« Nous étions 42 marins, voleurs, bannis et oubliés à être restés aux côtés du Sorcier… tous les autres étaient partis dans la nuit, effrayés à l'idée que l'île ne soit plus en mesure d'assouvir le moindre de leur désir. Mais ce qu'ils ignoraient, était que le Sorcier était prêt à mourir… car il savait entre quelles mains il s'apprêtait à laisser son île. »

Assis autour du foyer ardent, les deux sorciers déglutirent dans un profond silence. Ça y est… c'était le moment. Pourtant et face aux mains tremblantes du petit garçon, aucun d'eux ne sut à quoi s'attendre.

« 42 hommes jurèrent de protéger l'Autre Versant. 42 hommes jurèrent de parcourir les Océans. 42 hommes jurèrent de préserver, d'honorer et de respecter la magie au prix de leur existence. »

Immobile devant eux, Connor laissa ses yeux se perdre un court instant sur les braises rougeoyantes de son antre, le cœur lourd et le menton tremblant à mesure que le regard du mage le détaillait avec insistance. Assis en tailleur devant son verre de rhum, le petit garçon n'avait pas bougé depuis qu'ils avaient quitté la forêt, encore hésitant face à l'ultimatum qu'il lui avait posé. Mais après ce que le pentagramme leur avait révélé… et après qu'il ait lui-même cédé à la rage qui l'avait possédé… il le savait ; plus aucun répit ne lui était désormais accordé. Aussi, c'est les lèvres pincées et les poings serrés qu'il haleta sous le poids de l'aveu qu'il s'apprêtait à leur révéler… mais également sous le poids de tous les mots qu'il n'avait jusqu'alors jamais osé prononcer.

« … 42 hommes et 1 enfant. »

- Toi. Souffla Voldemort.

Par tous les Dieux… depuis quand n'avait-il conté son histoire ? Sans esquives, mensonges ou murmures fuyards ? Jamais… jamais il n'avait fait ça ! Pourquoi l'aurait-il fait d'ailleurs ? Il avait toujours été seul ! Et quand bien même… qui aurait été prêt à croire le récit d'un enfant sauvage ? D'un orphelin ayant fait naufrage ? D'un gamin coincé dans les bottes d'un Capitaine Pirate ? Il ne savait pas… mais comprit à l'exigence de leurs regards, que le temps du silence n'avait plus sa place sur leur plage. D'autant plus devant les tremblements impatients et pupilles harassantes d'un Mage déterminé à exhumer son histoire…

- Oui… moi.

Il pouvait le faire… il pouvait leur dire la vérité. Mais seraient-ils prêts à l'entendre ? L'accepter ? Et le croire en dépit de l'absence de bon sens dont sa vie avait constamment été rythmé ?! Il n'osait leur demander, conscient que leur confiance en lui avait été salement amochée… mais comment aurait-il pu les blâmer ? Certes, son passé n'avait pas à être marchandé, jugé ou prouvé ; et pourtant, il ne se sentait plus en droit de le leur cacher. En particulier quand il les savait persuadés que leur captivité relevait de son seul fait… C'est donc le souffle court qu'il avala son verre et rejeta la tête en arrière. Un bref instant de répit pour un ultime silence, avant que ne commence le récit de sa triste existence.

« Mon navire a fait naufrage quelques semaines seulement avant le décès du Sorcier… et se faisant, je fus le dernier bannis à m'échouer du temps où l'île était encore pleinement habitée. Il y avait bon nombre d'hommes, de femmes et d'enfants, tous ayant fait naufrage des années auparavant. Mais malgré leur bienveillance, leurs soins et infini patience, je me sentais seul, confus et effrayé... je ne comprenais rien à l'existence de l'Autre Versant ; à l'île, à la magie, à la Grande Duchesse, aux humeurs de Marise ou aux cycles de ses courants. Je savais juste que mon équipage avait été décimé, qu'une fois de plus j'avais perdu tous ceux que j'aimais… et que comme si la Mort m'avait elle-même rejetée, j'étais le seul rescapé de la malédiction qui semblait nous avoir frappé. »

Oui… une malédiction. Et avec elle, un éternel recommencement.

« Au début, je ne comprenais rien de ce qui m'était arrivé ; pourquoi mon équipage avait péri, pourquoi mon navire était détruit, pourquoi l'île semblait en vie et pourquoi certaines personnes me parlaient de paradis quand d'autres s'attelaient à le fuir… Tout était nouveau, étrange et dénué du moindre sens. Et… et je n'étais qu'un enfant. Un vrai enfant. »

Emut, sa voix se coupa un court instant, symbole de la puissance que ces mots avaient en ce temps… Des mots, qui après plusieurs siècles de vie, de cauchemar, de lutte et de déchéance, lui écorchaient douloureusement la langue.

« Le Sorcier m'a pris sous son aile, conscient de mon jeune âge, de mon calvaire et du fait que je redoutais secrètement le jour où je devrais à nouveau prendre la mer… Mais là encore, le Destin s'est montré cruel ; car je savais pertinemment que ce n'était qu'une question de jour avant que… »

Avant qu'il ne replonge en enfer…

« … avant que je ne le perde. »

Affligée par la douleur de sa voix enrouée, Hermione détourna le regard pour en cacher ses larmes. Bon sang… personne ne méritait d'endurer pareils drames.

« C'est lui qui m'a conté l'Histoire de l'Autre Versant. C'est lui qui m'a fait mémoriser chaque légende, chaque mot, chaque péripétie, chaque évènement… afin que jamais le passé ne tombe dans l'ignorance et que personne ne vienne à oublier les sacrifices, la douleur et les tragédies ayant mené à la création de l'Autre Versant. »

Marquant une courte pause, Connor se mordit la lèvre, le cœur éprit d'une étrange tristesse… une tristesse qu'il n'avait pas ressentie des siècles.

« Je me souviens encore de son regard ce jour-là. Il… il était si fier de moi. Je n'avais encore jamais connu ça ; je n'avais encore jamais vu personne fier de moi ! Pourtant, je n'avais pas l'impression d'avoir fait quoi que ce soit pour le mériter… je m'étais simplement contenté de passer du temps avec lui, de l'écouter me parler de sa vie et de rendre hommage à tout ce qu'il avait enduré pour nous offrir la protection de son île. Mais il faut croire que ça a suffi… »

Troublé par la vivacité de ses souvenirs, le petit reversa la tête en arrière, l'esprit hanté par ses heures de lectures avec le seul ami que la vie lui ait jamais offert… des heures douces, joyeuses, belles et sincères, qui pendant un bref instant, l'avait sorti de sa misère pour lui offrir les secrets du plus Grand Sorcier de cette terre.

« Je l'ignorais en ce temps, mais il avait déjà pris sa décision… il avait déjà choisi ce qu'il adviendrait de moi. Il avait déjà choisi de me faire Capitaine des Pirates. »

- Mais… pourquoi ? Demanda Hermione. Je veux dire… tu n'es qu'un enfant !

- C'est vrai… gronda Voldemort sceptique. Il aurait pu prendre n'importe qui ; un marin, un homme fort, un adulte expérimenté…

- Je sais. Et lui aussi le savait…

- Alors pourquoi ?!

Mal à l'aise, Connor ne sut que répondre à sa grimace amère. Pourquoi l'avait-il choisi ? Pourquoi avait-il pris un tel risque ? Qu'avait-il vu en lui ? Il n'aurait su dire… mais savait qu'il ne servait à rien d'interroger le passé, quand l'avenir était déjà écrit.

- Je me suis longtemps posé la question… et je n'étais pas le seul.

- Comment ça ?

- Les hommes de l'île – ceux qui avaient refusé de fuir... ils se sont interrogés eux aussi. Déglutit-il.

Et encore ! C'était un euphémisme…

« Ils ne comprenaient pas sa décision, ma nomination et les responsabilités qu'incombaient mon serment… mais par-dessus-tout, ils ne comprenaient pas comment moi – un enfant – pourrait un tant soit peu me montrer compétent. Non pas que ce soit très surprenant… j'étais petit, frêle, timide, impressionné et profondément naïf. Je n'avais rien d'un meneur d'homme ! Et certainement pas d'un Capitane ! Mais le Sorcier savait ce qu'il faisait... Il savait que j'aurais tout fait pour mériter sa fierté, pour lui rendre au centuple le peu qu'il m'avait donné et honorer sa dernière volonté ! »

Une certitude que ni le temps, les Dieux ou la providence n'auraient pu effacer…

« Oui… il savait que j'aurais tout accepté. Alors quand il s'est approché… quand il s'est agenouillé devant moi, m'a pris dans ses bras et m'a désigné Capitaine d'équipage, je… j'ai immédiatement su où étais ma place. J'ai su ce qu'il attendait de moi ! Mais ce qu'il ignorait, c'est qu'en dépit de mon grade, je devrais malgré tout mériter ma place aux yeux de l'équipage… »

- Que… que veux-tu dire ?

- Que de la confusion des hommes, de leur interrogations et stupéfaction, a fini par germer un tout autre genre de sentiment… Dit-il sombrement.

- Quel genre ? S'inquiéta Hermione.

Le genre qu'aucun enfant ne devrait avoir à endurer… le seul contre lequel aucun homme ne pouvait lutter.

- De la jalousie…

« Obéir à un enfant ? A une crevette qui n'avait même pas toutes ses dents ?! Beaucoup ont pris ça pour un affront ; une insulte et une honte… J'ai bien tenté de les rassurer, de leur jurer fidélité et tout faire pour me montrer digne de l'honneur qui m'avait été fait ! Mais leur amertume n'a fait que croître… à tel point qu'ils ne m'ont plus vu comme un enfant, mais comme un obstacle… et fatalement, comme une cible à abattre. »

Se redressant dans un frisson, Voldemort regarda Connor serrer les dents, le visage grave à mesure que lui revenaient les grimaces de dégoût et hurlements de ceux qui devraient à jamais lui prêter serment… à mesure que l'une des pires périodes de sa vie lui échauffait douloureusement le front.

« Certains ont voulu m'affronter en duel ; d'autres encore ont tenté de prouver que j'étais incapable de naviguer en haute mer… mais la plupart d'entre eux ont surtout chercher à me convaincre de désigner un autre Capitaine. Bien sûr, on peut les comprendre… pour eux je n'étais qu'un enfant ignorant ; un orphelin tout juste bon à batifoler dans les hauts-bancs ! Mais je n'ai jamais trahi mon serment. Je n'ai jamais renoncé à l'honneur de mon nouveau rang ! Et je n'ai jamais reculé devant les milles défis qu'ils me lançaient en riant… »

- Quel genre de défis ? Demanda le Mage gravement.

A sa question, aucun des deux Sorciers ne put imaginer sa réponse… Et pour cause ! Il n'en existait pas de plus effarante.

- Le premier fut de naviguer jusqu'au Grand Versant sur une barque à moitié désossée...

- Pardon ?! S'étouffa-t-il.

- Ne soyez pas surpris… comparé au reste, celui-là était presque facile.

Sonné, Voldemort ne sut plus quoi répliquer. Facile ?! Seigneur… était-ce possible ?

« Je suis parti un matin face à l'horizon, conscient qu'aussi inutile soit-il, ce premier défi serait déterminant. Bien entendu, je n'avais pas d'eau, de provisions, d'arme ou de quoi pêcher le moindre poisson… mais je n'ai pas renoncé. Qu'importe les difficultés, je voulais leur prouver que le Sorcier avait eu raison de m'honorer ! Alors j'ai persévéré… j'ai surmonté Marise, traversé la Grande Duchesse et son désert aride, et ai atteint l'Océan Atlantique avec l'étoile du Sorcier pour seul et unique guide… »

Par tous les Dieux…

« Mon voyage a duré de longues semaines… des semaines pendant lesquelles j'ai vogué à l'aveugle sur des eaux inconnues, froides et grouillant de créatures des enfers, conscient que le moindre faux pas me condamnerait à jamais… Bien sûr, les hommes étaient persuadés de me voir échouer. A vrai dire, ils avaient tous pariés que je ne rentrerais jamais ! Mais ce qu'ils ignoraient, était que j'avais passé ma vie en mer… et qu'il n'y avait rien sur un bateau, une chaloupe ou une barque que je ne sache pas faire. »

- Et tu es rentré…

Amusé par le souvenir de son épopée, le petit laissa échapper un sourire emplit de fierté… le premier depuis des années.

- En moins de temps qu'il n'en a fallu à cette bande de rats pour se souler. Tonna-t-il le torse bombé.

- Et cela ne leur a pas suffi ?!

Suffit ? Grand Dieu, non… rien ne leur avait jamais suffi.

« Certains étaient impressionnés… mais la plupart était outrée, humiliée et convaincue que j'avais triché ! Ainsi, l'exploit que j'avais si durement réalisé, la survie que j'avais si chèrement payé et la fierté que j'avais si vivement éprouvé, était devenue la marque d'une honte dont je ne pouvais plus m'extirper… A tel point que beaucoup d'entre eux se sont donnés pour mission de me tuer. »

- De… de te tuer ?! S'étouffa-t-elle.

- Et encore… c'était sans compter ceux qui voulaient m'exiler, me perdre ne forêt ou me sacrifier au nom du Sorcier.

- Seigneur, mais… mais c'est…

Immonde. Grave. Barbare. Cruel. Infâme… oui, et à peu près tout à la fois.

- C'est horrible. Finit-elle par souffler en apnée.

Se mordant la lèvre un court instant, Connor s'entendit grincer des dents en silence…

- Oui… ça l'était. Mais je n'ai pas renoncé.

« Mon second défi fut de gravir la plus haute montagne de l'île. Mais là encore, ma réussite les enorgueillit ; je dû donc le refaire une deuxième fois les yeux bandés, puis les mains attachées avant qu'ils ne perdent patience et me fasse recommencer les pieds nues et les oreilles bouchées… jusqu'à ce que ma rapidité, ma détermination et mon sens de l'orientation ne les poussent à faire preuve davantage d'ingéniosité. »

Ou de cruauté…

« Je dû polir, décrasser et entretenir l'intégralité de nos navires, recoudre plusieurs centaines de voiles, tailler à mains nus je ne sais combien de rames, vider et recharger les calles… et un millier d'autres tâches de bas étages. Contrairement à ce qu'ils crurent, faire tout cela ne me découragea pas… alors, ils décidèrent de tester mes limites, prétendant que mon corps d'enfant ne serait jamais capable de supporter l'adversité d'un véritable périple. Ainsi, ils me firent nager des heures en haute mer, me laissèrent flotter des jours dans le Désert de la Grande Duchesse, me forcèrent à marcher sur des chemins de braises, dormir sur des planches jonchées d'éclats de verres et à ne manger qu'une poignée de sel pendant plus d'une semaine... »

Oui… cruel.

« N'importe qui avec un peu de bon sens aurait renoncé… mais pas moi. Qu'importe que mon corps soit brûlé, noyé, coupé, affamé ou desséché, je… je ne pouvais accepter l'idée d'échouer ! De décevoir le Sorcier ou de renier l'honneur qu'il m'avait fait ! Alors j'ai continué… sans relâche, j'ai relevé chaque défi, chaque pari, chaque douleur et supplice afin que plus jamais aucun d'eux ne se permette de rire ! De sourire ! De se moquer ou de seulement penser pouvoir me faire fuir ! »

Oui… il voulait mériter sa place.

« Je voulais qu'il me respecte ! Je voulais qu'il me reconnaisse comme leur digne chef ! Je… je voulais qu'il m'accepte comme leur seul et unique Capitaine ! »

- Et tu as réussi…

- Oui…

Mais pas avant qu'ils ne se soient tous assurés de lui faire relever un dernier défi…

« J'avais tout fait, tout réussi, tout conquis… et la majorité d'entre eux avait fini par accepter notre nouvelle hiérarchie. Ne leur restait cependant qu'une chose à tester avant d'être certain qu'ils puissent m'accorder leur absolue fidélité… »

- Et qu'elle était-elle ?

La dernière preuve de sa valeur…

- Mon endurance à la douleur…

Seigneur…

« Un soir, ils se sont tous réunis autour de moi. Au début, je n'ai pas compris pourquoi ; jusqu'à ce qu'ils me fassent asseoir sur la plage, me donnent à manger et à boire… et ne me fasse embrasser chacun de leur coutela. »

Oh non…

« Le défi était simple. Je ne devais ni bouger, ni crier, ni pleurer, ni même grimacer… »

Grand Dieu, non !

« C'était un symbole. L'ultime preuve de ma dévotion, de mon courage et de mon abnégation... et de tout ce que j'étais prêt à sacrifier en leurs noms »

Ce n'est pas possible… Ce n'est pas possible ! Ce n'était pas possible ! Et pourtant, il s'était déjà levé pour déboutonner sa tunique.

« Certains ont cru que je me défilerais ; mais je n'en ai rien fait… car je savais que ce défi marquerait le début d'une nouvelle ère ! Qu'il signerait le début de mon règne ! »

Un bouton… un deuxième…

« Alors je n'ai rien dit, je me suis assis et j'ai souris. »

Un troisième…

« Je n'ai jamais arrêté de sourire… »

Avant que son étoffe ne tombe au sol… et que n'apparaissent les reliefs irréguliers de son torse.

« 42 entailles pour 42 membres d'équipages. »

Les reliefs de ses cicatrices…

42 coups de poignard pour 42 pirates. »

Les marques de son ultime défi…

« 42 promesses pour 1 seul Capitaine… »

Bouleversé, aucun des deux sorciers ne put plus respirer. Seigneur… ils ne pouvaient y croire. Ils ne pouvaient y croire ! Et pourtant, elles étaient toutes là… les 42 cicatrices qui ornaient fièrement son poitrail. Les 42 vestiges d'un sort qui aurait pu lui être fatal ! Les 42 marques de respect d'un équipage de sauvages… Ainsi, il n'y avait plus de mystères. Les cicatrices qu'ils avaient étudiées à la dérobée, interrogées d'un air gêné et regardées le cœur outré, n'étaient pas le résultat de sa vie de misère… mais bien les traces du rituel l'ayant à jamais fait Capitaine. Boursoufflées par endroits, elles striaient sa peau de leurs contours trop pâles, mélange d'empreintes macabres et de serments inviolables. Tantôt délicates, fines, profondes ou larges, elles habillaient son corps de leurs souvenirs barbares, laissant alors deviner le sang, la douleur et l'effroi qui avaient gorgés leurs sillages. Pourtant et contrairement à ce qu'on aurait pu croire pour un enfant de son âge, ils ne virent rien de tout cela dans son regard… ni honte, peine, terreur ou trauma. Rien ! Si… une chose. Du courage. Un indéfectible et incroyable courage, qui alors même qu'une effroyable nausée leur retournait les entrailles, les laissa fatalement et indubitablement sans voix. Oui, sans voix... Muets. Hagards. Prostrés. Béats. Choqués… que de synonyme pour une seule et même pensée : celle que cet enfant avait traversé l'enfer sans jamais sourciller. Sans jamais flancher, céder, pleurer ou supplier ! Sans jamais implorer une pitié qu'il aurait mille fois mérité ! Sans jamais se détourner de la promesse qu'il avait faite au Sorcier… un exemple d'abnégation, d'endurance et de loyauté comme nul n'en avait encore jamais rencontré.

« Mes cicatrices sont les serments de mes hommes. Chacune d'elle représente leur loyauté, leur dévotion, leur fidélité et promesses de protection. Sans elles, je ne suis qu'un enfant… mais avec elles, je suis Capitaine de Forbans ! Pilleurs des mers et terreur des Océans ! Commandant en Chef d'une flotte transcendant le temps ! Et digne héritier de l'île de l'Autre Versant ! »

Par Salazar… c'était à peine croyable. Que dire ! A peine envisageable ! Mais les vestiges de ses plaies ne mentaient pas… pas plus que la fierté, la résilience et la joie qu'ils virent rayonner depuis l'éclat de son sourire narquois.

« Je suis Connor McGalighan, Grand Capitaine des Pirates… »

Abasourdi, les sorciers se sentirent frémir, le visage défait à mesure que s'élargissait son sourire. Un sourire comme ils n'en avaient encore jamais vu, et qui alors même qu'ils peinaient à rester de marbre, leur arracha un soupir abattu.

« Après ça, plus aucun d'eux n'a remis en question mon grade de Capitaine. Après ça, plus aucun d'eux n'a osé me tenir tête ! Et c'était ainsi, que débuta mon règne… »

Par tous les Dieux… Connor, Capitaine Pirate. Le Roi de son propre équipage.

« S'en suivit le début de notre quête. Conscients de nos avantages, de nos forces d'attaque et de notre savoir, nous avons honorer notre promesse… nous avons pillés, volés et sillonnés les mers, défiés des navires de guerres, amassés plus d'or que ne pourrait jamais en posséder une Reine et terrorisé le monde pendant des siècles ! Nul ne nous résistait ; nul ne nous survivait ! Ni les Rois, les soldats, les marins ou les armées ! Ni les pêcheurs, les marchants ou les contrebandiers ! Nous étions intouchables, insubmersibles et Invulnérables ! De véritables démons des Mers que nul ne pouvait combattre ! »

Des siècles de pirateries… des siècles de vols et de tueries… des siècles dont le seul souvenir le fit brusquement sourire.

« Ce fut la plus belle période de ma vie… la plus riche et la plus indélébile. Celle où mes hommes m'aimaient, me respectaient et faisaient ma fierté. Celle où la magie de l'île était forte, abondante et en pleine santé. Celle où nous étions tous heureux, dignes et soudés… »

Une époque désormais passée, qui alors même que sa voix se coupait, embruma son regard de larmes salées.

- J'imagine que notre bonheur ne devait pas durer… Dit-il brusquement d'une voix enrouée. Mais cela ne change rien ! Même s'ils ne sont plus là aujourd'hui, je suis toujours leur capitaine. Je le serais à jamais.

Capitaine…
Capitaine…
Capitaine…

Seigneur… était-ce raisonnable ? Devaient-ils seulement y croire ? Ou se laissaient-ils à nouveau tromper par un mensonge à l'issue dérisoire ?! A ces questions, Voldemort ne parvînt qu'à esquisser une grimace ; car quoi qu'il tente de penser, de remettre en question ou de douter, il n'y avait plus rien qu'il puisse débattre… en particulier devant les larmes qui roulaient silencieusement sur son visage, et la quarantaine de plaies vers lesquelles était ancré son regard. Des plaies cicatrisées depuis longtemps, mais dont la pâleur et contours infâmant ne lui inspirèrent qu'horreur et marre de sang ; des plaies qui n'auraient jamais dû se retrouver sur un corps d'enfant… Aussi, il ne put plus le nier. Pour la première fois, Connor disait la vérité. Une évidence qui ajoutée à un nouveau millier de questions, ne tarda pas à raviver la colère qui n'avait cessé d'intoxiquer son sang. Et pour cause… sa vérité n'était que la preuve de sa trahison.

- Alors nous avions raison… fit-il du bout des lèvres. Tu nous as menti.

Loin d'être fier, Connor baissa la tête dans une grimace amère. Le regard tourné vers sa tunique gisant à terre, il sentit sa gorge se serrer sous l'étau d'une honte qu'il ne put cacher, les joues rouges et le menton tremblant devant l'exigence de ses pupilles outrées. Une exigence qu'il ne put affronter sans frissonner et dont la sincérité manqua de le faire chavirer. Oui... il leur avait menti ; mais l'histoire était encore loin d'être fini.

- Je sais…

- Pourquoi ? Demanda-t-il sèchement. Pourquoi n'avoir rien dit ?!

Pourquoi ? Grand Dieu… avait-il seulement eu le choix ?

- J'ai pensé à tout vous révéler. Admit-il sans les regarder. Je vous le jure ! Mais…

- Mais quoi ?! Tonna le Mage.

Se rasseyant dans un jappement, Connor s'entendit claquer des dents, le corps transit d'hésitation… pourtant, il connaissait la réponse à leurs questions. Et pour cause… elle était évidente ! Mais l'avouer aussi… simplement ? L'admettre et la revendiquer effrontément ? Sans faux semblant ? Honte ? Ou appréhension ? Non ; il n'en avait pas le cran. Aussi, c'est plongé dans un profond silence qu'il fixa son verre désormais vide de toute substance. Bien sûr, il avait fallu qu'il finisse son rhum à l'instant même où il avait le plus besoin d'engourdir ses sens…

- Je… j'avais peur… avoua-t-il.

- Excuse-moi ?! Dit-il.

- C'est la vérité…

Manquant de s'étouffer, Voldemort se mordit la joue dans un rire incontrôlé. Peur ? Lui ?! Après tout ce qu'il leur avait dit ? Tout le tumulte de sa vie ? Et ses prouesses quasi-mythologiques ?! Par Salazar, il se fichait de lui !

- Ne te moque pas de moi !

- Mais j'me moque pas ! Riposta-t-il.

- Oh je t'en prie… Tu es le premier Capitaine Pirate de l'Histoire ! Cingla-t-il avec force. Tu as affronté ton équipage, vogué pendant des siècles, accompli milles exploits, terrorisé les mers, combattu des flottes royales, volés les plus grands trésors de cette Terre et laissé morts et désolation sur ton passage ! Et tu oses prétendre avoir eu peur ? Toi ?!

Oui… dit ainsi, cela semblait risible. Et pourtant, aucun de ses périples ne lui avait jamais facilité la vie. Car il ne s'agissait pas là de survie, de vol, de voyage ou d'équipage ! Non, il… il s'agissait de lui. Lui, Connor McGalighan ! L'enfant ! Le petit garçon ! Celui-là même qui n'avait pas eu d'interaction avec le monde depuis… depuis… bon sang, il ne savait même plus depuis quand ! Alors quand il les a vu s'échouer… eux, des sorciers ignorants tout de lui, de l'Autre Versant, des légendes et de son passé… un étrange espoir l'avait soudainement habité. Infime et intangible, il l'avait pétrifié de ses promesses inavouées, mélange de renouveau et de jeux de rôle inespéré. Non pas pour les tromper, leur mentir ou les piéger ! Mais pour croire un bref instant en l'illusion d'une vie qui lui avait été arrachée… celle d'un enfant innocent, dont l'existence ne se résumait pas à une succession de deuils et bonheurs mort-nés.

- Je sais… Soupira-t-il. Mais je ne mens pas, je… j'étais terrorisé.

- Pourquoi ?!

- Parce que… parce que…

Peinant à trouver les mots, Connor se frappa le front dans un élan de frustration, les joues rouges et la gorge tremblante à mesure que sa langue retenait jalousement tout ce que son âme se languissait d'hurler à la face du monde… à mesure que son cœur saignait sous la trahison implicite de son serment.

- Parce que je ne voulais pas être un pirate ! S'écria-t-il brusquement.

Sonné devant la brutalité d'un aveu aussi spontané, Voldemort se senti vaciller. Qu'avait-il dit ?

- Parce que… parce que vous n'êtes pas des membres de mon équipage ! Des malfrats, des bannis ou des pirates ! Parce que je n'ai pas à vous prouver ma valeur, mes compétences ou mon courage ! Parce que vous ne cherchez pas à me renverser, me trahir, me dénigrer ou me faire du mal !

Ne trouvant plus la force de cacher ses larmes, Hermione se mordit la lèvre dans un jappement béat, le cœur éventré devant l'écho hurlant de son désespoir. Seigneur… Jamais elle n'avait vu ça. Jamais elle n'avait vu autant de peine, de douleur, de terreur et d'horreur dans un seul regard ; en particulier dans celui d'un enfant, dont la vie ne s'était résumée qu'à une série de naufrage…

- Parce que… parce que pour une fois dans ma vie, je ne voulais pas être traité comme un pariait ! Un fou ! Ou une menace !

Ainsi, c'était cela… l'acceptation, la simplicité d'une relation basée sur la confiance, la sincérité et l'absence de jugement. Soit tout ce dont il avait été privé depuis sa venue au monde…

- J'ai jamais voulu vous mentir ! Continua-t-il. Vous faire de la peine ou vous donner l'impression de vous trahir ! Mais je… je voulais juste…

Vivre.
Ne plus souffrir.
Être traité avec respect, chaleur et sympathie.
Et plus important encore… connaître un bref instant de répit.

- Je voulais juste savoir ce que ça faisait d'être… d'être un enfant au moins une fois dans ma vie. Souffla-t-il.

Bouleversé malgré le relief excédé de sa mâchoire serrée, Voldemort sentit son souffle se couper entre ses lèvres, l'esprit renversé par la puissance d'un aveu aussi cruel ; mais également par la puissance d'une prière aussi sincère…

« Être un enfant »

Des mots si simples pour une vérité si profonde. Des mots si douloureux pour un souhait si tendre… celui qu'il avait lui-même imploré du temps où il était encore enfant, mais que la vésanie de son sang et le sadisme de leur monde ne lui avait jamais accordé en dépit de ses supplications. Le rêve de ne pas être traité différemment... de ne pas inspirer la crainte, l'opportunisme, la méfiance, la jalousie ou le jugement ; de pouvoir sourire, rire, chanter et danser gaiement, sans redouter le jour d'une évidente trahison. Et de pouvoir, pendant une poignée de seconde, oublier le macabre, la douleur et l'effroi de leurs sombres existences... Oui, aussi surprenant soit-il, le Mage Noir connaissait ce sentiment. Plus encore, il l'entendait encore battre en lui dans l'obscurité de ses nuits, tel l'écho lancinant d'un gong que ni la mort ni le temps ne pourraient jamais tarir. Dans l'écho du mirage qu'aurait pu être sa vie, s'il quelqu'un s'était donné la peine de le traiter autrement que comme un objet de destruction en devenir…

- Vous étiez si gentils avec moi… si inquiets et prévenants ! Je… je voulais pas perdre ça. Je voulais pas que vous me voyiez comme un monstre de foire !

Un monstre de foire. Un paria. Une menace. Que d'insultes qui avaient orné leurs sillages. Que de mots qui resteraient à jamais gravé dans l'Histoire. Et que de vérités qui n'en étaient pas…

- Vous méprenez pas… je suis fier de ce que je suis. Dit-il avec force. Je suis fier d'être un pirate et de tout ce que j'ai accompli dans ma vie ! Mais je… je voulais pas vous faire fuir. Alors quand vous avez commencé à vous intéresser aux navires, à échafauder un plan pour quitter l'île et à penser que seule la magie du Capitaine pouvait vous permettre de fuir, je… j'ai paniqué.

Et encore… c'était peu dire comparé à la crise de panique qu'il avait fait au beau milieu de la nuit qui avait précédé leur première recherche de navires !

- Je savais que je devais vous dire la vérité… je savais que je devais vous avouer mon secret ! Mais je… je me suis dit que c'était trop tard ; que vous refuseriez de me croire et ne voudriez plus me voir…

Affligée, Hermione dû lutter contre chaque fibre de son être pour ne pas se lever l'enlacer, faire disparaître la douleur qui avait creusé ses traits et ne plus jamais le laisser penser une telle absurdité. Pourtant, c'est prostrée, tremblante et sanglotante, qu'elle resta figée dans un profond silence. Et pour cause… jamais la magie de son allégeance n'avait autant incendié son sang. Galvanisée par la nouvelle méfiance de son Maître, elle la contraignait à rester assise sur sa racine, lui interdisant alors de faire le moindre pas vers le petit ; ou plus précisément, vers une potentielle menace dont le Mage ne parvenait pas s'affranchir… une emprise éreintante, forte et oppressante, qui ajouté aux sifflements de son serpent, ne parvint qu'à décupler la nausée qui lui retournait le ventre.

- Nous aurions compris. Souffla-t-elle alors du bout des lèvres. Nous aurions essayé de t'aider !

- Hermione… gronda Voldemort.

- C'est vrai ! Insista-t-elle.

Grimaçant face à la hargne de son Initiée, Voldemort se massa les tempes dans un soupir étouffé. Seigneur… même en dépit de son mensonge, Hermione s'obstinait à vouloir le protéger ; et le pire était que même-lui peinait à véritablement le détester… Etait-ce idiot ? Fou ? Puéril ? Stupide ? Probablement… mais pour la première fois, ce qu'elle n'avait cessé de lui dire depuis leur rencontre étiolait l'ardeur de sa naturelle véhémence : ce n'était qu'un enfant. Pire encore… ce n'était qu'un enfant souhaitant être traité comme un enfant ! Et se faisant, ni son statut de Capitaine, son mensonge, son passé ou sa trahison ne parvenaient à le convaincre de le haïr pleinement. Une évidence que son orgueil peinait à surpasser et qui pour la première fois de sa vie, le laissa profondément… troublé. Pourtant, un tel sujet ne devrait aucunement l'inquiéter ! Pour preuve ! Il n'avait jamais hésité à tuer, punir et condamner ceux qui avaient un jour eu l'audace de vouloir le tromper ! Qu'ils soient grands, petits, mineurs ou désespérés ! Mais il avait beau tenter de se raisonner, de rester impassible et de se détacher de tout ce que Connor lui faisait éprouver… jamais son cœur ne s'était autant serré devant les larmes de ce petit écervelé. Sûrement que la magie de l'Autre Versant avait dû interférer avec ses sentiments, aliéner sa conscience ou l'avoir trop l'affaibli pour qu'il parvienne à réfléchir rationnellement… Mais même ses fausses excuses ne semblaient pas plus crédibles que ses grondements. Aussi, c'est mal à l'aise que le Mage Noir détourna le regard, son esprit cherchant désespérément à raviver l'ardeur de sa rage, de sa rancœur et de tout ce qui avait toujours fait de lui un Sorcier infâme… mais il eut beau chercher, insister et s'obstiner, il ne trouva rien un tant soit peu capable de le rassurer. Ne restait alors qu'une profonde confusion, mêlée à un insupportable sentiment de déception… des émotions pour le moins étranges, complexes et inhabituelles, dont la vivacité ne réussit qu'à exacerber sa migraine.

- C'est gentil… mais personne peu m'aider. Souffla le petit. Je me suis condamné tout seul. Et puis, je savais ce qui m'attendais en endormant mon équipage…

- Alors pourquoi ne pas t'être endormi avec eux ? Demanda abruptement le Mage. Comme dans la légende ?

Esquissant un sourire désabusé, Connor passa une main dans ses cheveux d'un air gêné, encore peu habitué à ne pas sentir ses dreadlocks s'entasser sous son bandana à moitié défait… un petit geste anodin, dont la symbolique lui arracha un frisson lointain.

- J'ai essayé… admit-il d'une petite voix. Après quelques années, j'ai perdu espoir et ai décidé de mettre un terme à… et bien… à ce qu'était devenu ma vie sans mon équipage. Mais quand j'ai imploré l'île…

Sa voix flancha un court instant, encore imprégnée du désespoir qui l'avait mené à vouloir mettre un terme à ses souffrances… mais également de son ultime déception.

- Ça n'a pas marché.

- Co… comment ça ? Bafouilla Hermione.

- Ça n'a pas marché. Répéta-t-il. Je… je suis resté éveillé.

Eveillé.
Seul.
Condamné.
Et banni de la seule et unique famille que la vie lui ait jamais donné…

- Alors pourquoi ne pas les avoir réveillés ?! Retorqua Voldemort. Si la solitude était trop lourde, tu aurais pu…

- J'ai aussi essayé.

Frappé par la dureté de son ton, les Sorciers se turent soudainement, l'échine parcouru d'un énième frisson. Et pour cause… aucun d'eux ne s'était attendu à une telle confession.

- Qu… quoi ?! Bégaya-t-il ahuri.

- J'ai essayé de les réveiller. Mais une fois encore, ça… ça n'a pas marché.

Abasourdi, Voldemort sentit sa mâchoire tomber, symbole d'une stupeur qu'il ne parvînt pas à cacher. Par tous les Dieux… il devait rêver. Il avait essayé de les réveiller… pour de vrai ? Et avait échoué ?!

- Mais… mais enfin c'est impossible ! S'écria-t-il. C'est toi qui les as endormis !

- Pas moi. Corrigea-t-il gravement. L'île…

- Mais… mais le Sorcier t'a béni ! Il t'a transmis une partie de sa magie !

Hochant vaguement la tête, Connor claqua sa langue dans un pincement de lèvre amer. Oui… c'était vrai. Le Sorcier lui avait transmis sa magie ; mais rien de comparable à celle qui habitait l'île…

- Il m'a donné assez de pouvoir pour honorer dignement mon serment… pour protéger mes hommes, prendre la mer, alimenter la magie et nous offrir une belle vie. Mais j'ai eu beau essayer, m'acharner et implorer, jamais l'île ne m'a permis de les éveiller…

Seigneur… cela semblait impossible. Pour ne pas dire profondément illogique ! Mais si une telle chose était véritablement arrivée… s'il était désormais incapable de les réveiller et que leur sommeil ne dépendait plus de sa volonté, alors… alors…

- C'est pour cette raison que je n'ai pas menti à propos des navires… finit-il par dire.

Oh non…

- J'ignore où ils se trouvent…

Oh non !

- Et j'ignore où sont mes hommes…

Pas ça ! Pas encore !

- Tout comme j'ignore comment rompre le sort…

Au bord d'un nouveau malaise, Hermione s'accrocha à sa racine pour ne pas faillir, les joues livides devant le rire cinglant d'un nouveau supplice. Une réaction que son Maître ne tarda pas à partager, et qui alors même qu'il s'apprêtait à répliquer, le laissa prostré dans un mutisme mortifié. Un mutisme dont le seul écho ne tarda pas les assourdir de son désespoir horrifié. Par tous les Dieux... cela ne pouvait être vrai. Cela ne pouvait arriver ! Pas après tout ce qu'ils avaient déjà enduré ! Pas après tout ce qu'ils avaient déjà risqué ! Et pourtant, c'est le regard franc et honteux que Connor les assommait de son ultime aveu. Le seul qu'aucun d'eux n'auraient eu l'audace d'imaginer, mais dont le sens suffit à les achever…

- Tu… tu n'es pas sérieux ? Souffla le Mage consterné.

- Désolé camarade… mais j'veux plus vous mentir.

Plus leur mentir ? Quelle chance ! Ils n'avaient même plus droit aux mensonges de complaisance…

- Mais… mais comment… pourquoi…

- Je ne sais pas. Dit-il.

Il ne savait pas.
Lui… Connor McGalighan… ne savait pas.
Lui… le tout premier Capitaine Pirates de l'Histoire ne savait pas !

Doux jésus… ils étaient perdus.

- Non… Souffla Voldemort entre ses dents. Non, c'est impossible !

Il ne pouvait l'accepter. Il ne pouvait le tolérer ! Et certainement pas après avoir laissé la magie de cette maudite île manquer de l'éborgner ! Mais comme toujours, les Dieux semblaient déterminés à les tourmenter, n'hésitant pas à user de vices et de malice pour les garder prisonniers de leur infâme petit cirque de honte et de cruauté… mais surtout pour ne jamais les laisser leur échapper.

- Il y a forcément un moyen ! Quelque chose que tu n'as pas essayé !

- J'ai tout essayé !

- Impossible ! Explosa-t-il.

Et pourtant, il n'avait pas idées des heures qu'il avait passé à implorer l'île de lui rendre ses navires… ses hommes… et sa vie. Mais comme l'ultime pénitence de son arrogance, la dernière épreuve de son endurance et la quintessence de son antre de souffrance… jamais il n'avait vu la moindre voile poindre à l'horizon.

- Je suis désolé Tom. Soupira-t-il. Mais j'te le jure sur ma vie… je sais pas où sont mes navires.

Frappé par la douleur de son ton, Voldemort se mordit le poing dans un hurlement, l'esprit au bord de l'implosion à mesure que s'annihilait devant lui leurs dernières chances de délivrance… et avec elles, celles d'enfin rentrer à la maison.

- Non… non, non !

- Maître… Souffla Hermione livide.

- Non ! Je refuse d'y croire ! Je… je refuse d'y croire ! S'écria-t-il.

Et il n'était pas le seul ; mais après tout ce qu'elle avait entendu aujourd'hui, Hermione n'était même plus certaine de savoir comment réagir.

- Comment… comment est-ce arrivé ?! Demanda-t-il d'un ton empressé.

- Je l'ignore. Dit-il. Quand j'ai endormi mes hommes, les navires étaient tous ancrée dans la crique… mon vœu les a fait disparaître mais je m'étais dit que ça devait être un simple effet secondaire du sortilège – une sorte d'assurance au cas où l'un d'eux se réveillerait et chercherait à prendre la mer ! Mais quand j'ai tenté de les réinvoquer, rien… rien n'est arrivé. La crique est restée vide et… et les navires ne sont jamais réapparus.

Une crique vide...
Des navires invisibles...
Des pirates endormis…

Par tous les Diables, tout ceci semblait relever de la plus odieuse des folies ! A croire que cette île était véritablement maudite…

- J'ai insisté. Ajouta-t-il. Pendant plusieurs années, j'ai vraiment essayé ! Mais le temps a commencé à passer et… et j'ai fini par me résigner.

- Te résigner ?! S'étouffa le Mage horrifié.

Ahurit, Voldemort se redressa dans un élan enragé, consterné par la fatalité à laquelle il semblait s'être accommodée. Mais aussi par le désespoir qui l'avait gagné…

- Non, tu n'as pas le droit… Gronda-t-il brusquement.

- Maître, s'il vous plaît…

- Il s'agit de ses hommes Hermione ! S'écria-t-il outré. De SES hommes ! D'un équipage entier, perdu quelque part entre les ombres d'une île possédée, condamnés à rester enchaînés à un sommeil forcé !

Et ce simple fait l'ahurissait… car il ne s'agissait pas seulement d'une simple punition, d'une réprimande ou d'un simple accident relevant d'un concours de circonstances ! Non, il… il s'agissait d'un véritable châtiment. D'une torture sans équivalent ! D'un sort tout aussi barbare qu'avilissant que lui-même n'aurait eu l'audace de concevoir à ses heures les plus sombres ! Et pour cause ! Ce sommeil était magique… forcé, subi et hérétique ! Un emprisonnement pur et simple de l'esprit dans un corps condamné à gésir dans la nuit ! Une violation de la conscience, de l'âme et de la vie, entraînant folie, désillusion, paralysie, supplices et cauchemars en série ! Une incontestable agonie, ponctuée de cris et de supplications éternellement inaudibles ! Non pas qu'il soit légitime à porter le moindre jugement aux vues de ses propres talents en matière de châtiments… mais il était un Mage Noir expérimenté ! Un homme dont la cruauté n'était plus à prouver et dont les méfaits avaient toujours fait sa plus grande fierté ! Or, Connor n'était qu'un enfant… un enfant bon sang ! Certes, un enfant âgé de plusieurs centaines d'année ayant sûrement commis bon nombre d'atrocités au cours de ses innombrables épopées… mais tout de même ! Il ne pouvait pas les plonger dans un pareil sommeil pendant des siècles, sans s'attendre à ce que ses hommes n'aient aucune séquelle ! Plus que de la bêtise, c'était une erreur grossière ! Un véritable tord-viscère ! Un destin tout aussi ignoble qu'effroyablement cruel ! Alors se résigner ? Abandonner tout espoir de réparer ce qu'il avait fait ? Sous motif qu'une île maudite se refusait à le lui accorder ?! Non… non, il ne pouvait le tolérer !

- Tu aurais dû insister. Tonna-t-il durement. Tu aurais dû persévérer !

- Maître ! S'écria Hermione en pleure.

- C'est toi qui les condamné ! Continua-t-il sans la regarder. C'est toi qui as refusé de les libérer ! Tu n'as pas le droit de les abandonner ! Tu n'as pas le droit de te résigner !

Frappé de plein fouet par la dureté de ses propos, Connor se redressa devant lui, le regard franc et le menton haut à mesure qu'un frisson se mettait à ramper le long de son dos. Persévérer… insister… mais que croyait-il donc ? Qu'il n'en avait rien fait ? Qu'il s'était tourné les pouces ? Qu'il avait passé ses dernières années à regarder l'horizon sans jamais essayé plus longtemps qu'une poignée de secondes ? Qu'il s'était résigné par ennuie ? Incertitude ? Lassitude ?! Non… il ne savait pas de quoi il parlait. Il ne savait tout ce qu'il avait enduré !

- Tu crois que je ne le sais pas ? Claqua-t-il froidement. Tu crois que je ne regrette pas ce vœu du plus profond de mon âme ?!

- Un véritable leader s'acharne !

Oui… Il savait tout cela. Il savait que lui seul était responsable de cette débâcle. Mais il n'en restait pas moins un Capitaine pirate… et se faisant, il n'avait aucune leçon de morale à recevoir de la part d'un Mage Noir.

- Je me suis acharné ! Rétorqua-t-il enragé. Plus longtemps, plus durement et plus douloureusement que n'importe qui en ce bas monde ! J'ai tout essayé !

- Tu les as abandonnés !

- Pendant des siècles, je n'ai jamais renoncé ! Pendant des siècles, je n'ai jamais abandonné !

- Et pourtant tu as échoué !

Sonné, Connor vacilla dans un mutisme consterné, ses joues rougissant violement sous l'orgueil qui se mit à le secouer… Echoué. Oui, il savait qu'il avait échoué ; mais de là, à le lui dire ainsi ? Avec honte ? Jugement ? Et cris irascibles ? Non… c'était trop pour qu'il parvienne à rester docile. C'était trop pour qu'il s'aplatisse !

- Tu n'es pas en droit de me juger…

- Oh tu crois ?!

- Parfaitement ! S'écria-t-il outré.

- Ne prends pas ce ton avec moi ! Gronda-t-il offusqué.

- Tu tortures et tues tes propres hommes chaque fois que l'un d'eux tente de se rebeller ! En quoi est-ce plus miséricordieux que ce que moi j'ai fait ?!

Plus miséricordieux ?! Bon Dieu, ce gamin se payait sa tête !

- Moi au moins je ne prétends pas les aimer ! Cracha-t-il. Moi au moins, je ne les couvre pas de rhum, de discours et de mensonges dans le seul espoir de parvenir à les tromper !

- Je n'avais pas le choix !

- Tu leur as fait miroiter le plus grand rêve de leur vie afin de mieux les condamner à une éternité d'agonie !

- Ils sont seulement endormis ! S'écria-t-il.

- Et dans quel état penses-tu qu'ils seront après leur réveil ?! S'étouffa-t-il. Qu'ils penseront avoir fait une petite sieste ? Qu'ils bailleront, boiront un verre et n'auront pas la moindre séquelle ?!

- Ça suffit !

Réduit au silence, Voldemort se mordit la langue au cri de son Initiée, son échine tremblant brusquement sous la brûlure incendiaire de son regard mordoré. Un regard qui ajouté aux sifflements endiablés de son serpent excédé, suffit à faire autorité… et à les pétrifier en moins de temps qu'il n'en fallut pour les voir tous deux se renfrogner dans un grondement étouffé. Immobile l'un en face de l'autre, aucun d'eux ne dit plus mot, leurs pupilles s'accrochant l'une à l'autre dans un jeu de colère et d'égo ; le genre qui précède aux affrontements, aux disputes et affronts… qui embrasent les cœurs et délient les langues entre deux hurlements… mais qui fut les seuls échos de leurs rages grandissantes.

- Nous battre ne servira à rien ! S'écria Hermione outrée. On veut tous trouver une solution ! On veut tous trouver des réponses !

Elle avait raison. Ils le savaient… mais c'était si dur ; si difficile de ne pas se perdre face à tout ce qui les affligeaient.

- Nous devons travailler ensemble ! On n'a pas le choix !

Ensemble…
Ensemble…
Ensemble…

Oui… ensemble. Un mot qui étrangement, réussit à apaiser son Maître malgré ses tremblements et à éluder la rage qui ne cessait d'ébouillanter son sang. Un mot qui peu à peu, finit par redessiner les contours de sa conscience, et à lui faire porter un nouveau regard sur le petit garçon… Tout aussi essoufflé que lui, Connor s'était assis dans un rictus aigri, les joues rouges et le corps transit par la violence de leurs cris. Une image particulièrement significative, dont la douleur ne parvint qu'à lui arracher un soupir. Seigneur… voilà qu'il se disputait avec un enfant ; qu'il se permettait de lui faire la leçon, de le réprimander avec colère et déception, et de lui hurler dessus le doigt en l'air et la sueur au front ! Pourtant, il n'en avait aucun droit… Pire encore, il l'assénait de reproches alors que lui-même avait toujours suivit cette voie ! Mais c'était plus fort que lui… Pourquoi ? Il n'aurait su dire. Mais le voir se résigner ? Abandonner tout ce pourquoi il avait tant sacrifié ? Non… il ne pouvait le supporter. Une évidence qui bien qu'il tente de le nier, l'affligea de son odieuse vérité. Bon sang… il perdait pied. Toutes ces histoires, ces légendes, ces tromperies, ces magies et malédictions vide de sens… tout cela lui donnait l'impression de se noyer ! Et le pire était ce que ces fadaises semblaient sortir tout droit d'un conte pour enfant ! D'une fabulation indécente ! D'une folie tout aussi stupide qu'insolente ! Et pourtant, il fallait que ce soit elles qui battent les cartes de leurs chances…

- Oui… finit-il par souffler.

Comment allaient-ils procéder ? Parviendraient-ils à trouver ce qu'ils cherchaient ? Il ne savait pas… mais savait qu'ils n'arriveraient à rien s'il se refusait à faire le premier pas.

- Nous allons t'aider. Tonna-t-il soudainement.

Interdit, Connor se pétrifia en deux battements de cils. Qu'avait-il dit ?

- Qu… quoi ?!

- A trouver tes navires. A réveiller tes hommes. Nous… nous allons t'aider.

Abasourdi, le petit ne sut plus quoi dire. Il… il voulait l'aider ? Lui ? Alors même qu'il leur avait menti ? Qu'il le jugeait pour son crime ? Par tous les saints… était-il sérieux ? Le pensait-il vraiment ?! Trop choqué pour se le demander, Connor se redressa sans respirer, les pupilles brillant d'un éclat jusqu'alors oublié ; celui d'un espoir pour lequel lui-même avait cessé de prier.

- Mais… mais je sais même pas si je pourrais révoquer mon sortilège ! Bafouilla-t-il.

- On trouvera un moyen. Dit-il déterminé.

- Et la promesse ? Celle qu'aucun naufragé ne pourra reprendre la mer ?!

- On la brisera.

- Comment ?!

Il ne savait pas… mais qu'importe. Ce ne serait pas la première fois qu'il déjouerait le Sort.

- Ensemble.


Heyyy ! Et voici l'histoire que vous attendiez... celle de notre cher petit naufragé ;) Un naufragé qui en a pas mal bavé d'ailleurs mais qui est prêts à tout pour retrouver son honneur ! Ne reste donc plus qu'à trouver ces maudits navires et à comprendre la magie de l'île ! Chose qui vous le verrez ne sera pas aussi facile !

En tout cas, j'espère que la tournures des évènements vous a plu ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensez !

Sur ce, je vous dis à la semaine prochaine ;)
A très vite mes petits sorciers !