essayer, répondit-elle d'une petite voix.

La tristesse et les regrets la rattrapèrent tout à coup. Que dirais le grand Lancelot s'il savait que l'élue, et sa fille biologique, ait reçu pour mission de se sacrifier pour ramener la magie aux sorciers? Il répondit à nouveau comme s'il avait la faculté à lire ses pensées.

— Je sais que je n'en ai pas le droit. Mais je tiens à te dire, avant la fin, que je t'aime comme ta mère aurait pu t'aimer si elle était encore parmi nous. Que nous sommes fiers de toi, quoique tu fasses…

Il la sondait de son regard pénétrant et Morgane y pressentit encore toute sa sincérité. Ses paroles la touchèrent en plein cœur et elle se leva précipitamment pour qu'il ne remarque pas ses yeux humides.

— Je dois y aller…

Il ne dit rien car il n'avait rien d'autre à ajouter. Morgane aurait aimé ne plus le revoir de sa vie mais elle savait qu'ils allaient se revoir le lendemain. Elle y penserait dans son lit, lorsqu'elle aurait digéré tout ce qu'il lui avait déclaré. Elle sortit pour le laisser seul et sa voix résonnait dans son esprit à chaque pas qui l'éloignait de son père.