Je viens de retrouver trois chapitres de cette fic déjà plus ou moins écrits et je me suis dit qu'il vaudrait mieux les publier. J'espère que les quelques âmes égarées qui trainent encore sur FF apprécieront !

Disclaimer : tous les personnages appartiennent à Himaruya.


Chapitre V

Un silence inconfortable règne dans l'habitacle de la voiture de l'Inspecteur. Roderich essaye de l'ignorer, mais il doit bien se rendre à l'évidence : il est terriblement mal à l'aise. Quelque chose a changé chez son nouveau collègue, et bien qu'il ne sache pas quoi, il le regrette profondément. Il lance un nouveau trait d'esprit sur la conduite de Gilbert, qui passe inaperçue et s'en va rejoindre ses autres belles trouvailles de la matinée aux pieds de l'indifférence taciturne de l'albinos.

« Verdammt nochmal, Beilschmidt, allez-vous parler à la fin ? Qu'est-ce qui vous arrive ? »

« Pardon ? » fait Gilbert distraitement. « Vous embrassez votre mère avec cette bouche, Docteur Edelstein ? »

« Ne changez pas de sujet. Vous n'avez répondu à aucune de mes provocations de la matinée. Vous êtes malade ? »

« Pas vos affaires. » grince-t-il.

Gilbert se sent tendu, physiquement, et a les nerfs à vif. Il a besoin de se défouler. Il a un indicible besoin de se retrouver dans un baudrier, attaché à une corde, et d'escalader une voie bien difficile dans sa salle habituelle.

« Ce qui veut dire qu'il s'est effectivement passé quelque chose. » insiste l'Autrichien.

« Tiens, on dirait que vous êtes capable d'enquêter, finalement ! »

« Alors, qu'est-ce que c'est ? Vous n'avez pas eu votre café ce matin ? »

« Je retire ce que j'ai dit, vous êtes aveugle, ma parole. C'est quoi, ça, d'après vous ? » fait Gilbert, agacé, en désignant de la main son gobelet de café de ce matin, vide et attendant patiemment d'être jeté depuis le vide-poche.

« Mille excuses. » réplique Roderich sans se laisser démonter. « Vous n'êtes effectivement pas le genre de porc à laisser trainer quelque chose de ce genre plus d'une journée. »

« Vous me traitez de maniaque ? »

« C'est plutôt un compliment, de mon point de vue, mais si vous avez décidé d'être susceptible, faites-moi plaisir et soyez-en vexé. »

Gilbert se renfrogne mais se tait, et se concentre sur la route. Il laisse échapper des insultes de temps à autres, quand les automobilistes qui conduisent aussi mal que lui croisent sa route. C'est bien. Conduire lui change les idées et a comme un effet cathartique – qui l'aurait cru. Roderich semble s'en apercevoir et arrête de le bombarder de questions. Ce n'est plus un silence aussi gênant qu'auparavant. Après tout, que peut lui importer la vie de Gilbert ? Pourquoi devrait-il se soucier de découvrir ce qui le contrarie ?

Le trajet n'en parait pas moins interminable, quand bien même il ne dure qu'une vingtaine de minutes. Roderich se dit qu'il aurait encore préféré prendre les transports, le cœur au bord des lèvres à cause de la conduite abrupte de son collègue. Enfin, il se gare devant une maison proprette de Grunewald et Roderich se précipite hors de l'habitacle, pour respirer l'air – étrangement pur pour l'atmosphère urbaine, grâce à la forêt adjacente – frais du matin et étirer son dos.

« Vous vous échauffez pour le Lac des Cygnes, Odette ? » demande Gilbert d'un ton mi-hargneux, mi-moqueur, en le voyant se tortiller de la sorte.

« La bave du crapaud, Beilschmidt, n'atteint pas la blanche colombe… »

« Vous êtes plutôt du genre morne pigeon. »

« Et je viens de passer la matinée dans les transports berlinois bondés et votre cacahuète inconfortable, laissez-moi tranquille. »

Gilbert n'est pas l'un de ces hommes qui s'offense d'une remarque désobligeante adressée à sa voiture. Elle est modeste, Roderich a tout à fait raison. Car il n'est pas non plus du genre à devoir prétendre que la sienne est plus grosse que celle des autres en passant par une voiture – il est parfaitement confiant et content de ce qu'il a, merci bien. Aussi, au lieu de monter instantanément dans les tours, il fait un calcul sur la carte mentale de Berlin qu'il peut convoquer et parcourir à la demande.

« Comment ça, la matinée ? » répète-t-il, incrédule. « Vous venez d'où ? »

« D'Autriche, je ne vois pas pourquoi – »

« Le matin ! » l'interrompt Gilbert. « Quels transports avez-vous pris ? »

« U-Bahn. 1 puis 6. J'habite Kurfürstendamm. »

Gilbert hésite entre rire et secouer le brun, mais son corps a un réflexe plus rapide. Il se frappe le front d'une main avec un soupir amusé.

« Si vous me l'aviez dit, on se serait donné rendez-vous ici directement. » dit-il. « Vous auriez mis au maximum quinze minutes, en S-Bahn. »

Roderich ouvre la bouche pour répliquer mais la referme, se sentant rougir de gêne. Il n'a jamais eu un bon sens de l'orientation. Et tout comme il n'a jamais pris la peine de décorer son appartement au-delà de l'essentiel depuis son arrivée à Berlin, il n'est jamais vraiment sorti des zones qu'il fréquente par pure fonctionnalité – Ku'damm, un supermarché, l'université, le commissariat, les musées et l'aéroport. Gilbert le regarde, goguenard, définitivement virer au cramoisi. Il marmonne quelque chose sur cette foutue ville et ses maudits habitants, s'éclaircit la gorge et change de sujet :

« On y va ? »

« Après vous. »

Roderich remonte ses lunettes sur son nez avec dédain, puis franchit les trois marches du perron pour sonner à l'entrée de la maison. Une voix forte, mais un peu lointaine, leur intime d'entrer. Ils s'exécutent. La voix continue de les guider.

« Gauche, puis droite ! »

Dans le hall sobre mais décoré avec goût, dans des tons gris et bleu pers, ils prennent donc à gauche, se retrouvant dans la pièce principale. Ils sont face à d'imposantes bibliothèques. Alors, ils tournent à droite, et découvrent Louise Schoenaerts installée dans le canapé, baignée dans l'agréable lumière du jour qui pénètre dans la maison par les larges baies, et entourée d'épais coussins. Ses cheveux blonds encadrent son visage angélique, mais quelque peu fatigué. Ses yeux verts conservent tout leur éclat et toute leur vivacité. Elle porte une robe de grossesse ample, beige et assez élégante pour ce type de vêtement. Son ventre énorme parait l'encombrer plus qu'autre chose, et Gilbert n'ose pas s'avouer que ça le fait flipper.

« Bonjour ! » les salue-t-elle. « Désolée de ne pas me lever. Mon médecin me déconseille les changements de position. »

« C'est dangereux de laisser la porte ouverte aux inconnus, Louise. » la réprimande Gilbert.

« Oh, ne t'en fais pas pour moi. »

Elle tapote de la main un P229, qui trône fièrement sur le guéridon jouxtant le sofa, à côté d'une boîte de munition de rechange. Roderich pâlit un petit peu, Gilbert est effaré.

« C'est ton arme de service ? »

« Oui, j'ai une autorisation spéciale. Vu que la moitié de la pègre berlinoise en veut à Diego, ça parait plus sûr. Surtout vu mon agilité, ces derniers temps. »

« Seulement la moitié ? » s'amuse Gilbert.

« Je ne tiens pas des statistiques précises. » élude-t-elle. « Vous devez être Roderich Edelstein ? »

« Oui, parfaitement. » répond Roderich, un peu mal à l'aise, mais en essayant de sourire. « Je suis vraiment navré que nous venions vous importuner en pareils moments. »

« Ne vous excusez pas, vous animez ma journée. »

« C'est pour quand ? » demande Gilbert. « Tu es… Impressionnante. »

« J'apprécie l'euphémisme. C'était pour il y a trois jours. Dans deux, on provoque. » soupire-t-elle. « À présent, l'un de vous deux manie-t-il la presse française et serait assez adorable pour nous faire du café ? »

« Je m'en charge. » assure le criminologue.

Il se dirige vers la cuisine, Louise le bénissant du regard. Elle invite Gilbert à s'asseoir dans le fauteuil d'une place, près du sofa où elle prend ses aises. Elle lui lance un regard entendu.

« C'est un beau morceau que vous vous êtes dégoté là, Inspecteur Beilschmidt ! »

« Mein Gott, ne commence pas, toi aussi. Francis et Antonio ne me lâchent plus avec cette affaire ! »

Elle rit. La conversation dérive, le temps que Roderich revienne de la cuisine avec la cafetière à piston sur un plateau, accompagné de trois tasses et d'une bouteille de lait. Louise prend le relais et leur sert une tasse fumante à chacun, qui exhale une délicieuse odeur. Gilbert prend une première gorgée, hésitant. Il est transporté. Et doit bien admettre que l'Autrichien sait y faire avec la caféine.

« Entrons dans le vif du sujet. » propose Louise, sirotant sa tasse de café. « Vous avez vu les photos de la scène de crime et le rapport d'autopsie du premier corps, je suppose ? »

Roderich approuve d'un hochement de tête.

« Évidemment, ça prend un tour radicalement différent maintenant qu'on sait qu'on a affaire à un tueur en série. » complète Gilbert.

« Vous êtes sûrs que c'est la même personne ? »

Roderich lance un regard en direction de Gilbert par-dessus sa tasse fumante, comme pour chercher son approbation avant d'intervenir. Il se déteste instantanément pour ça. Néanmoins, l'Inspecteur lui répond d'un signe de tête encourageant.

« Le modus operandi est le même. J'ai constaté un même sens de la mise en scène entre les deux crimes. Et très honnêtement, j'espère que Berlin ne se retrouve pas subitement avec deux psychopathes sadiques sur les bras. »

« Oh, si vous saviez. » réplique Louise, amusée, attendrie. « Ce ne seraient jamais que deux des psychopathes sadiques qui peuplent la ville qui auraient décidé de passer à l'action au même moment. »

« Comme le premier meurtre n'a pas fait l'objet d'une couverture médiatique importante, on pense que personne n'aurait pu imiter le modus operandi. » reprend Gilbert. « Ce qui va dans le sens d'un seul meurtrier. »

« Ça se comprend, pour l'absence de couverture médiatique. Vu la croix gammée sur le torse de ce pauvre homme, j'ai conclu à un crime néo-nazi. Et la dernière chose dont l'Allemagne a besoin pour le moment, c'est que la presse internationale s'empare du sujet comme de la résurgence du fascisme à Berlin. Mais si j'ai bien compris, le deuxième corps n'en a pas et on tombe dans quelque chose de plus ésotérique ? »

« C'est exact. » répond Roderich en remontant ses lunettes sur son nez. « D'ailleurs, il ne s'agissait pas du symbole nazi sur le premier corps. La croix gammée est tournée vers la droite, alors que dans ce cas-ci, elle est orientée vers la gauche. Ce qui ne restreint pas le champ des significations, puisque le symbole est présent dans beaucoup de cultures de par le monde. Mais, si cela peut vous rassurer, à moins que ce facho soit très peu scrupuleux sur le symbole de son idéologie, nous n'avons pas affaire à un crime néo-nazi. »

« Quel soulagement. » grince Gilbert. « On ne sait donc plus où chercher. »

« Laissez le temps à la scientifique de trouver des correspondances avec les empreintes. » suggère Louise. « Sur le premier corps, ça n'a rien donné, mais le deuxième est encore frais. Si je puis dire. »

L'albinos esquisse un sourire. On lui reproche toujours ses traits d'humour noir – et par « on », il entend Elizabeta Hedervary – mais Louise semble avoir les mêmes mécanismes de défense émotionnelle face à son métier que lui. Il aimerait travailler davantage avec elle. Quand elle aura eu son bébé, de préférence.

« Quoi que ce soit de particulier qui te revient sur la découverte du corps ? »

« La découverte du corps en elle-même était particulière. On nous a appelés pour une fuite d'eau, j'ai vraiment cru qu'on se foutait de ma gueule. En fait, l'appartement dans lequel on l'a trouvé était inondé. C'est quand l'occupant n'a pas répondu que la concierge a utilisé son double des clefs pour entrer avec l'expert des assurances et a trouvé le corps. Elle était sous le choc. C'était un prof à la Freie Universität, divorcé, le genre d'homme qui était apprécié de ses voisins, sans histoire. Il y avait un monde fou pour son enterrement, d'après ce qu'on m'a dit. Personne n'a rien entendu d'étrange dans les heures qui ont précédé la mort. À part le bruit de la fuite d'eau, évidemment. »

Gilbert risque un regard vers Roderich qui écoute attentivement et médite les paroles de Louise. Ils pensent à la même chose. L'Inspecteur a appris, grâce à son métier, que les coïncidences n'existaient pas. Et que par conséquent, la présence d'eau sur les deux scènes de crime ne devait pas être anodine, fût-elle maquillée en accident de plomberie.

« On sait ce qui a provoqué la fuite ? » demande Roderich.

« Pas à ma connaissance. Il faudrait contacter l'assurance du bâtiment. »

L'Autrichien hoche la tête. Gilbert prend note mentalement de s'en occuper dès son retour au commissariat.

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Lorsqu'ils laissent Louise tranquille et quittent sa maison, croisant au passage le mari qui rentre d'une intervention, Gilbert est assez content. Évidemment, vu qu'il est en charge des enquêtes sur les deux corps, il se fie avant tout à son propre jugement. Mais discuter avec Louise de ses propres impressions concernant le premier cadavre est éclairant, et il aime sa façon d'appréhender son travail. Le café fut un plus non négligeable. Vraiment, si on leur avait demandé de coopérer sur cette affaire au lieu de lui coller un criminologue sur le dos, il aurait été beaucoup plus satisfait de son sort, lui qui d'ordinaire n'aime pas partager – car qui partage l'enquête, partage la gloire par la suite.

Il déverrouille la voiture et se retourne vers Roderich, qui le suit de près. Perdu dans ses pensées, mains dans les poches de son trench-coat, il se mord la lèvre inconsciemment. Il a l'air plutôt inoffensif, quand Gilbert ne le provoque pas.

« Je vous dépose à Ku'damm ? »

« Hum ? » fait Roderich, relevant les yeux vers lui, tirés plutôt brusquement de ses pensées. « Oh, non. Je vais marcher jusqu'à la station de S-Bahn. »

Gilbert hausse un sourcil, amusé.

« Et vous allez pouvoir rentrer chez vous de là ? Tout seul ? Dans les transports berlinois ? »

Roderich lève les yeux au ciel.

« Très bien. » concède-t-il, excédé pour la forme. « Mais je ne voudrais pas devoir vous être redevable de quoi que ce soit. On mange un bout et on fait le point ? Je vous invite. »

« C'est moi qui vais vous être redevable. » rit Gilbert. « C'est entendu. »


Traductions

Verdammt nochmal : putain de merde (allemand)

U-Bahn: métro (allemand)

S-Bahn: équivalent tram/RER c'est pas clair (allemand)

Mein Gott: mon dieu (allemand)

Notes

Non, je n'ai pas résisté à l'envie de faire de Gilbert un grimpeur... Ce sport a pris trop de place dans ma personnalité ahah

Le Lac des Cygnes est un ballet.

P229 est un modèle de revolver.

Louise Schoenaerts est le nom humain que je donne à Belgium. Louise parce que c'est un prénom courant chez nous, Schoenaerts parce que c'est le nom de mon acteur belge préféré.

Diego [Suarez] est le nom humain que je donne à Cuba. Et depuis que j'ai casé Belgium et Cuba ensemble dans Seguimi O Uccidimi c'est un peu mon OTP ne me demandez pas pourquoi. Dans cette fic, il travaille à la police des stups.

La Freie Universität (Université libre) est une université de Berlin.