On avait accédé à la demande du malade : le jour suivant, on l'avait transféré vers sa chambre dans l'auberge – tout en prenant le soin de le fournir en potions.
Harry et Hermione avaient parlé de son cas à leurs conjoints respectifs – Ginny et Ron – qui s'étaient tous deux montrés attristés par cette morose histoire. Ginny, qui se souvint des quelques conversations qu'elle avait tenues avec lui il y a longtemps, à Poudlard, décida sur un coup de tête d'aller lui rendre visite pour le revoir une dernière fois et essayer de lui remonter un peu le moral. Elle et Harry se remémorèrent également l'amitié qui l'avait lié à Fred et à George ; bien que d'abord réticents à aller en parler à l'unique jumeau survivant, ils finirent par se dire qu'il serait sans doute pire qu'ils lui cachent l'information sur le retour de Lebedev en Angleterre et allèrent le voir dans son magasin de farces et attrapes.
Depuis plus de cinq ans, le magasin n'était pratiquement plus géré que par Ron, devenu l'associé de son frère ainé après une brève carrière d'Auror. La perte de Fred avait complètement brisé George : ses tentatives de se reconstruire échouèrent les unes après les autres ; il passait à présent le plus clair de son temps enfermé à double-tour dans le petit laboratoire derrière l'entrepôt de la boutique, à bricoler sans conviction des pétards, des feux d'artifice ou des bonbons piégés. Mais l'âge d'or du Magasin de Farces pour Sorciers Facétieux était passé depuis longtemps : Ron se contentait de revendre d'anciens produits car toute énergie et toute trace d'inventivité avaient peu à peu quitté George.
Harry et son épouse savaient qu'il fallait traiter l'homme avec précaution. Ils essayèrent de lui annoncer la nouvelle de la mort prochaine d'un énième ami avec le plus de douceur et de tact possible, pour éviter qu'il ne l'apprenne plus tard d'une manière brutale.
George, alors assis devant la table de son atelier, réagit à peine, baissant seulement son regard constamment voilé de tristesse. Depuis quelque temps, il ne prenait plus vraiment soin de lui : sa redingote magenta aurait nécessité un bon lavage et une barbe de quelques semaines mangeait ses joues jadis marquées par le sourire ; ses cheveux roux mal coupés et graisseux encadraient son visage, masquant son oreille manquante. Ses yeux étaient presque aussi vides que ceux d'un mort.
« J'irai le voir », déclara-t-il enfin au bout d'une trentaine de secondes.
Le couple de mariés l'examina soucieusement avant de partir. Ils n'étaient pas sûrs d'avoir fait le bon choix – mais George leur en aurait sans doute voulu s'ils ne lui avaient rien dit.
C'était un samedi orageux. George Weasley franchit lentement la porte du Chaudron Baveur, répondit à peine au salut amical du barman et monta les marches des escaliers une à une. Il n'était pas certain de vouloir le revoir… il lui rappellerait sans doute des tas de souvenirs, des souvenirs qui le feraient regretter, qui lui feraient mal… il lui rappellerait Angelina Johnson, il lui rappellerait Lee Jordan, il lui rappellerait…
George s'arrêta un instant, les yeux fermés, les poings crispés, en plein milieu du sombre escalier grinçant en bois. Il sentit le besoin de s'agripper à la rambarde, de sentir un contact solide sous ses paumes… Peu de personnes l'avaient vu pleurer au cours de sa vie, jusqu'à une époque relativement récente il affichait systématiquement le sourire, faisait des blagues pour égayer son entourage, riait comme s'il était parfaitement insouciant. C'était son moyen à lui d'oublier, de se savoir utile, de ne pas sentir le vide profond douloureusement creusé dans son âme. Peu de personnes l'avaient vu sans ce masque de clown. Malgré lui, il jeta un regard craintif autour de lui, effrayé à l'idée qu'on puisse le surprendre ainsi… mais à la réflexion, il se dit qu'il s'en fichait. Du revers de la manche, il sécha les quelques larmes qui avaient dégouliné sur ses joues et, le regard vague, il acheva de monter les marches.
Le couloir lui était familier : sa famille et lui avaient jadis loué une chambre ici. Le parquet en bois humide comme les escaliers, les portes un peu miteuses de part et d'autre de l'allée, cette odeur de pin moisi, cette chaleur moite dégagée par la présence d'êtres humains à proximité… rien n'avait changé. Tout le contraire de sa propre vie…
Presque d'un pas de somnambule, il traversa le couloir en lisant sans comprendre les numéros inscrits sur les portes des chambres. Lorsqu'il fut devant la bonne, cependant, il le sentit immédiatement et s'arrêta. Sa main droite tremblait un peu à l'idée de saisir la poignée.
« Eh merde… » souffla-t-il, le front soudain couvert de sueur.
Il frappa néanmoins trois coups faibles, espérant vainement que l'occupant de la chambre ne l'entende pas…
« Entrez ! » résonna une voix enrouée de l'autre côté de la porte.
Presque comme dans un rêve, il s'exécuta.
La chambre était relativement vaste, correctement meublée : sur sa droite, un placard doté d'un petit miroir, une commode entrouverte remplie de vêtements, un fauteuil effiloché et une table basse sur laquelle s'empilaient des rangées de flacons de potions de toutes les couleurs. Sur sa gauche, une porte donnant probablement sur la salle de bain, deux chaises simples en bois, un petit canapé, des étagères remplies de livres, un autre placard – dépourvu de miroir cette fois-ci – et une épaisse valise noire grande ouverte, au fond de laquelle on pouvait distinguer des liasses de documents pour la plupart recouverts d'une fine écriture serrée bien familière. Le lit se trouvait au centre, collé au mur sous la large fenêtre qui éclairait toute la pièce. Une canne bizarre – elle ressemblait davantage à un bâton et comportait quelques feuilles vivantes – était appuyée contre lui.
Seule une tête dépassait des moelleuses couvertures grises. Le visage de Nikita Lebedev avait changé, George le remarqua tout de suite : ses cheveux avaient pris une étrange couleur poivre, pas seulement due à un grisonnement naturel ; son visage émacié et sa mine affreusement blême étaient ceux d'un mourant ; pourtant, quelque chose dans son regard indiquait avec force qu'il était demeuré le même – contrairement à son visiteur.
Il sourit en le voyant.
« Bonjour, George. »
Le rouquin fit une moue indéchiffrable et s'approcha d'un pas de la table où étaient posées les potions de soins. Il l'examina un instant d'un regard absent, puis se retourna vers l'homme alité.
« Salut. Ça fait longtemps. »
Ses muscles faciaux tressaillirent l'espace d'une seconde, mais aucune larme ne coula sur ses joues.
Nikita semblait le transpercer de son regard délavé. Il avait perdu cet air innocent et faussement naïf qu'il arborait avec tant d'insolence durant ses années d'étude ; à présent, ses yeux étaient parfaitement impassibles, même lorsqu'il souriait, brillant malgré tout en leur centre d'une surprenante détermination que George eut du mal à comprendre.
« J'ai entendu dire… j'ai entendu ce qui est arrivé, commenta Nikita d'une voix éraillée. Je… je sais qu'il est inutile que j'en parle. Rien ne peut y changer. »
George se tourna à présent entièrement vers lui et crispa les poings tout en baissant le regard sur le sol. Il tremblait. Nikita lui laissa tout le temps nécessaire et attendit silencieusement qu'il reprenne.
« Ouais…, marmonna enfin le rouquin, brisé. Rien ne peut… rien ne peut y changer… »
Il leva les yeux vers son ancien ami qui le dévisageait avec une infinie compassion.
« Tu sais, je ne me rendais pas compte de la chance que j'avais… ce n'était pas seulement mon frère, mon jumeau, c'était… c'était aussi une part de moi… Je suis mort, moi-aussi, durant cette bataille… nous sommes tombés ensemble… »
Il ignorait pourquoi il déversait tout ce qu'il avait sur le cœur à cet instant précis, mais il ne parvint pas à endiguer le flux de ses paroles. Il n'en avait jamais réellement parlé précédemment, si l'on omettait…
Une autre douleur cuisante le fit frissonner. Non, il ne devait pas penser à ça… cette nouvelle plaie, ce nouveau poignard en plein cœur, c'était ce qui avait achevé de le détruire. Il perdit presque conscience de son environnement tandis qu'il voguait au gré de souvenirs chaotiques et insupportables.
« Angelina ? demanda soudain une voix qui semblait provenir de loin. Je… je suis désolé… je pensais que vous étiez ensemble, que vous vous étiez mariés…
« Elle m'a quitté, souffla George d'un ton à peine audible. Elle, et Lee… ils sont partis en Australie tous les deux… Elle m'a dit qu'elle ne pouvait plus vivre à mes côtés, qu'elle ne parvenait pas à panser mes plaies… que coucher avec moi, c'était comme baiser avec un cadavre… qu'un jumeau sans l'autre, ça ne valait même pas le coup ! »
Il émit un ricanement cynique, sans joie. Nikita se dressa légèrement en s'appuyant sur ses coudes, hésitant à dire quelque chose, mais finit par se raviser et se rallonger sans quitter George du regard. Un moment passa sans qu'aucun des deux ne parle.
Enfin, George reprit, les yeux rivés sur ce visage étrangement modifié et qu'il regrettait déjà d'avoir revu :
« Et toi ? lança-t-il d'un ton bourru. Comment tu te portes ?... si on peut dire…
« Plutôt bien. On m'a transporté hors de l'hôpital, j'en suis très satisfait. Je ne souhaitais pas fixer un mur blanc, cette couleur me rappelle trop de mauvais souvenirs… »
Il rit à son tour à une blague qu'il était le seul à comprendre, l'air plus gai que son invité. George ne put s'empêcher d'afficher un rictus rappelant vaguement une esquisse de sourire.
« Au moins, tu as l'air de bien le prendre… je ne sais pas comment tu fais. Enfin… moi, à ta place, je serais sans doute aussi soulagé d'enfin quitter ce monde de merde… »
Il se stoppa net, conscient d'en avoir trop dit. Nikita haussa les sourcils et ouvrit la bouche, puis se mordit la lèvre inférieure. Tandis que George avait reporté son regard sur ses chaussures, le Russe se résolut enfin à parler :
« Tu ne devrais pas dissimuler ce qui te ronge, George. Parles-en à ta famille, parles-en à tes amis, je t'en prie… Ils peuvent t'aider ! Tu ne dois pas ruminer ce genre de pensée…
« Et je devrais faire quoi selon toi, consulter ? explosa soudain le rouquin. Faire un genre de rituel satanique pour ressusciter le cadavre de mon frère ?! Ça oui, ça tu en serais sans doute capable ! Tu vas certainement revenir sous forme de fantôme, tu as déjà dû tout prévoir, hein ! La mort n'a aucune emprise sur toi, tu n'as pas de famille, pas d'attaches… laisse-moi parier : tu n'as jamais invité une fille à sortir avec toi, pas vrai ? Tu ne sais pas ce qu'est la vie, parce que tu n'en as jamais eu ! »
Il se calma soudain, d'un coup, et recula d'un pas en retenant sa respiration. Il n'avait aucune idée de la raison qui l'avait poussé à crier. Il avait peur de lui-même : qu'est-ce qui l'avait pris ?
Nikita s'était contenté de tressaillir durant son discours colérique et de fermer douloureusement les yeux en encaissant muettement les coups. George finit par s'approcher de lui, anxieux, hagard.
« Je… je suis sincèrement… je ne sais pas pourquoi… je ne pensais pas un mot… »
Le Russe rouvrit les yeux : ils étaient presque froids – en tous cas, indéchiffrables.
« Je savais depuis mes huit ans que j'allais mourir jeune, comment aurais-je pu m'imposer à un cœur qui m'aime sans être rongé par la culpabilité de devoir un jour le briser par mon départ ? C'est vrai, je n'ai jamais invité une fille, je n'ai jamais vécu… mais par malheur, j'ai le don de lire dans l'âme des gens comme dans un livre : je sais exactement ce que ça fait, d'aimer quelqu'un ! »
Sa gorge s'était nouée, il n'arrivait plus à continuer. Mentalement recroquevillé sur lui-même, George l'écoutait, les bras ballants. Le ton du Russe s'adoucit d'un coup :
« Les gens en veulent à ceux qui meurent… George, n'essaye pas de rejoindre ton frère. Il n'y a sans doute rien, après…
« C'est ce que tu crois ? » s'étonna le rouquin en se penchant vers lui, les bras appuyés sur le rebord du lit.
Nikita ne répondit rien, le regard rivé sur le plafond. George se redressa lentement et recula inconsciemment d'un pas. Le silence dans la chambre était pesant, seulement perturbé par le claquement régulier d'une aiguille d'horloge et les bruits étouffés de l'extérieur. Les deux hommes, l'un allongé, l'autre debout, s'étaient perdus dans de sombres ruminations. C'était à peine s'ils se souvenaient de l'endroit dans lequel ils se trouvaient réunis.
Une violente sonnerie stridente les fit sursauter tous les deux : elle provenait de la poche de la redingote de George, qui y plongea sa main pour en ressortir une montre en forme de petit canari qui tenta de lui pincer les doigts, agacé.
« C'est… c'est l'heure… je dois y aller, bafouilla-t-il tout en faisant taire l'oiseau en lui tapotant la tête. C'est… ma boutique…
« Je comprends, acquiesça Nikita, le regard toujours songeur. J'ai été incroyablement heureux de te revoir, George… »
Le roux se contenta de hocher la tête et de sortir un peu gauchement de la chambre, y laissant seul son ancien ami.
OooO
« Oui, vous pouvez entrer, il est réveillé, chuchota vivement la Guérisseuse – une minuscule femme d'une soixantaine d'années, avec un petit chignon gris couvert d'un chapeau triangulaire.
« Merci, madame Pine. »
Ginny Potter serra amicalement la main de la soignante, qui eut un sourire radieux, et poussa la poignée de la porte de la chambre d'auberge. Ils étaient quatre à lui rendre visite – elle, son mari, George et Minerva McGonagal. Une semaine s'était écoulée depuis l'hospitalisation de Lebedev : c'était la première fois qu'il recevait autant d'invités d'un coup au Chaudron Baveur.
Lorsqu'ils pénétrèrent dans la pièce confortable, il était justement en train de griffonner quelque chose sur un bout de parchemin, adossé contre le mur derrière son lit. En les voyant arriver, il posa sa plume et leur sourit chaleureusement, le visage rayonnant d'une joie à peine dissimulée. Ginny songea que, malgré ce que lui avait rapporté son mari, Nikita n'avait certainement jamais voulu qu'on le laisse seul – bien qu'il ait été trop fier pour l'admettre ; lui rendre visite était le moyen le plus sûr de lui causer un immense plaisir.
« Bonjour, tout le monde ! s'exclama-t-il d'une voix un peu empâtée mais néanmoins claire. Bienvenue dans mon humble demeure provisoire !... mais asseyez-vous donc, prenez place, oui, là, sur les chaises ou sur le canapé ! Professeur McGonagal, monsieur et madame Potter, George… je suis très heureux de vous revoir !
« Nous de même, lança Ginny en lui rendant son sourire. Ça fait longtemps, Nikita ! »
Et elle s'approcha de lui pour lui serrer la main. Les yeux du Russe luisirent de satisfaction – ainsi que d'une pointe de nostalgie. Ginny était devenue une femme splendide, avec ses longs cheveux roux qui descendaient jusqu'à ses hanches et ses grands yeux noisette pleins de vie. Harry Potter avait beaucoup de chance de vivre aux côtés d'une telle beauté – attentionnée, intelligente et drôle en plus d'être magnifique ! La vie lui avait offert un cadeau qu'il méritait sans doute, après toutes les souffrances endurées dans l'enfance pour sauver le monde des griffes d'un puissant psychopathe : intérieurement, du fond du cœur, Nikita bénit cette union si harmonieuse.
Il ne put cependant s'empêcher de ressentir un vif élancement de tristesse à l'idée de ne jamais pouvoir connaitre semblable bonheur…
« Vous vous plaisez bien, ici ? s'enquit le professeur McGonagal en observant la pièce d'un œil préoccupé. Vous êtes sûr de ne pas vouloir être transféré ailleurs ?... je pourrais peut-être demander qu'on vous accorde un appartement vide de professeur à Poudlard avec une belle vue sur le Parc…
« Non, non, non, c'est très gentil à vous madame la directrice mais non, vraiment, je n'ai besoin de rien ! la coupa Lebedev avec un sourire un peu gêné. Vraiment, je me sens très bien ici, je n'ai pas à me plaindre ! »
Et il désigna d'un geste vague la chambre, sa valise remplie de parchemins et les étagères pleines à craquer de livres. La directrice de Poudlard comprit qu'il n'était pas du genre à trop se soucier de l'endroit dans lequel il se trouvait, tant qu'il avait une occupation – à savoir, probablement ses travaux de recherche.
Intrigué et un peu méfiant malgré lui, Harry – qui jusque-là, était demeuré en retrait, près de la porte – s'avança vers la valise pour y jeter un coup d'œil de plus près. Une majeure partie des documents n'était pas rédigée avec un alphabet latin, certains comportaient des schémas complexes et assez peu clairs – il n'avait aucune idée de ce qu'ils pouvaient bien représenter – et globalement, le tout laissait à penser qu'il faudrait sans doute des années avant que quelqu'un ne réussisse à ordonner et à déchiffrer l'intégralité de ce véritable fouillis écrit d'une main fiévreuse et brouillonne.
Il adressa un hochement de tête suspicieux au malade, qui se contenta de sourire innocemment.
« Vous demeurez très investi dans votre travail, monsieur Lebedev, déclara-t-il d'un ton neutre. C'est… certainement un comportement positif… j'ai moi-même souvent été confronté à la mort, je sais ce que ça fait… on n'a pas envie d'y penser, on a juste envie de se libérer l'esprit en faisant autre chose, une tâche qui nous tient à cœur, une tâche… réellement importante. »
Ginny lui lança un regard étonné et un peu effaré mais il n'en tint pas compte. Le sourire de Lebedev avait disparu de son visage ; pourtant, il le fixait toujours droit dans les yeux, sans ciller. Harry songea qu'il devait être en train d'essayer de lire en lui, sans doute pour y trouver quelque chose qui pourrait le blesser, mais ne détourna pas le regard. Malgré tout ce qu'il avait appris à son sujet, il ne faisait toujours pas confiance au Russe : inconsciemment, il cherchait un prétexte pour confirmer les impressions dictées par son instinct.
« Tu te souviens de Luna Lovegood ? intervint soudain son épouse en s'adressant à Nikita, déviant le sujet de conversation à cent quatre-vingts degrés. Elle est devenue Magizoologiste, il parait qu'elle est partie à la recherche de Ranfloks Cornus quelque part à l'étranger…
« Des Ronflaks Cornus, corrigea Nikita.
« Oh, alors tu t'en souviens ! Mais oui, bien sûr, tu l'as connue avant moi… tu sais que c'est sans doute grâce à toi qu'on est devenues amies, elle et moi, et qu'elle est ensuite entrée dans l'Armée de Dumbledore et a courageusement participé à la Bataille de Poudlard ? »
Nikita acquiesça, un sourire figé aux lèvres. Ginny s'aperçut qu'elle n'avait peut-être pas abordé le bon sujet. À son grand étonnement, elle fut cependant sauvée par l'intervention de son grand frère :
« Des Ronflaks… elle aurait dû venir me voir pour ça ! Je crois me souvenir avoir fabriqué des boîtes-à-surprise qui transforment momentanément le corps celui qui les ouvre en eau… alors, la fois où j'en ai donné à mon plus jeune frère, ça a bien donné un Ron-flaque ! »
Ginny et Harry pouffèrent de rire à son jeu de mots et même Nikita esquissa une moue amusée. George n'affichait plus du tout la même expression hagarde et perdue qu'il avait eue lorsqu'il lui avait rendu visite seul : un masque familier, espiègle et joueur, avait recouvert son visage mal rasé. C'était comme s'il avait fait un bond de plusieurs années en arrière.
« Au fait, à ce sujet, j'espère que Ron ne fait pas de bêtises ! s'exclama soudain Ginny en frappant dans ses mains, soucieuse. On lui a confié les enfants, il devrait être avec eux à la boutique de George…
« Ne t'inquiète pas, chérie, la rassura Harry en enroulant affectueusement son bras autour de ses épaules. Ils vont bien, ils s'amusent sûrement avec leurs cousins !
« Enfin, tu connais James… si Ron ne le surveille pas, alors il est en train de tout saccager à l'heure qu'il est ! s'horrifia la jeune femme. Ou pire encore : si Ron l'encourage…
« Je te dis qu'il n'y a pas à avoir peur pour eux, rit Harry en se rapprochant encore un peu de son adorable épouse. Excusez-la, se tourna-t-il ensuite vers McGonagal – assise dans le canapé – et Nikita, elle est un peu sur les nerfs depuis deux mois : James doit faire sa première rentrée à Poudlard cette année…
« C'est assez éprouvant pour nous de devoir gérer son excitation, compléta Ginny en esquissant un sourire malgré elle.
« Il ira certainement à Gryffondor, intervint le professeur McGonagal. Comme ses parents !
« Ça ne fait aucun doute ! rit Ginny. On craint déjà les dégâts qu'il va bien pouvoir faire !
« Vous l'avez bien nommé, sourit la vieille directrice. James Sirius…
« Il ressemble aux deux lascars, simultanément ! s'esclaffa Harry. Alors qu'Albus…
« Lui, il est plutôt du genre calme et réfléchi, opina Ginny. Encore heureux, c'est reposant !
« Combien avez-vous d'enfants ? » s'enquit Nikita, intéressé.
Harry adressa au malade un regard étonné.
« Je pensais que vous le saviez déjà, marmonna-t-il d'un ton un peu plus désagréable qu'il ne l'aurait voulu. Avec votre… lecture des pensées…
« Oh, je ne m'abaisse à cette pratique que lorsqu'on me provoque ! objecta le Russe.
« On en a trois, lui répondit Ginny avec un immense sourire radieux. Le plus âgé c'est James, ensuite il y a Albus, puis Lily – la petite dernière !
« Ils sont tous les trois adorables », commenta George, qui s'était levé de sa chaise pour regarder par la fenêtre d'un air absent.
Nikita remarqua le regard apitoyé qu'adressa le couple heureux au rouquin déprimé mais n'osa rien dire. Il se demanda néanmoins s'ils savaient, pour son état véritable, ou s'ils n'avaient que quelques soupçons…
La visite se poursuivit encore environ deux heures, durant lesquelles ils discutèrent de tout et de rien, de banalités ; le professeur McGonagal avait doucement commencé à somnoler sur son canapé, le couple des Potter se tenait serré l'un contre l'autre, joyeux et souriant, et George, après avoir passé un peu de temps à tourner en rond dans la pièce, s'était finalement assis dans un fauteuil, lançant de temps à autre une petite remarque ou une pique subtile qui faisait rire son auditoire.
La Guérisseuse leur avait apporté à chacun une tasse de thé, et avait versé quelques gouttes d'une potion de soins dans celle de Nikita – qui la but en grimaçant, n'étant pas vraiment un grand amateur de thé ni de potions. C'était pourtant le seul élément en cette agréable après-midi qui lui rappela sa condition de malade : du reste, il se sentit, pour la première fois depuis longtemps, appartenir à un groupe de personnes qui le traitaient comme un de leurs semblables. Après des mois de comportement fuyant, volontairement solitaire, cette chaleur amicale retrouvée – en des personnes assez inattendues, certes ! – lui fit un bien fou.
Finalement, ils durent se séparer de lui, lui dire au revoir ; Ginny, s'approchant de lui, lui promit cependant qu'ils allaient sûrement revenir : cette perspective illumina son visage d'un sourire rayonnant.
