Écrit par HateWeasel
317. Laissé-Pour-Compte.
C'était un soir assez calme, pas plus qu'un autre. L'air d'août était plutôt doux, ni trop chaud ni trop frais. Le ciel était plutôt dégagé, laissant ainsi la lumière de la lune titiller l'herbe et refléter toutes les surfaces possibles. Les étoiles n'étaient pas visibles, cependant, à cause des lumières de la ville animée, même la nuit, les lumières en question éclipsant les sortes de petits diamants qui étaient ordinairement incrustés dans un manteau de noir bleuâtre, du moins depuis le point de vue d'un terrien.
Le calme régnait dans le cimetière, encore plus que durant la journée. Pourtant, il y avait une tension d'origine inconnue dans l'air, comme si quelque chose de désastreux se préparait. De quoi s'agissait-il ? D'où cela venait-il ? C'était invisible à l'œil nu car cela n'était pas dans l'air, ni sur le sol. Non, c'était en-dessous.
Les oiseaux observaient avec curiosité le sol commencé à se mouvoir à un endroit particulier ; juste devant une certaine tombe. Le suspens devenait insoutenable alors que quelque chose bougea, de haut en bas, comme si l'anxiété fuyait la terre et empestait dans l'air lorsqu'une ouverture se forma enfin. Les oiseaux prirent peur et la fuite.
Le trou s'agrandit, et s'agrandit avant que la terre finisse par s'ouvrir en deux. Des doigts ensanglantés montrèrent le bout de leur nez alors que peu importe la chose dont ils provenaient tentait de grimper. Elle s'agrippa à la terre autour du trou, incapable de prendre prise étant donné qu'elle n'avait pas d'ongles. Quoi que soit cette chose elle les avait perdus durant l'ascension.
Lentement, mais sûrement, après un long moment d'agonie, une main apparut ; puis un avant-bras, suivi du reste. Un nez sortit, dégageant de la terre afin que la bouche puisse faire son entrée à son tour alors que cette pauvre chose tentait désespérément d'avoir de l'air. Puis, lorsque la tête sortit de la terre froide, l'autre bras fit son apparition, se balançant devant l'être vivant afin d'aider son jumeau à porter leur propriétaire hors de la terre et de la crasse, s'accrochant à la terre tout en arrachant des poignées d'herbe tout du long.
Les bruits de toussotements, de halètements, ainsi que de gémissements encombrèrent le cimetière alors que peu importe ce que cette chose était essayait de reprendre ses forces après s'être échappée d'une petite boîte en bois et de plusieurs kilos de terre. Une fois son environnement pris en compte, la silhouette regarda derrière elle le trou d'où elle venait et en fut terrifiée. Elle sortait d'une tombe, non ? Immédiatement, la silhouette n'eut qu'une seule envie : fuir la zone, alors elle suivit le chemin assombrit qui la mènerait quelque part, n'importe où.
Marcher était dur, voir était compliqué, même lorsque les lumières commencèrent à apparaître le long des parties du chemin qui semblaient moins anciennes. C'était si étrange. La chose n'avait jamais vu ce genre de lumières auparavant. Elles étaient si brillantes, comme de petites lunes. Elles ne ressemblaient pas aux lanternes habituelles.
Quoi qu'il en soit, le trajet jusqu'à la sortie du cimetière ne fut pas aisé. Alors qu'elle s'avançait, la silhouette réalisa que son équilibre n'était pas bon, et que quelque chose clochait. Tout allait quelque peu de travers. Quelque chose n'allait pas du tout, mais elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus.
Une route ! Enfin ! Une route… C'était une bonne nouvelle. Peut-être qu'elle pourrait trouver de l'aide à présent. Peut-être qu'elle pourrait découvrir ce qui lui arrivait. Ce ne fut pas le cas, cependant, dès qu'elle posa un pied sur cette route étrangement conçue, elle fut presque aveuglée par des lueurs jumelles qui devenaient de plus en plus fortes à mesure que les secondes passaient.
Dans un flash, les lumières s'éteignirent alors que quelque chose heurta la silhouette. Quelque chose de gros, mais elle n'arrivait pas à savoir quoi. Lorsque la silhouette rouvrit les yeux, cependant, les lumières étaient toujours là. Elles étaient juste derrière elle. Elle tenta de se relever et de voir ce qui l'avait heurté, mais elle en était incapable. Elle savait que la sensation dans ses membres étaient étranges, mais ils ne lui faisaient pas mal. Une voix retentit, parlant avec un accent très bizarre, lui demandant si tout allait bien. La silhouette tenta de répondre, mais peu importe à quel point elle essayait, il n'y avait que de l'air qui sortait.
Au beau milieu de la route, elle était allongée, sens dessus-dessous. Le conducteur de la voiture pouvait voir qu'il s'agissait d'un garçon, et à en juger par sa taille, il était jeune. En plus de cela, il était gravement blessé. Son bras ainsi que ses jambes étaient tordus à cent quatre-vingts degrés. Il avait comme l'air d'essayer de les bouger alors qu'ils se mouvaient parfois frénétiquement. Le conducteur de la voiture s'empressa de sortir afin d'aider le garçon, l'interpellant bruyamment.
- Tu vas bien ?! demanda-t-il, refermant brusquement la porte tout en se précipitant vers le pauvre garçon. Est-ce que tu peux m'entendre ?! Oh, mon Dieu, je vais appeler une ambulance tout de sui-
Le conducteur s'arrêta instantanément de parler lorsque l'une des mains du garçon attrapa son bras alors qu'il s'était accroupi pour l'aider. La main était ridée, des bouts de muscles visibles. Elle était ensanglantée, les bouts complètement déchirés ; les os sortaient et il n'y avait pas un seul ongle. La main se tint fermement à la veste du conducteur tandis que l'homme était trop abasourdi par l'apparence de ladite main pour reculer. La silhouette tenta ensuite de se hisser, se retournant afin de regarder l'homme. La lumière éclaira enfin son visage, et le conducteur qui l'avait heurté fut pris de court par son apparence fantomatique. Il écarquilla les yeux en constatant l'état de ce visage, et il se tétanisa de peur.
La chair et la peau dessinaient les os en-dessous, et ne recouvraient pas les autres endroits, surtout les contours de la bouche de la silhouette. Seuls quelques muscles faciaux qui bougeaient la mâchoire étaient apercevables, et les dents exposées par le manque de peau. La silhouette- non, l'unique œil de la créature était noir là où ce devait être blanc, avec un iris bleu pâle permettant de voir qu'il y avait bien quelque chose là-dedans. La paupière tombait là où l'autre œil était censé se trouver. Des cheveux blonds étaient posés sur la tête de la créature et des morceaux en manquaient ainsi que des bouts de peau. La créature était vêtue d'un costume noir sale et abîmé ; déchiré, recouvert de terre et de mort, froissé comme jamais.
La créature semblait confuse ; apeurée, même, mais le conducteur de la voiture ne le remarquait pas, cependant. Il ne voyait qu'un horrible monstre prêt à se jeter sur lui, alors rapidement, il se libéra de la prise de la créature, et courut à sa voiture en hurlant. Son assaillant tenta de le suivre, mais il fut aveuglé une nouvelle fois par les pénibles phares, et assourdit par le bruit du moteur rugissant ainsi que par le crissement des pneus lorsque la voiture démarra, manquant de peu la créature alors qu'elle la contourna.
Ciel reposa le dossier, et se frotta le front. Il en avait lu assez. Il était actuellement en route pour se rendre sur les lieux de la première observation. Il était accompagné de Sir Hellsing dans son véhicule, tandis que les autres démons étaient restés à la maison. Les orgueilleux chevaliers Anglais étaient assis à l'arrière dans une atmosphère inconfortable tandis que la draculina, Seras Victoria, conduisait la Rolls Royce grise le long des rues. La paire avait discuté de leur plan brièvement plus tôt, étant tous deux capables d'anticiper le reste.
Ils avaient observé une carte de Londres et marqué les observations dessus là où elles avaient été enregistrées. Elles n'avaient aucun lien entre elles, à l'exception du revenant, comme supposé, qui errait. Après tout, même s'il avait les connaissances de Jim Macken de la région, il n'avait que les connaissances du Jim Macken « originel » qui étaient complètement dépassées.
Phantomhive et Hellsing avaient anticipé que le revenant tenterait de se rendre au manoir Trancy. Ciel partait du principe que s'il était l'ancien Jim Macken, il commencerait par rentrer chez lui. Après tout, il s'agissait du premier choix le plus logique, non ? Hellsing, cependant, pensait qu'il tenterait de se rendre au manoir Phantomhive, et curieusement, Ciel était d'accord. S'il tentait le coup, cependant, il ne doutait certainement pas que Sebastian serait en mesure de s'en occuper. Quoi qu'il en soit, les agents de H.E.L.L.S.I.N.G patrouillaient dans la zone, juste au cas où. Ils avaient pour ordre de ne pas tuer la cible, mais de la capturer, étant donné qu'elle possédait des parties de l'âme d'Alois. Pour cette mission, ils devaient utiliser des balles normales, plutôt que la technologie anti-monstre. Ils devaient commencer par la route puis se déployer à la recherche du revenant. Alors que les agents ordinaires faisaient cela, Phantomhive et Hellsing se rendaient directement au Manoir Trancy.
Comme toujours, la bâtisse était en ruine, jonchée de débris et d'effritements ; de graffitis et de gravas. Des parties du bâtiment avaient été démolies afin de faire de la place pour des constructions aux alentours, mais la partie principale ainsi que l'enceinte à l'avant était plutôt en bon état. Le portail, cependant, était irrécupérable, les gonds cassés par des vandales qui avaient tenté de s'introduire à l'intérieur. La structure dans son ensemble faisait pâle figure. Ciel ne pouvait qu'imaginer comment un Alois sans la moindre idée de l'année ou de la situation réagirait face à cela. Il avait le cœur serré rien que d'y penser.
Non. Integra avait dit que les revenants étaient « intelligents », mais ils n'étaient sûrement pas si intelligents. Ils n'étaient que des cadavres réanimés, n'est-ce pas ? Ah, mais Sir Integra avait également dit qu'ils gardaient une apparence humaine remarquable. Cela voulait dire que cette… chose ressemblerait à Alois. Que ferait-il lorsqu'il et s'il faisait face à une telle chose ? Il devrait certainement mettre de côté ses sentiments une fois de plus et remplir la mission pour celui qu'il chérissait. Était-il réellement capable de faire cela, cependant ? Se battre pour quelqu'un tout en ignorant ses sentiments pour la personne un moment ? Il y arriverait, sûrement.
Mais tout de même, lorsqu'il pensait à Alois, il ne savait plus. Le visage du blond, ses yeux, ses cheveux… il en aimait chaque détail. Il était face au corps originel du blond. Son corps originel, ses cheveux originels, et sa peau originelle. Bien que ce devrait être simple, d'une certaine manière, cela n'en avait pas tout à fait l'air. S'il blessait le revenant, il blessait le Alois originel, la source de toutes les insécurités et l'essence même du blond. Là où tout avait commencé. Il s'agissait de la même demeure, du même chef des lieux à l'intérieur. C'était ridicule, futile, et cela ne faisait pas vraiment sens, pourtant cela avait de l'importance pour Ciel d'une certaine manière. Le bleuté n'arrivait pas à croire à quel point le blond le rendait irrationnel, parfois.
Seras arrêta la voiture à l'intérieur de l'enceinte du manoir, et le groupe sortit. Un autre véhicule avec quelques soldats prêt à agir au cas où ils auraient besoin de restreindre les mouvements du revenant arriva ensuite, suivant le trio à l'intérieur du bâtiment en ruine. Integra plissa le nez à cause de l'intérieur poussiéreux et moisi, un geste qui fit lever les yeux au ciel au bleuté. La femme était dure comme fer, et elle n'était pas étrangère à la violence que les combats amenaient, mais il y avait apparemment tout de même de petites choses qui pouvaient la déranger.
- L'un de vous est-il capable de sentir quoi que ce soit dans la bâtisse ? demanda-t-elle à ses associés immortels, mettant ses mains dans ses poches.
Ciel et Seras se regardèrent et hochèrent la tête brièvement avant d'essayer de se servir de leurs sens afin de trouver du sang, un pouls, de la chaleur, ou dans le cas de Ciel, une âme.
Pas de chaleur, pas de pouls, mais il y avait bien quelque chose qui se mouvait à l'intérieur ainsi qu'une âme. Ciel reconnaîtrait cette signature n'importe où. L'âme d'Alois était là-dedans. Le bleuté serra les dents et les poings, les sourcils froncés.
- Il est à l'intérieur, dit-il enfin.
- Quelque part au premier étage, ajouta Seras, et Integra acquiesça.
- Procédons sans nous brusquer, ordonna la Hellsing. Pas de geste brusque inutile. Nous ne cherchons pas à l'effrayer ou à prendre le risque que le sol s'effondre sous nos pieds.
Elle s'avança, menant son associée vampire et ses hommes à s'enfoncer davantage à l'intérieur. Ciel, cependant, resta en retrait.
- Il y a quelque chose que je souhaiterai vérifier à l'étage, d'abord, dit-il. Je ne sais pas quand est-ce que j'aurais la chance de revenir ici.
- Faites comme bon vous semble, répondit Integra. Nous pouvons nous en sortir tout seul.
Ciel observa l'équipe de H.E.L.L.S.I.N.G un petit moment, attendant qu'elle ne soit plus visible. Une fois cela fait, il se précipita à l'étage, sa grâce et son équilibre supérieurs perturbant à peine le parquet pourri. Il n'avait dit qu'une partie de la vérité à Integra, et il se demandait si elle savait. Si c'était le cas, cela dit, pourquoi faire semblant ?
Quoi qu'il en soit, le Phantomhive avait bel et bien senti quelque chose devant eux, mais c'était également au-dessus d'eux. Les sens de Seras Victoria étaient particulièrement aigus pour sentir la chaleur ou le pouls, deux choses absentes ici. Bien qu'elle ait effectivement ressenti du mouvement, devant eux, elle n'avait pas remarqué la partie du « haut ». Ciel, cependant, était en mesure de sentir l'âme en elle-même, et était donc seul, comme il le préférait.
Il ralentit le pas alors qu'il se rapprocha. Comme l'avait dit Integra, il ne voulait pas effrayer le revenant et risquer de le faire fuir. Les pieds du bleuté ne firent aucun bruit, et son souffle s'arrêta entièrement. Son rythme cardiaque, cependant, s'accéléra de manière exponentielle alors qu'il se rapprocha, cela étant en partie dû aux sons qu'il entendait. Des sons qui firent sauter un battement à son cœur.
Des pleurs. Le seul bruit qu'il entendit fut celui des pleurs. Ou, pour être plus précis, les pleurs de Alois. Instinctivement, le bleuté marcha d'un bon pas en direction de la source. Bien qu'il sache au fond de lui qu'il ne s'agissait pas de son bien-aimé blond, il ne pouvait pas s'en empêcher. Il détestait ce bruit. Il voulait y mettre un terme. Cela devait prendre fin. Il n'y avait pas d'autre alternative.
Finalement, il s'arrêta devant la chambre du maître des lieux d'où les pleurs s'entendaient le mieux, interrompis par des reniflements ainsi que des toussotements. La porte était à peine entrouverte et il pouvait voir les rayons du soleil illuminer la pièce. La signature d'âme d'Alois était plus forte ici qu'ailleurs, et il voulait que ces horribles pleurs cessent, mais que ferait Ciel une fois qu'il aurait ouvert la porte ?
Et s'il perdait la raison et faisait quelque chose de stupide ? Et s'il avait besoin de combattre la créature ? Et si le revenant s'avérait posséder une incroyable intelligence, et qu'il devait raisonner avec lui afin de récupérer l'âme du blond ? Pire encore, et s'il craquait en voyant le sosie de la menace blonde ?
- Qui est là ? demanda une faible voix qui eut pour effet de pousser le bleuté à écarquiller l'œil, son sang se glaçant.
C'était la voix d'Alois.
- M-Montrez-vous !
Silencieusement, hésitant, Ciel ouvrit doucement la porte et entra à l'intérieur. Il lui fallut tout son courage pour ne pas perdre la face. Là, il vit le visage reconnaissable entre mille de Jim Macken, ce dernier enlaçant ses genoux près de son torse, le dos collé contre le mur. Ce visage pas comme les autres où des larmes coulaient le long des joues, les yeux du garçons rougis et gonflés. Ah, mais ce n'était pas Alois, et les yeux en étaient la preuve. Le revenant avait ses deux yeux à présent, la sclérotique noire avec des iris bleus au centre. Alois n'avait pas ces yeux. Ciel le savait. Toutefois, cela restait dur à contempler.
Les deux garçons se fixèrent avec choc et incrédulité pendant ce qui sembla être une éternité, constatant leurs apparences inhabituelles. Ciel était habillé d'une tenue plus moderne, et avait l'apparence d'un adolescent plus âgé, tandis que le revenant était vêtu de vêtements de funérailles de l'ère Victorienne, avec le visage et le corps d'un garçon de quatorze ans. Effectivement, c'était plutôt choquant pour chacun d'entre eux, de voir son ancien ennemi sous un autre jour. Pour Ciel, c'était revoir un Jim beaucoup plus jeune, alors que le revenant avait pris les anciens souvenirs du blond, et était bouche bée face à l'apparence plus mature du bleuté. Le silence régna en maître pendant des lustres, les deux garçons ignorant quoi dire. Cependant, quelque chose devait être fait, alors Ciel prit la parole comme un devoir.
- Jim Macken… dit-il, les mots faisant sursauter le revenant de surprise. Cela fait longtemps, n'est-ce pas ?
- Ciel… Phantomhive ? dit le blond avec stupéfaction, le nom lui échappant des lèvres en un chuchotement. Quoi… quoi ? Que s'est-il passé ? Tu es tellement… Tout est tellement…
- … différent ? dit le bleuté, finissant pour son vieil adversaire. Le temps change les choses.
Il marcha vers l'autre garçon, s'accroupissant devant lui.
- Bienvenue dans le futur, ajouta-t-il. Tu as gagné.
