Enjoy & Review!


« When you're young, you can assume everyone older than you has life figured out. Once you get command yourself, you realize we're all just the same kids wearing older bodies. »

Starsight - Brandon Sanderson

« Lorsqu'on est jeune, on peut croire que tous ceux qui sont plus vieux que nous ont leurs vies bien en main. Lorsque c'est notre tour d'être au pouvoir, on se rend compte que nous sommes tous les mêmes enfants dans des corps plus âgés. »
Starsight – Brandon Sanderson


Chapitre 38 : The Same Kids Wearing Older Bodies


Hermione parcourut pour la troisième fois le bout de parchemin, tout aussi perplexe qu'à la première lecture. La lettre avait visiblement été griffonnée à la hâte ou, peut-être, avec réticence…

« Autre chose à ajouter ? Granger ? »

La main que Draco posa sur son avant-bras la fit sursauter. Le brouhaha matinal de la Grande Salle lui revint brutalement aux oreilles comme si un sortilège de silence qu'elle n'avait pas jeté venait d'éclater. Elle avait été tellement perdue dans ses pensées qu'elle n'avait plus prêté aucune attention à ses environs, ce qui était une erreur. Vigilance constante, aurait dit Maugrey. Et Sirius ne cessait de leur répéter quelque chose de similaire.

Elle tentait de s'entraîner à rester perpétuellement consciente de son environnement, un peu jalouse de la manière dont Harry semblait le faire naturellement, mais se laissait trop souvent distraire dès lors qu'un livre était ouvert devant elle ou qu'elle planchait sur une question épineuse.

« Tout va bien ? » insista le Serpentard, sourcils froncés.

« Oui, bien sûr. » mentit-elle, en repliant la lettre avant qu'il ait pu y jeter un coup d'œil.

Elle se força à sourire à Luna qui l'observait avec curiosité, son livre de Potions ouvert debout entre eux. Elle avait un test plus tard ce matin là, se remémora Hermione, et avait des questions à leur poser, raison pour laquelle ils s'étaient tous les trois isolés à la table des Poufsouffles plutôt que de suivre Ron et Blaise vers celle des Serdaigles où les avait attendues Lavande et les sœurs Greengrass. Harry avait choisi de s'installer à la table des serpents avec les jumeaux, Ginny et Neville mais un regard dans cette direction lui apprit que son meilleur ami était plus occupé à remuer son bol de porridge sans en avaler une bouchée qu'à chahuter avec la même bonne humeur que le reste des Gryffondors.

« Tu as d'autres questions ? » demanda-t-elle à Luna, bien que ce soit Draco qui l'ait aidée jusque là.

Le hibou était arrivé alors que Luna ouvrait son manuel et Hermione avait été entièrement absorbée par le contenu de la lettre. Elle avait à peine touché à son assiette.

« Non. Merci. » répondit rêveusement la Serdaigle. « Même si je persiste à penser que de la poudre de cornes de Jabberwocky serait plus efficace. »

« Excepté que les Jabberwocky n'existent pas. » remarqua calmement Draco, sans aucune trace de l'impatience qu'Hermione y aurait mis.

Luna ne marqua aucun signe d'irritation. Elle se contenta de le regarder avec ses grands yeux bleus et de lui sourire comme si elle savait quelque chose qu'il ignorait.

À un autre moment, Hermione aurait probablement soulevé la question du poème de Lewis Carroll et de comment un Moldu aurait pu entendre ce nom, mais elle était sensiblement préoccupée à l'instant. Elle effleura la main de Draco pour attirer son attention.

« Il faut que je parle à Ron. On se retrouve en Botanique ? » s'excusa-t-elle.

Il hocha la tête, peu surpris, même si son regard s'attarda sur le papier toujours dans sa main avec curiosité. « Je suppose qu'il s'agit de quelque chose dont tu n'es pas libre de discuter ? »

Elle fit la grimace mais acquiesça. Puis, elle hésita. « Tu penses que tu pourrais t'assurer qu'Harry ne nous suive pas ? »

Le Serpentard grogna avec un déplaisir évident. « Tu veux que j'occupe Potter ? Sais-tu à quel point je déteste passer du temps avec Potter ? »

Elle inclina légèrement la tête sur le côté avec une expression contrariée.

Il s'affrontèrent du regard un moment puis il leva les yeux au ciel.

« Très bien. » capitula-t-il. « S'il le faut. Luna, tu m'accompagnes ? »

La blonde secoua la tête en signe de déni et récupéra son livre. « Je veux relire le chapitre. »

« Je ne peux pas t'en blâmer. » lâcha Draco. « Entre réviser et la perspective d'une fin de petit-déjeuner avec Saint Potter… »

« Tu as fini, oui ? » grommela Hermione. « Si c'est si terrible de passer du temps avec lui, pourquoi tu te balades tout le temps dans les couloirs en sa compagnie ? »

« C'est purement politique. » répondit-il, sans même ciller.

Elle n'en croyait pas un mot.

Certes, Harry et lui ne seraient jamais les meilleurs amis du monde mais ils étaient parfaitement capable d'être civils l'un envers l'autre lorsqu'ils le voulaient. Le problème, c'était qu'ils adoraient se voler dans les plumes.

Elle lui vola un baiser rapide, ramassa son sac qu'elle jeta rapidement sur son épaule et se dirigea vers la table des Serdaigles où ses amis l'accueillirent chaleureusement.

« Hermione, assieds-toi et aide-moi à convaincre ces idiots qu'ils n'y connaissent rien en Quidditch. » exigea Daphné, avec un regard glacial pour son petit-ami. Blaise n'en parut pas particulièrement affecté.

Ron, pour sa part, avait l'air butté.

Hermione croisa le regard de Lavande qui leva les yeux au ciel avec exagération. Elle avait toute sa sympathie. Les batailles rangées à propos de Quidditch au petit-déjeuner lui coupait l'appétit à elle aussi.

« Ron, je peux te parler ? En privé ? » demanda-t-elle.

L'adolescent jeta à son assiette encore à moitié pleine un regard empli de convoitise. « Mais je n'ai pas fini de manger… »

« C'est important. » insista-t-elle.

Ron soupira mais se glissa pourtant hors du banc. Il récupéra son sac sous la table, attrapa deux ou trois bouts de pain dans la corbeille, planta un baiser sonore sur la bouche de Lavande et marmonna qu'il la verrait en Botanique.

« Et pourquoi Harry a le droit de finir son petit-déjeuner, lui ? » se plaignit-il, lorsqu'elle l'entraîna vers la sortie sans s'arrêter à la table des serpents où Draco venait de s'installer. Il lui fit un clin d'œil lorsque leurs regards se croisèrent et elle se sentit rougir légèrement. Elle ne parvint pas à maîtriser son sourire avant qu'ils atteignent le couloir du premier étage où elle poussa son meilleur ami dans la première salle de classe vide qu'elle trouva.

Elle verrouilla la porte et jeta un sort pour s'assurer que personne ne pourrait surprendre leur conversation – un sort homologué par le Ministère, qu'elle avait trouvé dans un grimoire de la bibliothèque en faisant des recherches et pas un sortilège créé par un sorcier qui ne l'avait jamais ni enregistré au Ministère, ni fait tester plus sérieusement que cela.

« Un assurdiato aurait aussi bien fait l'affaire. » remarqua Ron, en laissant tomber son sac sur un bureau avant de se percher sur un autre.

Elle résista à la nécessité de lui rappeler, une nouvelle fois, qu'utiliser des sorts non répertoriés était non seulement illégal mais dangereux.

« J'ai reçu une lettre très bizarre de Remus. » l'informa-t-elle, en tirant le parchemin de sa poche. « Il dit qu'on doit garder un œil sur Harry, particulièrement avec Snape. »

Elle lui tendit le parchemin et le laissa lire la lettre lui-même, en se tordant nerveusement les mains.

Lorsqu'il eut terminé, il leva les yeux vers elle puis rebaissa la tête pour la relire une deuxième fois.

Il avait l'air aussi mal à l'aise qu'elle l'était à cette demande.

« Tu crois que ça a à avoir avec… Tu-sais-quoi ? » hésita-t-il.

« Je ne sais pas. » avoua-t-elle. Mais si l'Ordre du Phoenix était inquiet à propos de la sécurité Harry, il était logique que Remus leur demande, à eux, d'être vigilent. Ce n'était pas la partie qui lui posait problème.

Ron poussa un long soupir et replia lentement la lettre en quatre avant de tapoter le morceau de papier contre sa jambe. « Pourquoi il voudrait qu'on surveille Snape ? Tu-sais-qui l'a à moitié assassiné. Si on est sûr d'un seul truc, c'est qu'il est de notre côté. Non ? »

Parce qu'elle avait besoin de s'occuper les mains, elle rassembla la masse de boucles qui lui tombaient sur les épaules en un chignon lâche au sommet de sa tête. « Il peut très bien être contre Tu-sais-qui sans être une présence bénéfique pour l'Ordre… Ça ne te plaît pas non plus, l'influence qu'il a sur Harry ! »

L'accusation vola, plus agressive qu'elle ne l'aurait voulu. Cependant, cela faisait des semaines qu'ils en discutaient à voix basse dès qu'ils étaient sûr qu'Harry n'était pas dans les parages. Il était indéniable que leur meilleur ami vouait au Professeur une confiance aveugle et buvait ses paroles sans les remettre en question alors que tout ce que disait ou faisait Dumbledore paraissait désormais soumis à caution.

« Non, mais… » Ron s'interrompit et se frotta le visage. « Tu sais qu'il va mal le prendre si on s'en mêle, Hermione. Et, pour être franc… Ce n'est pas comme si j'étais le plus grand fan de Snape mais… c'est le seul adulte en qui Harry a confiance. »

« Justement. » contra-t-elle. « Remus ne nous avertirait jamais qu'il y a un problème si ce n'était pas sérieux. La dernière chose dont Harry a besoin c'est d'une autre… déception. Il est tellement déterminé à l'appeler son père… »

Hermione était partagée. Une part d'elle se réjouissait pour lui, une autre… Une autre se méfiait.

Rien n'était jamais aussi simple avec Harry Potter.

Ron tapa le parchemin un peu plus fort contre sa jambe, l'air coupable. « Il faut que je te dise quelque chose. Je ne t'ai rien dit plus tôt parce que… J'attendais qu'Harry nous en parle. Mais ça fait plus d'une semaine et il n'a toujours pas craché le morceau, alors… »

« Qu'est-ce qu'il y a ? » s'inquiéta-t-elle, en lui arrachant la lettre des mains avant qu'il ne l'abîme. Elle voulait la relire à nouveau, juste pour être sûre de n'avoir rien raté.

« Tu as remarqué la bague qu'il porte sans arrêt, ces temps-ci ? » s'enquit-il. « Depuis qu'ils sont partis en mission ? »

Elle dût y réfléchir puis haussa les épaules. « Peut-être ? Je n'y ai pas fait attention. Il a changé de style depuis la tempête magique. »

Elle s'habituait à peine à l'absence de ses lunettes et cela faisait pourtant des mois qu'il était revenu. Il se tenait plus droit, prenait plus d'espace, avait davantage de charisme, commandait l'attention… Parfois, il parlait avec l'assurance légèrement arrogante de tous les Sang-Purs… On ne pouvait nier que Serpentard l'avait changé. Alors s'il avait décidé de porter des bijoux désormais… Non, elle n'avait pas fait attention.

« C'est un sceau. » expliqua Ron. « Le même genre que celui que Draco a autour du cou. »

Elle fronça les sourcils, ayant été suffisamment éduquée sur l'importance d'un sceau pour une famille Sang-Pure par son petit-ami. « Il se balade avec le sceau des Potter au doigt ? »

Comme un puriste ?

Elle ravala à grand peine cette dernière partie qui aurait sonné comme une accusation.

« Celui des Prince. » corrigea-t-il, en se frottant la nuque.

Elle fit immédiatement le lien. « Prince, comme le nom d'emprunt qu'il utilisait en soixante-quinze ? Comme la famille de Snape ? »

Ron hocha la tête. « Je pense qu'il veut l'adopter. »

« Snape. » lâcha-t-elle. « Snape veut adopter Harry. Légalement. Est-ce que c'est seulement possible ? Après tout, il est toujours sous la garde des Dursley et Sirius a fait une demande de tutelle… »

« Je ne sais pas. » avoua Ron. « Mais je suppose que si Sirius est d'accord… »

« Mais Sirius ne sera jamais d'accord. » objecta Hermione. « Ils se détestent. »

Sauf que ce n'était plus si vrai. Elle les avait aperçus à différent endroits de l'école et ils avaient eu l'air en meilleurs termes. De plus, Snape reprenait progressivement les cours et il avait annoncé que Sirius resterait en tant que suppléant et assistant… Au lieu d'en prendre ombrage, l'Animagus avait éclaté de rire comme s'il s'agissait d'une bonne plaisanterie.

« Peut-être que Dumbledore n'est pas ravi par cette idée… » avança Ron. « Et c'est pour ça que Remus nous demande d'ouvrir l'œil. »

Elle prit le temps de relire la lettre une quatrième fois. Il n'y avait que quelques lignes et rien de plus qu'elle ne pouvait déchiffrer dans ce qui n'était pas explicitement dit.

« Je n'aime pas la façon dont Snape semble déterminé à le faire douter de Dumbledore. » soupira-t-elle. « Ou qu'il semble si décidé à empêcher Harry d'endosser son rôle. »

« Oui, mais d'un autre côté… » contra-t-il. « Je ne veux pas me faire l'avocat du diable mais si j'étais à la place d'Harry, mon père… » Sa voix se brisa et il se racla la gorge, prenant soin de détourner les yeux. « Il aurait cherché à me protéger aussi. Ça ne veut pas dire que c'est un complot ou un truc du genre, ça veut peut-être juste dire que Snape fait ce qu'un père devrait faire… »

Elle ne pouvait nier que ses parents auraient probablement eu la même réaction.

Il était donc possible que Snape essaye simplement de s'assurer de la sécurité d'Harry, même si cela allait à l'encontre des besoins de la guerre… Il était possible que Snape soit simplement… un bon père.

« Si Snape veut vraiment l'adopter… Pourquoi ne nous en a-t-il pas parlé ? Pourquoi garder le secret ? Et si Snape essayait de… de contrôler Harry dans le dos de Dumbledore ? S'il n'était pas sincère ? S'il avait une idée derrière la tête ? » insista-t-elle. « Et Remus… Je reste persuadée que Remus ne nous contacterait pas si ce n'était pas important. Dans sa lettre… C'est évident qu'il se méfie de Snape. »

Et, jusqu'à preuve du contraire, elle faisait davantage confiance à Remus qu'à Snape.

Cela ne l'enchantait pas mais…

« S'il te plaît, ne le dis pas. » plaida Ron, en faisant la grimace.

« Il faut qu'on en parle à Harry. » déclara-t-elle tout de même. « Il faut, au minimum, qu'on l'avertisse. »

Ron laissa tomber la tête en arrière avec un grognement. « Hermione, il ne va pas nous écouter et ça va mal finir. »

Il avait raison, elle le savait, mais elle refusait de ne rien faire.

°O°O°O°O°

Harry rangea ses affaires dans son sac, sans parvenir à s'ôter de la tête que Ron et Hermione lui cachaient quelque chose. Ils l'avaient évité la plus grande partie de la journée tout en le suivant partout où il allait. Ron paraissait incapable de le regarder en face et Hermione, au contraire, le dévisageait avec une compassion qui frôlait la pitié.

Il avait passé la moitié du cours de Défense à se demander si ses meilleurs amis avaient découvert son secret, soupçonnaient l'existence de la part de Voldemort qu'il abritait en lui, s'ils en étaient dégoûtés ou suspicieux, si…

« Harry. »

Il leva instinctivement la tête à l'appel de son nom, sursautant légèrement lorsqu'il se rendit compte que Severus se tenait juste devant son bureau, sourcils légèrement froncés. Sirius, pour sa part, était au fond de la classe et plaisantait avec certains des membres de l'A.D.

Les avoir tous les deux dans une salle de classe était très, très étrange mais, pour le moment, cela semblait fonctionner. Severus se chargeait de l'aspect théorique et des remarques sarcastiques tandis que Sirius s'occupait des démonstrations et des encouragements.

« Tout va bien ? » s'enquit le Maître des Potions.

« Euh… Oui. » répondit-il, non sans jeter un coup d'œil furtif à ses meilleurs amis qui l'observaient sans avoir l'air – et n'était pas très doués pour le subterfuge. À droite d'Hermione, Malfoy n'avait clairement rien raté de leur manège et paraissait curieux. Leurs regards se croisèrent. Le Serpentard leva les sourcils en une interrogation muette à laquelle il répondit d'un haussement d'épaules.

« Ta dernière période est libre, n'est-ce pas ? » insista l'homme.

Harry hocha la tête, tout en fermant son sac. « Remus a annulé l'entraînement cette semaine. »

La pleine lune approchait et il n'était pas au mieux de sa forme.

« Lupin n'est peut-être pas disponible mais je le suis. » répondit Severus.

Il se sentit immédiatement de bien meilleure humeur.

« Pour un duel ? » voulut-il clarifier, juste au cas où il était question de descendre aux cachots et de l'aider au laboratoire. Il ne se serait pas fait prier non plus dans ce cas de figure là. Il appréciait de passer du temps avec Severus, surtout maintenant qu'il ne paraissait plus d'aussi méchante humeur que la semaine précédente.

« Un duel ou une mise en situation. » suggéra le Professeur. « Je n'ai pas eu l'occasion d'évaluer tes progrès depuis un certain moment… »

Une mise en situation, c'était encore mieux, songea Harry, en jetant négligemment son sac sur son épaule. Contrairement à Remus, Severus ne cherchait jamais à le ménager et ça faisait un moment qu'il n'avait pas véritablement été mis en difficulté.

« La Salle sur Demande ? » proposa-t-il.

Severus inclina la tête en signe d'assentiment et lui fit signe de passer le premier. Harry s'était depuis longtemps habitué au bruit de la canne qui heurtait les pierres à chaque pas mais les quelques élèves qui s'étaient attardés dans la classe les regardèrent passer avec des yeux ronds. Harry les foudroya tous du regard, amis comme les autres.

Neville eut la décence de détourner les yeux en rougissant.

« Tu n'es pas obligé de défendre mon honneur. » ironisa Severus, une fois qu'ils se furent suffisamment éloignés de la salle classe. « Je suis parfaitement capable de terroriser quelques adolescents par moi-même, infirme ou non. »

« Vous n'êtes pas infirme et ils sont stupides. » grommela-t-il avec agacement. « Vous êtes tout aussi dangereux qu'avant. »

Peut-être davantage même, décida-t-il, car, désormais, tout le monde le sous-estimait à cause de la canne et de ses mains qui tremblaient parfois de manière trop prononcée pour être dissimulée.

Ce qui lui rappela…

« Hey ! Vous avez un check-up, aujourd'hui. » déclara-t-il, d'un ton légèrement accusateur. Il en était sûr parce qu'il avait été en train de lire sur le canapé du salon lorsque Pomfresh l'avait contacté par cheminette pour l'y convoquer et la sorcière n'avait pas eu l'air content.

« Dans une heure. » répondit le Professeur avec un coup d'œil agacé qui cachait mal une certaine affection. « Ne t'inquiète pas, je compte bien m'y rendre. Minerva me l'a déjà rappelé quatre fois aujourd'hui. J'ai bien peur qu'elle ne me kidnappe si je m'avise d'oublier une nouvelle fois. »

Harry baissa la tête pour dissimuler un sourire amusé, sachant pertinemment à quel point Severus adorait être materné.

« Vous êtes nerveux ? » demanda-t-il, tout de même.

Severus s'était rendu très régulièrement à l'infirmerie après en avoir été libéré mais, ces dernières semaines, il avait décrété qu'il n'avait plus besoin d'une surveillance aussi poussée. C'était le premier check-up depuis… Au moins quatre semaines, si Harry n'avait pas perdu le compte. Et pas parce que Pomfresh avait décidé qu'il n'y avait plus de raison de l'examiner régulièrement mais parce qu'il oubliait sciemment de se rendre aux rendez-vous.

« Il n'y a aucune raison d'être nerveux. » contra le Maître des Potions, un peu trop nonchalamment pour qu'il ne soit pas en train d'occluder. « Les choses sont ce qu'elles sont. »

Harry ralentit automatiquement le pas lorsqu'ils arrivèrent en vu des escaliers, trop conscient que les montagnes de marches aux quatre coins de Poudlard étaient devenues la bête noire du Professeur de Défense. Et, de fait, il l'entendit prendre une longue inspiration avant d'attaquer la première volée de l'escalier.

« Oui, mais, d'habitude, lorsque vous décidez que vous voulez vous entraîner comme ça, sur un coup de tête, c'est parce que vous êtes sois énervé, soit stressé. » se moqua-t-il à moitié.

« Tu me confonds encore avec mon jeune double. » commenta Severus, avant de lever les yeux au ciel. « Néanmoins… Il s'avère que Slughorn a finalement accepté de travailler avec moi et m'a généreusement trouvé un créneau ce soir avant le dîner pour parler de la potion. »

Harry se renfrogna à la mention du Professeur de Potions. Cela faisait des jours qu'il faisait mariner Severus. Comme si lui demander de l'aide ne lui avait pas déjà suffisamment coûté…

Quant à l'ironie dans la voix du Maître des Potions, elle était palpable.

« Dumbledore lui a tapé sur les doigts ? » se réjouit-il, probablement avec un peu trop d'espoir.

« Le Professeur Dumbledore. Et je l'ignore mais il faut croire. » répondit l'homme avec un plaisir évident. « La diplomatie parait toutefois être de rigueur. » Il marqua une pause, à la fois pour reprendre son souffle et car il parut hésiter à confier la suite. « On m'a fait remarquer que je serais sans doute moins enclin à céder à la tentation de sortir ma baguette si je me défoulais suffisamment auparavant. »

Ce n'était pas faux.

Mais il plaignait la personne qui avait été suffisamment inconsciente pour faire cette observation à voix haute.

« Sirius ? » devina-t-il, simplement parce que son parrain était suicidaire quand il s'agissait de tenir sa langue autour de son ancien rival.

Il sut que ce n'était pas Sirius à la manière dont Sev parut réfléchir un peu trop longtemps à la réponse.

« Nymphadora. » lâcha Severus, un peu brusquement, comme s'il n'était pas certain que c'était une bonne idée de l'avouer.

Gêné, Harry préféra fixer ses pieds, se concentrant sur les marches parfois inégales. Il était mal à l'aise et il ne savait pas trop pourquoi. Oui, penser que Severus puisse avoir une vie romantique était au-delà du bizarre et Tonks était… aux antipodes du genre de femmes qu'il aurait imaginé avec lui s'il s'y était aventuré. Mais il avait eu le temps de s'habituer à l'idée et ce n'était plus le choc que cela avait été dans la cuisine du Square Grimmaurd.

C'était juste que…

Son père se racla la gorge, s'appuyant plus franchement sur la canne l'espace d'un moment. « À ce propos, Harry… »

« Oh, au fait, je voulais vous demander… » l'interrompit-il, espérant sans trop y croire que l'homme ne détecterait pas la touche de panique dans sa voix. Ce n'était pas qu'il était contre ou qu'il n'appréciait pas Tonks, mais il ne voyait pas comment cette conversation pourrait ne pas devenir embarrassante. « Vous pourriez jeter un œil à mon devoir de Potions ? Il y a toute une partie sur les antidotes… Je ne suis pas sûr de ne pas m'être emmêlé les pinceaux. »

S'il en croyait son regard un peu trop pesant, Severus n'était pas entièrement dupe de son inquiétude soudaine pour ses devoirs.

« Le programme était bien plus avancé dans le passé. Tu ne devrais avoir aucune difficulté, particulièrement sur des sujets que tu as déjà étudiés… » lui reprocha le Professeur.

Harry haussa les épaules, en se composant une expression qu'il espérait innocente.

L'homme laissa échapper un long soupir exaspéré. Ou qui se voulait exaspéré. L'affection était suffisamment perceptible dans ses yeux noirs pour que l'adolescent n'en doute pas.

« Très bien. » capitula Severus. « Je lirai ton devoir de Potions. Et nul doute que je souhaiterai m'arracher les yeux. Ou les tiens. »

La menace sonnait creux et Harry ne retint pas un éclat de rire, heureux de ce moment de normalité qui, il le savait, se faisait trop rare. La guerre, à l'extérieur, empiétait sur le quotidien et il était agréable, pour une fois, de se chamailler à propos d'un devoir. Cela lui rappelait soixante-quinze.

Et soixante-quinze lui manquait un peu trop parfois.

Pas seulement la simplicité avec laquelle ils avaient pu afficher leur lien familial – Harry n'était pas aveugle et chaque groupe d'élèves qu'ils avaient croisés sur le chemin de la Salle sur Demande les avait dévisagés comme s'il était complètement aberrant de voir le Survivant avec Severus Snape – mais tout le reste : Severus, Lily, la banalité du quotidien… L'insouciance.

Il n'eut pas conscience de s'être enfermé dans un silence pensif jusqu'à ce qu'une main lui serre gentiment l'épaule.

Severus ne prononça pas un mot, comme s'il savait déjà vers quels souvenirs Harry s'était laissé aller à penser. Lui aussi tomba dans un silence méditatif.

Ils ne s'adressèrent plus la parole jusqu'à ce qu'ils atteignent la Salle sur Demande mais ce n'était pas un silence gêné ou tendu, c'était familier et réconfortant. Ce fût lui qui fit apparaître la pièce et, sans savoir pourquoi, il demanda à Poudlard de faire réapparaitre le décors dans lequel Sirius les entraînait actuellement pendant l'A.D.

Il avait à peine fait deux pas dans la reproduction de la ruelle Londonienne, avait à peine ouvert la bouche pour lui expliquer le fonctionnement de l'exercice, lorsque son instinct le fit pivoter brusquement. Il parvint à peine à dresser un bouclier à temps pour parer le maléfice que lui avait envoyé Severus.

« Serpentard. » l'accusa-t-il, en souriant pourtant.

Remus refusait toujours de l'attaquer dans le dos ou sans l'avertir au préalable parce qu'il craignait qu'Harry se blesse accidentellement. Ou, plutôt, parce qu'il ne pensait pas Harry capable de remporter un véritable duel contre lui.

Ce qui était aussi rageant qu'insultant – et un tantinet risible.

« Montre-moi ce que t'ont enseigné tes lions. » exigea Severus, avant de l'attaquer sans plus d'avertissement.

Harry se lança à corps perdu dans le duel, parant, bloquant et répliquant avec abandon.

Il fuit lorsqu'il perdit un peu trop la main, cherchant un endroit qui lui donnerait l'avantage.

Severus ne se donna pas la peine de lui courir après. Harry finit par se tapir derrière une grosse poubelle, tendant l'oreille avec attention. L'ancien Mangemort était extrêmement silencieux mais sa canne battait régulièrement les pavés, trahissant sa présence.

Harry attendit patiemment le moment opportun, retenant presque sa respiration.

Lorsqu'il entendit le Professeur se rapprocher suffisamment, il leva sa baguette.

« Obscuro Totalum. » souffla-t-il, aussi silencieusement que possible. Il maîtrisait quelques informulés, mais pas celui là.

L'obscurité s'abattit, si complète qu'il aurait été incapable d'apercevoir sa main s'il l'avait agitée devant son visage. Le bruit de la canne de Severus s'interrompit et Harry laissa un sourire satisfait étirer ses lèvres.

McGonagall ne cessait de lui répéter que la raison pour laquelle il ne parvenait pas à se transformer entièrement était parce qu'il cherchait à métamorphoser chaque partie individuelle de son corps au lieu d'y penser comme à un ensemble. Mais même une transformation incomplète avait ses avantages.

Armé de ses oreilles de tigre qui percevaient bien mieux les bruits que celles d'un humain, d'une patte griffue et d'yeux félins qui n'avaient aucun mal à percer l'obscurité presque solide, il se glissa hors de sa cachette et se rapprocha de sa proie.

Severus n'était pas resté exposé. Se sachant passé de chasseur à chassé, il avait trouvé refuge derrière le coin d'une rue parallèle et si les marmonnements que l'adolescent percevaient étaient exacts, paraissait essayer de lever le sortilège sans y parvenir.

Harry n'était pas peu fier de sa trouvaille. Il la trouvait… inspirée.

Il prit son temps pour trouver un chemin détourné qui l'amènerait derrière Severus, n'hésita qu'une poignée de secondes avant de lancer un sortilège qui fit voler sa canne au loin… Le Professeur avait déjà pivoté avant même que la canne n'heurte le sol, un sort quittant sa baguette dans la direction exacte d'où se tenait Harry.

À croire que lui aussi voyait dans le noir.

Harry esquiva en se jetant sur le côté, sans parvenir à véritablement se rattraper, déséquilibré par la lourde patte de tigre qui remplaçait son bras.

Vraiment, le plan avait été parfait.

S'il avait pris en compte ce que se battre avec un seul bras et un poids mort au bout de l'épaule aurait comme conséquences…

Sev avait un sixième sens lorsqu'il s'agissait de déterminer où étaient les gens dans le noir. Il avait forcé Harry à s'entraîner les yeux bandés de trop nombreuse fois et s'était soumis lui-même à des exercices similaires.

Décidant que l'obscurité n'était plus l'avantage qu'il l'avait souhaité, yeux de félin ou pas, Harry marmonna le contre sort.

Qui ne fonctionna pas.

Il tenta de dissiper à nouveau le sortilège et échoua à parer à temps l'incarcerem qui l'envoya voler au sol un peu plus loin, la respiration coupée.

« Harry ? » s'inquiéta Severus, probablement parce qu'il avait laissé échapper un feulement de douleur.

Un feulement.

Il faudrait qu'il en parle à McGonagall.

« Ça va. » promit-il en se trémoussant pour essayer de défaire les liens qui l'emprisonnaient. La patte de tigre était très, très mal positionnée, pas du tout faite pour être attachée à un corps humain et… Cela faisait très, très mal. Il n'était pas certain que son épaule n'allait pas se déboîter. « Vous pourriez me libérer, s'il vous plaît ? »

Il dût échouer à garder sa voix impassible parce que Severus murmura immédiatement le sort qui fit disparaître ses liens. « Es-tu blessé ? »

« Non, non… » répondit-il, un peu honteux. « C'est juste que j'étais à moitié transformé et ce n'était pas ma meilleure idée. »

Il se remit sur ses pieds et massa son épaule douloureuse.

« Ah… D'où l'obscurité… L'idée avait son potentiel. » commenta le Professeur. « Quel sort as-tu utilisé ? Je ne parviens pas à l'annuler. »

Et il en semblait très contrarié.

En d'autres circonstances, Harry s'en serait probablement amusé. Étant donné qu'il n'y arrivait pas non plus, il grimaça, sachant que Sev ne pourrait pas le voir.

« Une variante d'obscuro ? » hésita-t-il.

Il y eu un moment de silence.

« Et où as-tu déniché cette… variante ? » siffla trop doucement le Maître des Potions avec une suspicion évidente.

« J'ai vu Sev expérimenter avec des sortilèges pendants des mois. » se défendit-il. « Vous le faites tout le temps. »

Il n'avait pas besoin de ses yeux de chats pour savoir que l'homme était en train de lever les yeux au ciel.

« Est-il nécessaire que je me lance dans un long monologue destiné à te rappeler à quel point ce genre d'expériences peut être dangereux ? » grinça son père.

« Toujours moins dangereux que lorsque vous éventriez une gourde pour tester le Sectumsempra. » marmonna-t-il entre ses dents.

« Plaît-il ? » demanda Severus, toujours avec cette douceur dangereuse.

« Rien, rien… » répondit-il hâtivement. « Videri Totalum. » L'obscurité demeura, presque oppressante. Harry soupira. « Le contre sort fonctionne une fois sur trois. »

« Probablement parce que tu utilises le nom latin et non le verbe. Ce genre de sortilège demande une commande active et non passive. » ironisa Severus. « Vide Totalum. » Les ténèbres s'estompèrent lentement, révélant le Professeur qui l'observait avec une expression impassible. « J'ignorais que tu t'intéressais à la création de sortilèges. »

Harry haussa les épaules et le regretta immédiatement. Avec une grimace, il se massa à nouveau celle qui était douloureuse, peu surpris lorsque l'homme franchit la distance entre eux en quatre enjambées rapides si ce n'était légèrement claudicantes, et poussa sa main pour la remplacer par la sienne. Le Professeur tâta l'articulation douloureuse, jeta deux sorts de diagnostic…

« Utiliser ta forme Animagus peut être un réel avantage mais, en l'état, je t'interdis de t'en servir excepté si tu n'as pas d'autres choix. » le sermonna Sev. « Particulièrement en combat rapproché. Une transformation incomplète te laisse trop vulnérable. »

« Désolé. » marmonna-t-il, parce qu'il savait qu'il n'était pas censé s'entraîner à se transformer hors de la présence de McGonagall. Ce qui ne l'empêchait pas de le faire bien à l'abri dans son dortoir, cela dit.

« Mis à part cela, tes réflexes sont excellent. » admit Severus. « Et ce sort pourrait s'avérer utile. » Il lui lâcha l'épaule, ayant visiblement déterminé qu'Harry ne s'était pas sérieusement blessé, et leva un sourcil. « Néanmoins, ce n'est pas parce que j'étais inconscient durant mon adolescence que tu dois en faire de même. Expérimenter avec des sortilèges peut être dangereux… »

« Je sais. » soupira-t-il. « C'est juste que Flitwick nous a parlé des familles de sortilèges et de comment certains sont des variantes d'autres sorts et… ça m'a intrigué. »

« Il n'y aucun mal à être intrigué. Ou à pousser la curiosité aussi loin que tu le peux sur le plan académique. » contra le Maître des Potions. « Cependant… Si tu souhaites mettre la théorie en pratique, je préfèrerai que tu approches d'abord un adulte. » Il plaça à nouveau sa main sur son épaule et se racla la gorge, un peu mal à l'aise. « Le Severus que tu as rencontré dans le passé n'avait personne qui se souciait de lui, Harry. Je pense avoir clairement établi que s'il t'arrivait quelque chose, j'en serais extrêmement contrarié. »

Harry ne chercha pas à retenir son sourire.

« Je ne le ferai plus, papa. » promit-il.

Severus se détendit considérablement, lui serra l'épaule une dernière fois avant de le lâcher et de se détourner, ouvrant la marche vers la sortie – et ramassa sa canne au passage.

« Je suis heureux de constater que Lupin n'a pas réussi à te bourrer le crâne de notions de noblesse. » railla l'homme. « Arracher sa canne à un invalide ? Voilà une manœuvre entièrement Serpentarde. »

« Vous n'êtes pas vraiment invalide. » remarqua-t-il.

Il avait été entièrement conscient que la perte de la canne, ce jour là, ne l'affecterait pas des masses. Il était devenu un expert lorsqu'il s'agissait de déterminer si Severus souffrait ou pas, si sa jambe le ralentissait, s'il pouvait utiliser ses mains ou non…

« Cela n'enlève rien à sa sournoiserie. » répliqua Severus, en ouvrant la porte. Il la tint béante le temps qu'Harry récupère le sac qu'il avait abandonné à l'entrée et sorte le premier. « Plus sérieusement… Ton niveau est excellent, je n'ai pas grand-chose à te reprocher, mais je ne constate aucune véritable évolution. Lupin t'a-t-il seulement enseigné quoi que ce soit d'utile ? »

Il soupira et ajusta son sac sur son épaule toujours douloureuse. « Honnêtement ? Pas vraiment. C'est une perte de temps. Et ce n'est pas parce que ce n'est pas un bon enseignant ou parce que c'est un mauvais combattant… Mais il faut toujours tout faire dans les règles, respecter un code moral, discuter pendant cent ans de la nécessité d'utiliser tel ou tel maléfice plutôt qu'un sort moins inoffensif… »

« J'en toucherai deux mots au Professeur Dumbledore. » offrit le Maître des Potions, avec une contrariété évidente. « Il est inutile de surcharger ton emploi du temps avec des leçons particulières qui ne t'apportent rien. »

« C'est beaucoup plus intéressant de m'entraîner avec Sirius. » glissa-t-il. « Il est moins à cheval sur ce qu'il est moralement bon de faire. »

Ils prirent tacitement la direction de l'infirmerie, étant donné qu'on approchait de l'heure du rendez-vous de Severus. Ils marchaient cependant sans se presser.

« Black peut se monter très imprévisible, ce qui est un avantage sur un champ de bataille. » acquiesça l'homme. « Il sait s'adapter à toute situation. Plus tard, lorsque tu maîtriseras ta forme Animagus, il pourra t'apprendre comment t'en servir en situation de combat. »

Harry lui jeta un regard amusé. « Je ne m'y ferai jamais, vous savez. À vous entendre complimenter Sirius, je veux dire. »

Ce fût au tour de Sev de pousser un soupir las. « Crois-moi, moi non plus. » L'homme marqua une pause. « Je suis heureux que tu sois parvenu à dépasser ce qui s'est passé en soixante-quinze et à renouer avec lui. »

L'adolescent hésita un moment, puis haussa les épaules. « Vous aviez raison. Ce n'était pas vraiment lui… Et si vous pouvez lui pardonner… »

« Je ne dirai pas que je lui ai pardonné quoi que ce soit. » marmonna Sev, presque trop bas pour qu'Harry l'entende.

« Ce n'est pas tout à fait pareil qu'avant entre nous. » continua-t-il. « Mais qu'est-ce qui l'est, de toute manière ? »

L'amertume devait percer un peu trop clairement dans sa voix parce que le Professeur fronça les sourcils et s'immobilisa. Ils étaient dans un couloir du cinquième étage et Harry s'arrêta, lui aussi, par réflexe, se tournant pour faire face au sorcier.

Ils n'étaient pas bien loin d'une fenêtre où la pluie battante frappait la vitre sans discontinuer. L'orage avait dû éclater lorsqu'ils étaient dans la Salle sur Demande parce que le ciel était désormais strié d'éclairs, la luminosité était médiocre et l'ambiance dans les couloirs un petit peu glauque.

« Veux-tu bien me confier ce qui ne va pas ? » exigea son père, avec un regard un peu trop perçant. Ce fût un réflexe de raviver les flammes de ses boucliers, non pas qu'il soupçonnât que Severus se servirait de Legilimencie, mais… « Tu étais distrait la moitié du cours de Défense. »

Harry soupira, souhaitant, non pour la première fois cette année là, que l'homme soit un peu moins observateur. « C'est rien. »

« Ce n'est jamais rien, avec toi. » insista Sev, non sans un certain amusement. « Ou, plutôt, ce n'est rien jusqu'à ce que tu te retrouves en danger de mort. »

Il leva les yeux au ciel, ce qui lui valut un regard désapprobateur. Il poussa un nouveau soupir et se rapprocha de la fenêtre qui donnait sur une des cours intérieures. Elle était vide, étant donné le temps, et cela ne lui apporta pas la distraction qu'il cherchait.

« Harry. » hésita Severus. « Si ce qui te perturbe est en rapport avec… »

L'homme laissa sa phrase en suspens, comme s'il n'était pas certain de comment la terminer.

Harry devina sans mal qu'il pensait à l'Auror-qu'il-refusait-de-mentionner.

Ou bien peut-être que c'était lui qui faisait une obsession de cette histoire et que Severus pensait aux horcruxes.

« Hermione et Ron sont bizarres, aujourd'hui. » lâcha-t-il. « Et… Il y a des moments où tout est facile entre nous, comme avant, et d'autres jours où c'est… bizarre. Comme si on ne se comprenait plus. Comme si tout était différent, comme si on était trop différents. » Il prit une longue inspiration, garda les yeux rivés sur la cours en contrebas. « Et Sev et Lily me manquent. »

Severus le rejoignit lentement près de la fenêtre, un masque impassible sur le visage.

« Je n'ai malheureusement pas de réponses ou de conseils à t'offrir sur le sujet. » avoua l'homme. « Je ne peux nier que j'ai moi-même l'impression que nous sommes revenus dans un monde complètement différent de celui que nous avons quitté. »

« Peut-être qu'on est pas revenus dans la bonne réalité, finalement. » commenta-t-il, sans trop d'espoir.

« Ou, peut-être, avons-nous autant changé que le reste du monde ? » suggéra Severus patiemment.

« Ce n'est pas que leur faute à eux. Je ne sais plus comment leur parler. » concéda-t-il.

« Je ne prétends pas être un expert en matière d'amitié mais l'on m'a récemment fait remarquer que discuter de problèmes et trouver des solutions ensemble étaient un pas dans la bonne direction. » conseilla son père.

Les lèvres d'Harry s'étirèrent légèrement malgré lui. « Tonks ? »

Severus endossa son expression la plus offusquée. « Black. »

Tous ces gens qui osaient braver la colère de Severus Snape pour lui prodiguer conseils et vérités, songea Harry. Oui, le monde avait bel et bien changé.

« Vous allez être en retard. » remarqua-t-il, en jetant un coup d'œil à sa montre.

« Poppy survivra. Il y a parfois plus important qu'être ponctuel. » répliqua l'homme.

« Je saurais m'en rappeler la prochaine fois qu'on a Défense. » plaisanta-t-il. Il était évident que Sev ne trouvait pas ça très drôle alors il haussa les épaules, son sourire moins forcé qu'il ne l'aurait pensé. « Je vais bien, promis. Vous voulez que je vienne avec vous ou… »

« Je suis encore capable de me rendre à un rendez-vous médical sans personne pour me tenir la main malgré ce que vous semblez tous penser. » railla Severus.

Harry leva les sourcils et l'observa avec amusement. « C'est parce qu'on vous connait. »

°O°O°O°O°

L'orage éclata juste au moment où Albus atteignait la lisière de Pré-au-Lard, reflet si soudain de son humeur qu'il ne fût pas certain, l'espace d'un instant, de ne pas l'avoir accidentellement déclenché.

Les mots d'Abelforth lui résonnaient encore aux oreilles, secs et blessants.

Aller trouver son frère avait été son erreur, songea Albus, sans s'embarrasser de jeter un sort qui repousserait la pluie. Ses robes de velours s'alourdissaient à chaque pas, à mesure que l'orage torrentiel le trempait un peu plus, mais il accueillit l'inconfort presque avec soulagement. Dans sa poche, son poing était étroitement serré autour de la pierre sombre et lisse qui paraissait toujours anormalement froide.

À ses côtés, Arianna peinait à suivre son allure mais Albus ne ralentit pas, sachant que sa sœur ne se perdrait pas quoi qu'il en soit. La pierre ne le permettrait pas. Tant qu'il souhaitait manifester sa présence…

Ce n'était pas contre nature, contrairement à ce qu'Abelforth lui avait craché au visage lorsqu'il lui avait révélé la pierre avec une excitation à peine contenue. Certes, ce n'était pas entièrement naturel mais Arianna ne souffrait pas et n'avaient-ils pas mérité une opportunité de faire leurs adieux ? C'était cette chance qu'il avait voulu offrir à son frère.

Il aurait dû savoir qu'Abelforth n'apprécierait jamais aucun de ses efforts.

L'accuser de retomber dans ses vieux travers…

Le toupet !

Certes, Albus était désormais en possession de deux Reliques et, certes, il sentait à nouveau la même excitation qu'il avait éprouvé dans sa jeunesse mais cela n'avait rien à voir avec les Reliques et davantage à voir avec…

Il atteignit les grilles de l'école qui s'ouvrirent sur son passage sans qu'il ait à seulement les toucher ou à y penser. Elles se referment brutalement dans son dos dans un fracas assourdi par la tempête. Il s'engagea sur le chemin de terre désormais boueux qui serpentait vers le château, Arianna toujours à ses côtés, ses grands yeux tristes rivés sur lui.

Il l'ignora.

Abelforth avait tort et il était ingrat.

Si leurs positions avaient été inversées, Albus aurait pleuré de gratitude à l'opportunité de revoir leur sœur, d'implorer son pardon…

Abelforth avait toujours accusé Albus de son meurtre.

Et Albus… Albus était persuadé que c'était Gellert qui…

Mais la vérité, la vérité dérangeante qu'Abelforth préférait oublier, était qu'ils avaient été trois, ce jour fatidique, et qu'Abelforth avait tout aussi bien pu être responsable que lui ou Gellert.

Ils n'auraient jamais la réponse à cette terrible question.

Il avait étudié son propre souvenir dans sa pensine des milliers de fois, s'était torturé jusqu'à en avoir mal à vouloir en mourir, mais il n'était jamais parvenu à une véritable conclusion. Tout s'était passé trop vite. Sa propre mémoire n'était pas fiable.

Et ce jour là lui avait déjà tellement coûté…

La véritable culpabilité, celle qui le rongeait comme un acide depuis tant de décennies, n'était pas seulement l'idée qu'il ait été responsable de la mort d'une sœur dont il avait parfois perçu l'existence comme un boulet à son pied, songea-t-il en poussant les grandes portes du château, mais de ce sentiment de nostalgie dont il n'était jamais parvenu à se débarrasser.

Il y avait eu d'autres hommes.

Certains étaient même parvenus à faire battre son cœur un peu plus vite pendant quelques temps.

Il n'en avait jamais aimé aucun avec le même abandon, la même passion, qu'il avait éprouvé pour Gellert.

Et si Arianna n'était pas morte ce soir là…

Il avait sacrifié son grand amour. Il avait sacrifié son grand amour au souvenir d'une sœur qu'il avait chéri et Abelforth osait

Il ignora Argus qui marmonna quelque chose à propos des traces de boues sur son passage, ignora les élèves qui le regardaient avec des yeux écarquillés alors qu'il traversait le hall d'entré d'un pas vif, presque agressif, sa silhouette illuminée par les éclairs qui striaient le ciel dans son dos.

Il n'était jamais parvenu à se défaire de cet amour, pas même lorsqu'il s'était érigé en son plus grand ennemi. Au fond, se dresser contre Gellert avait été une manière de continuer à…

L'adolescent le percuta de plein fouet, mettant un terme à un train de pensées dangereux. Albus aurait peut-être perdu son calme légendaire, trop profondément centré sur ses propres tourments, si des yeux verts un peu choqués n'avaient croisé les siens.

Comme un rappel du destin.

Comme un rappel à la raison.

« Harry. » dit-il, un peu mollement. Le garçon l'avait heurté avec tellement de violence qu'il en était tombé au sol.

« Désolé. » offrit l'adolescent. « Je ne vous avais pas vu. »

Étant donné l'allure à laquelle Albus s'était déplacé, ce n'était pas bien étonnant.

Il tendit la main au garçon pour l'aider à se relever. « C'est moi qui te présente mes excuses. J'ai bien peur de n'avoir prêté absolument aucune attention à ce qui m'entourait. »

Harry balaya ses excuses d'un haussement d'épaules mais fronça les sourcils. « Tout va bien, Professeur ? Vous avez l'air… »

L'adolescent était trop poli pour terminer sa phrase.

Albus mesura pourtant ce qu'il ne se décidait à dire. La scène avait attiré un petit public d'élèves qui les observait sans avoir l'air. Et c'était bel et bien une scène car le Directeur de Poudlard ne traversait pas souvent les couloirs au pas de charge, ses robes, cheveux et barbes trempés par la pluie, les ourlets couverts de boue, et une expression furieuse sur le visage. Les enfants autour d'eux le dévisageaient avec crainte, appréhendant sans doute une nouvelle catastrophe…

Il fit un effort pour détendre ses traits, pour sourire.

« Je me suis trouvé pris sous l'orage, ce qui m'a mis de méchante humeur, à ma grande honte. » déclara-t-il, suffisamment fort pour être entendu de tous. « J'étais fort pressé de me changer. »

Harry le regardait comme s'il n'était pas tout à fait certain qu'Albus n'avait pas sombré dans la folie. « Et, euh… Un sortilège pour vous sécher ? »

Il cilla comme si l'idée était brillante et qu'il ne l'avait pas eue avant. « Une excellente notion, Harry. Cinq points pour Gryffondor. »

Il agita la main négligemment et ses robes redevinrent sèches et propres. La boue disparut également du sol qu'Argus était en train d'éponger.

Les élèves commencèrent à se disperser lentement, riant légèrement sous cape à son comportement un peu loufoque.

Harry resta là où il était, à le dévisager avec attention. « Est-ce qu'il s'est passé quelque chose ? »

« Non. » le rassura-t-il, avec un long soupir. « Contrariété toute personnelle. » Il observa l'adolescent qui paraissait, lui aussi, un peu abattu. « Voudrais-tu prendre une tasse de thé ? »

Un peu de compagnie lui ferait du bien, décida Albus, en jouant avec la pierre dans sa poche. Arianna s'était éloignée, l'air triste. Il s'était trop enfermé avec des fantômes récemment. Peut-être était-il temps de rejoindre les vivants.

Le garçon hésita un peu, probablement parce que Severus n'approuvait pas leurs tête-à-tête, puis finit par accepter d'un hochement de tête. « Pourquoi pas ? »

°O°O°O°O°

Severus attaquait le sol de sa canne avec, peut-être, un peu trop d'impatience et d'irritation. Il ne parvenait pas à s'ôter de la tête que tout ceci était une perte de temps.

Il était plus que capable de jauger ses propres progrès, de surveiller son état de santé par lui-même et de s'assurer que de nouvelles séquelles ne se présentaient pas de manière impromptue.

Apparemment, personne ne partageait son avis sur la question, ce qui était vexant.

Poppy l'avait accusé d'être son pire patient.

Ce fût en se remémorant cette remarque précise qu'il pénétra dans l'infirmerie avec pertes et fracas, ouvrant les doubles portes d'un geste théâtral qui aurait eu plus d'impact si la pièce n'avait pas été entièrement vide. Pas même un première année à impressionner.

« Poppy ! » aboya-t-il avec mauvaise humeur, en direction du bureau de l'infirmière dont la porte était ouverte.

Il se dirigea vers le lit le plus proche, se faisant violence pour ne pas boiter ne serait-ce que légèrement.

« Êtes-vous toujours aussi impoli, Severus ? » rétorqua une voix désormais familière.

Il se tourna dans un élan de surprise, retenant juste à temps un réflexe instinctif de faire un pas en arrière et de sortir sa baguette lorsqu'il aperçut la sorcière qui se tenait sur le seuil du bureau de Poppy.

La ressemblance avec Bellatrix était frappante.

Il renforça ses boucliers mentaux, s'efforçant de rester impassible et de ne pas céder aux souvenirs invasifs, de ne pas revivre la dernière fois où il avait vu Bellatrix, à la douleur qui…

« Andromeda. » la salua-t-il d'un hochement de tête. « J'ignorai que Poppy avait de la visite. »

La Médicomage approcha, une expression amusée sur le visage qui cachait mal une certaine détermination. « Ce n'est pas Poppy qui a de la visite, c'est vous. On m'a dit que vous ne vous présentiez pas suffisamment régulièrement pour vos check-ups. N'avons-nous pas été claires lorsque nous vous avons autorisé à quitter l'infirmerie ? »

Severus serra les dents.

En temps normal, il n'aurait eu aucune hésitation à remettre en place la Médicomage, en lui rappelant qu'il n'était pas exactement étranger aux sorts de soin, que s'il n'avait pas poursuivi dans la voie médicale, son parcours de Maître des Potions l'avait emmené à faire un détour dans l'art de la médecine et que, vraiment, il y avait suffisamment de sorcières plus âgées qui se prenaient pour des mères poules dans sa vie actuellement.

Mais Andromeda était la mère de Nymphadora et cela compliquait légèrement la situation.

« Asseyez-vous. » ordonna-t-elle, en sortant sa baguette.

Il obéit à son injonction, tendu à l'extrême car il avait toujours détesté se trouver à la merci d'une baguette quelconque. Elle jeta une panoplie de sorts de diagnostics classiques et fit la moue lorsqu'elle en obtint les résultats.

« Votre tension est trop élevée. » commenta-t-elle. « Nous n'allons même pas discuter du fait que je vous avez demandé de vous ménager. Poppy me dit que vous avez repris le travail ? »

« En début de semaine. » confirma-t-il. « Avec un assistant. »

Black grommelait à chaque fois qu'il le qualifiait de la sorte, ce qui le poussait à utiliser le terme aussi souvent que possible.

« Et comment vous sentez-vous globalement ? » demanda-t-elle, en jetant un sort un peu plus précis.

« Très bien. » répondit-il, aussi plaisamment que possible, espérant expédier la chose.

Elle leva ses sourcils, absolument pas dupe de son petit jeu. « Continuez-vous les exercices que je vous ai montrés ? »

Il acquiesça puis, décidant qu'elle n'abandonnerait pas tant qu'il n'aurait pas avoué un minimum, il se racla la gorge et soupira. « Ma jambe est plus ou moins raide, suivant les jours. »

Elle étudia le résultat du diagnostic puis, après avoir quêté son approbation du regard, palpa sa jambe.

« Les muscles sont très crispés. » remarqua-t-elle, en fronça les sourcils.

« Je sors d'un entraînement de Défense. » admit-il.

« Précisément ce que je vous avez défendu, donc. » Elle émit un bruit plus amusé que désapprobateur. « En règle générale, en dehors d'un exercice physique intense, s'agit-il plutôt d'une gêne ou de douleur ? »

« De la gêne. » offrit-il. « Elle me fait surtout souffrir si je m'active beaucoup. »

« Et il est inutile de vous prescrire plus de repos, étant donné que vous n'en ferez qu'à votre tête, Poppy m'a bien prévenue. » railla-t-elle, pince-sans-rire mais toutefois sérieuse. « Pour l'instant, je vous conseille une potion antidouleur légère si la douleur est importante. Je ne vous fais pas l'affront de vous prescrire un dosage, vous êtes plus qu'amène à jauger par vous-même. Toutefois, si la situation s'aggravait et que la douleur persistait même au repos, recontactez-moi et nous réévaluerons la chose. N'attendez pas que cela devienne un problème avant de vous manifester. Montrez-moi vos mains. »

Elle lui fit lever les mains et les laisser en l'air quelques minutes le temps d'évaluer les tremblements sous l'effort, les lui fit tourner et retourner, plier et déplier les doigts, jeta plusieurs sorts complexes afin d'évaluer l'état de ses nerfs…

« Quand pensez-vous que le prototype de votre potion sera prêt à être présenté au comité des Maîtres des Potions ? » s'enquit-elle.

« Ma potion ? » répéta-t-il, feignant la confusion.

Elle lui jeta un regard fort peu amusé. « Je ne suis pas aussi stupide que j'en ai l'air, Severus. Lorsque vous vous êtes réveillé, vous réclamiez à corps et à cris une potion que vous étiez en train de développer et qui avait pour but de soigner les lésions nerveuses provoquées par l'Endoloris. Mon pronostic à propos de vos main était loin d'être optimiste et vous voilà, aujourd'hui, avec des lésions pratiquement cicatrisées et bien plus résorbées que ce que j'escomptais. Le lien n'est pas très difficile à faire. »

Il la dévisagea quelques secondes puis détermina qu'il serait ridicule de nier. « La formule n'est pas encore parfaite. »

« Elle révolutionnerait pourtant la vie de nombreux patients de Sainte Mangouste, même en l'état. » remarqua-t-elle.

Il secoua la tête. « Je pense qu'elle est plus efficace prise immédiatement après l'exposition à l'Endoloris. Je ne suis pas certain qu'elle aurait un quelconque effet sur quelqu'un qui en aurait été victime il y a des mois ou des années. »

« Vous ne constatez plus d'amélioration. » devina-t-elle.

« L'amélioration était évidente durant les premiers jours et est, plus ou moins, restée constante, les premières semaines. » expliqua-t-il. « À présent, elle est minime. Ma main gauche est en meilleur état que ma main droite, j'en ai peur. »

Ce qui était ironique étant donné que la Marque rendait parfois son bras difficile à bouger.

« Vous n'avez pas été simplement soumis à l'Endoloris, Severus. » lui rappela la Médicomage, avec plus de douceur. À cet instant, elle ressemblait davantage à sa fille qu'à sa sœur et il détourna le regard, un peu mal à l'aise. « Vos blessures étaient plus importantes du côté droit, cela a aggravé les effets de l'Impardonnable. » Elle marqua une pause. « Je vais êtes honnête, aussi impressionnante que cette potion soit et aussi miraculeux que semble votre rétablissement jusque là, je pense que vous avez atteint les limites de ce que vous pouvez espérer en termes de récupération. La cicatrisation est pratiquement terminée, les dégâts sont faits. »

Son ton était plein de compassion mais Severus s'agaça tout de même de ce diagnostic.

Peut-être car il était parvenu à la même conclusion par lui-même.

Devant son silence, Andromeda posa une main sur son épaule dont il eut le plus grand mal à ne pas dégager d'une secousse brusque. Il détestait qu'on le touche, il méprisait l'idée que quelqu'un cherche à le réconforter et…

Nymphadora serait probablement très en colère s'il insultait sa mère, se morigéna-t-il mentalement, s'exhortant à la patience.

« Je sais que ce n'est pas ce que vous voulez entendre. » soupira la sorcière. « Mais vous aurez déjà une bien meilleure qualité de vie que ce que j'osais espérer lorsque Albus m'a appelée en urgence cette nuit là. Vous êtes vivant, vous êtes mobile, votre magie n'a pas été affectée, et votre cerveau n'a subi aucune séquelle. Severus, c'est davantage que… »

« Je sais. » coupa-t-il, un peu trop brusquement pour être poli. « Mais mes mains sont mon outil de travail. »

« Je comprends. » offrit-elle, mais il doutait que cela soit véritablement le cas. « Et j'espère me tromper. J'espère que votre potion aura l'effet que vous escomptez. En attendant, j'espère aussi que vous la brevèterai bientôt parce qu'elle pourrait sauver des vies. »

« Elle n'est pas prête. » insista-t-il. « Je refuse de la mettre sur le marché avant d'être certain qu'elle fonctionne comme il se doit. »

Andromeda lui sourit, puis fit un geste en direction de son bras gauche. « La Marque ? »

Sachant qu'il n'échapperait pas à cette partie de l'examen, il commença à déboutonner sa manche tout en décrivant le rituel qu'avait mis au point Bill Weasley.

« Ingénieux. » commenta-t-elle, alors qu'il faisait disparaître la bande de gaze autour de son poignet.

Elle était trop professionnelle pour laissait paraitre un signe d'inquiétude ou de dégoût mais elle n'était pas non plus une Occlumens naturelle et il perçut son malaise rien qu'en croisant son regard. Elle inspecta la Marque sous toutes les coutures, appuya et palpa la chair boursoufflée jusqu'à le faire grimacer.

« Sur une échelle de un à dix… » commença-t-elle.

« J'ai rendez-vous avec Bill demain. » grinça-t-il. « Le sortilège diminue la douleur par deux. »

« Ce n'est pas la question, Severus. » répliqua-t-elle, en appelant à elle un baume d'un accio. Il ne protesta pas lorsqu'elle en étala une généreuse dose sur son avant-bras. « À ce stade, je préconiserai presque une amputation… »

« Il y aurait fort à parier que la Marque réapparaîtrait ailleurs sur mon corps. » rejeta-t-il l'idée, l'ayant lui-même étudiée les jours où la douleur était particulièrement difficile à ignorer. « Le Seigneur des Ténèbres n'est pas si facile à quitter. »

Elle secoua la tête, reboucha le petit récipient et d'un coup de baguette expert, rebanda son avant-bras avec attention. Elle lui tendit ensuite le baume avec un regard entendu. « Appliquez-le aussi souvent que nécessaire. Personne ne distribue de médailles à ceux qui souffrent en silence. »

Il empocha le baume mais ne put s'empêcher un geste agacé. « Il ne s'agit pas de masochisme, il m'arrive simplement parfois d'oublier. »

Elle le dévisagea avec stupeur. « Vous oubliez que vous souffrez le martyre ? »

Il eut un rictus amer. « Le conditionnement est une chose merveilleuse. J'ai passé tant d'années à fonctionner en dépit de la douleur que j'oublie parfois que ce n'est pas un état naturel. »

Ça ne parut pas la rassurer.

« En avons-nous terminé ? » s'enquit-il, souhaitant soudain se trouver n'importe où ailleurs.

« Presque. » répondit la sorcière, en jetant un nouveau sortilège qu'il savait inutile et dont la raison se manifesta avec sa question suivante. « Avez-vous vu ma fille récemment ? »

Son ton était nonchalant, presque distrait. La question se voulait visiblement innocente.

Severus était trop bon espion pour s'y laisser prendre.

« Andromeda… » grimaça-t-il, sans trop savoir quoi dire.

Elle abandonna son excuse de sortilège pour le dévisager, les mains sur les hanches et le regard perçant. « Épargnez-moi les mensonges. J'étais à Serpentard, moi aussi. Ce n'est pas aux vieux elfes de maison qu'on apprend à faire la vaisselle. »

« Il s'agit d'une conversation que vous devriez avoir avec Nymphadora et non avec moi. » botta-t-il en touche, tout en reboutonnant sa manche.

Il ne désirait pas de conflit avec la sorcière mais il ne comptait pas non plus se retrouver en porte-à-faux entre une mère et sa fille.

Son expression s'adoucit légèrement. « Elle ne laisse personne utiliser son prénom. Pas même moi. »

Il en était bien conscient. Il était la seule personne à l'appeler ainsi, ce qui lui convenait parfaitement. C'était spécial. Et un privilège.

Il garda pourtant le silence, n'offrant aucun commentaire qui pourrait être mal interprété – ou interprété tout court.

Andromeda poussa un long soupir. « J'aime beaucoup Remus. »

Un hoquet irrité lui échappa. « Vous m'en voyez désolé. »

« J'aime beaucoup Remus. » répéta la sorcière, avec un regard sévère. « Mais je désapprouvais leur relation car il était trop vieux et c'est un loup-garou. Je voulais mieux pour ma fille. »

Il n'était pas certain d'être mieux.

Il ne risquerait pas de la tuer accidentellement une fois par mois, cependant, et c'était sans doute un point en sa faveur ?

D'un autre côté, il avait attiré sur elle l'attention personnelle du Seigneur des Ténèbres et, ça, ce n'était probablement pas ce qu'une mère aurait voulu pour sa fille.

« Vous avez bien douze ans de plus qu'elle. » insista Andromeda. « Vous avez été son Professeur, ce que, vous m'excuserez, j'ai presque plus de mal à avaler que la lycanthropie. Vous êtes, de l'avis général, un homme extrêmement aigri, déplaisant et colérique. Et, comme si cela ne suffisait pas,vous avez été un Mangemort. »

À nouveau, il resta silencieux.

Des années à servir le Seigneur des Ténèbres et Albus Dumbledore lui avaient appris que, parfois, la meilleure des défenses était de ne rien dire du tout.

« Eh bien ? » s'énerva-t-elle. « Vous n'allez même pas tenter de me convaincre que vous la méritez ? »

D'un autre côté, il n'avait jamais entretenu de relation privilégiée avec la fille du Seigneur des Ténèbres ou d'Albus, songea-t-il, en se frottant brièvement les yeux avec embarras.

« Nymphadora est une adulte et elle est la seule que je doive convaincre de quoi que ce soit. Bien que, non, je ne pense pas la mériter. » lâcha-t-il finalement. « Encore une fois, c'est une conversation que vous devriez avoir avec elle. »

Il se leva, espérant ainsi signifier que la conversation était terminée mais la Médicomage ne s'écarta pas de son chemin.

Il aurait tout donné, à cet instant, pour que Poppy les interrompe mais l'infirmière brillait par son absence.

Suprêmement gêné, il évita son regard et poussa un long soupir, baissant la voix juste au cas où quelqu'un les aurait espionnés. « Je ne vais pas plaider ma cause, Andromeda, il est évident que votre opinion est déjà arrêtée. La seule chose que je puisse vous promettre avec certitude est que je ne lui ferai jamais sciemment du mal, que j'ai le plus grand respect pour elle et que mes intentions sont honorables. À présent, si vous voulez bien m'excuser… »

Elle le dévisagea une seconde puis s'écarta, cette même expression mi-colérique mi-désapprobatrice persistant sur ses traits.

Il resta sur ses gardes jusqu'à ce qu'il ait passé les portes de l'infirmerie, peu certain qu'elle ne lui lancerait pas un sort extrêmement douloureux dans le dos.

À sa place, il n'aurait probablement pas hésité.

Elle se contenta pourtant de le regarder partir, mettant dans ses yeux tout le poids de son animosité.

°O°O°O°O°

L'ambiance dans son bureau était maussade.

La pluie battait les carreaux avec trop de force pour être ignorée, le ciel était empli de nuages noirs qui donnaient l'impression qu'il était bien plus tard qu'il ne l'était en réalité, les éclairs qui striaient régulièrement le ciel jetaient des ombres changeantes dans la pièce et, Albus le supposait, ils étaient tous deux d'humeur trop morose.

Tâchant de se composer une expression un peu plus avenante et d'ignorer le fantôme de sa sœur qui s'était perchée sur une pile de grimoires entassés dans un coin, Albus alluma d'un geste négligeant du bras toutes les bougies de la pièce et renforça le feu qui brûlait dans l'âtre pour combattre la faible luminosité et de donner à la pièce une ambiance un peu plus chaleureuse.

Harry se laissa tomber dans un des fauteuils qui faisaient face à son bureau, abandonnant son sac par terre. L'adolescent ne prononça pas un mot tandis qu'Albus appelait un elfe de maison et demandait du thé qui arriva une minute plus tard, accompagné de petits gâteaux que le garçon affectionnait particulièrement.

Il versa le liquide dans les tasses et encouragea d'un geste le Gryffondor à se servir.

« Alors, dis-moi, Harry… » commença-t-il, avec un sourire complice. « Qu'est-ce qui te tracasse ? »

L'adolescent leva un sourcil légèrement sarcastique dans une expression qui était trop proche de celle de Severus pour que l'influence du Maître des Potions ait pu être mise en doute.

« C'est plutôt moi qui devrait vous demander ça, non ? » riposta le garçon, avec juste assez d'humour pour ne pas être insolent. « Après tout, c'est vous qui avez terrifié ces deuxièmes années… »

Il lui accorda cet argument avec indulgence, portant la tasse à ses lèvres. Le thé était à la bonne température, idéalement infusé et parfaitement parfumé. En temps normal, ce simple plaisir aurait suffit à le détendre, à lui permettre de remettre en perspective ce qui devait l'être.

Mais Arianna était toujours dans un coin de la pièce, à l'observer avec des yeux trop tristes.

Et ce petit plaisir lui laissa un goût amer en bouche.

Tout, en ce moment, lui laissait un goût amer en bouche.

« As-tu jamais désiré quelque chose de tout ton cœur, Harry ? » s'enquit-il doucement. « As-tu jamais désiré quelque chose si fort et durant tellement longtemps que tu n'aurais jamais pensé pouvoir l'obtenir ? »

« Oui. » offrit simplement le garçon.

Les yeux bleus d'Albus se déplacèrent lentement de sa sœur à l'adolescent qui lui faisait face. Ils n'étaient pas si éloignés en âge. Un peu plus d'un an.

« Il se trouve que j'ai récemment obtenu quelque chose que je convoitais depuis des décennies et cela ne m'apporte pas la satisfaction que j'aurais escompté. » avoua le vieux sorcier. « J'ai anticipé ce moment si longtemps et, si j'ai apprécié les premiers moments, je me trouve désormais… déçu. »

Déçu qu'Arianna refuse d'interagir avec lui ne serait-ce que par gestes.

Déçu que la branche d'olivier qu'il avait tendu à son frère ait été rejetée.

Déçu de sentir cette soif de posséder les trois Reliques s'agiter suffisamment fort en lui pour qu'il ait dû s'empêcher par quatre fois déjà de demander à Harry de bien vouloir lui confier la cape quelques temps.

« Ah… Ce n'est pas très drôle, hein ? » grimaça Harry, en croquant dans un biscuit. « Quand on a débarqué dans le passé… C'était la panique, c'est sûr, mais malgré tout… J'étais impatient de voir mes parents, d'apprendre à les connaître. » L'adolescent haussa les épaules, baissant les yeux vers la pâtisserie à moitié dévorée dans sa main. « Ce n'était pas vraiment ce que j'espérais. »

Albus hocha lentement la tête, appréhendant ce que le garçon avait vécu avec une compréhension nouvelle. « Peut-être la satisfaction est-elle dans le désir davantage que dans la résolution de ce désir. »

« Peut-être ? » hésita le Gryffondor, avec une expression suffisamment dubitative pour qu'Albus devine qu'il n'avait pas saisi un traître mot de ce qu'il venait de dire.

Il lui sourit avec affection et prit une nouvelle gorgée de thé. Celle-ci lui parut un peu moins amère.

« Je regrette que ton expérience avec James ait été si négative. » commenta-t-il. « Ton père était quelqu'un d'exceptionnel. J'aurais aimé que tu puisses rencontrer l'homme qu'il était devenu. »

Harry gardait les yeux rivés sur le biscuit dont il n'avait toujours pas pris une seconde bouchée.

« Ce n'était pas entièrement négatif. » nuança le garçon. « Mais c'était… décevant. Même Lily… Il y a des choses… »

L'adolescent soupira, se forçant visiblement à relever la tête et à rencontrer son regard. Albus l'effleura de son esprit par réflexe, la Legilimencie depuis longtemps devenu un sixième sens dont il usait sans s'en rendre compte, mais ne rencontra qu'un barrage de flammes parfait. Si Harry perçut la tentative d'intrusion, il ne le laissa pas paraître.

« Au final, ils étaient juste… humains. » continua le Gryffondor. « Et… ils me manquent toujours. »

Albus l'observa avec compassion. « J'aimerai te dire que cela cessera un jour mais, selon mon expérience, le manque s'émousse avec le temps sans pourtant disparaître. »

Son regard dériva à nouveau vers Arianna.

Il pêcha la pierre dans sa poche et se mit à jouer distraitement avec, la tournant et la retournant entre ses doigts. Il perçut le coup d'œil curieux qu'Harry y jeta mais ne s'en préoccupa pas.

« Si j'ai appris une seule chose, ces derniers mois, c'est qu'on ne peut pas vivre tourné vers le passé. » déclara le garçon, avec une détermination nouvelle. Il se redressa légèrement, termina son biscuit et attrapa la tasse de thé qui lui était destiné.

« Voilà une attitude très sage. » remarqua-t-il. « L'as-tu appris de ton séjour ou auprès de Severus ? »

La mention du Maître des Potions mit immédiatement l'adolescent sur la défensive. Toutefois, Harry dût percevoir qu'il n'avait pas eu l'intention d'insulter la figure paternelle qu'il s'était choisi car il se détendit légèrement.

« Un peu des deux. » admit le Gryffondor.

Albus délibéra quelques secondes, tournant et retournant la pierre, la soupesant. « Puis-je te faire une confidence, Harry ? » Il attendit que le garçon hoche la tête avec curiosité et, il ne put s'empêcher de le noter, un soupçon de méfiance. « Je désespérais de voir Severus reprendre goût à la vie. Je l'ai observé des années durant survivre en oubliant de vivre… Je suis heureux qu'il ait finalement dépassé la mort de ta mère. »

« Ce n'était pas juste la mort de Lily. » contra le garçon, en fronçant les sourcils. « Vous auriez dû l'aider avant qu'il ne rejoigne les Mangemorts. »

Le Directeur inclina la tête sous le poids de la culpabilité familière bien que légère. « Son chemin semblait tracé. »

« Et vous n'avez jamais essayé de l'en détourner. » accusa Harry, sans merci. « Il avait juste besoin de… » Le garçon s'interrompit brusquement et détourna la tête. « Il n'aimerait pas qu'on parle de lui comme ça. »

« Non… » lui accorda-t-il. « Il n'aimerait certainement pas cela. Néanmoins… Je sais que je n'ai pas toujours dû te paraître heureux de votre rapprochement mais je t'assure qu'il me fait chaud au cœur. Simplement… » Il laissa sa phrase en suspend, l'attention attirée par Arianna qui s'était levée pour déambuler vers la fenêtre. Il dût faire un effort pour se reprendre. « Simplement, l'amour d'un Serpentard peut être une force plus terrible que celle d'un Gryffondor ou d'un Poufsouffle. »

« Parce qu'il ne s'arrêtera à rien pour protéger la personne qu'il aime ? » devina Harry, ayant clairement eu le même cheminement de pensées avant aujourd'hui.

Albus acquiesça lentement. « Severus placera toujours ton intérêt au-dessus de tout le reste. Et, s'il te plaît, crois-moi lorsque je te dis que j'aimerai pouvoir en faire de même, mais… »

« Mais j'ai un rôle à jouer dans cette guerre. » termina le garçon avant qu'il le puisse. Harry but une longue gorgée de thé, sa jambe tressautant un peu nerveusement. « Je sais. Severus… » Il haussa les épaules, l'air un peu apathique, résigné, ses boucliers mentaux si puissants qu'Albus pouvait presque apercevoir le reflet du brasier qui le protégeait dans ses yeux verts. « Je ferai ce qu'il faut pour que Voldemort soit vaincu. »

Un poids s'envola des épaules d'Albus.

Cela faisait des mois qu'il craignait l'influence de Severus sur le garçon, qu'il tentait de freiner les intentions manifestes de son ancien espion… Il aurait dû faire confiance à Harry.

Severus ne souhaitait peut-être pas croire à la prophétie – encore qu'il s'agisse davantage de déni volontaire que de réel scepticisme – il désirait peut-être protéger Harry de la guerre mais…

Le moment venu, Harry jouerait son rôle.

Parce que Harry était de cette rare trempe d'hommes.

« Si je pouvais t'éviter tout ça… » murmura-t-il, la voix un peu trop frêle. Il lui arrivait parfois, de plus en plus souvent, de se sentir fatigué. Par le poids des années. Par les fantômes qui le hantaient. Par la communauté magique qui semblait peser sur ses épaules.

Toute l'ironie était là…

De multiples fois, il avait refusé le poste de Ministre, se sachant trop tenté par les arcannes du pouvoir, refusant de céder à ses vieux démons.

Il avait préféré se tenir dans l'ombre, aiguillant lorsqu'il le fallait, dispersant conseils et mises en garde, tissant sa toile sans avoir l'air…

Il avait refusé d'endosser officiellement le manteau du dirigeant par prudence, par peur de lui-même, mais il dirigeait pourtant, tirait les ficelles… Par de nombreux aspects, il était parvenu plus loin que Gellert ne l'avait jamais fait.

« Est-ce que vous bloquez vraiment la demande de tutelle de Sirius ou est-ce qu'il est paranoïaque ? » demanda le garçon, en posant la tasse vide sur la soucoupe qui était restée sur le bureau.

Cela aurait pu avoir l'air d'un changement de sujet radical mais Albus, comme Harry, savait qu'ils étaient liés. Parce que tant que Sirius n'avait pas sa garde, le Directeur aurait ultimement le dernier mot en ce qui le concernait – comme pour l'autoriser à se battre, par exemple.

Et s'il ne s'était s'agit que de ça, après cette conversation, Albus aurait été enclin à céder.

« Il est impératif que tu continues à vivre à Privet Drive. » regretta-t-il. « La protection que t'a offert le sacrifice de ta mère passe par les liens du sang. »

Tant que le foyer de Pétunia était également le sien, il serait protégé de Voldemort et des Mangemorts.

Harry détourna la tête mais n'insista pas. Là encore, il avait l'air résigné. Et triste.

Le regard d'Albus fût attiré par l'épaisse bague que le garçon tournait distraitement autour de son doigt. Il l'avait remarquée le soir où ils étaient allés détruire l'horcruxe puis l'avait complètement oubliée. Le sceau des Prince.

Il devinait sans mal que ce n'était pas la tutelle de Sirius à laquelle Harry s'intéressait réellement. Sans doute les deux hommes étaient-ils parvenus à un accord. Sans doute Severus voulait-il faire les démarches nécessaires pour…

Albus chercha brièvement une solution heureuse à ce dilemme sans en trouver aucune.

Il ne pouvait pas laisser Severus adopter Harry.

Pas sans rompre les liens magiques qui reliaient Harry et Pétunia.

Or, les protections qu'offrait Pétunia étaient bien plus puissantes et avantageuses que tout ce que Severus, avec la meilleure volonté du monde, avait à lui donner.

« Je regrette. » l'implora-t-il presque.

Par de nombreux côtés, il avait autant failli à ce garçon qu'il avait failli à la fillette qui errait devant la fenêtre.

L'orage s'était un peu calmé à l'extérieur, la pluie ne tambourinait plus autant contre les carreaux.

« Je sais. » murmura Harry, en lui jetant un regard las.

Parfois, le Survivant faisait son âge.

Parfois, il avait l'air plus vieux qu'Albus.

Ce fût le Directeur qui détourna les yeux le premier. Un peu honteux, un peu affligé.

Il avait depuis longtemps appris que rien n'était juste dans la vie, mais cela lui sautait parfois à nouveau à la gorge.

La pierre de résurrection était si froide entre ses doigts qu'il se sentait glacé jusqu'à l'âme. Hanté. Par ses échecs. Ses décisions. Ses choix.

« Puis-je te poser une autre question ? » s'enquit-il, en portant à nouveau la tasse à ses lèvres.

Le thé était tiède, il le réchauffa d'un geste négligent.

« Est-ce que je peux vous en empêcher ? » rétorqua Harry, un brin insolent.

Ce n'était qu'une façade, cependant, destinée à dissimuler le gouffre béant de désespoir qu'éprouvait le garçon. Albus la lui accorda sans ciller. Il lui devait bien ça. « Te souviens-tu du miroir du Rised ? »

Ça eut le mérite de distraire l'adolescent de ses pensées moroses. Il cessa de jouer avec le sceau à son doigt pour le dévisager avec incrédulité.

« C'est dur à oublier. » plaisanta le Gryffondor. « J'en fais encore des cauchemars. »

Il faisait référence au moment où il avait récupéré la pierre philosophale mais Albus ne pensait pas à cet évènement là.

« La nuit où je t'ai trouvé dans cette pièce avec le miroir… Il s'agissait, je pense, de notre première conversation importante. » se remémora-t-il.

« Oui… Et c'était aussi la première fois où vous m'avez menti. » contra Harry, avec un amusement amer. « Ou est-ce que vous avez vraiment une passion pour les chaussettes ? »

Un sourire flotta sur les lèvres d'Albus. « Tu t'apercevras en grandissant que l'on ne possède jamais assez de chaussettes. »

L'adolescent leva discrètement les yeux au ciel avec un bruit amusé, comme s'il n'avait pas réellement attendu une réponse franche.

« Si tu avais l'occasion de mettre la main sur un objet similaire… » reprit le Directeur. « Un objet qui te permettrait peut-être de voir tes parents, de leur parler… »

« Ce soir là, vous m'avez dit qu'il ne fallait pas s'installer dans ses rêves et oublier de vivre. » l'interrompit Harry. « Je ne suis pas sûr d'avoir compris à l'époque mais… Vous aviez raison. » L'adolescent s'humecta les lèvres nerveusement puis baissa les yeux. « Je ne sais pas combien de temps il me reste… Je ne sais pas si je survivrai à cette guerre… » Il en doutait, comprit Albus au ton de sa voix. « Mais je sais que… Je veux profiter tant que je le peux. Pas avec des fantômes. Avec les gens qui sont là. »

Albus l'observa longtemps, la pierre serrée au creux de son poing.

Il n'avait pas les mots pour d'écrire l'humilité qu'il ressentait à cette seconde.

Car Harry à quinze ans faisait preuve de davantage de sagesse que lui et le siècle qu'il trainait derrière lui.

« Veux-tu me rendre un service ? » demanda-t-il, en tendant la main par-dessus le bureau. Il attendit qu'Harry en fasse de même pour laisser tomber la pierre dans sa paume. « Garde ceci pour moi. Range-la au fond de ta malle ou d'un tiroir, là où personne n'ira la chercher. »

L'adolescent fronça les sourcils, en examinant ce qu'il venait de déposer au creux de sa main. « Qu'est-ce que c'est ? » Il dût reconnaître la pierre car son expression se figea. « C'est ce qui sertissait la bague, non ? C'est une partie de l'horcruxe ? »

« C'est… bien plus que cela. » avoua Albus, débattant avec l'idée de lui parler des Reliques. Toutefois, pour un enfant qui valsait un peu trop souvent avec la Mort, il craignait que la tentation soit un peu trop forte de les rechercher. Il ne connaissait que trop bien l'obsession que pouvait devenir la quête des Reliques de la Mort. « Elle est tout à fait inoffensive, à présent. Excepté pour moi. D'aucun pourrait dire qu'il s'agit d'une de mes plus grandes faiblesses. »

Harry lui jeta un regard songeur, puis fit tourner la pierre au creux de sa paume d'un coup de pouce. « Et vous voulez que je la cache ? »

« S'il te plait. » confirma le vieux sorcier, en hochant la tête.

Il savait qu'il faisait le bon choix, il le sentait au creux de son ventre. Et puis, cela faciliterait grandement les choses plus tard. Harry aurait déjà en sa possession et à son insu deux des Reliques… Oui, c'était aussi bien ainsi.

« Je suppose que vous ne voulez pas que j'en parle à Severus ? » soupira-t-il.

Les chances que l'adolescent décide de garder son secret, il le savait, étaient mitigées. Non pas qu'Harry ne soit pas digne de confiance mais sa loyauté était désormais davantage acquise à Severus qu'à lui.

« De préférence. Néanmoins, je ne voudrais pas te placer dans une position inconfortable vis-à-vis de ton père. » offrit-t-il.

Appeler Severus ainsi était une maigre concession qui ne lui coutait pas grand-chose. Légalement parlant, le titre n'avait aucune valeur mais les formalités n'étaient pas toujours ce qui importait.

Harry soupesa la pierre quelques secondes de plus puis la fit disparaitre dans une poche intérieure de son uniforme. « D'accord. »

« Je te remercie. » lui sourit-il.

L'adolescent dût prendre cela comme le signe que leur entrevue était terminée car il se leva, récupéra son sac, vola un dernier biscuit avec un coup d'œil un peu espiègle, et quitta le bureau.

À mesure qu'il s'éloignait vers la porte, Arianna s'estompa lentement en volutes de gris, comme une aquarelle délavée. Sa sœur lui souriait lorsqu'elle s'évapora finalement.

Albus attendit d'être à nouveau seul dans son bureau pour prendre une gorgée de thé qu'il eut du mal à avaler car l'émotion l'étouffait quelque peu. Pour la première fois depuis qu'il avait trouvé la pierre, cependant, rien ne lui laissa de goût amer en bouche.

La tristesse menaça de le submerger mais ce n'était pas une mauvaise tristesse.

Car elle s'accompagnait de la certitude d'avoir fait le bon choix.

°O°O°O°O°

Severus était en avance de cinq minutes lorsqu'il atteignit son laboratoire personnel, pourtant Slughorn patientait déjà devant la porte verrouillée, consultant sa montre à gousset comme si son ancien élève était en retard et lui faisait perdre son temps.

L'espion prit une profonde inspiration, occluda l'irritation et le ressentiment que son Directeur de Maison lui avait toujours inspirés, et s'efforça de garder une expression neutre.

« Horace. » le salua-t-il sans intonation particulière.

« Severus. » répondit l'autre sorcier, froidement.

Oh, que cela allait être plaisant, songea-t-il. Il ignorait comment il allait survivre à cette entrevue sans perdre son calme, la perspective de travailler en étroite collaboration avec Slughorn ne le réjouissait pas le moins du monde.

Il déverrouilla la porte d'un coup de baguette et d'un sortilège marmonné trop bas pour que l'autre sorcier le saisisse, puis le précéda dans la pièce, se dirigeant directement vers le plan de travail où trônait un chaudron sous sort de stase ainsi que de multiples parchemins.

Slughorn le suivit, jetant des coups d'œil furtifs qui se voulaient discrets mais qui étaient plus que curieux.

Avec satisfaction, Severus se dit qu'il avait eu bien raison d'ôter de la pièce toutes ses expériences en suspens. Il ne faisait pas confiance à l'autre Maître des Potions pour ne pas lui voler idées et prototypes. Ne restaient dans la pièce que tout ce qui était relatif aux loups-garous et la potion de régénération des nerfs qu'il ne pouvait malheureusement déplacer puisque Granger et Draco devaient pouvoir y avoir accès.

« Je présume que vous êtes familier du problème ? » s'enquit Severus, lorsque Slughorn l'eut rejoint près de la station de travail. Un coup de baguette – qui, remarqua-t-il avec satisfaction, fit tressaillir l'ancien Directeur de Maison – ferma la porte restée béante. Poser ses protections habituelles fût l'affaire d'une poignées de secondes et plus un réflexe qu'une réelle nécessité.

« Albus m'avait confié ces recherches pendant votre absence. » confirma Slughorn. « Cependant, comme je le lui ai répété à de multiples reprises, sans échantillon… »

Severus ouvrit un petit cabinet sur la gauche qu'il gardait habituellement verrouillé et en sortit une fiole qui irradiait d'une lumière douce, comme la caresse d'un rayon de lune.

Horace fit un pas vers lui, fasciné. « Est-ce la potion originale ou votre œuvre ? »

« Il s'agit du seul échantillon que nous ayons été en mesure de nous procurer. » répondit-il. « Malheureusement, je n'avais pas terminé de l'étudier avant… » Il laissa sa phrase en suspens mais ne put s'empêcher d'agripper le pommeau de sa canne un peu plus fort. Admettre la raison pour laquelle l'autre Maître des Potions se tenait dans la pièce était davantage qu'il ne sentait capable de faire, admettre ses faiblesses aussi ouvertement… « Je pense avoir compris le fonctionnement de la potion. Quant à la récréer, c'est tout à fait autre chose. Je travaillais déjà sur une version plus poussée de la potion Tue-Loup, il m'est apparu plus simple d'adapter mon propre travail que de tenter de reproduire celui-ci. Mes notes. »

Il désigna d'un geste une pile bien nette de parchemins couverts de calculs alourdis par un carnet à la couverture noire qui contenait le gros de ses recherches sur la potion Révèle-Loup. Il espérait qu'Albus mesurait son sacrifice en permettant à Slughorn de les lire. S'il avait réussi à la breveter, les retombées en Gallions se seraient probablement comptées en millions. Cette potion aurait pu être l'apogée de sa carrière.

Après avoir quêté son approbation du regard, Horace lui ôta la potion des mains avec prudence et curiosité. Il la leva pour mieux l'inspecter à la lumière, la fit tourner lentement dans la fiole, la déboucha et, après une seconde d'hésitation, la renifla. Il replaça le bouchon sans rien dire, rendit l'échantillon à Severus puis attrapa l'épais carnet que lui avait montré l'ancien Mangemort.

Le Maître des Potions l'observa feuilleter rapidement les pages et lire suffisamment pour se faire une idée de la teneur des recherches, avec l'impression dérangeante d'être à nouveau un adolescent rendant un projet scolaire et attendant sa note.

Après de longues minutes, Slughorn referma lentement le carnet et le replaça sur le plan de travail, avant de jeter un coup d'œil au chaudron en état de stase. Il ne s'attarda pas sur son contenu.

« Impressionnant. » commenta finalement son ancien Professeur. « J'ai toujours su que vous étiez brillant, Severus, mais vous vous êtes surpassé. Et votre prototype fonctionne durant la pleine lune ? »

« Je ne l'ai testé qu'une seule fois et sur un seul sujet. » nuança-t-il. « Sans observation directe. »

Slughorn émit un bruit pensif. « La pleine lune est demain. Si votre sujet est disponible, j'aimerai l'observer. »

Cela promettait d'être drôle, se dit-il en son fort intérieur. Révèle-Loup ou pas, il était prêt à parier que Lupin chercherait à l'égorger dès qu'il serait transformé.

« Cela peut sans doute s'arranger. » déclara-t-il.

Horace inclina la tête et fit lentement le tour de la pièce, feignant d'inspecter les étagères remplies de bocaux et d'instruments plus ou moins rares. Il gardait sa réverse personnelle un peu plus loin, dans une pièce séparée, mais il avait une belle collection dans son laboratoire.

Severus, toutefois, n'était pas dupe de son manège qui le rapprochait petit à petit de l'autre chaudron qui bouillonnait dans la pièce.

« Souhaitez-vous voir autre chose ? » demanda-t-il, avec toute la politesse qu'il avait en réserve – et elle était maigre.

« Oui. » confirma Slughorn, légèrement pince-sans-rire, abandonnant l'approche subtile pour se diriger directement vers l'autre plan de travail. « La potion qui vous a permis de vous remettre si promptement et de manière si miraculeuse. »

Handicapé par sa canne, il ne fût pas assez rapide pour lui bloquer le passage. Le temps qu'il le rejoigne, Horace était déjà en train d'étudier le chaudron et les ingrédients que les adolescents avaient organisés dans un coin.

« Cette potion n'est pas ce pour quoi vous êtes là. » siffla-t-il.

« En êtes-vous à sa version définitive ? » demanda Slughorn, comme s'il n'avait pas ouvert la bouche. « J'en doute. Draco et Hermione sont d'excellents élèves mais ils n'ont pas l'expérience nécessaire pour perfectionner une potion comme celle-ci, même en suivant à la lettre vos instructions. Je me trompes ? »

La mâchoire de Severus se contracta sous le coup de l'agacement. « Je n'ai pas besoin de votre aide. »

Horace jeta un regard lourd de sens, presque moqueur, à ses mains qui tremblaient. L'ancien Mangemort serra les poings. Le pommeau de sa canne lui rentrait de manière presque douloureuse dans la chair. Il enfourna son autre main dans sa poche.

« De ce que je vois là, il suffirait d'un rien pour perfectionner cette potion. » remarqua Slughorn, d'un ton paternaliste. « Un rien qui est encore hors de portée pour Hermione et Draco mais ne me demanderait aucun effort. »

Il avait raison, c'était bien le plus rageant.

Draco était extrêmement précis et Granger suivait les instructions comme personne mais ils n'étaient pas professionnels et cela se sentait. Il aurait suffit de si peu…

Le diagnostic pessimiste d'Andromeda lui résonnait encore aux oreilles.

S'il y avait une chance de guérir davantage ses mains, cela se jouait maintenant.

« J'ai informé Albus que je consentais à jeter un œil à vos travaux, sans m'engager. » ajouta l'ancien Directeur de Maison, en se tournant vers lui pour mieux le toiser. Il avait deux bonnes têtes de moins que Severus mais, à cet instant, il avait le plein pouvoir et cela le réjouissait très visiblement. « Si vous souhaitez réellement mon aide, j'ai, bien évidemment, des conditions. Rien de personnel à cela, mon garçon, ce sont les affaires. »

Il doutait qu'il n'y ait rien de personnel là-dedans.

L'hostilité était palpable d'un côté comme de l'autre.

« Que voulez-vous ? » cracha Severus.

Albus ne l'avait pas prévenu qu'il y aurait une contrepartie mais il aurait dû s'y attendre. La survie du monde magique n'était pas suffisamment de motivation pour les personnes comme Horace. Il était trop Serpentard. Et si Severus était honnête, s'il avait été à sa place, il en aurait probablement fait de même.

Horace le dévisagea longtemps, jouissant clairement du pouvoir qu'il exerçait à cet instant, trop conscient que Severus ne pourrait rien lui refuser.

« Pour cette potion-ci… » Il désigna le chaudron qui bouillonnait à côté de lui « … rien. Je vous préparerai un nouveau chaudron en suivant vos instructions et en faisant les ajustements que vous pensez nécessaire. Sentez-vous libre de me remercier d'une bonne bouteille d'armagnac d'un certain âge. »

Severus laissa échapper un bruit plus amer qu'amusé. « Suis-je supposé croire que vous m'aiderez par bonté, sans aucune contrepartie ? »

« Non, ce n'est certainement pas par bonté. » répliqua son ancien Directeur de Maison, en le regardant de haut en bas avec une antipathie bardé de… Était-ce de l'admiration ? « Vous avez un don, Severus. Je l'ai repéré le premier jour, durant notre première classe. Vous avez un don que je n'avais jamais vu auparavant et que je n'ai jamais revu depuis. L'idée que vous ne puissiez plus exercer ce don me rend malade car, croyez-le ou non, j'ai consacré ma vie entière à l'art des potions et, dans cette catégorie, vous êtes peut-être le plus grand virtuose qu'il m'est été donné de rencontrer. »

Severus en resta cois, des émotions contradictoires se battant en lui. Le compliment touchait à un besoin de reconnaissance dont il ne s'était jamais entièrement débarrassé sans jamais l'embrasser, le compliment lui faisait… plaisir. Pourtant, malgré cela, ou peut-être à cause de cela, il sentit la vieille rancune, la vieille haine se réveiller. S'il avait été si spécial, si doué, pourquoi Slughorn ne lui avait-il pas plus prêté attention ? Pourquoi n'avait-il jamais rien fait pour le sortir de la situation dangereuse dans laquelle il avait vécu ?

Il était persuadé que Slughorn avait su mais n'avait rien fait par paresse, par indifférence.

« Parlons à présent du reste. » continua le sorcier, sans lui laisser le temps de trier ses sentiments conflictuels. « Je vous aiderai à développer votre potion Révèle-Loup et à la modifier jusqu'à ce qu'elle permette à un loup-garou de se transformer en dehors de la pleine lune – encore que je trouve l'idée bien dangereuse. Une fois prête à être brevetée, je veux être cité comme co-créateur. Nos noms seront listés par ordre alphabétique, cela va sans dire. Les profits éventuels seront divisés en parts égales. Voyez, je ne suis pas si généreux que cela, une fois commercialisée, cette potion nous rendra riche et compensera pleinement le temps que je passerai sur votre autre projet. »

S'ils y parvenaient, cette potion deviendrait célèbre.

Et Severus avait déjà fait la plus grosse partie du travail, s'il avait eu l'usage de ses mains…

Mais avait-il le choix ? Pas s'il voulait avancer.

Cela lui arrachait la bouche mais il se força à s'incliner. « Très bien. »

« Très bien. » répéta Slughorn, sans même tenter de cacher sa satisfaction. « Une dernière chose, cependant. Une condition à laquelle je ne dérogerai pas. »

Évidemment, cela ne pouvait pas être aussi simple.

« Des excuses. » reprit Horace, lorsque Severus demeura silencieux.

« Des excuses ? » répéta-t-il, d'un ton doucereux qui n'augurait rien de bon.

S'il perçut la menace, l'ancien Directeur de Maison n'en laissa rien paraître.

« De plates excuses. » précisa Slughorn, en le fusillant du regard. « Joliment formulées, de préférence. »

Severus s'éloigna jusqu'à avoir mis une bonne partie de la pièce entre eux. Il ne se faisait pas confiance pour ne pas céder la pulsion meurtrière qui était née dans sa poitrine. Une veine battait fortement sa tempe, laissant présager une migraine carabinée.

« Vous dissimuliez des informations qui pourraient causer notre perte à tous et vous pensez que je vous dois de plates excuses ? » siffla-t-il.

Slughorn se redressa de toute sa masse, rougissant de colère et d'outrage.

« Vous avez envahi mes appartements, vous m'avez attaqué, vous avez violé mon esprit et m'avez laissé au sol, inconscient, sans même prendre la peine de vous assurer que je pourrais me relever ! » tonna l'autre Maître des Potions. « Oui, Severus, j'exige des excuses et estimez-vous heureux que ce soit la seule chose que je vous demande ! »

« Et que pourriez-vous donc demander d'autre ? » rétorqua-t-il. « Souhaitez-vous me provoquer en duel pour laver votre affront ? Voilà qui devrait être amusant… »

Slughorn devait savoir qu'il n'avait aucune chance contre lui dans un duel formel ou informel car il se dirigea vers la sortie d'un pas pesant, le visage écarlate d'humiliation.

« Mes conditions sont posées. » cingla l'autre sorcier. « Acceptez-les ou non, cela m'est égal. »

Il tenta d'ouvrir la porte sans y parvenir, prisonnier des protections de Severus qui le regarda s'agiter quelques secondes avec délectation avant de se trouver ridicule et de le libérer d'un coup de baguette.

Une fois seul, il se pinça l'arrête du nez et poussa un long soupir.

°O°O°O°O°

Assis sur son lit, seul dans le dortoir des Gryffondors, Harry roulait entre ses doigts la pierre que Dumbledore lui avait confié, le cœur battant un peu trop vite. De sa main libre, il tournait distraitement les pages du livre fin qu'il s'était empressé d'aller emprunter à la bibliothèque juste avant le dîner.

Il l'avait trouvé exactement dans le même rayon qu'en soixante-quinze et avait reçu le même regard désapprobateur de Madame Pince lorsqu'il l'avait porté à l'accueil pour l'inscrire sur le registre.

Quête du pouvoir absolu, devenir le Maître de la Mort par Gellert Grindelwald.

C'étaient les illustrations qui l'intéressaient. Les croquis de ce à quoi, supposément, auraient pu ressembler les Reliques de la Mort.

La ressemblance entre la pierre qu'il tenait dans la main et le dessin griffonné pour illustrer l'article, certainement de la plume même de Grindelwald, n'était pas frappante. Et pourtant… Harry était certain de ce qu'il tenait entre les doigts.

Il le sentait.

La pierre demeurait froide, peu importait combien de temps il la gardait au creux de sa paume, et elle était trop sombre, comme si elle absorbait la lumière. Trop lisse aussi.

Elle lui rappelait tellement l'amulette des Peverell…

Et puis les propos de Dumbledore n'étaient pas si difficiles à interpréter, lorsqu'on avait déjà des soupçons. Lui avait-il confié la pierre pour une raison précise ou bien simplement parce que Harry avait affirmé vouloir se tourner vers l'avenir au lieu de vivre dans le passé ?

La tentation de s'en servir, en dépit de ce qu'il avait affirmé, était grande.

La pierre, toutefois, semblait presque la plus dangereuse des trois reliques. Grindelwald ne s'attardait pas dessus, préférant consacrer davantage de place à la baguette de sureau et à la cape d'invisibilité, mais il en disait suffisamment long pour convaincre le garçon que, comme dans le conte, les spectres qu'elle feraient apparaître ne seraient pas… tout à fait présent.

Et ce serait plus terrible de voir ses parents forcés de se manifester que de ne pas les voir du tout.

La porte du dortoir s'ouvrit, laissant brièvement échapper la joyeuse cacophonie de la salle commune, alors Harry fit disparaître la pierre dans sa poche. Lorsqu'il leva les yeux, ce fût pour trouver Ron et Hermione qui l'observaient avec une appréhension manifeste. Ron avait les mains dans les poches et paraissait particulièrement penaud. Hermione… Hermione prit soin de fermer la porte et de jeter un sort qui, sans être l'assurdiato, semblait remplir le même rôle.

Harry fronça les sourcils.

Il n'avait pas particulièrement cherché à les retrouver après son entrevue avec Dumbledore et son crochet par la bibliothèque. Lorsqu'il était arrivé dans la Grande Salle pour le repas du soir, ses amis avaient déjà été attablés avec une bonne partie de l'A.D. et Harry, ne se sentant pas d'humeur à interagir avec un gros groupe d'adolescents ce soir là, avait préféré se glisser à la table des Serdaigles où Luna avait été en train de lire un épais grimoire. Ils n'avaient pas échangé plus de trois mots de tout le repas mais c'était précisément ce dont il avait eu besoin, trop préoccupé par sa conversation avec le Directeur.

« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda-t-il, préférant attaquer de front une situation qui menaçait de devenir gênante.

Hermione prit une profonde inspiration et vint s'asseoir au pied de son lit. Après une seconde d'hésitation, Ron fit le tour et s'assit à côté d'elle. Tous deux faisaient face à Harry qui eut l'impression nette qu'il s'agissait d'une sorte de procès plus ou moins amical.

« Harry… » commença un peu trop sérieusement Hermione, uniquement pour être coupée par Ron qui attrapa le livre qu'Harry avait laissé se refermer.

« C'est le symbole de Grindelwald ! » s'exclama l'autre garçon, en tapant sur l'image des Reliques gravée sous le titre. « Qu'est-ce que tu fais à lire des traités de magie noire ? »

L'expression d'Hermione se décomposa immédiatement. « C'est Snape qui te l'a prêté ? »

Harry arracha le livre des mains de Ron, se morigénant de son manque de discrétion. N'avait-il pas déjà eu ce problème une fois en soixante-quinze avec cet exact ouvrage ?

Il ne manqua pas, toutefois, la pique envers l'ancien Mangemort.

« Severus m'arracherait la tête s'il s'avait que je lis ça. » rétorqua-t-il. « Et je l'ai trouvé à la bibliothèque, si tu veux tout savoir. »

« Donne-le moi. » exigea la jeune fille, en tendant la main. « Je vais le rapporter à Madame Pince. Il doit y avoir une erreur. Il ne devrait pas y avoir de livres de Grindelwald sur les rayonnages. »

Son ton pompeux l'agaça au plus haut point mais il fallait savoir choisir ses batailles et abandonner le livre à Hermione ne lui coûtait rien. Il avait tiré ses conclusions et il n'en avait plus besoin.

Il lui donna donc le livre, en se rappelant qu'agir de temps en temps comme un serpent avait ses avantages. Même si l'air supérieur de sa meilleure amie lui donnait envie de lui hurler qu'il n'était pas un idiot qui tomberait dans la magie noire par accident.

« Pourquoi est-ce que tu as emprunté un livre de Grindelwald ? » insista Ron, avec suspicion.

« Pourquoi est-ce que vous m'avez évité toute la journée et pourquoi est-ce que vous avez l'air si coupable ? » rétorqua-t-il, en croisant les bras sur la poitrine.

S'il avait craint d'être paranoïaque, leurs réactions furent une confirmation évidente qu'il ne l'était pas. Ron grimaça et baissa les yeux, tandis qu'Hermione relevait un peu le menton avec entêtement.

Elle se racla la gorge. « On voudrait te parler de… En fait, on s'inquiète parce que… Pourquoi est-ce que tu ne nous as pas dit que… »

À mesure qu'elle balbutiait, Harry sentit la panique le gagner.

Ils avaient compris pour l'horcruxe et ils ne savaient pas comment le lui dire.

Ils savaient et, à présent, Harry les dégoûtait et…

« On n'est pas sûr d'aimer l'influence que Snape a sur toi. » lâcha Ron, terminant pour elle. Cela lui valut une bourrade réprobatrice d'Hermione, à laquelle il répondit en levant les bras dans un geste d'impuissance. « Il faut appeler un chat, un chat, Hermione ! »

Harry était à peine conscient de leur manège, trop soulagé du fait que le mot horcruxe n'ait pas été prononcé. Bien sûr, une seconde plus tard, ce que Ron venait de dire le frappa et il décroisa les bras, résistant de peu à l'envie de tirer sa baguette, immédiatement sur la défensive. « Quoi ? »

Hermione fit un geste vers sa main gauche. « C'est Snape qui t'a donné ça ? »

Le sceau des Prince.

Il se fit violence pour ne pas le couvrir de son autre main.

Pas parce qu'il en avait honte mais parce que, stupidement, il ressentait le besoin de protéger quelque chose qui était devenu son bien le plus précieux. Personne n'avait jamais voulu de lui, avant. Pas suffisamment pour lui donner une chambre, un foyer, une famille. La bague symbolisait tout ça.

« Et après ? » répliqua-t-il, dans haussement d'épaules.

« Il veut t'adopter ? » insista Ron.

Les yeux d'Harry passèrent de l'un à l'autre. Il avait la sensation croissante d'être mis en accusation.

En d'autres temps, il aurait déjà explosé. Des mois à Serpentard le poussèrent à réagir comme il l'aurait fait face à Lucius et sa clique. Il se redressa, occluda juste assez pour se composer une expression distante, presque méprisante, et les dévisagea tour à tour.

Cette attitude, il le savait, exaspérait Hermione.

Ron, lui, soupira. « Pourquoi tu ne nous l'a pas dit ? »

Peut-être pour éviter ce genre de scène ?, songea-t-il méchamment.

« D'abord, parce que ça ne regarde que moi. » cingla-t-il. « Ensuite, parce que ça ne se fera pas de toute manière. »

« C'est Snape qui t'a dit ça ? » demanda Hermione. « Qu'il voudrait t'adopter mais qu'on ne le laisserait pas faire ? »

Elle avait ce ton si particulier de quand elle pensait avoir mis le doigt sur le fin mot de l'histoire, comme si l'offre d'adoption de Severus était l'un des mystères qu'ils s'étaient régulièrement employés à résoudre au cours de leur scolarité.

« Non, c'est Dumbledore. » contra-t-il, froidement.

Dumbledore qui insistait pour qu'il retourne chez les Dursley bien que Severus lui ait expliqué que son oncle et sa tante le détestaient, qu'ils le traitaient mal. Mais, ça, il ne leur confia pas.

Et, lorsque ses deux meilleurs amis échangèrent un regard entendu, comme s'ils en savaient plus que lui, cela ne l'encouragea pas à s'expliquer davantage.

« Écoute… » reprit Ron, un peu gêné. « Je sais que tu considères Snape comme ton père et… Et je pense que c'est génial que tu ais trouvé… une famille. Je suis vraiment content pour toi. »

« Ça se voit tout de suite. » grinça-t-il, non sans sarcasme.

« On veut juste que tu sois prudent. » ajouta Hermione, avec nettement moins d'embarras, presque comme si elle le sermonnait.

« Prudent. » répéta-t-il, froidement.

Trop froidement.

Ses boucliers flambaient haut et fort alors qu'il se battait pour garder sous contrôle ses émotions volatiles.

« Oui, prudent. » insista-t-elle, toujours de ce ton moralisateur. « Je ne doute pas que Snape soit contre Voldemort, mais… Mais est-ce qu'on est sûr qu'il est de notre côté ? Est-ce qu'on est sûr qu'il est loyal à Dumbledore ? » Elle lâcha la dernière partie rapidement, comme si elle n'avait attendu que ça depuis des semaines. « Parce que, Harry… Oh, s'il te plaît, ne le prends pas mal mais parfois quand je t'écoute parler… J'ai l'impression qu'il y a toi et Snape d'un côté et Dumbledore de l'autre et… Et que Dumbledore est presque votre ennemi. »

Sa vision était si simpliste.

Comme la sienne avant qu'il ne comprenne juste à quel point la situation était compliquée, avant qu'il ne cesse de voir les choses en noir et blanc.

« Il y a des contextes où il peut l'être. » expliqua-t-il, avec froideur. « Dumbledore n'est pas exactement un saint, tu sais. »

Et la pierre dans sa poche en était le parfait exemple.

L'entrevue dans le bureau de Dumbledore, plus tôt, avait, à certains moments, davantage ressemblée à une conversation à sens unique, trop philosophique pour lui. Il en avait toutefois retenu l'essentiel : cette pierre que le vieux sorcier lui avait confié était une faiblesse. Quoi que le Professeur ait vu dans le miroir du Rised – et il doutait sincèrement qu'il ait été question de chaussettes – ou plutôt qui qu'il ait vu, il s'était certainement servi de la pierre pour les ramener et il ne se faisait pas suffisamment confiance pour garder la pierre avec lui.

Et c'était là l'explication charitable.

Il n'avait pas oublié les nombreux articles que Dumbledore avait écrit sur les Reliques.

Être le Maître de la Mort… Il n'était pas certain que le Directeur soit au-dessus de ça.

Non pas qu'il s'aventurerait à expliquer ça à Ron et Hermione. Même Severus ne croyait pas en l'existence des Reliques.

« Dumbledore est le seul sorcier que craint Tu-sais-qui. » contra Ron, le visage fermé. « Harry… Je ne dis pas que Snape est mauvais. Juste que… Peut-être… Enfin… »

« Tu dis quoi, au juste ? » cingla-t-il.

« Ce que Ron veut dire c'est que… Il se pourrait que l'Ordre soupçonne Snape de… quelque chose. » grimaça Hermione. « Et… »

« Et ça sort d'où, ça ? » la défia-t-il.

Parce qu'aux dernières nouvelles, l'Ordre n'était pas exactement ce qu'il avait été.

Hermione parut hésiter un long moment. Ron ouvrit la bouche mais elle attrapa son bras, comme pour le faire taire.

« On ne peut pas te le dire. » répondit-elle. « Tu vas immédiatement aller le répéter à Snape. »

Évidemment qu'il allait immédiatement aller le répéter à Severus.

« Je peux te dire d'où ça ne vient pas, en tout cas. » se moqua-t-il. « Ça ne vient pas de Sirius ou de Tonks. Ou de McGonagall, d'ailleurs. L'Ordre… » Il mima des guillemets. « … n'est pas contre Severus. »

« C'est ce qu'il te dit ? » insista son amie.

« J'en sais plus que toi, Hermione. » cracha-t-il, perdant finalement son calme. « Tu n'as aucune idée de ce qui se passe avec l'Ordre. »

« Parce que l'Ordre t'intéresse maintenant ? » riposta-t-elle, railleuse. « La dernière fois qu'on en a parlé tu n'avais pas l'air de t'en soucier ! Tu as eu l'opportunité de faire quelque chose de concret pour la guerre et ça avait l'air de t'ennuyer ! Comme si ce n'était pas une bonne chose que Dumbledore t'emmène en mission ! »

« Hermione. » intervint Ron. « Il a le droit de ne pas vouloir… »

« Parce que ce n'est pas une bonne chose ! » s'énerva-t-il, parlant par-dessus son meilleur ami. « Je n'ai pas envie d'aller chasser les hor… » Il ravala le mot avant d'avoir pu le crier. Il ne connaissait pas le sort qu'Hermione avait jeté sur la porte et il ne s'y fiait pas. Sans parler des tableaux au murs. « Je n'ai pas envie de jouer les soldats de plombs pour Dumbledore, tu peux comprendre ça ?! Je ne suis qu'un pion sur l'échiquier pour lui, il me sacrifiera sans ciller s'il le faut ! »

Et Harry le laisserait faire.

C'était ce qu'ils s'étaient dit à demi-mots tout en buvant leur thé comme des Anglais civilisés…

Pour un ancien Gryffondor, Dumbledore parlait très bien le Serpentard.

« Il ne ferait jamais ça ! » réfuta-t-elle, en pointant un doigt accusateur vers lui. « Ça, c'est ce que Snape t'a mis dans la tête ! Dumbledore… »

« Dumbledore pense que la prophétie est le début et la fin de tout. » ricana-t-il amèrement. « Tu ne vois pas ? Pour que Voldemort meure, je dois soit le tuer, soit être tué par lui. À un moment donné, Dumbledore me demandera de m'y soumettre. »

Il ne pouvait pas être plus explicite sans mentionner l'horcruxe.

Même avouer si peu était un risque, elle était trop intelligente pour ne pas additionner un plus un.

« C'est ton destin ! » contra-t-elle, avec une ferveur presque fanatique.

Il secoua la tête, sa colère retombant comme un soufflet, ne laissant place qu'à une déception acerbe.

« Mais tu ne vas pas mourir ! » ajouta-t-elle rapidement, lorsqu'il resta silencieux trop longtemps. « C'est pour ça que c'est important que tu suives les conseils de Dumbledore et tes cours particuliers et… »

« Hermione. » la rabroua Ron, agacé. « Harry, je comprends, moi. Je comprends pourquoi tu ne veux pas être plus impliqué que ça. Et Snape… Peut-être que ses intentions sont bonnes. Peut-être qu'il essaye juste de te protéger. Mais… Peut-être aussi qu'il s'y prend mal et que la guerre est plus importante que… »

« Que moi ? » railla-t-il, en se levant.

« Non, bien sûr que non ! » protesta Hermione. « Ce n'est pas du tout ce qu'on veut dire. »

Il ne s'attarda pas pour en entendre davantage.

Il avait envie de hurler, de pleurer et de tout casser à la fois alors il était sans doute plus sage qu'il parte avant que l'Occlumencie ne lui fasse défaut et qu'il dise des choses qu'il regretterait par la suite.

« Je t'avais dit que ça ne se passerait pas bien et qu'il ne fallait pas s'en mêler ! » accusa Ron dans son dos.

Ça ne l'empêcha pas de claquer la porte du dortoir derrière lui.

°O°O°O°O°

À l'abri des regards dans ses appartements, Severus s'affala sur son fauteuil favori sans aucune retenue ou légèreté. Il s'autorisa un soupir et se frotta le visage, plus las qu'il ne l'aurait voulu. Sa jambe le faisait souffrir et il l'étendit devant lui, espérant soulager un peu les muscles crispés depuis son entraînement avec Harry.

Il avait laissé ses robes pendues à une patère dans l'entrée en arrivant, de sorte qu'il n'eut qu'à défaire les boutons de sa chemise au niveau du poignet et à remonter la manche pour dévoiler le bandage autour de son avant-bras gauche. Avec un nouveau soupir, il fit disparaître la bande de gaze déjà tâchée et observa la Marque qui était particulièrement douloureuse ce soir-là.

C'était une bonne chose qu'il ait rendez-vous tôt avec Bill Weasley le lendemain matin. Peut-être serait-il bon de réduire le laps de temps entre les séances, songea-t-il, car si le sortilège ne paraissait pas perdre en efficacité, la colère du Seigneur des Ténèbres semblait, elle, augmenter.

La vue de la chair boursoufflée autour du tatouage aurait sans doute donné la nausée à n'importe quel estomac non averti. Était-ce pire qu'une semaine auparavant ? Pire que la veille ? Il n'aurait su le dire. Ce n'était pas beau à voir, cela était certain, et il avait toujours l'impression que la Marque sombrait dans sa chair, le brûlait au fer rouge…

Amputer

Il n'en était pas là.

Pas encore.

Avec un nouveau soupir, il sortit sa baguette et fit venir à lui le baume qu'il avait abandonné dans ses robes. Le temps que la petite boite vole jusqu'à lui, un chat avait sauté sur l'accoudoir du fauteuil.

« Tiens, te voilà, toi ? » murmura-t-il, en grattant Masque derrière les oreilles, déclenchant une turbine à ronrons. « Tu passes tellement de temps chez les lions, je pensais que tu avais déserté les cachots… »

Le chat qu'il n'avait jamais officiellement adopté descendit sur ses jambes et entreprit de lui labourer affectueusement les cuisses de ses griffes, en demandant des caresses que Severus lui accorda avec un rare sourire. Masque suivait Harry à la trace, ces derniers temps, il ne venait plus aussi souvent dans ses appartements. Le félin avait l'affection généreuse mais courte et il ne tarda pas à sauter pour mieux aller s'étaler sur le canapé où il aurait tranquillité et espace.

Severus étala soigneusement le baume sur la Marque, constatant sans surprise que cela ne soulageait quasiment pas la douleur. Cela apaisait quelque peu la sensation de brûlure, sans plus.

Il était en train d'entourer son avant-bras d'une bande de gaze fraîche lorsque le feu se raviva brusquement dans la cheminée. Il se détendit lorsque le visage de Nymphadora apparut. Il n'aimait pas recevoir Albus ou un des autres Professeurs lorsqu'il ne portait pas ses robes ou sa cape. Il se sentait un peu trop vulnérable en simple pantalon et chemise.

« Severus ? » appela-t-elle.

« Traverse. » l'invita-t-il.

Il déplaça le pare-feu d'un coup de baguette, se hissant déjà sur ses pieds en prenant appui sur les accoudoirs.

Elle émergea de la cheminée quelques secondes plus tard, un épais dossier fermement serré contre la poitrine. Ce ne fût toutefois pas la chemise cartonnée qui attira son attention.

« Aurais-je oublié une occasion particulière ou bien es-tu venue encaisser une de ces faveurs que je te dois ? » plaisanta-t-il, non sans apprécier la vue.

Elle portait une robe de cocktail noire classique, presque trop sage pour elle, qui épousait son corps juste là où il fallait. Ses cheveux blonds platine étaient remontés en un chignon lâche mais étudié, elle s'était maquillée de manière plus prononcée que d'ordinaire mais avec retenue… Cela lui allait à ravir mais la vieillissait un peu, lui donnait l'air presque altier des Sang-Pures… Son ascendance Black n'avait jamais été aussi évidente pour lui qu'à l'instant.

Il se surprit à penser qu'il la préférait en jean troué et tee-shirt à l'effigie d'un quelconque groupe de rock.

« Ni l'un, ni l'autre. » répondit-elle, en s'époussetant de sa main libre. « Il y a une réception à Downing Street et on m'a priée de bien vouloir me fondre dans le décors. »

« C'est un échec. » commenta-t-il, sans dissimuler son admiration. « Je doute que tu passes inaperçue dans cette tenue… »

Le temps qu'elle ait terminé de saupoudrer son tapis de cendres, Severus l'avait rejointe et osa poser une main sur sa hanche, l'attirant à lui avec juste assez de force pour lui faire comprendre ce qu'il voulait. Elle aurait aussi bien pu s'éloigner si elle l'avait souhaité mais elle se laissa faire avec une joie évidente, répondant à son baiser avec juste assez d'enthousiasme pour lui faire oublier la mauvaise humeur qu'avait provoqué son entrevue avec Slughorn.

Il avait traîné sa colère tout le long du dîner, s'attirant plus d'un commentaire désobligeant de Minerva et d'un coup d'œil curieux d'Albus qui s'était présenté dans la Grande Salle pour la première fois depuis des semaines.

Nymphadora s'écarta finalement, avec un petit rire. « La flatterie te mènera où tu voudras avec moi mais pas ce soir. Je n'ai pas beaucoup de temps. Je suis juste venue te déposer ce que tu m'as demandé. J'encaisserai mes faveurs une autre fois. »

Elle lui fit un clin d'œil qui l'amusa et contribua à le détendre davantage. Son attention, néanmoins, s'était portée sur la pochette cartonnée.

Les recherches sur Jedusor.

Il tendit la main vers le dossier mais elle s'éloigna d'un petit bond, un sourire malicieux sur le visage, le mettant hors de portée – et elle avec. « Dis-moi d'abord ce qu'à dit Pomfresh. Je te jure que si tu as encore accidentellement oublié d'aller à ton rendez-vous… »

« Ce n'était pas Pomfresh mais ta mère. » l'interrompit-il, levant un sourcil lourd de sens.

« Oh, Circé ! » s'exclama-t-elle, son humeur espiègle semblant fondre comme neige au soleil. « S'il te plait, dis-moi qu'elle ne t'a pas suffisamment effrayé pour que tu me laisses tomber… »

Il laissa échapper un bruit amusé. « Notre entrevue m'a certainement rappelé un ou deux interrogatoires avec Maugrey. »

Peut-être pas celui où il lui avait cassé le nez mais l'Auror n'avait jamais été tendre avec les suspects.

Elle fit la grimace. « Je suis désolée. Elle a eu des soupçons quand tu étais à l'infirmerie. »

Il se détourna légèrement, reportant son attention sur le chat très occupé à se lécher la patte. « Il est évident qu'elle désapprouve l'idée de notre relation. »

« Severus… » murmura-t-elle, se rapprochant suffisamment pour poser une main sur son épaule. « Ce n'est pas sa vie, ce n'est pas sa décision. »

« Oui, je lui ai répondu sensiblement la même chose. » soupira-t-il, tournant la tête vers elle. « J'ai tâché d'être diplomate, néanmoins. Il ne me semblait pas judicieux de mettre le feu aux poudres. »

Ce devait être la bonne réponse ou, du moins, ce qu'elle voulait entendre parce qu'elle lui sourit avec soulagement et l'attira plus près pour voler un autre baiser auquel il s'abandonna sans se faire prier.

« Et ton état de santé ? » insista-t-elle, sans chercher à s'écarter à nouveau ou échapper au bras qu'il ne se souvenait pas avoir enroulé autour de sa taille.

Il aurait probablement dû s'alarmer du naturel avec lequel il la touchait dernièrement. Lorsqu'elle était près de lui, initier un quelconque contact était presque devenu un reflexe. Il ne se l'expliquait pas.

N'aurait-il pas dû se lasser avec le temps ? C'était tout le contraire. Son parfum, le goût de sa peau, la sensation de son corps pressé contre le sien… Il avait parfois l'impression qu'elle était comme une drogue. Plus il y goûtait et plus il avait envie de recommencer, plus il peinait à s'en passer.

« Bon. » répondit-il, un peu trop laconiquement si l'on devait en croire son expression mi-amusée, mi-soupçonneuse. « L'état de la Marque est préoccupant mais nous le savions déjà. Elle pense que mes mains n'évolueront plus beaucoup. »

Ce qui était, il fallait l'admettre, un coup dur.

Encore que si Slughorn acceptait véritablement de lui préparer sa potion…

Il rejeta cette idée dans un coin de sa tête, avec tout ce qui concernait son ancien Directeur de Maison, avant que la colère ait pu à nouveau l'envahir.

Nymphadora le dévisagea quelques secondes puis dût conclure qu'il ne lui dissimulait rien car elle lui tendit la sommes de ses recherches. Il accepta la pochette, retirant à regret son bras de sa taille pour mieux la consulter. Le dossier n'était pas bien épais mais comportait divers documents officiels, quelques photographies jaunies, un ou deux articles de journaux, et plusieurs pages de notes rédigées au stylo bille dont il identifia l'écriture comme étant celle de la jeune femme.

« Je n'ai pas trouvé grand-chose au Ministère. » résuma-t-elle. « Quelqu'un s'est donné beaucoup de mal pour faire disparaitre ses traces. Heureusement pour toi, je suis excellente enquêtrice. »

Ses yeux gris brillaient d'amusement et, peut-être un peu, de satisfaction. Il supposait que cela avait dû être une bénédiction de pouvoir faire ce qui l'intéressait : résoudre un mystère, au lieu de se cantonner à une suite interminable de batailles ou de missions de protection et surveillance.

« As-tu trouvé quelque chose d'intéressant ? » s'enquit-il, en passant rapidement en revue les divers documents. Il lui faudrait faire le tri mais cela lui semblait prometteur. Il devait bien y avoir, quelque part dans cette mine d'informations, la trace de la cachette d'au moins un des horcruxes.

« Qu'il avait tout du parfait psychopathe bien avant de changer de nom ? » railla-t-elle. « Tous les indices étaient là : cadavres d'animaux de compagnie, disparitions inquiétantes en séries dans son entourage, signes évidents de mégalomanie… » Elle secoua la tête. « Il y a certaines personnes que je n'ai pas pu trouver et qui, j'en suis quasi sûre, sont enterrées dans un coin. C'était presque plus facile d'enquêter sur les années qu'il a passé chez les Moldus. L'orphelinat dans lequel il a grandi a brûlé, il y a très longtemps, sa directrice avec, mais cette Mrs Cole tenait des registres très détaillés et les archives venaient juste d'être transférées deux semaines avant l'incendie. Coup de chance, même si ça m'a pris des heures de tout lire. » Elle repoussa gentiment ses mains pour feuilleter les papiers elle-même jusqu'à s'arrêter sur ce qui semblait être des photocopies de carnets passablement anciens, l'encre en était presque effacée. « Commence par là, c'est édifiant. »

L'écriture était élégante quoi qu'un peu désuète. Le contenu paraissait à mi-chemin du journal intime. Nymphadora avait clairement trié dans le tas et n'avait rassemblé que les passages pertinents…

Il referma le dossier, sachant qu'il devrait prendre son temps pour l'étudier, et le déposa sur la table basse.

« Tu en as fait bien plus que ce que j'espérais. » remarqua-t-il.

« Je peux creuser davantage, si tu veux. » offrit-elle. « Il y a deux ou trois pistes que je n'ai pas eu le temps d'approfondir. Et puis tous ces gens qui ont disparu sans laisser de traces… Ça m'intrigue. »

Il hésita. « Je ne voudrais pas alerter le Seigneur des Ténèbres. Ou te mettre en danger. Laisse-moi déjà étudier ceci. »

Elle marqua son assentiment d'un haussement d'épaules, ses lèvres s'étirant dans un sourire qui n'atteignit pas ses yeux. « Je suppose que je n'ai pas le droit de savoir pourquoi tu fais ces recherches ? »

Une nouvelle fois, il hésita. Sur le plan tactique, lui révéler la vérité n'avait pas grand sens. Elle ne leur apporterait rien dans le domaine de la magie noire et ne les aiderait pas à avancer sur la manière de se débarrasser de l'horcruxe qui vivait en Harry. Cependant… Elle avait un esprit analytique et réfléchissait en Auror, ce que ni lui, ni Black, ni Bill Weasley ne savaient faire. Lorsqu'il s'agirait de déterminer étaient les horcruxes…

Il effleura son esprit du sien, jaugea la force de ses boucliers…

Elle fronça les sourcils, ayant clairement perçu l'intrusion, et ses boucliers se renforcèrent alors même qu'une ribambelle de souvenirs sans conséquence valsait au premier plan de sa conscience. Exactement comme il le lui avait appris.

Cependant, s'il poussait un peu, s'il exerçait toute la force de ses dons de Legilimens…

Elle avait une résistance naturelle qui l'avait aidée à assimiler rapidement le concept d'Occlumencie mais si jamais elle tombait entre les mains du Seigneur des Ténèbres – ou si Dumbledore s'avisait à nouveau de s'insinuer dans sa tête sans sa permission – il était certain qu'elle échouerait à le repousser. Elle ne serait déjà pas parvenu à le repousser, lui, s'il avait été déterminé à éventrer son esprit.

« Pas tant que tu n'amélioreras pas davantage tes capacités d'Occlumens. » répondit-il. Il effleura sa joue de sa main tremblante, espérant qu'elle ne lui tiendrait pas rigueur de son refus.

Un des avantages à entretenir une liaison avec une Auror, toutefois, était qu'elle comprenait l'importance de garder certains secrets.

Elle hocha la tête en signe de compréhension.

« Ce n'est pas une question de confiance. » insista-t-il.

« Je sais, ne t'inquiète pas. » confirma-t-elle. Elle jeta un coup d'œil à la pendule qui égrenait lentement les minutes et fit la moue. « Je n'ai aucune envide d'aller à cette soirée. Downing Street est d'un ennui mortel. »

Il ne lui rappela pas que c'était le métier qu'elle avait choisi ou que c'était son devoir parce qu'il était parfaitement conscient qu'elle ne le savait que trop bien et qu'elle ne s'attarderait pas davantage que quelques minutes de plus. Ça ne l'empêcha pas de sentir ses lèvres s'étirer légèrement lorsqu'elle plaça ses bras autour de son cou, se rapprochant beaucoup trop près pour que l'étreinte soit tout à fait innocente. Leurs regards s'accrochèrent, refusèrent de se lâcher…

« Tu sais, si tu aimes tellement cette robe… » commença-t-elle, uniquement pour être interrompue par le claquement brusque d'une porte quelque part dans ses appartements.

La porte principale, si Severus ne se trompait pas.

« Papa ? » appela Harry une seconde plus tard, d'un ton qui trahissait énervement et frustration.

Severus eut à peine le temps de la repousser et de s'écarter assez pour ne pas être pris la main dans le sac.

Ce fût un échec, à en croire l'expression du garçon lorsqu'il pénétra dans le salon à grandes enjambées agacées uniquement pour se figer lorsqu'il aperçut la jeune femme.

Le moment ne dura sans doute pas plus d'une poignée de secondes mais, pour Severus, il s'étira de manière interminable. Le cœur battant un peu trop fort, se sentant pris en faute sans trop savoir pourquoi, il était un peu trop conscient que ses cheveux devaient être ébouriffés depuis qu'elle avait passé la main dedans en l'embrassant, qu'il n'avait jamais pris la peine de reboutonner sa manche lorsqu'il avait terminé de soigner sa Marque, ce qui lui donnait l'air débraillé, et que Nymphadora portait une tenue trop habillée par rapport à d'habitude, ce qui pouvait donner une fausse impression de ce qu'ils avaient été en train de faire.

« Euh… » bredouilla finalement le garçon, en s'empourprant. « Désolé, je ne savais pas que… Je ne voulais pas vous interrompre. »

Severus, il le savait, était probablement aussi rouge d'embarras que lui.

Ce n'était pas du tout comme ça qu'il avait voulu aborder le sujet.

Nymphadora, Merlin la bénisse, ne parut pas du tout perturbée par cette arrivée tonitruante. Elle se contenta de feindre un sourire comme si tout était normal, comme s'ils ne venaient pas de manquer se faire surprendre en pleine étreinte, comme si Harry et elle s'étaient croisés un million de fois dans ses appartements.

« Hey, Harry ! » le salua-t-elle avec bonne humeur. « Tu ne nous interromps pas, je m'en allais. Je venais juste déposer un dossier. » Elle fit un geste vers sa robe – un geste bien inutile parce que l'adolescent paraissait peiner à détacher le regard de ses jambes – et leva les yeux au ciel. « Je suis sous couverture à Downing Street. Je te prie de croire qu'ils ne demandent pas aux hommes de se pomponner comme ça. »

Harry ne répondit rien et, si le sourire de la jeune femme faiblit un petit peu, elle n'en laissa rien paraître.

« Bonne soirée, les garçons ! »

Avant que Severus ait pu tenter de dire quoi que ce soit, elle avait attrapé une poignée de poudre de cheminette et s'était sauvée sans demander son reste.

Il ne pouvait pas exactement l'en blâmer.

Il était furieusement tenté d'en faire de même.

°O°O°O°O°

Harry était partagé entre frustration, déception et colère lorsqu'il traversa la salle commune des Gryffondors au pas de charge, ignorant les regards qui suivirent sa progression. Une fois qu'il eut passé le portrait de la Grosse Dame, ses pas le menèrent machinalement vers les cachots.

On frisait l'heure du couvre-feu et il n'avait aucune intention de retourner dans les dortoirs ce soir là de toute manière. Autant qu'il retourne dans sa chambre.

Le toupet de Ron et d'Hermione…

Il fulminait lorsqu'il atteignit finalement le pan de mur nu qui abritait pourtant la porte cachée qui menait aux appartements de Severus. Il préférait d'habitude utiliser l'entrée dérobée qui partait du bureau du Directeur de Maison mais il n'avait pas vraiment fait attention à où il allait ce soir là.

Il n'y avait pas besoin de mot de passe, les protections arrêteraient quiconque n'était pas autorisé à entrer, il poussa donc le mur à l'endroit précis où il le fallait pour déclencher le mécanisme d'ouverture et, tout entier à son irritation, le repoussa un peu trop brutalement une fois à l'intérieur.

« Papa ? » appela-t-il, sans réfléchir.

Il se pourrait que l'Ordre soupçonne Snape de… quelque chose.

Hermione ne savait pas ce qu'elle disait. Il l'avait bien remarqué depuis son retour, elle agissait comme si elle voulait à tout prix se donner de l'importance. Ou non, c'était peut-être une pensée ingrate, songea-t-il en déboulant dans le salon au pas de charge, mais on ne pouvait nier qu'elle avait apprécié de jouer les leaders en son absence et…

Harry se figea lorsqu'il surprit la scène.

Severus se tenait derrière un fauteuil, les cheveux passablement en désordre, une des manches de sa chemises béante, l'air suprêmement coupable.

Tonks était debout, plus près de la cheminée, dans une robe clairement trop habillée pour les cachots.

Il s'entendit balbutier des excuses, sans trop savoir ce qu'il disait, incapable de décider où poser le regard – ailleurs que sur les jambes de l'Auror semblait tout indiqué, malheureusement son cerveau ne semblait pas vouloir coopérer.

La jeune femme offrit une explication bancale qu'il écouta à peine, trop gêné pour faire autre chose que rougir en se demandant s'il empirerait la situation en s'enfuyant ou pas, puis elle disparut dans la cheminée, le laissant seul avec Severus.

Ce qui était encore pire.

L'homme se racla nerveusement la gorge, les joues en feu.

Harry fit un pas vers la porte, puis deux, décidant qu'il n'y avait aucune honte à effectuer un repli tactique.

« Je suis désolé. Je ne voulais pas vous déranger. » s'excusa-t-il encore. Quel idiot, il faisait. Pourquoi n'avait-il pas regardé la Carte avant de se précipiter dans les appartements de Severus comme…

Comme quoi ?

Comme s'il habitait là ?

Ils n'étaient plus en soixante-quinze. Peut-être que…

« Harry, tu es ici chez toi. » contra fermement Severus, comme s'il avait lu dans ses pensées.

Oh, oh, songea l'adolescent avec un brin de panique, il avait été tellement choqué que… Il s'assura que les boucliers qu'il avait complètement oubliés étaient à nouveau en place.

« Tu ne me déranges jamais. » insista le sorcier. « Tu peux aller et venir à ta guise. »

À cet instant précis, il aurait préféré aller que venir.

« J'aurais dû vous avertir avant de débarquer comme ça. » réfuta-t-il, en faisant un autre pas vers la porte. « Ou frapper… Ou… »

« Tu n'as pas besoin de m'avertir ou de frapper. » soupira Severus, en se pinçant l'arrête de nez. « Viens t'asseoir. Je pense qu'une conversation s'impose. »

« Non, non, vraiment, ce n'est pas nécessaire. » protesta-t-il.

« Je pense que si, au contraire. » contra le Professeur.

Harry était presque arrivé à la porte du salon lorsque Severus traina la jambe jusqu'au fauteuil avec suffisamment de difficultés pour qu'il reconsidère l'idée de le laisser seul.

C'était un piège, bien entendu, parce que Sev n'admettait jamais ses faiblesses et aurait fait son maximum pour lui dissimuler la douleur s'il avait réellement souffert. Le sorcier savait simplement qu'Harry serait incapable de le laisser s'il soupçonnait qu'il avait besoin de son aide.

Foutus Serpentards.

Il était presque certain que c'était une manière de le manipuler.

Presque.

A contrecœur, il se laissa aller sur le canapé, à côté de Masque qui rechigna un peu à partager. Il se mit immédiatement à caresser le chat, préférant fixer du regard le matou noir et blanc que d'affronter Severus.

« J'ai essayé d'aborder le sujet plusieurs fois… » commença maladroitement l'homme.

Les oreilles d'Harry le brûlaient si forts qu'elles devaient être écarlates. « J'ai compris, il y a un moment. On n'a pas besoin d'en parler. »

Severus demeura silencieux suffisamment longtemps pour qu'Harry risque un coup d'œil vers lui. Son visage était lisse, neutre, mais une lueur incertaine tremblait dans ses yeux noirs.

« Si tu penses que tu n'es plus le bienvenu ici, alors, si, Harry, nous avons besoin d'en parler. » murmura Sev, avant de se racler à nouveau la gorge. « Toutefois, afin de clarifier la situation… Nymphadora est simplement passée me déposer des recherches sur Tom Jedusor qu'elle a faites pour moi. Je suis déterminé à trouver le prochain horcruxe avant Albus. »

Il ne voulait pas vraiment clarifier la situation et il y avait, certes, un dossier flambant neuf – ou, du moins, un qu'il n'avait jamais vu avant – sur la table basse, entre deux grimoires qui, eux, lui étaient familiers… Pourtant, il ne put s'empêcher de faire la grimace. « Vous ne faites pas que échanger des dossiers avec Tonks. »

Ou alors il se trompait sur toute la ligne mais il ne le pensait pas.

Severus, à sa décharge, ne mentait pas lorsqu'il disait avoir tenté d'aborder le sujet plusieurs fois, ces derniers jours.

« Non. » confirma le Professeur. « Nous… »

Il s'interrompit comme s'il n'était pas certain du terme à employer.

Il paraissait si gêné, autant qu'Harry si ce n'était plus, que l'adolescent le prit en pitié.

« Vous êtes ensemble. » devina-t-il.

Sev prit une profonde inspiration puis inclina la tête. « Oui. Cependant, cela ne remet pas en cause mes priorités, Harry, j'ai été très clair avec elle sur le sujet. »

Le connaissant, voilà qui avait dû être une conversation extrêmement romantique, se dit-il, pince-sans-rire.

« D'accord. » répondit-il faiblement, parce que c'était ce que l'homme voulait entendre.

Et Harry dirait tout ce qu'il voulait entendre si ça lui permettait de partir plus vite.

Il n'avait toujours pas l'intention de passer la nuit dans les dortoirs mais il supposait que Sirius le laisserait peut-être squatter son canapé sans poser trop de questions.

Le Professeur le dévisagea avec contrariété. « Quelle est ma priorité ? »

Il dût faire un effort pour ne pas soupirer. Il détestait lorsque le Maître des Potions s'amusait à poser ce genre de questions. C'étaient toujours des questions piège.

« La potion Révèle-Loup. » répondit-il sans réfléchir. C'était ce dont ils parlaient en permanence depuis des semaines.

« Non, Harry. Certainement pas. » grinça l'homme.

« Les horcruxes ? » tenta-t-il immédiatement.

« Toi, crétin ! » s'emporta Severus, mais sa colère retomba rapidement, ne laissant derrière elle qu'une expression triste sur son visage. « En sommes-nous vraiment toujours là ? »

Harry baissa le regard vers Masque, se sentant coupable. Le chat dût sentir sa détresse parce qu'il daigna quitter son coin de canapé pour venir se pelotonner sur ses genoux. Il le caressa distraitement, sans oser lever les yeux.

Il avait l'impression d'avoir déçu Severus or…

« Harry. » appela doucement le Professeur. « Tu es ma priorité, ma seule priorité. Tu es mon fils et rien ne changera cela. »

« Je sais. » murmura-t-il.

Mais Severus dût entendre la fêlure dans sa voix parce qu'il poussa un soupir. Lorsqu'il se hasarda à lui jeter un coup d'œil sous sa frange, cependant, Harry ne vit aucune émotion sur son visage, rien qu'un masque neutre, presque froid, qu'il n'avait pas vu depuis un moment. Un détachement parfait, comme si l'homme éprouvait le besoin d'occluder entièrement des émotions dérangeantes.

« Je vais rompre avec elle. » offrit l'ancien espion. « Je ne pensais pas que cela te perturberait autant. Je… Je m'excuse. » Harry manqua s'étouffer de surprise mais l'homme continua, imperturbable. « Je t'ai promis de la stabilité et… »

« Vous n'avez pas besoin de rompre avec elle ! » l'interrompit-il. « Je ne veux pas que vous rompiez avec elle. Ce n'est pas ça, c'est juste que… »

« Que ? » pressa Severus, lorsqu'il échoua à terminer sa phrase.

Qu'Harry était très égoïste.

Ne venait-il pas de tacitement promettre à Dumbledore de se sacrifier s'il le fallait ? Ne venait-il pas d'affirmer à Ron et Hermione que c'était ainsi que l'histoire finirait ?

Il savait que Severus se tuerait à la tâche jusqu'au dernier moment pour le sauver, même si c'était impossible.

Il savait que Severus se tuerait tout court pour le sauver si la situation l'exigeait.

Il savait aussi comment Severus réagirait si… lorsque Harry mourrait. Il se replierait sur lui-même, repousserait tout le monde, et s'installerait dans sa douleur comme il l'avait fait après Lily.

Avec un peu de chance, Tonks l'aiderait à surmonter sa mort, l'aiderait à se reconstruire, ne le laisserait pas sombrer… Il aurait besoin d'elle.

Et, de toute manière, il était évident que le Maître des Potions avait des sentiments pour elle. Harry ne l'imaginait pas s'embarquer dans une relation avec quelqu'un comme Tonk sans qu'il n'y ait des sentiments quelque part.

Il était hors de question qu'il le prive de retrouver l'amour.

Hors de question.

« Que… » répéta-t-il, au bout de quelques secondes. « C'est juste un peu gênant, c'est tout. »

« Tu n'es pas le seul pour qui cela est gênant, je te rassure. » marmonna l'ancien Mangemort, un éclair de soulagement fugitif passant dans son regard.

Oui, se dit Harry, il y avait des sentiments là-dessous.

Alors, malgré tout, il laissa échapper un bruit amusé.

Severus parut se détendre un peu, suffisamment en tout cas pour lever les sourcils avec un brin de sarcasme. « J'insiste sur le fait que cela ne change rien. Tu es libre de venir quand tu le veux, comme tu le veux. Cela me peinerait que tu cesses de considérer ces appartements comme ton foyer. »

Harry hocha la tête, légèrement hésitant. « D'accord mais… Comment est-ce que je peux être sûr de ne pas… déranger ? »

L'homme qui venait de retrouver son teint habituellement pâle s'empourpra à nouveau mais parvint pourtant à plaisanter. « Vu ta discrétion d'hippogriffe, il n'y aucun danger. »

Il leva les yeux au ciel. « Ce n'est pas ma faute si la porte est lourde. Vous ne pouviez pas avoir un portrait comme porte d'entrée ? Comme tout le monde ? »

« Et de quoi te plaindrais-tu dans ce cas là ? » rétorqua Sev, en se levant.

Il se dirigea hors de la pièce et Harry le suivit par réflexe, notant que le boitement était nettement moins prononcé que tout à l'heure. Une fois qu'ils eurent atteint la cuisine et que l'homme eut mit la bouilloire à chauffer, Harry se percha sur la table, jouant distraitement avec le sceau des Prince.

« Je l'aime bien. » commenta-t-il, tandis que Severus sortait deux tasses du placard.

Le sorcier lui jeta un coup d'œil sans avoir l'air. « Est-ce la raison pour laquelle tu trouves la situation si gênante ? Parce que tu l'aimes bien ? »

La question était posée avec suffisamment de détachement pour qu'Harry ne prenne pas la mouche mais ça ne l'empêcha pas de redevenir rouge comme une tomate et de manquer s'étouffer sous le coup d'une toux nerveuse.

« Non ! » protesta-t-il, puis il fit la grimace et avoua. « Peut-être un peu. » Elle avait de très, très jolies jambes. Était-ce sa faute s'il l'avait remarqué ? Et il était persuadé que Severus avait remarqué qu'il avait remarqué. « Elle est trop vieille pour moi, de toute manière. »

Il ajouta cette dernière phrase après-coup, sur le ton de la plaisanterie. Ce n'était pas comme s'il était tombé amoureux de Tonks ou quelque chose du genre. C'était juste qu'elle était très… jolie. Et qu'il l'avait noté. Silencieusement. À chaque fois qu'il l'avait vue. Particulièrement depuis qu'ils étaient revenus du passé.

La bouilloire siffla et Severus transféra l'eau bouillante dans la théière avec prudence. Il aurait pu préparer le thé d'un coup de baguette mais le travail manuel était bon pour ses mains.

« Certains diraient que je suis trop vieux pour elle. Tu es libre de me le dire, si cela te dérange. » commenta le Professeur, avec un peu trop de détachement. « Ou si tu désapprouves, d'ailleurs. »

Harry fronça les sourcils. « Pourquoi est-ce que je désapprouverai ? Je vous l'ai dit, je l'aime bien. Et vous… » Il haussa les épaules. « Ce que j'essaye de dire c'est que… Je suis content pour vous. Si vous êtes heureux avec elle. »

Il ne comprenait peut-être pas comment deux personnes aussi différentes pouvaient s'être trouvées mais… Ce n'était pas à lui de leur faire la leçon.

Severus l'étudia un moment puis lui adressa un rare sourire. « Merci, Harry. »

Il lui sourit en retour, se détendant un peu. « Je suis désolé si j'ai réagi bizarrement. C'est juste que je ne sais pas trop… Je ne sais pas trop où est ma place là-dedans. »

« Rien n'a changé. » affirma à nouveau le Professeur. « Et rien ne changera pour l'instant. Ta place est la même qu'elle a toujours été. » Il lui jeta un regard légèrement désapprobateur. « À présent, descend de la table, les chaises ne sont pas là pour rien, et dis-moi plutôt pourquoi tu étais si contrarié que tu as manqué enfreindre le couvre-feu. »

Il sauta de la table d'un bon souple et récupéra sa tasse, délaissant la table de la cuisine car il préférait retourner au salon. Il s'assit à même le sol, sur le tapis épais, devant la table basse, au grand désespoir évident de Severus.

« Eh bien ? » le relança son père, lorsqu'ils furent installés.

Il tira à lui l'épaisse chemise cartonnée que l'homme avait désignée un peu plus tôt. « C'est ça les recherches sur Vol… Vous-savez-qui ? » Il attendit une seconde puis, lorsque l'homme ne protesta pas, ouvrit le dossier. « Vous savez que Dumbledore a déjà tout une collection de souvenirs… »

« À laquelle nous n'avons pas accès. » remarqua Severus. « De plus, étudier notre ennemi par nos propres moyens n'est jamais une sotte idée. Très jolie tentative d'évasion, par ailleurs, réponds à ma question. »

Harry soupira, enveloppant la tasse brûlante entre ses doigts. « Juste Ron et Hermione. Je n'ai pas envie d'en parler. »

Il n'avait pas envie d'expliquer au Professeur que ses deux meilleurs amis, les personnes qui comptaient le plus pour lui, désapprouvaient l'idée qu'ils puissent former une famille. Et pourquoi ? Parce qu'un membre de l'Ordre le leur avait dit ? Il ne savait même pas de qui il était question.

« Ne comptais-tu pas essayer de leur parler ? » demanda Severus, avec hésitation.

Il laissa échapper un bruit amer et se tourna jusqu'à être adossé au canapé, le regard perdu dans les flammes qui brûlaient haut dans l'âtre, écho parfait des boucliers qui flambaient dans son esprit.

« Ils ne comprennent pas. » murmura-t-il. « Ron, si, peut-être…. Mais Hermione… On dirait qu'elle n'attend qu'une chose, c'est de pouvoir jouer les héros. »

« Elle a soif de faire ses preuves. » constata le Maître des Potions. « Ce n'est pas nouveau. »

Certes, mais maintenant, c'était…

Harry était mort.

Ce n'était ni plaisant, ni glorieux, ni…

« Est-ce que vous repensez au cimetière, des fois ? » demanda-t-il, presque avec réticence.

« Je le revis presque toutes les nuits dans mes cauchemars. » admit Severus, après un silence. « J'ai réellement cru que je t'avais perdu cette nuit là, Harry. »

« Moi aussi, j'y repense. » avoua-t-il.

Mais ce n'était pas toujours un cauchemar.

Parfois… Parfois, c'était presque une délivrance.

Il plongea la main dans sa poche, trouva la pierre froide que lui avait confiée Dumbledore…

Était-ce pour ça qu'il n'éprouvait aucune véritable inclination à s'en servir ? Parce qu'il était déjà mort une fois ? Parce qu'il avait presque continué à travers les limbes au lieu de rebrousser chemin ?

Un instant, il fût tenté de la montrer à l'homme, de lui expliquer…

Il n'en fit rien.

« C'est naturel. » offrit le Professeur. « Tout comme il est naturel d'appréhender la présence de l'horcruxe. »

Harry prit une gorgée de son thé. Il était trop chaud et lui brûla la gorge mais il ne voulait pas parler de l'horcruxe ou de la guerre ou…

« Comment est-ce que ça va se passer pour l'année prochaine s'il n'y a pas de B.U.S.E.s ? » demanda-t-il, d'un ton qui se voulait plus léger.

Le regard de Sev pesait sur sa nuque mais l'homme ne fit aucune remarque sur son changement brutal de sujet.

« Je suppose que les enseignants décideront au cas par cas si les élèves ont le niveau ou non pour suivre des cours niveau A.S.P.I.C.s. » répondit le Professeur. « Peut-être en se basant sur leurs moyennes. À moins que nous organisions nous-mêmes les examens en interne au moins pour garder un semblant de normalité. Rien n'a été décidé pour le moment. »

« Oh… Oui, je suppose que c'est logique. » acquiesça-t-il, en prenant une nouvelle gorgée de thé.

Severus fût plus prudent lorsqu'il porta la tasse à ses lèvres, soufflant d'abord sur le liquide pour ne pas s'ébouillanter comme Harry l'avait fait.

« As-tu réfléchi aux matières que tu aimerais poursuivre ? » s'enquit son père.

La conversation était si normale qu'Harry se détendit lentement.

Ils ne pouvaient pas prétendre éternellement que les choses étaient normales, qu'ils n'étaient pas qui ils étaient, mais il vivait pour ces moments de répits où, pour quelques minutes, il pouvait faire semblant.

« Je ne sais pas. » soupira-t-il. « Jusque là, je pensais… C'était évident que je deviendrais un Auror. »

L'entraînement que Severus lui avait fait subir n'avait fait que le conforter dans ce choix. Au début, du moins. Parce que depuis le cimetière… Depuis qu'il sentait cet horcruxe en lui… Depuis que l'issue lui apparaissait si inévitable…

« Pourquoi serait-ce évident ? » releva l'homme, en l'observant.

Harry rencontra brièvement son regard puis le détourna à nouveau vers les flammes. « James était un Auror… Et… Je suis doué pour ça. »

« Tu es également un excellent joueur de Quidditch. » remarqua l'homme. « Je ne doute pas que la moitié des équipes du Royaume-Unis se battraient pour te recruter. »

« Parce que je suis l'Élu ? » grinça-t-il. « Non merci. J'ai assez de publicité comme ça. »

« Parce que tu es doué. » insista le Professeur, avant de concéder l'argument d'un geste de la main. « Mais, je te l'accorde, cela signifierait davantage encore d'exposition médiatique. »

Harry posa sa tasse de thé à moitié terminée sur le tapis, attentif à ne pas la renverser, et se remit à jouer avec la bague dans un tic nerveux.

« Tu ferais un excellent Auror. » reprit Severus lorsqu'il devint évident qu'il ne dirait rien de plus. « Néanmoins, rien ne t'oblige à le devenir. Tu as parfaitement le droit de changer d'avis. »

« C'est ce à quoi tout le monde s'attend, non ? » répondit-il.

« Ce que tout le monde veut importe peu. » affirma le Professeur. « Si le métier d'Auror ne t'attire plus, tu ne devrais pas te forcer à suivre cette voie uniquement car tu penses que c'est ce que le monde attend d'Harry Potter. Ce qui compte, c'est ce que tu veux, toi. La vie est beaucoup trop courte pour la gâcher dans un métier qui nous déplait, j'en sais quelque chose. »

Il soupira et croisa le regard de l'homme. « Les choses étaient beaucoup plus simples quand j'étais Harry Prince. »

« Laisse-moi les simplifier pour toi, dans ce cas. » déclara Severus. « Que voudrais-tu faire de ta vie, Harry ? »

En supposant qu'il ait le temps d'avoir une vie ?

Parce que cela ne lui échappait pas que faire des plans d'avenir alors qu'il était quasiment certain qu'il n'atteindrait pas sa majorité était…

Il hésita. « C'est bête. »

« J'en doute. » commenta Sev.

Il avait à peine osé y penser de son côté ces derniers temps, n'en avait parlé à personne…

Il tourna et retourna la bague avec suffisamment de force pour se tordre légèrement le doigt.

« Harry. Dis moi. » l'encouragea le sorcier.

« Eh bien… Si je voulais devenir Auror, c'était pour protéger les gens mais à force de passer tant de temps à l'infirmerie… Il y a d'autres façons d'aider les gens que de tout le temps se battre… Et peut-être même les enfants comme nous qui… Vous savez. » bredouilla-t-il, en lui jetant un regard furtif. Severus se tendit légèrement à cette allusion mais ne le rabroua pas. « Mais je sais que Médicomage est l'un des métiers les plus compliqués. Lily nous a fait lire tout un tas de brochures à Sev et moi. Je ne suis pas assez… »

Il grimaça.

« Pas assez quoi ? » grinça le Professeur, non sans agacement.

Ce n'était pas très gentil de le lui faire dire, songea Harry.

« Pas assez intelligent. » lâcha-t-il. « Et je ne suis pas si bon que ça en Sortilèges. Sans parler de la Botanique ou des Potions. »

Il avait beaucoup remonté ses notes en soixante-quinze et depuis mais la seule matière dans laquelle il excellait véritablement était la Défense. C'était pourquoi il serait nettement plus logique de…

« Qui a dit que tu n'étais pas assez intelligent ? » le défia son père, ses yeux noirs lançant des éclairs.

« Vous. » se moqua-t-il. « Vous m'avez traité de crétin, il n'y a pas une heure, vous vous souvenez ? »

Il avait juste voulu plaisanter mais le Professeur sembla consterné.

« Le crétin, c'est moi. » siffla Severus. « Tu es très intelligent quand tu te donnes la peine de réfléchir au lieu de foncer dans le tas comme un lion sans cervelle. Je refuse de te voir t'imposer des limites par manque de confiance en toi. »

Harry rit parce que…

« L'intelligence, c'est le truc d'Hermione. » contra-t-il. « Ou de Ron. Ron est brillant aux échecs. Moi… Moi, je suis bon en Défense. »

Dans leur trio, il était les muscles.

« L'intelligence ne se définit pas toujours par les résultats scolaires. » rétorqua l'ancien espion. « Et tu es parfaitement capable de réussir tout ce que tu entreprendras si tu t'en donnes les moyens. » Severus l'étudia un moment, lèvres pincées et avec cette expression un peu trop entendue. « Qui t'a dit que tu n'étais pas assez intelligent, Harry ? »

Ils s'affrontèrent du regard un long moment.

Parce que Sev connaissait déjà la réponse et qu'Harry ne voulait pas la lui donner.

Au final, il fût le premier à détourner le regard.

« Tante Pétunia. » admit-il.

Tante Pétunia chez qui il était destiné à retourner sous peu.

« Si je pouvais lui tordre le cou… » grommela l'homme.

« Lily l'aimait. » lui rappela-t-il, dans un murmure.

« Lily aurait été la première à vouloir l'étrangler si elle avait su comment elle te traiterait. » contra Severus, en se frottant le visage. « Écoute moi… Tu me fais confiance, n'est-ce pas ? » Il attendit que l'adolescent hoche la tête pour continuer. « Tu es parfaitement capable de devenir Médicomage. Ton niveau en Sortilèges est excellent, ton niveau en Potions est maintenant suffisamment correct et tu peux continuer à m'assister si tu le souhaites, tu gagneras en expérience et en confiance ainsi, quant à la Botanique, cela se travaille. »

Dit comme ça…

Il cessa de tourner le sceau des Prince autour de son doigt et récupéra sa tasse pour en prendre une longue gorgée.

« Vous ne trouvez pas ça ridicule, alors ? » insista-t-il.

« Ce qui est ridicule c'est que tu puisses penser que c'est ridicule. » rétorqua Severus. « Tu auras également besoin des cours de Soins aux Créatures Magiques et de Métamorphose. La Legilimencie et l'Occlumencie sont deux disciplines prisées dans ce domaine… Tu maîtrises déjà l'une, je peux t'enseigner l'autre. La Défense n'est pas nécessaire mais dans ton cas… »

« Ce n'est pas comme si Dumbledore allait me laisser abandonner la Défense de toute manière. » remarqua-t-il.

« Je suppose que non. » admit le Professeur. « Encore que tu aurais le niveau de passer l'A.S.P.I.C.s dès cet année, si examen il y a… C'est à réfléchir, si tu le souhaites. » Il marqua une pause puis se racla la gorge. « Tu ferais un excellent Médicomage, tu as l'empathie nécessaire. Toutefois… Médicomage, Auror ou joueur de Quidditch… Je serais toujours… fier de toi. J'espère que tu le sais. »

Harry bondit sur ses pieds avant même d'avoir réfléchi, la gorge serrée par un trop plein d'émotions. Il percuta Severus comme un boulet de canon. Le Professeur s'était clairement attendu à l'attaque parce qu'il lui rendit maladroitement son étreinte.

« Toujours ces effusions typiquement Gryffondor… » se plaignit l'homme pour la forme.

Harry sourit, sans s'y laisser tromper.

Ron et Hermione pouvaient penser ce qu'ils voulaient.

S'il y avait une seule certitude dans sa vie, c'était Severus Snape.

°O°O°O°O°

Le hibou frappa au carreau jusqu'à ce qu'Albus ne quitte son lit chaud en grommelant.

Il était tard, beaucoup trop tard, pour un courrier autre qu'urgent.

Il fit entrer le majestueux grand-duc et récupéra l'enveloppe légèrement humide attachée à sa patte. Il en déchiffra péniblement le contenu à la lumière de la lune.

Lorsqu'il eut terminé, il ferma les yeux et sourit.

Le destin était en marche.