Par souci de discrétion, Derek choisit de ne pas emmener Stiles à l'étage, tout simplement parce qu'il faudrait traverser le salon qu'occupait actuellement la meute. A la place, il l'installa dans la petite bibliothèque deux portes plus loin dans ce long couloir et lui enjoignit de ne pas bouger. De toute manière, dans son état, l'hyperactif n'en avait pas la force, encore moins l'envie. Craquer, cela signifiait devoir se cacher, encore. Alors, il n'allait certainement pas sortir de cette petite pièce. Confortablement installé sur ce petit canapé étrangement moelleux, Stiles retira fébrilement ses chaussures se recroquevilla sur lui-même. C'était une catastrophe. Sa vie était une catastrophe. Il avait craqué. Derek avait vu, ou bien entrevu ses bras. Il savait qu'il avait mal, lui avait pris sa douleur.

Et rien de tout ça n'était bon.

Si Stiles ne sanglotait plus, il ne pouvait pas empêcher quelques larmes traîtresses de couler. Parce que tout ça, c'était bien trop à gérer et parce qu'il… Il avait trop subi. En peu de temps. Pour avoir simplement la possibilité de venir au loft, il avait dû… Il avait dû… Une nausée violente lui retourna l'estomac, si bien qu'il dut fermer les yeux et se recroqueviller sur lui-même pour essayer de recentrer ses pensées vers autre chose que son mal-être et sa souffrance mentale. Il n'avait pas énormément de temps pour retrouver un air normal, pour cacher ce poids qui le tuait toujours plus chaque jour. Avec un peu de chance, Derek lui faisait gagner du temps… Quoique, on parlait de Derek Hale, le loup qui avait tendance à avoir du mal à le supporter. Et en même temps, ce même Derek Hale lui avait pris sa douleur alors qu'il ne l'y obligeait en rien. A vrai dire, il ne lui avait rien demandé à part de le laisser, ce qui était le plus simple pour lui. Pour eux. L'un aurait pu se calmer seul et l'autre serait parti en faisant comme s'il ne s'était rien passé. En soi, peut-être était-ce le cas.

Stiles sécha mollement ses larmes. Ses manches étaient humides. S'essuyer les joues, il ne faisait que ça. Maintenant, la question était de savoir ce qu'il allait faire. Retourner au salon avec les autres ne pourrait que le faire craquer à nouveau. Rentrer chez lui était synonyme de retourner en enfer. Rester là lui vaudrait mille et une questions, voire quelques reproches bien visés de la part de Scott. Quelle était la moins pire des trois idées ? Il n'en savait rien, mais tout commençait à s'embrouiller dans sa tête. Respirer ne fut plus aussi simple. Un instant, il oublia comment faire et se mit à chercher de l'air. La main sur sa gorge, sa manche glissa. Panique. Angoisse. Terreur. Souffrance. Tout se mélangeait. Sans trop savoir comment, Stiles se retrouva au sol, complètement écrasé par le poids de tout son silence. Il eu des flashes. Revit Emile, ses mains. Sa cigarette. Sentit à nouveau le liquide de conque couler sur son menton, le rond rougeoyant s'apposer sur son bras. Il revit le sourire carnassier, les mots crus qui promettait un cauchemar infini. Il se revit également sept ans plus tôt, implorant une aide qu'on lui avait tout simplement refusée. Et maintenant, il y avait Derek. Derek, qui avait vu ses bleus. Derek, qui avait l'air de se soucier de ce qui lui était arrivé. Derek, qui lui avait pris sa douleur. Derek, qui l'avait isolé des autres pour un temps.

Derek, qui n'était plus là.

Les larmes se remirent à couler alors que Stiles peinait de plus en plus à respirer. A cela s'ajoutait la douleur qui revenait, ses brûlures qui le lançaient à nouveau. Il n'allait pas y arriver. Il n'allait jamais y arriver. Il ne survivrait pas à cette soirée, ni aux prochaines.

Il n'en avait pas la force.

Mais d'un coup, la douleur le quitta, et il sombra à moitié. Il retrouva peu à peu une respiration normale et se laissa aller contre un corps qu'il ne prit même pas la peine d'essayer de reconnaître. A la place, ses larmes revinrent en force et coulèrent silencieusement sur ses joues pâles. Les sanglots secouèrent ses frêles épaules. Il n'essaya ni de s'y accrocher, ni de le repousser. Il n'avait plus aucune énergie et n'était même pas conscient du fait que ses manches n'étaient pas correctement baissées.

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- Merci, fit Stiles d'une voix rauque.

Le jeune homme porta lentement et avec une certaine fébrilité la tasse de thé à sa bouche. Puisque la caféine lui était interdit, un thé était de mise. Après deux petites gorgées, il la reposa sur la table et poussa un soupir tremblant. La meute n'était plus là depuis une bonne heure, mais Stiles n'était pas plus rassuré pour autant. Le regard de Derek lui brûlait la peau tant il le sentait, tant il était intense. Alors oui, il l'avait aidé et avait servi une excuse à Scott pour lui éviter la seconde partie de la réunion, mais tout de même. Il était tendu parce que Derek… Lui semblait bien plus intrusif et insistant qu'il ne le pensait.

Peut-être qu'avant, il aurait sauté sur l'occasion et se serait confié. Mais sept longues années s'étaient écoulées et il était devenu pour lui impensable d'aborder cette période qui se répétait progressivement. Il n'en était qu'aux prémices du cauchemar qui était déjà en train de mettre à mal un travail de reconstruction partielle et de longue haleine. Disons que Stiles avait fait comme il avait pu, seul. Une partie de lui ne guérirait jamais, resterait figée dans le temps pour toujours.

Derek se pencha légèrement, face à lui. Il posa la paume de ses mains à plat sur la table et leva à nouveau son regard vert d'eau vers lui.

- Tu es bien conscient que je ne peux pas laisser passer ça ? Finit-il par lâcher.

- Et pourquoi pas ? Rétorqua évasivement Stiles en regardant partout, sauf dans sa direction.

Il reprit une gorgée de thé, lentement. Puis une autre. Et une suivante, comme si cela lui permettait d'éviter la conversation.

- Parce que tu ne peux pas continuer comme ça, expliqua simplement le loup, pour qui c'était une évidence.

Ça l'était également pour Stiles, même si c'était bien plus compliqué de son côté. S'il pouvait choisir, bien sûr qu'il cesserait de souffrir. Mais parler ne servait à rien et de toute manière, ce n'était pas comme s'il en était encore capable.

- Si tu as des problèmes, si quelqu'un t'emmerde, tu dois en parler, continua Derek, plus sérieux que jamais.

Stiles ne put empêcher un rictus amer de se plaquer sur son visage.

- Ah ouais ? Et pourquoi ? Demanda-t-il, toujours sans oser le regarder.

Sans même attendre une quelconque réponse de sa part, il reprit :

- J'ai déjà essayé de parler une fois et ça s'est totalement retourné contre moi.

Il avait lâché par là un aveu malencontreux, mais tant pis. La situation, inédite, le faisait un peu paniquer. Il ne pleurait peut-être plus, mais les évènements récents continuaient de le remuer. Encore une fois, l'impression qu'il n'allait pas s'en sortir le rendait on ne peut plus fébrile.

- Tu ne t'es peut-être pas adressé aux bonnes personnes, réfléchit Derek.

Stiles serra la tasse entre ses doigts. Elle était encore chaude. Il avait besoin de chaleur pour lutter contre ce froid qui le paralysait de l'intérieur.

- Et tu penses être cette personne ? Releva Stiles en haussant un sourcil étonné.

Derek n'était pas son ami, c'était juste… Un membre de la meute. Un membre de la meute qui avait l'air de voir au travers des apparences, le premier à chercher à savoir ce qui lui arrivait. La pensée de tout lui dire le traversa un instant. Seulement un instant.

Derek secoua la tête avant de reprendre :

- Pas forcément. Mais tu as des amis, un meilleur ami, un père.

Au dernier mot, Stiles se crispa instantanément, ce que le loup notifia mentalement.

- Je…

Dis-le, fit une petite voix dans son esprit. A quoi ressemblait une vie sans mensonge ? Comment serait sa vie s'il était soutenu, aidé, épaulé ? S'il était libre ? Mais sa bouche se referma, il ne termina pas sa phrase car son esprit s'était empli d'images du passé. Il se souvenait de l'humiliation, les cris, les remontrances, l'éloignement. Personne ne pouvait imaginer la relation conflictuelle que Stiles entretenait avec son père depuis cet épisode. Il avait fallu qu'il ouvre la bouche, qu'il ose parler pour que toute la confiance de son paternel avait en lui s'évanouisse aussi vite que son innocence. Il se rappelait du silence, des regards noirs, des remontrances.

Et il garda le silence.

- Stiles, ce n'est pas bon de garder ta douleur pour toi.

L'hyperactif releva fébrilement les yeux vers le loup dont le regard avait un peu changé. Il semblait montrer une inquiétude manifeste, quelque chose de plus profond que Stiles ne pourrait l'imaginer.

- Et si quelqu'un se montre violent avec toi, tu dois en parler. A moi, Scott, Lydia, Isaac… Peu importe. Tu ne dois pas continuer d'endurer en silence.

Stiles le regardait étrangement. En fait, il buvait ses paroles tout autant qu'il les comprenait. Oui, il les comprenait, mais il n'était pas sûr de pouvoir les appliquer. Parce que…

… Ça faisait sept ans.

Et qu'il ait envie ou pas, défaire un silence implanté en lui depuis tant d'années lui paraissait insurmontable. A la simple idée de le briser, il angoissa de manière démesurée. Il se mit à voir flou à cause d'un vertige soudain et se tint la tête d'une main. Heureusement qu'il était assis. Derek se rapprocha de lui et posa sa main sur son épaule. Stiles tressaillit.

- Hey, détends-toi, fit le loup en tentant une caresse maladroite sur son épaule. Je ne te force à rien, mais je dis ça pour toi. Tu vois bien dans quel état ça te met…

Stiles hocha la tête en un mouvement un tantinet tremblant. Bien sûr qu'il le voyait. Plus que ça, il le sentait jusqu'aux tréfonds de son être. Derek s'accroupit face à lui et posa ses mains sur ses genoux. Le regard de Stiles le déconcerta. Il brillait par la souffrance qu'il exprimait sans qu'aucune larme vienne le peupler. Et son odeur… Elle ne nécessitait aucun commentaire. Pour être honnête, Derek ne connaissait pas extrêmement bien Stiles, mais assez pour savoir qu'il ne l'avait jamais vu dans cet état-là. Stiles ne semblait pas être quelqu'un qui pleurait facilement. Il l'avait toujours vu endurer sans rien dire, en souriant. Et parler. Parler sans arrêt.

Le jeune homme qu'il avait face à lui n'était qu'un souvenir duquel il ne restait que l'apparence.

- Je… J-je peux pas… Souffla Stiles d'une voix si tremblante qu'elle lui paraissait pouvoir se casser à tout moment.

- Mais tu aimerais ? Insista Derek aussi doucement qu'il le put.

Être doux et patient n'était pas dans ses habitudes, mais il se devait de s'adapter. Stiles n'avait pas besoin de dureté, bien au contraire : le loup sentait qu'il pouvait l'amadouer. Peut-être pas tout de suite, mais il était clair que le jeune homme voyait ses convictions s'affaiblir un peu face à cette douceur inopinée. De manière générale, la patience et ladite douceur aidaient toujours.

Stiles hocha la tête. Un peu trop rapidement, peut-être. Pouvait-on lui en vouloir ? Il vivait un cauchemar éveillé et se sentait incapable de parler. Mais oui, bien sûr qu'il aimerait pouvoir dénoncer le coupable de ses maux. Lui faire payer. Et surtout, faire cesser tout ça. Vivre sans craindre de rentrer chez lui. Vivre sans craindre la douleur, la morsure d'une cigarette allumée, les bleus des coups, la déchirure de l'intime. Le regard courroucé de son père le hantait et ce qu'il avait perdu ce jour-là, Stiles le regretterait toujours.

Alors oui, il aimerait parler. Plus que tout au monde.

Mais il n'était pas prêt d'y arriver.