59
LE PÈLERINAGE DE LA TOUR BLANCHE
Cette nuit-là, Scorpius Malefoy ne parvint pas à trouver le sommeil.
Il n'avait parlé que très peu de temps avec Morgane, sans reproches, sans culpabilité, sans l'ombre de Lancelot sur eux. Ces quelques minutes avaient été les plus belles de sa vie depuis longtemps. Elle l'avait écouté lui parler de sa mère. Ils avaient évoqué ensemble le souvenir de Rose. Il avait l'horrible impression d'avoir rêvé ce moment, tant cet échange était si merveilleux à ses yeux. Elle était partie, aussi vite qu'elle n'était venue et Scorpius s'était remémorée chacune de ses expressions pour les graver dans sa mémoire, à jamais.
Les militaires étaient venus le chercher aux aurores. À vrai dire, il ne dormait pas. Il ne dormait plus depuis longtemps. Les soldats étaient en tenue de combat, casque sur la tête, treillis couleur des bois, hautes chaussures lacées et surtout la mitraillette sanglée sur leur torse et prête à leur service au moindre geste brusque. Trois hommes avaient été envoyés par le général pour escorter le chevalier le plus dangereux au monde. Ron Weasley les accompagnait, seul visage familier parmi ces regards hostiles. Scorpius se remémora son premier départ pour Azkaban. À cette époque, Ron avait moins de rides, semblait plus grand et ses cheveux avaient encore des reflets roux caractéristiques de sa famille. Aujourd'hui, il lui semblait plus amical. Son expression revancharde s'était muée en une pitié tendre et Scorpius ne savait ce qu'il préférait au fond.
— C'est l'heure, annonça-t-il.
Les soldats n'attendirent pas qu'il daigne se lever. Ils le soulevèrent par les aisselles et le troisième s'activa sur le cadenas qui enfermait ses chaînes. Scorpius attendit patiemment, son regard rivé dans celui du grand-père de sa fille. Il n'avait pas besoin d'explication. Le général Riggs lui avait expliqué en long, en large et en travers ce qu'ils attendaient de lui. Scorpius n'avait écouté qu'à moitié, resté bloqué sur l'annonce qu'il allait devoir escorter sa fille jusqu'à la Tour Blanche. Une journée entière en tête à tête, des heures sans l'ombre de Liam pour le repousser, une chance pour lui d'apprendre à mieux la connaître.
Il avait trouvé l'idée du général stupide. Scorpius savait qu'il n'en avait pas le droit, mais il se demande comment et pourquoi Liam autorisait ainsi Morgane à se rendre dans un endroit aussi dangereux. Albus lui avait parlé de source, d'une vieille magie qui réparerait tout. Scorpius avait écouté distraitement. Il en avait assez de ces histoires. Il en avait assez payé le prix. Toutefois, il n'allait pas cracher sur des jours entiers passés avec sa fille. Alors, même s'il avait eu envie de casser la figure du général, envoyer chier Liam et Albus, prendre Morgane par la main et s'enfuir très loin avec sa fille, il avait acquiescé. Une pensée pernicieuse lui avait soufflé de tenter la fuite lorsqu'ils seraient assez loin de la base rebelle. Rien ne serait plus facile pour lui d'éviter la rébellion ainsi que les chevaliers pour prendre un nouveau départ. Il ignorait si Morgane serait partante mais cette possibilité faisait gonfler sa poitrine d'un fol espoir.
Une fois libéré, il fit craquer ses doigts et ses poignets. Il percevait la méfiance et la peur des militaires moldus car ceux-ci avaient déjà pu entrevoir la véritable puissance d'une chevalier. Scorpius les fixa du coin de l'œil avec un sourire carnassier. Même s'il n'était plus Lancelot, il aimait encore l'effet qu'il produisait sur les autres et la crainte qu'il leur inspirait toujours. Ron n'était pas dupe. Il lui montra la sortie et le chevalier sortit de sa cellule avec la conviction profonde que c'était la dernière fois qu'il sortait d'une cage.
La fête était terminée dans les galeries. Plus de musique, plus de gaieté. Un silence tendu régnait à présent dans les couloirs de pierre. Il ne restait plus que les cliquetis des armes, l'échos des pas cadencés et les murmures concentrés. Les soldats et sorciers s'habillaient, se paraient le visage de peintures de guerre. Les gobelins aiguisaient leurs épées, les centaures remplissaient leurs carquois. Ils émergèrent à la surface et Scorpius cligna les yeux à la lumière naissante du jour.
Un véritable attroupement les y attendait. Scorpius reconnut la famille Weasley, les soldats prêts à partir avec le premier convoi, quelques créatures venues escorter leur roi. Liam et Albus se tenaient non loin de l'entrée. Le regard de Scorpius ignora celui hostile de son rival et tomba plutôt sur Morgane qui n'osa pas soutenir le sien. Sa fille était préparée au voyage. Elle était vêtue d'une veste rouge sombre, d'un jeans et de chaussures de randonnée. Elle portait un sac à dos, couleur boue qu'elle serrait dans ses mains à s'en faire blanchir les jointures. Ses cheveux roux étaient noués en queue-de-cheval. Scorpius sourit; elle ressemblait tant à sa mère.
— Vous êtes prêt? demanda-t-elle.
Elle prenait soin de ne pas croiser son regard.
— Moi, je suis fin prêt! s'exclama une voix derrière lui.
Scorpius fit volte-face et suivit du regard un jeune adolescent aux cheveux aussi blanc que la neige. Il fouilla sa mémoire pour se rappeler où il avait déjà vu cette frimousse débordante d'énergie. Il grimaça avec le souvenir de leur rencontre à Azkaban.
— Tu es Harry, c'est ça? dit-il en le dévisageant. Tu es le fils de Teddy et le cousin de Morgane.
— Ou…oui, monsieur, répondit-il d'une petite voix.
Harry se cacha à moitié derrière sa cousine qui poussa un soupir. Elle leva enfin les yeux vers le chevalier, avec sévérité et Scorpius s'amusa de cette expression si austère.
— Alors? insista-t-elle.
— Je suis prêt, répondit-il avec un demi-sourire.
Elle acquiesça. Scorpius l'observa ensuite faire ses adieux à sa famille. Ses grands-parents la serrèrent dans leurs bras jusqu'à lui faire manquer d'air. Ginny déposa un baiser sur son front et sa tante ébouriffa ses cheveux. Ses cousines la félicitèrent pour ses futurs exploits et elle ignora les regards curieux des soldats, moldus et créatures qui la dévisageaient comme l'élue sur le point de mettre à bas leur ennemi. Morgane garda le meilleur pour la fin. Sous les yeux du chevalier, elle tomba dans les bras de ses pères qu'elle devait abandonner une nouvelle fois.
— Sois prudente, lui souffla Albus.
— Et au moindre doute, tu le fais dormir, murmura Liam assez fort pour que Scorpius puisse l'entendre.
Celui-ci leva les yeux au ciel et ignora le pincement de cœur qui lui étreignit la poitrine lorsqu'il vit les larmes d'émotion perlées dans les yeux de sa fille. Lui n'avait droit qu'à un sourire cordial, quand elle était dans ses bons jours.
— Tu as intérêt à nous revenir en vie! s'exclama Victoire dans son dos en pressant son fils sur sa poitrine.
— Maman! gémit Harry. Tu m'étouffes.
— Allons, ma chérie…, intervint Teddy. Il a connu bien pire.
Mais sa voix était mal assurée et lorsque Harry se tourna vers son père, celui-ci eut du mal à cacher son appréhension.
— Tu feras tout de même attention, lui souffla-t-il en le prenant dans ses bras comme si c'était la dernière fois qu'il en avait l'occasion.
Pressé pour leur toute dernière aventure, Harry acquiesça gravement avant de rejoindre sa cousine, veste de voyage sur le dos, sac sanglé sur leur épaule et le regard décidé. Scorpius eut un sourire en les observant. Ils avaient tout l'air du vieux trio partis à la chasse aux horcruxes. Il espéra que la même destinée victorieuse attendait sa fille.
Chapman hurla ses premiers ordres et les soldats moldus furent les premiers à se mettre en route, au pas cadencé, sous l'œil attentif du général Riggs. Ce fut le signal de Scorpius pour se mettre en route, toujours surveillé par ceux qui ne lui faisaient pas confiance. Un peu gauchement, il s'avança vers les visages familiers sans savoir s'il avait le droit de faire ses propres adieux. Albus fut le premier à marcher vers lui. Il n'eut pas à prononcer le moindre mot ou esquisser le moindre geste. Déjà, le sorcier le prenait dans ses bras.
— Je sais que tu n'as plus beaucoup d'espoir, lui murmura-t-il. Mais s'il te plaît, bats-toi pour revenir en vie.
— Je vais essayer, répondit Scorpius, des trémolos dans la voix.
Les deux amis terminèrent leur accolade par une poignée de main et Scorpius sentit un objet dans leur paume jointe. Lorsqu'il la rouvrit, il eut un rictus en découvrant le paquet de cigarette à moitié entamé.
— Pour la route et lorsque ça se compliquera. Essaie de les faire tenir, je les ai achetées au prix fort à un soldat.
La voix d'Albus était tremblante car cet échange leur rappelait ceux innombrables qu'ils tenaient au sommet de la Tour d'Astronomie, lorsqu'ils étaient encore jeunes, amis et inséparables.
— Ces trucs finiront pas me tuer, réussit à plaisanter Scorpius.
Albus sourit.
— Je te l'ai toujours dit.
Son ami laissa place à Liam et Scorpius fut surpris de le voir se découvrir à lui. L'expression du compagnon d'Albus était loin d'égaler la tendresse de ce dernier. Sans être hostile, Scorpius décelait, chez lui, une méfiance sans nom qui ne l'avait jamais quitté depuis leur toute première rencontre.
— Bonne chance…
Contre toute attente, Liam lui tendit la main et Scorpius l'accepta en guise de bonne foi. Le policier en profita, cependant, pour l'attirer un peu plus près vers lui, la voix beaucoup plus menaçante.
— Prends soin de ma fille…
Ses doigts broyèrent ceux de Scorpius et les deux hommes soutinrent le regard de l'autre. Le chevalier serra à son tour, plus fort, par défi et il osa même lui sourire.
— Comme tu as pris soin de la mienne, souffla-t-il.
Liam le relâcha comme s'il l'avait brûlé. Scorpius regretta aussitôt sa provocation. Il considéra l'homme qui avait éduqué sa fille à sa place durant quinze longues années.
— Je ne te l'ai jamais dit, dit-il tout à coup. Mais merci.
— Je ne l'ai pas fait pour toi.
Il acquiesça. Il ne pouvait s'attendre à mieux. Scorpius le salua une dernière fois puis il se tourna vers Lily qui s'était approchée à son tour. Il l'avait déjà remarqué lorsqu'il l'avait revu à son arrivée dans la base. La petite rouquine surexcitée avait bien changé. La souffrance avait marqué ses traits et il eut la vision nette de cette fameuse nuit où elle aussi avait perdu l'amour de sa vie.
— Tu leur feras payer, n'est-ce-pas? demanda-t-elle.
— Pour Tom et pour Rose…, répondit-il avec un sourire.
Elle tomba dans ses bras et pendant un court instant, il crut retrouver la jeune fille de Poudlard qui l'admirait tant. Lorsqu'elle le relâcha, les parents de Rose se présentèrent à lui. Scorpius les trouva accablés par l'appréhension, la vieillesse et surtout la peur. Leurs regards se tournèrent, un bref moment, vers leur petite-fille.
— J'ai trahi votre confiance, dit-il.
— De quoi parles-tu? s'étonna Ron.
— Je vous avais promis que rien n'arriverait à votre fille.
Sa déclaration surprit le couple de vieux sorciers. Hermione retint ses larmes qui embuèrent ses yeux marrons. Elle eut soudain le plus beau sourire qui soit.
— Tu as réussi à la rendre heureuse, murmura-t-elle. Pour cela, nous te sommes infiniment reconnaissants.
— Ramène-nous notre petite-fille, ajouta Ron.
— Je vous le promets.
Le deuxième convois de soldats se mit en route et les ordres beuglés par Chapman furent le signal du départ du groupe le plus important. Scorpius eut un dernier regard pour Albus qui lui adressa un sourire confiant. Puis, il se dirigea vers les deux adolescents.
Il y eut un bruit d'ailes puis un éclat doré. Raymar se posa derrière Morgane et se redressa de toute sa hauteur. Les spectateurs venus nombreux, essentiellement des moldus, poussèrent des cris de stupeur devant la beauté et la puissance de l'animal. Les yeux mauves du fauve étaient braqués dans ceux de Scorpius. Il n'avait pas l'air d'apprécier l'idée qu'il lui monte dessus. Scorpius aussi appréhendait l'exercice. Lorsque Rose était encore sa maîtresse, elle ne lui avait jamais permis de le chevaucher avec elle.
— Allons-y! dit Morgane sur un ton qu'elle voulut autoritaire.
Elle monta la première, suivie de près par son cousin qui semblait avoir monté un griffon toute sa vie. Scorpius s'installa à l'arrière et perçut le dégoût du lion sous ses doigts. Il craignit qu'il ne l'éjecte à la moindre occasion. La foule se mit à applaudir à tout rompre lorsque la créature étira ses longues ailes blanches. Puis, d'un coup de patte, il prit son envol et l'écho d'une clameur pleine d'espoir suivit leur progression.
OoO
Morgane fixait l'horizon.
Depuis des heures, elle percevait les marmonnages de son griffon dans sa tête. Celui-ci râlait copieusement sur la présence du chevalier posé sur son arrière-train. Plusieurs fois, Morgane dut lui interdire de le jeter par-dessus bord dans un virage un peu serré. Hélas pour la créature, Scorpius s'accrochait bien.
Elle avait cru trouver un allié en la personne de son cousin quant au malaise que leur inspirait la présence du chevalier. Au début de leur vol, Harry se contentait d'étudier la carte, d'indiquer une direction ou l'autre après avoir utilisé le sort pointaunord, muni de sa baguette. Le regard captivé de Scorpius s'était posé sur elle et il lui avait posé une question polie. Harry n'avait pu s'empêcher de répondre, fier de son acquisition et de son propre maniement de la magie. Au départ, ce qui n'était qu'une simple réponse par politesse devint une interminable conversation entre son cousin et son géniteur. Harry lui dévoilait leurs secrets et n'hésitaient pas à l'inonder de détails, trop heureux d'avoir quelqu'un pour écouter ses histoires.
— Quand j'ai mis le Choixpeau sur ma tête, j'avais trop peur qu'il ne m'envoie dans une maison nulle comme les Serpen…
Il s'interrompit gêné.
— Je veux dire… Je voulais vraiment aller chez les Gryffondor.
— Je te comprends, répondit Scorpius. Si j'avais su qu'on pouvait choisir, j'aurais filé chez eux aussi.
— Exactement! se réjouit Harry. Et je n'ai même pas eu à le supplier. Le Choixpeau a à peine frôlé ma tête et aussitôt il a crié "GRYFFONDOR"!
— Et Morgane? demanda-t-il. Où est-elle allée?
Celle-ci les écoutait d'une oreille distraite. Lorsque Scorpius prononça son nom, elle eut le réflexe de tourner légèrement la tête. Le chevalier le remarqua aussitôt et tenta de capter son regard mais elle se redressa immédiatement, sans lui répondre.
— Oh! Elle a demandé à aller chez les Poufsouffle.
— Surprenant… J'aurais cru qu'elle serait envoyée dans la même maison que toi.
— Moi aussi et j'étais drôlement déçu de ne pas être avec elle. Mais plus tellement après que j'ai découvert ce qu'était devenu la maison. Les Gryffondor étaient les pires. Ils ne faisaient que maltraiter les plus faibles. En fin de compte, c'est elle qui a fait le bon choix en allant chez les Poufsouffle. C'est comme ça qu'elle a pu rencontrer Maximus qui nous a aidé à nous évader de Poudlard.
Le cœur de Morgane chavira dans sa poitrine. Raymar grogna au même moment car il perçut immédiatement son trouble. Si elle le pouvait, elle se serait jetée sur son abruti de cousin pour le faire taire.
— Maximus?
— Ouais, continua Harry en se rendant compte de rien. Maximus Wilson! Un Poufsouffle et un double traître. Mais je dois bien avouer qu'il nous a bien aidé.
— Wilson? répéta Scorpius dont le visage s'était soudain assombri.
— Vous le connaissez?
— J'ai connu un Wilson, dans une autre vie. Un fieffé connard, si tu veux mon avis.
Harry éclata de rire et cela fit sourire le chevalier.
— Ça le décrit bien. Figurez-vous qu'il a tenté de faire croire à Morg…
La queue de Raymar fouetta l'air et Scorpius eut le réflexe de l'éviter juste à temps. Harry fut moins réactif, perdu dans ses souvenirs et son discours. La queue du lion lui fouetta la joue telle une gifle cinglante.
— Hey! s'exclama-t-il outré. Raymar! Qu'est-ce qu'il te pre…
Harry s'interrompit car il venait de croiser le regard noir de sa cousine. Il comprit à demi-mots articulés en silence par celle-ci qu'il ferait mieux de se taire dès à présent. Lorsqu'il se tourna à nouveau vers Scorpius, il lui adressa un sourire forcé. Le chevalier n'était pas dupe et il eut beaucoup de mal à cacher son éclat de rire.
— Tout va bien? demanda-t-il.
— Tout va très bien! répondit Harry en exagérant sur le "très".
Pourtant, il portait encore sur la joue la trace du coup que venait de lui asséner le griffon. Harry changea habilement de sujet par des questions sur son homonyme. Scorpius Malefoy ne l'avait que très peu connu. Harry s'abreuvait de chaque anecdote, des plus amusantes aux plus tristes. Morgane connaissait un peu le passé de son géniteur et tandis qu'il discutait avec son cousin, elle remarqua qu'il évitait de s'épancher sur les terribles événements de sa naissance. Il lui racontait plutôt comme il avait déjà vu le grand Harry Potter courir après une petite Lily qui s'était faufilée dans le Poudlard Express pour rejoindre ses frères dans la célèbre école de magie qui lui faisait tant envie.
Malgré elle, Morgane se laissa bercer par sa voix terriblement agréable. Scorpius Malefoy racontait bien et lorsqu'il n'était pas tourmenté par ses péchés, était capable d'inspirer de la gaieté.
— Il est temps de descendre, dit tout à coup le chevalier.
Morgane s'éveilla tout à coup. Elle était si hypnotisée par la voix de Scorpius qu'elle en avait oublié sa mission. La Tour Blanche était visible au loin, tout de même pas assez proche pour tenter une descente. Morgane se tourna vers lui, prête à le rabrouer mais son expression l'en dissuada. Il avait perdu toute légèreté et durant une seconde, elle retrouva le visage froid et concentré de Lancelot. Cela la fit frissonner.
— C'est trop dangereux de continuer par la voix des airs. On risque de se faire repérer.
— Il a raison, admit Raymar dans sa tête.
— Très bien, capitula-t-elle.
Le griffon amorça sa descente. Harry rangea sa baguette ainsi que la carte dans son sac. Ils traversèrent la voûte végétale de la forêt et Raymar se posa délicatement sur l'herbe de ce début d'été. L'heure était déjà avancée mais tardait à se coucher. Morgane soupira. Ils leur restaient encore une bonne journée de marche, si n'était plus pour parvenir jusqu'aux abords de la Tour de Merlin.
— Allons-y, fit Scorpius en ouvrant la marche.
Ils ne prenaient pas la direction de la route principale, préférant couper par le sous-bois. Morgane savait pertinemment à quel point il avait raison. Trop souvent, ils avaient eu la malchance de croiser des miliciens, voire pire, sur leurs chemins balisés. Elle dut reconnaître que le chevalier savait ce qu'il faisait et semblait prendre les bonnes décisions. Il marchait d'un pas rapide, précis, silencieux. Tout le contraire de Harry dont la brusquerie faisait craquer la moindre brindille et il se fit fouetter le visage par deux fois. Morgane fermait la marche avec Raymar dont elle savait le regard meurtrier braqué dans le dos du chevalier. Toutefois, elle percevait aussi une émotion contradictoire.
— Tu l'as connu, n'est-ce-pas? demanda-t-elle. Quand il était avec ma mère…
En guise de réponse, Raymar grogna.
— Tu étais dans sa tête, continua-t-elle. Dis-moi pourquoi elle l'aimait.
Il ne répondit pas tout de suite et Morgane sentit son dilemme intérieur. Il ne pouvait pas mentir à sa maîtresse mais la réponse ne le réjouissait guère.
— Malgré la famille qu'elle avait, Rose se sentait très souvent seule. Scorpius Malefoy a été celui qui a posé les yeux sur elle, qui l'a aimé d'un amour infini, uniquement elle, à jamais.
— Elle l'aimait parce qu'il l'aimait? comprit Morgane.
— Elle l'aimait parce qu'il la faisait rire. Parce qu'il ne lui laissait pas la victoire au match de quidditch. Parce qu'elle se sentait forte et épanouie avec lui. Parce qu'il la prenait dans ses bras lorsqu'elle était triste. Parce qu'elle lui faisait confiance et jusqu'à la fin, a toujours tout fait pour la protéger.
L'image de Maximus s'imposa à son esprit et elle la chassa immédiatement. Elle rougit légèrement et devina que Raymar avait capté sa pensée aussi fugace fusse-t-elle. Il garda le silence pour ne pas la mettre mal à l'aise et continua sa route.
Au bout de deux bonnes heures de marche, lorsque la nuit d'été fut tombée, Scorpius stoppa enfin.
— On va camper ici cette nuit.
— Vous êtes sûr? demanda Harry. Ça m'a l'air pas mal exposé. Vous êtes certain qu'on ne se fera pas attaquer dans notre sommeil?
— Tu peux dormir tranquille. Je ne sens aucune magie de milicien ou de chevalier. Nous sommes en sécurité, pour l'instant. Et si ça peut te rassurer, je monterai la garde cette nuit.
Harry fit la moue, peu convaincu qu'un ancien chevalier sanguinaire soit un choix judicieux pour les prévenir de leurs collègues. Mais il était trop éreinté et affamé pour polémiquer. Malgré la fatigue, Scorpius les poussa à monter les tentes tandis qu'il préparait un feu pour le repas et la nuit. Morgane ne pipait pas un mot. Elle boudait dans son coin, agacée de devoir suivre les ordres d'un traître, comme obéirait des enfants à leur père. Elle martela un peu trop fort l'un des piquets et Harry recula d'un pas pour éviter le recul du marteau que brandissait sa cousine.
— Qu'est-ce que tu as? demanda Harry.
— C'est à moi que tu poses la question? gronda-t-elle en lui tournant résolument le dos.
— Ben ouais. T'es énervée, je le vois bien mais je ne comprends pas pourquoi.
— Tu t'es pas dit que c'est bizarre que tu t'entendes si bien avec le type qui nous a torturé à Azkaban?
Elle faisait tourner le marteau au-dessus de sa tête, les yeux écarquillés. Une voix dans son esprit lui souffla qu'elle devait avoir l'air ridicule et un peu folle. Mais la colère l'emporta. Harry se tourna vers Scorpius. Celui-ci agitait la main pour éventer les premières braises, au-dessus de la fumée blanche.
— C'est vrai qu'il me faisait un peu peur au début mais il est plutôt sympa. Tu l'as dit toi-même. Ce n'est pas le même homme.
Morgane leva les yeux au ciel. Elle retourna aux filins de la tente qui avait besoin d'être tendue. Fort heureusement, Liam avait prévu deux tentes: une pour les adolescents, l'autre pour Scorpius. Elle n'aurait pas supporté dormir à proximité du chevalier.
— Tu n'es pas jalouse? demanda soudain Harry.
— Quoi?! s'étrangla Morgane.
— T'es jalouse parce que je m'entends bien avec ton père et toi non.
— Ce n'est pas mon père! s'exclama la jeune fille.
Elle avait parlé un peu trop fort et craignait que Scorpius ne l'entende. Même s'il avait entendu, ce dernier fit semblant d'être bien trop accaparé par le feu pour se soucier d'eux.
— Et je ne suis pas jalouse, dit-elle plus bas.
Harry plissa les yeux de plus en plus sceptique et Morgane eut soudain la furieuse envie de lui gifler l'autre joue.
— Les gosses, venez! les appela Scorpius mettant fin à la tension. Il est temps de manger.
— Je meurs de faim! s'exclama Harry, ravi.
Ils s'installèrent au coin du feu.
Raymar était parti chasser. Morgane percevait sa présence à un bon kilomètre de leur position, prêt à bondir sur un daim innocent. Scorpius leur tendit des gamelles préparées par Ginny pour leur voyage. Harry s'en empara comme le Saint-Graal tandis que Morgane reniflait, peu convaincue, la tambouille, l'estomac dans les talons. Lorsqu'elle leva les yeux, le chevalier se concentra sur son propre repas et un silence de mort planait sur les aventuriers. Le bruit de mastication et du crépitement du feu étaient les seules interférences et Harry n'avait jamais apprécié ces dîners silencieux.
— Hum! se racla-t-il la gorge. Je voulais vous demander. La Tour Blanche…c'est comment à l'intérieur? La déco est sympa?
Scorpius le considéra avec amusement. Morgane prit une première bouchée. C'était délicieux mais elle n'était vraiment pas d'humeur à partager un repas dans de telles circonstances.
— La Tour a été façonnée par Accolon avant qu'il ne meurt. Il ne s'est pas trop concentré sur la décoration mais plutôt sur des pièges mortels pour vaincre d'éventuels intrus.
— Ah.
Le silence retomba. Harry regrettait visiblement d'avoir tenté de détendre l'atmosphère mais cette fois-ci, Morgane fut heureuse qu'il ait enfin posé une bonne question.
— De quels pièges parlez-vous? demanda-t-elle.
Scorpius fut presque surpris qu'elle lui adresse la parole.
— Accolon avait le pouvoir de la matière et même s'il était un lâche, c'était un génie dans son domaine. Chaque étage, chaque pièce, chaque marche de l'escalier blanc peut devenir un piège si Merlin décide que la Tour doit se défendre.
— Et vous n'avez pas pensé à nous en parler avant? s'irrita Morgane.
— J'en ai parlé à la résistance, si ça peut te rassurer. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils m'ont autorisé à t'escorter.
Sa réplique cloua le bec à la jeune fille. Morgane comprenait mieux pourquoi Liam avait finalement capitulé à ce que ce dangereux chevalier les accompagne.
— De quel genre de piège on parle? s'inquiéta tout à coup Harry.
— Le seul qui le savait mis à part Merlin était Accolon et comme je lui ai coupé la tête, je ne suis pas sûr qu'il soit encore capable de nous renseigner.
Il avait tenté une plaisanterie mais le teint d'Harry palit plus vite que les flammes ne montèrent des branchages de leur feu.
— Ne vous inquiétez pas. Je serai avec vous. Il ne vous arrivera rien, promit-il.
— Ça, c'est vous qui le dites, marmonna Morgane.
Seul Harry l'avait entendu et il lui fit les gros yeux, comme pour dire qu'il ne valait mieux pas irriter un homme capable de plaisanter sur une décapitation.
— Vous avez déjà combattu Merlin, je veux dire avant de le servir? demanda Harry pour changer de sujet.
— Une fois, répondit sombrement Scorpius.
— Ah! Et il est fort?
Il ne répondit pas tout de suite. À la place, il prit une autre cuillère de sa gamelle et prit le temps de bien mâcher. Morgane l'étudiait, avide de connaître sa réponse. Après tout, c'était elle qui allait devoir le combattre dans très peu de temps.
— La nuit où je l'ai affronté est aussi la nuit où Harry Potter est mort, se contenta-t-il de dire.
Harry déglutit difficilement. Décidément, les réponses du chevalier n'avait rien d'encourageant.
— Comment est-il?
La question lui avait échappé. Elle dévisagea la seule personne parmi eux, à avoir approcher de près ou même vu de ses yeux le dieu de ce nouveau monde. Scorpius se passa une main dans ses cheveux, nerveux.
— La première fois que je l'ai vu, expliqua-t-il en cherchant ses mots, je n'ai pas compris tout de suite qu'il s'agissait de lui. Il avait l'air d'un homme banal, sympathique, terriblement sympathique. Merlin est ce genre d'homme à ne se dévoiler que lorsqu'il est trop tard pour vous. Il a ce grand talent de savoir pénétrer votre esprit pour le manipuler. Il vous souffle des paroles tentantes, sait ce qui va vous toucher et réussit à retourner la vérité pour qu'elle aille dans son sens. Et je ne vous parle que de sa personnalité.
À mesure qu'il parlait, le visage de Morgane se ferma. Elle détestait la pointe de respect et d'admiration dans sa voix, si proche d'un profond sentiment d'amour-haine. Ses sentiments à son égard oscillaient de l'un à l'autre, témoins des épreuves qu'il avait subi en sa compagnie. Morgane trouva très inquiétant que cet homme, détenteur d'un pouvoir si puissant, puisse être réduit à cela par de simples paroles.
— Il est si fort que ça? posa Harry d'une petite voix.
Scorpius acquiesça.
— C'est le moldu qui a volé la magie aux sorciers. Son sceptre détient la puissance d'une source. Vous n'avez pas idée de ce dont il est capable…
Morgane en avait assez entendu. Elle laissa tomber à ses pieds sa gamelle à peine entamée. Puis, elle se leva et marmonna un "bonne nuit" sans attendre la réaction de ses compagnons. Elle marcha à grand pas vers l'une des tentes, l'esprit confus et la panique bien en éveil dans ses veines.
Lorsqu'elle se faufila dans son duvet, elle se maudit d'avoir posé cette question stupide car elle avait découvert à quel point elle ne voulait pas entendre la réponse. Quelle idée de demander à quel point Merlin était puissant! Quelle idée de découvrir à quel point elle n'avait pas la force et l'intelligence nécessaire pour le battre!
Elle ronchonnait encore lorsque Harry vint la rejoindre bien plus tard.
OoO
Les gamins dormaient depuis plusieurs heures. Scorpius demeurait seul avec la nuit. Il y avait bien Raymar qui était revenu de sa chasse pour toiser le sorcier, une seconde, une reniflement méprisant, et ensuite s'allonger avec un grognement près de la tente de sa maîtresse. Scorpius avait choisi de monter la garde un peu plus à l'écart du campement. De toute façon, le griffon se tenait assez à proximité pour protéger les enfants.
Il s'installa au pied d'un grand arbre presque mort. L'air de ce mois de juillet était lourd, comme si un orage approchait. Malgré la chaleur, il garda son long manteau sur les épaules. Il sortit le paquet offert par Albus, sourit, et alluma sa première cigarette depuis longtemps. C'était aussi la raison pour laquelle il s'était éloigné: il ne voulait pas que Morgane le surprenne en train de fumer. Il ignorait pourquoi le découvrir avec une cigarette en bouche puisse ternir un peu plus l'image qu'elle avait de lui. Pourtant, l'idée qu'elle le contemple ainsi le rendait malade.
Il s'imagina en père, si tout c'était bien passé dans le meilleur des mondes. Il aurait certainement arrêté de fumer ou Rose l'aurait si bien menacé des pires représailles qu'il aurait eu trop peur de sortir son briquet. Son souvenir lui fit un pincement au cœur et il se tortura en l'imaginant mère: Rose avec une petite Morgane de deux ans, des fleurs blanches dans leurs cheveux incandescents. Il voulut chasser ces visions de son esprit pour se concentrer sur sa mission principale, à savoir celle de la protéger de tout danger. Toutefois, alors qu'il se faisait violence pour sonder les moindres sons de la forêt, il ne décelait aucune menace. L'obscurité portait autour de lui les sons d'un bois en plein été, le grésillement des insectes, le battement d'un oiseau et le bruissement des feuillages dérangés par une brise éphémère.
Et à chaque bouffée sur sa cigarette, ses pensées vagabondaient sur Rose.
Il réfléchit aussi à la Tour Blanche et à Merlin. Il ne pouvait l'apercevoir de sa position mais savait qu'elle s'élançait vers les cieux obscurs pour dominer toute la région. Alors qu'il était enfermé dans sa cage, chez les résistants, l'idée de fuir l'avait taraudé. Plus que taraudé, elle lui avait communiqué l'espoir d'un fou. C'était avant de faire ses adieux. Aujourd'hui, il ne pouvait plus reculer. D'une part, il avait cette dette envers la famille Potter-Weasley, ceux qui avaient eu la noblesse d'âme et la force de l'accueillir parmi eux. De l'autre, cette journée le convainquit qu'il ne parviendrait jamais à persuader Morgane de fuir avec lui. Elle était attachée à ses pères, à sa nouvelle famille et à sa mission. S'il devait l'emmener, il lui faudrait l'assommer et lorsqu'elle se réveillerait, elle passerait le restant de ses jours à lui en vouloir.
Quoiqu'il en dise, quoiqu'il souhaite, les dés étaient jetés.
Un léger craquement sur sa gauche attira son attention. Il ne craignit pas une attaque. Les chevaliers avaient d'autres méthodes. Et puis, il avait reconnu le parfum et la démarche de Morgane. La jeune fille s'avançait droit dans sa direction, lui indiquant qu'elle l'avait vu et qu'elle souhaitait le rejoindre. Scorpius n'en croyait pas son bonheur. Une voix sensée, cependant, lui souffla qu'elle pouvait aussi venir le trouver pour régler ses comptes, seuls à seuls.
Scorpius jeta précipitamment sa cigarette tandis qu'elle approchait. L'obscurité ne lui permettait pas de sonder son visage et son expression. Elle sortit sa baguette de sa poche et murmura "Lumos". La lumière vive et argentée lui fit plisser les yeux. Ils s'habituèrent tous les deux à cette soudaine clarté. Puis, Morgane s'assit à côté de lui. Pas trop loin pour qu'il se sente vexé, pas trop près pour lui donner trop d'espoir.
Elle avait l'air fatiguée, taiseuse et tourmentée. Son expression lui rappela la sienne et devina aisément ce qui la tracassait autant.
— Tu n'arrives pas à dormir?
Elle haussa les épaules.
— Vous non plus.
— Moi, c'est différent, répondit-il avec un sourire. Cela fait longtemps que je n'ai pas passé une bonne nuit.
— Pourquoi?
— Parce que je fais des cauchemars.
Elle le considéra un instant, les traits pensifs, à déterminer s'il lui disait la vérité ou pas. Au bout du compte, elle opina.
— Moi aussi, j'en fais beaucoup, souffla-t-elle d'une petite voix.
— De quoi rêves-tu?
Morgane garda le silence, le regard dans le vide. Scorpius la contempla, fasciné et inquiet à la fois. Il n'aimait pas ce qu'elle dégageait en cet instant. Il y reconnaissait sa propre résignation, celle aussi de Rose, à l'époque. Elles avaient toutes les deux en commun le goût de la mort.
— Comment c'était…? commença-t-elle. Comment vous sentiez-vous lorsque vous n'aviez plus le contrôle de votre esprit?
— C'était comme être dans une cage. Une prison dans mon propre corps. Je pouvais tout voir à travers les barreaux. Je pouvais entendre chaque mot prononcé par Lancelot. Je me suis vu faire du mal avec mes poings et ma magie sans pouvoir les retenir. Pendant des années, j'ai hurlé dans le noir sans personne pour m'entendre en retour. Je crois surtout que je me suis senti très seul. Uniquement moi et ma tristesse.
Il se tut, la gorge sèche. Il mourrait d'envie d'allumer une autre cigarette. Il se concentra sur quelque chose de positif pour la faire passer.
— Tout a changé quand je t'ai vue, dit-il les doigts croisés. Keu et Merlin ont cru que tu étais morte avec Rose. Ils n'ont pas pensé à m'ordonner de t'oublier, dit-il avec un sourire en coin. Quand j'ai compris qui tu étais, j'ai trouvé la force de combattre Lancelot. J'avais enfin une arme contre lui. Cela m'a aidé à me souvenir de ta mère, d'Albus et de tous les autres. Et j'ai pu vaincre Keu avant qu'il ne puisse à nouveau m'ensorceler.
— Vous ne m'aviez pas oublié? répéta Morgane, la voix un peu tremblante.
— Jamais, répondit Scorpius. Dans la mort comme dans la vie, tu es ma fille unique.
Il eut le réflexe de lever la main pour caresser ses cheveux mais il se retint au dernier moment. Morgane était pâle ou était-ce la lumière vive de son sort… Elle serra un peu plus sa baguette dans sa main et il ne sut si c'était parce qu'elle rejetait en bloc tout ce qu'il venait de lui déclarer, ou pour autre chose.
— Je sais à peu près ce que vous avez pu ressentir, avoua-t-elle soudain.
— De quoi parles-tu?
— Mo…moi aussi, j'ai laissé quelque chose prendre le contrôle de mon esprit et de mes actes.
Ses yeux étaient humides, ses lèvres tremblantes.
— Je ne pouvais pas en parler à mes parents. Je n'ai pas eu le courage. J'avais peur qu'ils soient déçus de moi. J'ai…j'ai laissé un détraqueur corrompre ma magie. Quand j'étais à Azkaban, je n'avais pas le choix, je me suis défendue. J'ai volé sa magie et je l'ai mélangée à la mienne. J'aurai dû la laisser partir quand je n'en ai plus eu besoin. Je sais que c'était mal mais je l'ai gardée. Je l'ai conservée parce qu'elle me rendait puissante. Et…et je me suis dit…je me suis dit que tel que je suis, je n'étais pas assez puissante pour combattre Merlin. Vous l'avez dit vous-même, il est beaucoup plus fort que tout le monde. Alors, j'ai gardé la magie du détraqueur. Je pensais le battre avec ça mais ça m'a transformé en monstre. J'ai tué aussi. J'ai fait beaucoup de mal.
Elle avait parlé à toute vitesse et de grosses larmes coulaient sur ses joues.
— Tu es encore sous son influence? demanda Scorpius doucement.
Morgane nia de la tête. Elle frotta sa manche sous son nez et renifla bruyamment.
— Harry et…Maximus m'ont aidé à m'en libérer. Mais j'ai peur maintenant. J'ai fait tout ce que je pouvais pour gagner contre lui mais je suis morte de peur à l'idée de ne pas être à la hauteur.
Les larmes coulèrent de plus belle. Morgane éclata en sanglots. Tout à coup, elle n'était plus l'élue destinée à sauver le monde, mais bien une adolescente submergée par des responsabilités qu'elle n'aurait jamais dû connaître aussi tôt. Scorpius ne put résister plus longtemps. Touché en plein cœur par le désarroi de sa fille, il la prit dans ses bras.
Morgane laissa échapper un hoquet surpris. Son étreinte eut au moins le mérite de faire cesser ses pleurs. Elle n'eut pas la moindre réaction, seulement la gêne et son corps se raidit. Scorpius en profita encore un peu. Il tenait sa fille dans ses bras. Il la consolait comme un père. Rien ni personne ne pouvait lui gâcher ce moment.
— Hum! se racla-t-elle la gorge. Merci.
Elle lui tapota l'épaule et Scorpius la relâcha à contrecœur.
— Pardon. Je voulais seulement…Pardon.
— Ça m'a fait du bien d'en parler.
— Je suis étonné que tu te confies à moi.
Scorpius avait sauté sur l'occasion pour l'éloigner le plus possible de la gêne qu'elle avait éprouvée dans ses bras. Il se félicita toutefois d'avoir réussi à la faire sourire à nouveau.
— Moi aussi, répondit-elle. J'ai pensé que vous pouviez me comprendre.
— Tu n'as rien à te reprocher, Morgane.
— Vous en êtes sûr? dit-elle sur un ton dur. Contrairement à vous, j'avais le choix. J'aurai pu abandonner cette magie noire depuis longtemps et pourtant, j'ai choisi de la garder.
— Tu as eu peur…
Elle secoua la tête.
— Vous pensez que c'est génétique? C'est tout de même fou d'avoir commis la même erreur sur deux générations.
— Quatre, la corrigea-t-il avec un sourire amusé. Tu as peut-être raison. C'est certainement le sang des Malefoys maudits qui est en cause. Mais tu as de la chance. Le tien est mélangé à celui des Weasley. Tu vas t'en sortir.
— Peut-être…
Scorpius n'avait pas aimé son ton. Leur échange après leur embrassade ratée avait été léger et amusant. Sa réponse, avant de plonger dans un mutisme étrange, était teintée de regret et de mauvaise augure. Comme si elle connaissait déjà l'issue de la guerre. Il voulut creuser mais Morgane lui adressa un sourire si chaleureux qu'il en oublia toutes ses craintes.
— Encore merci de m'avoir écouté.
Elle se leva, frotta le coin de ses yeux et s'éloigna sans lui laisser le temps d'ajouter quoique ce soit. Lorsqu'elle fut assez loin, Scorpius ressortit une cigarette et fuma en méditant son "peut-être" étrange.
OoO
Les jours suivants furent plus agréables pour tout le monde.
Morgane fit un effort avec le chevalier et Harry remarqua la différence. Il surprit même le père et la fille plaisanter et rire ensemble, marchant côte à côte. Morgane se sentait plus légère en présence de Scorpius. Il existait toujours une barrière invisible entre eux, emplie de souvenirs communs et passés. L'ombre de Liam et d'Albus planait toujours dans son esprit et Morgane ne se permit jamais tout à fait de se laisser aller en sa présence.
Ils marchèrent longtemps à travers les bois. Lorsque le soleil de midi brilla haut dans le ciel, un chant s'éleva soudain dans la forêt. En alerte, Scorpius ordonna aux enfants de se cacher. Raymar prit son apparence de chat pour se faire plus discret.
— Qu'est-ce qui se passe? ne put s'empêcher de murmurer Harry.
Le regard sombre de Scorpius le fit taire immédiatement. Les voix devinrent plus claires et plus fortes et ils observèrent un groupe de personnes, toutes vêtues de blanc, marcher à pas lent. Morgane fut emportée par l'harmonie de leur unisson. Ce chant était sacré, empli d'amour et de sainteté. Ils passèrent devant leur buisson sans les remarquer pour rejoindre la route principale en contrebas, déjà bien encombrée par un cortège immense de fidèles.
— Qui sont-ils? demanda Morgane lorsqu'ils furent sûrs de risquer d'attirer leur attention.
— Des pèlerins, répondit Scorpius. Ils sont des centaines à rejoindre la Tour pour espérer être bénis par Merlin.
— Ils sont dangereux? s'inquiéta Harry.
Morgane comprenait son angoisse. La foule gigantesque de ces hommes, femmes et enfants parmi les rangs des miliciens était un coup dur pour l'armée des résistants. Elle savait son père réticent à affronter des innocents, même endoctrinés au point de sacrifier leur vie pour un faux dieu.
— Je ne crois pas. Et je ne pense pas que Merlin s'en servirait pour affronter les rebelles.
— Vous n'en êtes pas sûr! remarqua Harry.
— Il est trop orgueilleux pour laisser sa défense à des illuminés. Il est plutôt du genre à les laisser se sacrifier pour ralentir les troupes à l'entrée de la Tour.
Cette réponse l'effraya plus qu'elle ne la rassura. Morgane prit soudain conscience de ce qu'allait impliquer cet affrontement. Il y aurait des morts, dans les deux camps.
— Allons-y, les pressa Scorpius. En silence.
Ils reprirent leur route et à la nuit tombée, ils parvinrent enfin aux abords de la Tour Blanche. Morgane en avait entendu beaucoup de descriptions, très détaillées. Pourtant, la voir de ses propres yeux était d'un tout autre effet. L'obscurité ne lui rendait pas hommage mais n'en ternissait que très peu la magnificence. Elle était si haute, si élevée que la jeune fille dut lever les yeux pour en apercevoir le sommet. Large, puissante, une onde d'énergie se dégageait de sa pierre blanche qui luisait d'une faible lueur dans la nuit noire.
— On va camper encore cette nuit.
— Ah bon? s'étonna Harry. On n'entre pas?
— Pas encore, répondit Scorpius. Si on y va maintenant, on se fera repérer en moins de deux. Non, il faut attendre que les rebelles arrivent.
La tension, à la hauteur de l'air lourd, envahit les deux adolescents. Morgane manqua de souffle. L'heure fatidique approchait à grands pas et elle eut beaucoup plus de peine à monter la tente pour la dernière fois. Malgré son anxiété, elle réussit à trouver le sommeil, bercée par les ronflements sonores de son cousin à ses côtés. Elle s'était répété en boucle les paroles de Harry Potter qu'il lui avait proférées dans la source: "Tu n'es pas seule."
Morgane fut réveillée par les secousses sur son épaule. Elle battit des paupières et pendant un instant, elle oublia où elle se trouvait et pourquoi elle dormait dans un duvet trempé de sa sueur. Scorpius se tenait au-dessus d'eux, l'air grave. Elle se souvint aussitôt de ce qu'ils attendaient.
— Ça y est?
Il acquiesça et son cœur s'affola dans sa poitrine. Harry grommela dans son sommeil mais se réveilla brusquement lorsque le tonnerre éclata au-dessus de leur tête. Tous trois sortirent de la tente en vitesse et Morgane retint son souffle.
Les premières gouttes de l'orage tombèrent dans ses cheveux tandis que son regard se posait sur le futur champ de bataille. Merlin avait profité de ces quelques heures pour rassembler ses troupes et celles-ci étaient immenses. Morgane ne discernait pas grand-chose dans la nuit si ce n'était cette ombre plus sombre qui s'étalait du pied de la Tour Blanche jusqu'à la moitié de la plaine. Un millier de points lumineux brillaient dans la nuit comme des bougies sur un gâteau d'anniversaire.
— Ils sont si nombreux, murmura Harry dont la voix trahissait sa peur.
— Comme de notre côté, répondit Scorpius.
Il pointa l'autre bout de la colline et les adolescents aperçurent avec joie, et angoisse, une autre ombre se mettre en place. Un éclair zébra le ciel bouillonnant de nuages et éclaira pendant une seconde les deux armées.
— Ça commence…, lâcha Scorpius d'un air sombre.
Et le tonnerre éclata.
