Quelques secondes plus tard, le bruit qu'occasionna le bois brisé fut incommensurable. L'on aurait cru entendre le tonnerre. Briser du bois de sorbier pour un loup-garou, c'était quelque chose. Ce n'était pas impossible, mais la nature de la chose rendait l'acte d'autant plus difficile. Mais Derek réussit et sortit brutalement de cette armoire aux portes cassées. Ses yeux d'un rouge flamboyant se posèrent sur l'homme blond qui le regardait d'un air médusé. Son regard censé être bleu électrique descendit. L'inconnu avait le pantalon baissé jusque sous les fesses et se pavanait, pénis en érection sorti, au-dessus d'un Stiles en larmes et à l'air plus que fragile et qui semblait sous le choc. Mais ce qu'il retint le plus, c'est les vêtements à moitié retirés et cette joue qui commençait déjà à rougir à cause de la gifle plus que violente qu'il s'était prise.
- Mais qu'est-ce que… Commença Emile, sidéré.
Derek ne le laissa pas finir. Il bondit, le tira violemment en arrière, loin de Stiles. Et il le frappa. Son poing partit s'enfoncer dans le visage du policier avec une violence folle, incontrôlable. Il entendit un crac et Emile hurla. Derek lui avait cassé le nez, du premier coup. Il le fit tomber avec aisance, s'assit sur lui à une vitesse folle et le martela de coups toutefois moins puissants. Le but n'était pas de le tuer, simplement de le mettre hors d'état de nuire et de lui faire payer ce qu'il comptait faire subir à l'hyperactif. Parce qu'il avait beau être furieux, il avait tout de suite compris ce qui allait se passer. D'abord l'air éteint de Stiles, ses précautions pour le cacher, sa demande de ne pas intervenir, puis cette supplique et maintenant, cette position plus que suggestive accompagnée d'une érection on ne peut plus dégoûtante… Il n'y avait aucun doute. Alors non, il ne pouvait pas assister à un viol, tout comme il ne pouvait pas rester dans cette putain d'armoire sans rien faire. Le bois n'avait pas été simple à briser, mais il avait réussi. C'était du partiellement du sorbier, mais peu importe. Son désir d'aider Stiles avait été plus fort que tout. Cette douleur si grande dans son odeur… ! D'abord une tentative de suicide, puis une agression ? Non, il ne pouvait laisser passer ni l'un ni l'autre.
Sous le loup, le policier ne pouvait rien faire, il était à la merci de cet homme sorti de nulle part aux yeux brillants d'un éclat de rubis. Un éclat meurtrier. Les coups pleuvaient, mais il s'arrêta subitement lorsqu'il jugea que ce n'était plus utile. Sa priorité restait Stiles et son visage ne cessait de se rappeler à lui. Sachant qu'un meurtre n'aiderait pas à blanchir son dossier et mettrait sans doute l'hyperactif dans de beaux draps, il se releva et laissa là un Emile à moitié conscient pour se tourner vers le lit. Vers Stiles. Le jeune homme, à moitié dévêtu, le regardait d'un air complètement paniqué, choqué. Les larmes continuaient de ruisseler sur son visage décomposé et il avait cette étincelle mauvaise dans le regard. Il avait peur, il était terrifié. Mais Derek sut d'instinct que cette peur ne lui était pas destinée. Il le sentait. Et il sut ce qu'il allait faire.
L'emmener, l'éloigner de cette maison et de cet homme au nez cassé et au visage tuméfié.
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Derek appuya avec douceur la poche de glace sur la joue bien rouge de Stiles. Son autre main reposait sur l'épaule du jeune homme et la pressait doucement. L'hyperactif avait les yeux fermés et laissait le loup faire. En fait, il n'était plus qu'un pantin désarticulé, un jeune homme qui n'avait plus la force de rien. Il baissa les yeux vers ses bras, dont les manches étaient remontées. Là non plus, il n'avait émis aucune opposition. Ses bleus trônaient, fiers, à peine atténués depuis l'autre soir. Ses orbes vert d'eau se fixèrent un instant sur les pansements qu'il lui avait changés. Il repensa aux plaies qu'ils dissimulaient. Il n'y avait non plus trois, mais huit brûlures de cigarettes ornant les bras de l'hyperactif. Le sadisme de la chose réveilla sa colère, mais il la garda silencieuse. Ses poings se souvenaient parfaitement de la peau dégoûtante de ce monstre, qu'il s'était fait un plaisir de frapper. Si son casier était un peu plus reluisant, peut-être l'aurait-il tué. Après tout, Emile ne serait pas le premier à mourir de ses mains. Et pourtant, Derek n'était pas un meurtrier. Les seules morts qu'il avait causées n'étaient que pure et légitime défense. Il n'était pas comme tous ces loups solitaires, assoiffés de sang. Non, il ne supportait simplement pas les injustices. Et découvrir que ce pervers faisait à Stiles… C'était trop. Alors il avait forcé, défoncé ces portes étonnamment solides qui n'étaient pourtant pas censées bouger. Mais il avait trouvé la force nécessaire pour empêcher ce qui était censé suivre. Et il ne regrettait absolument aucun de ses gestes. Il n'aimait pas céder à la violence mais celle-ci avait eu quelque chose… De jouissif.
- T'aurais pas dû faire ça, entendit-il.
Derek mit quelques secondes à se rendre compte que ce qu'il avait perçu était un murmure, que les lèvres de Stiles avaient bougé. Quelque chose en lui se serra. Il s'agissait de ses premiers mots depuis qu'il l'avait emmené chez lui, au loft.
- J'ai fait ce qu'il fallait, marmonna le loup, pour se donner un genre.
Quelque chose en lui se bloquait, essayait de limiter cette inquiétude qui le submergeait par vagues. Il voulait paraître fort, donner l'impression d'être une simple brute, ne pas céder aux différentes émotions qui le tiraillaient. Se donner un air, pour ne pas se révéler.
- Tu vas avoir des ennuis, articula l'hyperactif sans rouvrir les yeux.
- Je ne pense pas qu'il pourra m'emmerder à outrance dans son état, releva le loup.
Et pourtant, sa gorge se serrait, encore. Parce que Stiles semblait s'inquiéter pour lui alors qu'il ne risquait absolument rien. Ce n'était pas normal. Le jeune homme devrait se préoccuper de sa situation, pas de celle du loup qui l'avait sauvé. Mais Derek se souvint que Stiles était comme ça, altruiste. Qu'il faisait souvent passer les autres avant lui. Sa main présente sur l'épaule frêle de l'hyperactif descendit jusqu'à son poignet, autour duquel ses doigts s'enroulèrent. Et ses veines se mirent à noircir de manière visible. Presque aussitôt, Stiles rouvrit les yeux et hoqueta. Déjà, il se sentait défaillir. Sur lui, le regard de Derek se fit d'autant plus soucieux malgré lui. En fait, c'était bien ça le problème. L'hyperactif souffrait, mais ne disait rien, quelle que soit la douleur. Et Derek réalisa qu'il avait eu de la chance. Il avait perçu des faiblesses que personne ne soupçonnait. S'il n'avait pas appris à décoder son odeur durant la réunion, se serait-il intéressé à son cas ? S'il n'avait pas eu les bons mots, les bons gestes, Stiles aurait-il craqué la première fois ? S'il n'avait pas fait tout ça, son instinct se serait-il quand même réveillé au bon moment ? Aurait-il soupçonné que Stiles lui avait caché quelque chose ? Aurait-il réussi à l'empêcher de se suicider ? Aurait-il stoppé son agression ? D'un coup, il ressentit quelque chose de fort alors que, complètement épuisé et drainé de sa douleur physique, Stiles se laissait aller sans le vouloir contre lui. Il déposa la poche de glace sur la table et entoura l'hyperactif qu'il ne put s'empêcher, d'un coup, de serrer dans ses bras. Avec douceur. En évitant de lui faire le moindre mal. Stiles ne chercha pas à le repousser, pas le moins du monde. Sans l'étreindre à son tour, il finit tout de même par se blottir contre lui, là, sur ce canapé. Il n'avait plus la force de rien, si ce n'est de lui avouer :
- Il a plus de pouvoir que tu ne l'imagines… T'opposer à lui, c'est t'attirer ses foudres. Il va te le faire payer. Et moi aussi, par la même occasion…
Sa voix était diablement faible, si bien que Derek fut heureux d'être un loup, capable d'entendre n'importe quoi. L'une de ses mains vint se fourrer dans les cheveux de l'hyperactif.
- C'est fini, Stiles, il ne va plus rien t'arriver.
L'hyperactif eut un rire amer… Faible et amer. Un rire des plus faux qui fit frissonner Derek. Lorsqu'il le vit relever des yeux emplis de désespoir et de souffrance vers lui, ses frissons s'intensifièrent.
- Tu crois qu'un passage à tabac va l'arrêter ? Tu crois qu'il ne va pas recommencer dès qu'il sera sur pieds ? Tout ce que tu m'as donné, c'est un simple moment de répit… Et encore, continua l'hyperactif de sa voix cassée, il serait capable de continuer, même blessé…
- Stiles, écoute-moi.
Derek prit doucement son visage en coupe et le regarda intensément. La pâleur presque maladive de l'hyperactif contrastait de manière sordide avec sa joue bien rouge. Emile l'avait giflé avec une violence inouïe. Et pourtant, il était bien conscient que ce n'était rien comparé aux autres sévices qu'il avait l'air de lui avoir infligés. Le loup sentit sa colère affluer mais refusa de la laisser transparaître. Ce n'était pas le moment.
- Je suis là, maintenant. Je ne vais ni le laisser recommencer, ni te laisser mourir, tu m'entends ?
Parce qu'aujourd'hui, il s'était passé bien trop de choses, des choses que Derek ferait tout pour annihiler. Encore une fois, il revit Stiles avaler des tonnes de comprimés. C'était surréaliste, bien trop sordide. Stiles ne pouvait pas mourir. L'imaginer tenter de se suicider c'était… Angoissant. Même lui en avait la boule au ventre.
L'hyperactif le regarda d'un air désabusé. Il en avait trop vu, il avait trop subi. Et il ne le croyait pas.
- Tu ne sais pas de quoi tu parles, articula difficilement le jeune homme. Parfois, la mort est préférable… Je ne veux plus vivre, Derek.
Son ton était devenu désespéré, suppliant. Presque comme s'il lui demandait de l'achever, là maintenant.
- Je ne peux pas te laisser faire ça, Stiles.
Non, il ne pouvait définitivement pas s'y résoudre. Il était incapable d'imaginer la vie sans Stiles. Il n'était pas censé le porter dans son cœur et pourtant… Il ne pouvait pas se résoudre à le laisser mettre fin à ses jours. Néanmoins, ses aveux le déchiraient de l'intérieur. Jamais il n'avait été confronté à tant de souffrance. Si la sienne était énorme lorsque l'on avait éradiqué sa famille, c'était… Complètement différent.
- Je ne te laisserai pas faire ça, tout comme je ne le laisserai plus poser la main sur toi, finit-il par dire, plus sérieux que jamais.
- Ah ouais ? Rit amèrement le concerné. Et tu vas faire quoi, camper chez moi, attendre sous mon lit qu'il vienne et s'attaque à moi ? Crois-moi Derek, tu ne veux pas voir ça.
Derek essaya de limiter les effets que les mots de Stiles avaient sur lui, tout comme cette voix cassée qui le touchait plus que de raison. Il essaya de tout son cœur. Et raffermit sa prise sur l'hyperactif.
- Je vais te garder ici, c'est bien plus simple. Là au moins, je sais qu'il ne pourra pas t'atteindre, maugréa-t-il, tentant au mieux de garder un air grognon.
Mais il n'était pas extrêmement crédible, à vouloir faire semblant de rien alors qu'il l'étreignait doucement, et pourtant comme si sa vie en dépendait. La manière dont Stiles s'abandonnait contre lui, drainé de sa douleur, ne l'aidait pas à garder un masque de gros dur. Non, définitivement, il n'y arrivait pas.
Stiles n'opposa aucun argument à Derek, ne chercha pas à faire en sorte qu'il le ramène chez lui, ni même à s'éloigner de lui. Il préféra garder le silence. Un silence de mort. Et il finit par s'endormir ainsi, littéralement épuisé par cette journée cauchemardesque et l'absorption de sa douleur par le loup-garou. Ce dernier refusa de le lâcher, comme pour s'il avait peur que l'humain disparaisse en un claquement de doigts ou subisse à nouveau des assauts plus morbides les uns que les autres.
Désormais, cette idée le terrorisait.
