Distraite par l'idée que Derek soit blessé et par les deux rythmes cardiaques qui résonnaient en elle, Rose fut rapidement distancée par les autres. Elle accéléra le pas comme elle le pouvait. Ces escaliers étaient interminables.
- Cours Rose, cours ! l'exhorta Nassim, la sentant ralentir derrière lui.
Elle y mit toute son énergie, et alors qu'elle était presque en bas de la tour, son pied dérapa sur la pierre. Elle poussa un cri de peur et de surprise en basculant vers l'avant.
- Mais qu'est-ce que… balbutia une voix stupéfaite qui s'était retournée vers elle.
Rose avait disparu et quatre pattes reprirent leur équilibre sur les marches, dévalant les dernières d'un seul bond.
- Vas-y ! l'encouragea Lisa alors que la panthère prenait de la vitesse et les dépassait vivement.
Elle fonça dans les couloirs, entendant ses amis suivre derrière. Elle ralentit à peine en atteignant le hall de la grande entrée, mais se fit toute petite et se colla contre les murs. Ses pattes jouèrent sur le pêne de la grande porte et elle se faufila à l'extérieur tandis que les sept humains décéléraient brutalement, tentant de garder l'air naturel en traversant l'entrée, s'empêchant de courir. Le félin se plaquait contre les parois sombres du château et le suivait. En une poignée de secondes, il était arrivé au terrain de Quidditch. La lumière était relativement basse car peu de torches étaient allumées, mais il ne pouvait pas rater le spectacle qui s'offrait à ses yeux.
Il vit plusieurs silhouettes, debout, allongées, accroupies, et des éclairs lumineux qui fendaient la nuit. La personne qu'il cherchait était tout à droite, assise de face, presque contre l'entrée des vestiaires, et l'animal accéléra le rythme, sa course inaudible et son pelage noir le rendant invisible dans la nuit. Il aperçut une baguette se lever vers Derek et bondit, les oreilles couchées en arrière et l'échine dressée.
Ses larges pattes s'agrippèrent à un dos et ils roulèrent sur quelques mètres, propulsés par la vitesse de la panthère. Derek se laissa tomber en arrière et ferma les yeux, épuisé et soulagé de son arrivée. L'élève qu'elle avait entrainé dans sa chute n'eut pas le temps de protester ni de lancer le moindre sort. Un poids le maintenait couché au sol et un terrible grondement résonnait au-dessus de sa tête. Il sentit des pointes s'enfoncer dans sa peau et se demanda quel sortilège venait de lui tomber dessus avant de s'évanouir, assommé par sa cascade dans l'herbe. La panthère retira brutalement ses griffes rougies de l'élève et avisa un morceau de bois à côté de la main inerte. Elle s'en saisit et claqua vivement les mâchoires dessus. Un craquement triste résonna et elle cracha les morceaux de baguette magique dans le gazon, puis rejoignit Derek en trottant. Elle était paniquée de le voir allongé et immobile. Son museau le poussa et elle eut un feulement bas.
- Tout va bien, murmura son ami. Je suis épuisé. Je crois que j'ai le bras cassé.
- Ça va aller, ça va aller, fit Rose, d'un coup accroupie au-dessus de lui, toujours terrifiée. Ne bouge plus, d'accord ?
Il ronchonna mais obéit, ce qui la fit sourire. Elle se retourna et sortit sa baguette, toujours coincée dans ses vêtements. Elle avisa ses amis et jeta un œil à leurs adversaires : tous des Serpentards, probablement sixième et septième année vu leurs gabarits. Les sorts fusaient et il était difficile de voir qui était blessé ou pas. Derek gardait les yeux fermés, Rose observait autour d'elle : ils ne virent pas les deux personnes qui dirigeaient leurs baguettes sur eux.
- NON ! hurla tout à coup une voix.
Quelqu'un se dressa devant Rose et Derek, dos à eux, la baguette levée.
- PROTEGO !
Un gigantesque bouclier bleuté se déploya et plusieurs sortilèges rebondirent dessus, protégeant Rose, Derek et même Lisa qui se trouvait à côté.
Terry se retourna vivement vers l'Animagus, abaissant sa baguette.
- Rose, bats-toi ! lui cria-t-il. Je le protège !
Galvanisée par l'appel de Terry, elle se leva immédiatement et se jeta dans la mêlée.
- Expulso ! s'écria-t-elle en repérant quelqu'un se tourner vers elle.
L'étudiant fut projeté plusieurs mètres en arrière et retomba sur le sol. Elle distingua quelques silhouettes par terre, dont Derek et une autre personne de leur côté. Elle n'eut pas le temps de comprendre qui c'était.
- Stupéfix ! cria-t-elle vers un Serpentard particulièrement costaud, qui se figea et tomba lourdement, neutralisé.
Plus personne ne se dressait devant elle, alors elle regarda alentours et aperçut quelqu'un désarmer Anthony. Sa baguette s'envola dans la nuit et le Serpentard en face pointa de nouveau sa baguette sur le Préfet. Sans réfléchir, Rose cria « Impedimenta », bondit et un « plop » retentit alors que sa silhouette noire sautait devant son ami et le propulsait à terre d'une poussée de ses pattes musclées. Ils retombèrent pêle-mêle dans l'herbe. Le sort, retardé de quelques secondes le temps qu'ils s'écartent et tombent, était parti s'écraser plus loin et avait brûlé le bois des gradins.
- Merci, murmura Anthony, sonné mais sain et sauf.
L'animal le vit récupérer sa baguette à tâtons et désarmer le Serpentard qui n'avait pas compris pourquoi Anthony était tombé.
Il se tourna finalement vers la silhouette étendue dans l'herbe et vit quelqu'un courbé à ses côtés. Il approcha en louvoyant entre des jambes, invisible. Un de leurs amis était à terre et quelqu'un l'aidait. Rassurée, la panthère mit quelques secondes à voir la baguette pointée sur le combattant immobile dans l'herbe. Et elle comprit que la personne qui se penchait n'était pas une Serdaigle.
C'était une Serpentard et le bout de sa baguette appuyait sur la gorge de William. Elle vit la bouche s'ouvrir et commencer une incantation.
Le félin poussa un rugissement rageur et se précipita, toutes griffes dehors. Le choc fut violent et la Serpentard n'eut, elle non plus, pas le temps de réagir. Les deux êtres roulèrent à leur tour et la panthère ne se rendit pas compte que ses griffes acérées lacéraient de la peau humaine. Elles se stoppèrent brutalement et la panthère était au-dessus, son museau à quelques centimètres du visage de l'élève, les babines retroussées et ses crocs luisants dévoilés, un grondement sourd roulant dans tout son corps. L'humaine sous elle avait perdu l'usage de ses muscles et fixait l'animal, tétanisée. Elle sentait un liquide chaud rouler et couler un peu partout sur son corps mais ne comprenait pas que c'était son propre sang, hypnotisée par les yeux verts et furieux.
La panthère banda ses muscles et prit un peu de hauteur sur le corps de l'humaine, pour mieux fondre sur sa gorge offerte.
Plusieurs mains saisirent soudainement sa peau, ses poils, tirèrent sur ses membres.
- Non ! firent des voix familières. Non !
Quelqu'un tomba sur le sol, près d'elle.
- Rose, non, Rose, arrête, supplia Lisa, ses mains entourant le cou musclé, le tirant vers l'arrière.
La voix résonna dans l'animal et il se tut. Ses crocs disparurent.
- Je t'en prie, Rose, reviens, continuait son amie. Reviens.
Sa voix tremblait et l'animal finit par tourner sa tête vers elle. Ses yeux bleus étaient terrorisés et sa lèvre saignait. Elle ne lâcha pas les poils sombres.
- William est vivant, assura-t-elle. Rose, reviens.
Entendre le nom de son ami fit éclater quelque chose dans son esprit. Elle banda de nouveau ses muscles et sauta, échappant aux mains qui la retenaient, abandonnant la Serpentard paralysée par la peur et le choc. Elle atterrit en dérapant près de William. Un nouveau « plop » et Rose se penchait vers lui, l'observant, les yeux agrandis par la peur. Son visage était tuméfié, son arcade saignait et il était d'une immobilité funèbre, les yeux ouverts et vitreux.
- William, geignit-elle, se penchant tout près de lui, essuyant machinalement le sang avec ses mains.
Sentant un mouvement derrière elle, Rose pivota violemment.
- Expelliarmus ! s'écria-t-elle en voyant un Serpentard approcher.
La baguette s'envola.
- Stupefix ! ajouta la voix de Mandy. Non mais.
Le Serpentard s'écroula. Elles se regardèrent rapidement. Rose eut un coup d'œil pour la Serpentard toujours allongée et immobile. Sans lâcher le bras de William, elle se redressa un peu pour mieux la voir. Mandy l'imita et elles contemplèrent les dégâts que Rose avait fait.
Michael arriva près d'elles dans un dérapage contrôlé.
- Profs ! haleta-t-il avant de repartir prévenir les autres.
Rose jura et entendit une détonation. Tout le monde se figea tandis que trois silhouettes semblaient accourir. Encore dissimulées aux yeux des autres par les gradins, Mandy et elle regardèrent à nouveau la Serpentard, dont les mâchoires semblèrent se décoller et la bouche s'ouvrir. La blonde pointa soudainement sa baguette sur l'étudiante tétanisée et Rose entendit un ferme et distinct :
- Permuto memoria.
Rose ne vit rien dans les yeux de la Serpentard, devenus vitreux un instant avant qu'elle ne s'évanouisse. Les regards des deux Serdaigles s'accrochèrent un instant.
- Mandy…
Son amie la fixa farouchement, lui interdisant tout commentaire. Rose hocha la tête et se tut. Mandy se glissa plus loin et ignora totalement la Serpentard à la mémoire modifiée par ses soins.
Rose se tourna vers William toujours inerte et s'accrocha désespérément à lui. Il lui fallut quelques secondes pour se souvenir que des adultes, des professeurs, venaient d'arriver, et un autre moment pour entendre les hurlements de McGonagall résonner sur le terrain.
- … INADMISSIBLE… INCONCEVABLE…
Une seconde voix les réprimandait, moins fortement mais tout aussi en colère.
- Jamais de ma vie ! … Un tel comportement de la part des Serdaigles !
Le professeur Flitwick était autant hors de lui que la directrice de Gryffondor.
Rose revint à la réalité et contempla la scène qui s'étalait devant elle. Son premier réflexe fut de chercher Derek des yeux. Il était assis, Terry près de lui, leurs baguettes toujours sorties. Les autres Serdaigles étaient à côté, tous debout, heureusement. Mais probablement mal en point, vu la façon dont Nassim se tenait à Idriss et que Michael soutenait Padma.
Les Serpentards étaient tous regroupés autour de deux ou trois d'entre eux, allongés et immobiles aussi. Personne n'avait encore posé les yeux sur Rose, entourée de William et de la Serpentard évanouie. Elle retenait son souffle, soudainement incapable d'appeler à l'aide, ses ongles enfoncés dans le bras de son ami inconscient. Les voix des professeurs se turent finalement, et la troisième personne avec eux semblait bouger d'étudiant en étudiant. McGonagall était livide et sa voix résonna clairement autour d'eux.
- Tout le monde à l'infirmerie. Tout de suite.
Elle et Flitwick échangèrent un regard rapide.
Pourquoi ne pas emmener les étudiants valides chez Dumbledore ? ou dans les bureaux des profs ? s'interrogea vaguement Rose.
Perdue, elle secoua la tête et se préoccupa de nouveau de William, tournant le dos aux autres.
- William… chuchota-t-elle encore, la voix tremblante.
Mais il ne répondit pas, bien sûr. Ses yeux immobiles semblaient vitrifiés. Les larmes menaçaient de troubler définitivement la vision de Rose. Elle se décida avant de ne plus voir correctement. Elle leva sa baguette et en posa la pointe sur la poitrine de son ami.
- Enervatum, dit-elle finalement à voix basse.
- Miss Wayne ! fit une voix à ses côtés.
Elle ne l'entendit même pas, trop occupée à sentir les muscles de William se détendre et à regarder ses yeux rouler dans ses orbites, les paupières se fermant sur les prunelles bleues.
- Miss Wayne ! répéta la voix.
Rose respira mieux en voyant la poitrine se soulever faiblement et ses larmes coulèrent sur ses joues sans qu'elle n'y prête attention. Elle toucha le visage blessé du bout des doigts.
- Rose ! s'écria soudainement la voix, excédée.
Elle n'avait jamais entendu son prénom dans la bouche d'un adulte à Poudlard et cela eut l'effet escompté. Rose se tourna vivement vers Madame Pomfresh qui l'appelait depuis deux bonnes minutes sans résultat.
- Miss Wayne, veuillez vous rendre utile et m'aider à transporter Monsieur Van Alten à l'infirmerie.
La voix était de nouveau neutre et sans appel. Elles s'affrontèrent du regard un instant, et Rose n'osa pas regarder la Serpentard non loin d'elle. L'infirmière comprendrait très vite l'origine des blessures sur son corps et elle ne voulait pas en imaginer les répercussions, même si Mandy avait modifié ses souvenirs.
Elle se releva finalement prudemment sans que Madame Pomfresh ne la quitte des yeux. Le bras de William fut abandonné à contrecœur et elle leva de nouveau sa baguette vers lui.
- Mobilicorpus, énonça-t-elle clairement, faisant léviter William devant elle.
- Dépêchons, pressa la voix de Flitwick.
Lui et McGonagall faisait léviter plusieurs brancards dans lesquels étaient allongés des élèves. Derek avait refusé tout net d'y monter et laissé sa place à Nassim, plus mal en point que lui, qui pouvait marcher. Madame Pomfresh fermait la marche. Rose ne l'avait pas vue examiner rapidement la Serpentard et se couvrir la main de la bouche avant de lancer quelques sorts urgents à l'étudiante et de la placer dans un brancard qu'elle avait matérialisé.
Rose s'excusa mentalement auprès de William de ne pas être capable de lui offrir le confort d'un brancard à lui aussi, tout en étant rassurée de pouvoir le garder à portée de ses yeux inquiets.
L'étrange convoi s'ébranla doucement, les plus valides supportant les autres, les professeurs et Rose faisant léviter les inconscients. Ils marchaient vite, d'un pas que Rose perçut comme furtif. Comme si les trois adultes avec eux tentaient de ne surtout pas être repérés. Elle suivit les autres sans plus prêter attention à rien d'autre qu'à William et ne vit le décor familier de l'infirmerie que lorsque Madame Pomfresh prit la situation en main et installa les étudiants sur des lits.
Elle aperçut du coin de l'œil McGonagall verrouiller les portes de la salle et fronça les sourcils. Bientôt, les Serdaigles debout s'étaient automatiquement rejoints autour des lits de William, Padma, Derek et Nassim. Padma avait d'étranges protubérances sur le visage et grimaçait de douleur. Nassim était pale et se tenait un pied qui avait doublé de volume. Derek était le plus serein et soutenait son bras cassé. Flitwick et McGonagall assistaient l'infirmière en un ballet étrange que tous regardaient d'un air détaché, inquiets pour leurs amis.
Flitwick intercepta quelques regards haineux que s'échangèrent les deux groupes et d'un mouvement de sa baguette, fit tomber un ample voile du plafond, divisant temporairement l'infirmerie en deux. Il se tourna vers ses étudiants, toujours contrarié.
- Vous en avez assez fait.
Ils avaient tous eu le temps de voir que deux des Serpentards étaient isolés des autres, déjà entourés de paravents les soustrayant aux yeux de tout le monde. Rose et Mandy évitèrent soigneusement de se regarder.
Bientôt, les moins touchés furent soignés, et même Derek fut rapidement remis sur pied. Madame Pomfresh lui interdit toutefois de quitter son giron pour la nuit. Il en fut de même pour Nassim, Padma et évidemment, William. Et quelques Serpentards, mais les Serdaigles s'en moquaient éperdument.
D'un commun accord, McGonagall et Flitwick s'adressèrent à chaque groupe séparément. Leur directeur de maison les regarda froidement.
- Jamais de ma vie… commença-t-il, puis il secoua la tête. Votre comportement est inadmissible. Je ne veux pas savoir qui a commencé.
Michael referma aussitôt la bouche.
- La professeure McGonagall et moi avons décidé, au vu des circonstances particulières de l'école en ce moment, que nous ne retirerions pas de points à Serdaigle et Serpentard. Au vu du décret numéro vingt-cinq…
Ses étudiants le regardèrent d'un air perdu, et il élabora :
- Qui donne le pouvoir à la Grand Inquisitrice de décider de chaque punition infligée aux étudiants, nous avons également décidé de ne pas vous mettre en retenue de façon officielle. Cependant ! continua-t-il en levant une main pour garder leur attention, vous aurez tous les douze à effectuer des heures de cours supplémentaires avec moi, pour les quatre jeudis à venir.
Il soupira.
- Il va de soi que si la moindre information arrive aux oreilles de Madame Ombrage, ni moi, ni la professeure McGonagall, ni Madame Pomfresh ne l'empêcherons de vous sanctionner comme elle le jugera nécessaire.
Leur professeur leur lança un regard perçant.
- Faites en sorte qu'elle ne l'apprenne jamais, termina-t-il d'une voix plus radoucie.
Ils hochèrent tous la tête à l'unisson, le visage grave.
Voilà pourquoi leur retour dans le château avait été si furtif.
Madame Pomfresh se matérialisa devant eux et les informa qu'ils pouvaient quitter l'infirmerie et rejoindre leur Salle Commune. Les deux adultes se regardèrent rapidement et Flitwick annonça qu'il allait les escorter à leur dortoir. Le rideau coupant la salle en deux disparut quand il agita sa baguette et ils constatèrent que McGonagall était déjà partie, probablement pour raccompagner les Serpentards. L'infirmière fit un geste vers Rose.
- Je n'ai pas eu le temps de m'occuper de miss Wayne, lança-t-elle. Je l'escorterai moi-même jusqu'à la tour Serdaigle.
Le professeur hocha la tête et le groupe le suivit docilement. Rose ignora totalement l'infirmière et se tourna vers ses amis alités. Derek lui fit un sourire rassurant alors qu'elle lui pressait la jambe. Elle n'avait pas quitté son meilleur ami d'une semelle depuis qu'il s'était installé, jetant aussi de fréquents coups d'œil vers William.
- Miss Wayne, rappela l'infirmière. Suivez-moi s'il vous plait.
Rose lança un regard vers ses amis et croisa celui de Nassim, qui la considérait fixement. Elle tenta de lui sourire mais il ne répondit pas. Elle échangea un œil inquiet avec Padma qui lui fit un geste apaisant.
- T'inquiète. On gère.
L'Animagus murmura un merci puis s'élança derrière l'infirmière. Madame Pomfresh rajusta au passage les paravents des Serpentards. Rose évita de les regarder et se concentra sur ses chaussures.
- Ils vont comment ? demanda-t-elle d'une toute petite voix lorsque la porte du bureau fut fermée.
- Monsieur Warrington s'en sortira très bien. Il ne portait que quelques égratignures qui disparaissent déjà. Il était inconscient quand nous sommes arrivés à l'infirmerie, mais il s'est réveillé brièvement. Pour le moment, il ne semble pas se souvenir de ce qui lui est arrivé.
Le regard de Madame Pomfresh était grave et Rose la regardait timidement. Elle hocha la tête et attendit la suite.
- Miss Rowland…
Rose arrêta carrément de respirer.
- Ira bien également.
Elle expira un peu bruyamment.
- Cependant, je crains que certaines marques ne s'estompent jamais totalement. Les griffures étaient bien plus profondes. La magie a ses limites.
De nouveau, l'infirmière posa un regard un peu dur sur Rose. Cette dernière posa la question qui la hantait.
- Elle s'est réveillée ?
- Pas encore.
Rose commençait à prendre conscience de la succession des événements depuis qu'ils étaient sortis du château et de ce qu'elle avait fait. Si jamais cette fille se souvenait de quoi que ce soit… Cependant, elle avait confiance en Mandy et son charme.
- Miss Wayne, interpella-t-elle encore. Que s'est-il passé ?
La voix était un murmure. Rose haussa les épaules. C'était allé très vite… elle ferma les yeux et revécut l'instant.
- Warrington allait attaquer Derek… alors je lui ai sauté dessus et on a roulé. Il était évanoui quand on s'est arrêtés.
Un détail lui revint en mémoire, mais elle ne le partagea pas. Elle avait cassé la baguette de l'étudiant en morceaux, d'un claquement de mâchoires.
- Et l'autre était à genoux, en train de pointer sa baguette sur William alors qu'il était déjà évanoui…
Elle eut une grimace écœurée par la lâcheté de l'étudiante.
- Pareil, j'ai foncé dessus. J'étais encore plus en colère, avec l'adrénaline du combat.
Elle laissa un blanc passer. Elle avait failli la tuer, et elle l'aurait fait si ses amis ne l'avaient pas arrêtée à temps. C'est également une précision que Rose garda pour elle.
- Comment va-t-il ? demanda-t-elle finalement, décidant d'oublier les deux insignifiants Serpentards.
- Monsieur Van Alten ? Il a reçu de nombreux sorts différents. Le mélange l'a blessé physiquement, mais il va se remettre. Il va rester quelques jours à l'infirmerie.
Rose se détendit visiblement. William irait bien. Derek allait déjà bien. Les autres aussi. Alors rien n'était grave.
L'infirmière considéra encore Rose puis ajouta doucement :
- Un sort de plus et Monsieur Van Alten ne serait peut-être plus là. Ou en tout cas, les séquelles auraient été bien plus graves.
Rose avala sa salive, la gorge serrée à cette idée.
- Pensez-vous qu'il y ait une possibilité pour que Miss Rowland se souvienne de quoi que ce soit ? demanda Madame Pomfresh, soulevant le dernier problème de la soirée.
- Aucune idée… mentit Rose.
- Je n'espère pas pour vous, avertit-elle après un silence.
La Serdaigle lui jeta un regard rapide. Elle ne savait pas ce qu'allait faire l'infirmière : l'aider ou la dénoncer ? Pour le moment, elle ne pouvait pas deviner. Il faudrait attendre.
Une dernière question la prit de court.
- Avez-vous perdu le contrôle ce soir ?
Rose pencha la tête sur le côté, sans savoir quoi répondre.
- Non… j'ai toujours été consciente de ce qui se passait, si c'est ce que vous voulez dire.
Et je n'en regrette pas une seconde, admit-elle enfin. Troisième détail de la soirée qu'elle garderait pour elle.
L'infirmière sembla satisfaite et hocha la tête brièvement, se levant et ouvrant la porte du bureau.
- Je vais vous raccompagner devant la tour Serdaigle.
Rose eut un regard peiné vers William. Ses trois amis, parfaitement réveillés, la regardèrent. Nassim la considérait sous un jour nouveau apparemment, et il finit par lui sourire.
- Ben ça alors ! commenta-t-il simplement, arrachant un sourire sincère à Rose.
Derek l'attira vers lui d'un geste de la main et ils se serrèrent l'un contre l'autre quelques secondes, ce que Madame Pomfresh sembla tolérer.
- Ça va mon chat ? lui chuchota-t-il.
- Oui, fit-elle sur le même ton. Tu sauras tout plus tard.
- Évidemment.
Ils se séparèrent à contrecœur et Rose suivit docilement son ainée dans les couloirs, silencieuse.
- Bonne nuit, Miss Wayne, dit l'infirmière en bas des marches.
- Est-ce que je peux venir demain ? Voir William ?
Elle ne quitta Madame Pomfresh qu'après confirmation et monta lourdement les marches, inquiète et épuisée. La Salle Commune grouillait de son activité habituelle, mais Rose n'y trouva pas ses amis. Pensant qu'ils étaient tous partis se coucher, elle allait monter les escaliers des filles quand une voix l'interpella.
- Rose ! fit Terry tout doucement, sa tête dans l'embrasure de son dortoir. Monte !
Elle changea de direction et rejoignit son ami qui la laissa entrer. Tout le monde était là : Terry, Michael, Anthony, Marc, Nassim, Mandy et Lisa. Ils étaient tous installés sur les lits, les fauteuils, par terre sur des couvertures. Lisa quitta la chaleur d'Anthony et prit Rose dans ses bras. Elles restèrent un moment comme ça, sans parler. Rose sentit des larmes monter mais elle les retint.
- Merci, souffla-t-elle à son amie. Merci, merci.
Lisa la serra plus fort en guise de réponse.
- Toujours.
Et ses larmes débordèrent de ses yeux, des larmes de peur, de fatigue, de reconnaissance.
- Tout va bien, rassura délicatement Mandy, se joignant à elles.
- Mandy… ce que tu as fait… murmura Rose.
Elles hochèrent la tête en chœur, les yeux brillants et les joues humides. Lorsqu'elles se séparèrent, elles virent que les garçons les suivaient des yeux, curieux. Rose gonfla les joues et expira longuement.
- Ils vont bien, leur apprit-elle en premier. Derek, Padma et Nassim restent seulement en observation. William va y rester quelques jours, mais elle a dit que ça irait aussi.
Elle vit leurs regards soulagés.
- Il a reçu de nombreux sorts qui n'ont pas fait bon ménage, mais elle m'a assurée que c'étaient des dégâts physiques dont il se remettra.
La jeune fille se laissa tomber sur le matelas de Derek, près de Terry. Ils se prirent spontanément la main après avoir échangé un regard fatigué et rassuré.
- Les Serpentards aussi s'en remettront, marmonna-t-elle pour la conscience de tout le monde.
Elle tourna les yeux vers Michael et Idriss.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
Ils eurent un regard dégouté.
- Une embuscade, résuma Michael. Après l'entrainement, quand les autres étaient partis.
- Les autres ?
- Selena, Roger et Cho.
- Mais pourquoi ?
- Honnêtement, on a du mal à comprendre, fit Anthony. On en parle depuis qu'on est rentrés, on sait pas…
- Terry disait que c'était à cause de lui et Derek… avança prudemment Marc. Mais j'ai du mal à y croire. Pourquoi attaquer la moitié de l'équipe dans ce cas ?
Les hypothèses fusèrent entre les huit Serdaigles, mais rien ne leur convenait. Ils finirent par se mettre d'accord sur le fait que c'était probablement un mélange de plusieurs raisons, et que les Serpentards cherchaient surtout à déclencher une bagarre, peut-être pour les faire expulser de l'équipe de Quidditch, comme Potter et les Weasley en avaient été bannis. C'était le plus logique selon eux. Ils restèrent quelques minutes en silence, chacun absorbé dans ses pensées.
- Rose ? appela la voix calme de Marc.
Elle releva le nez vers lui. Elle se doutait de ce qui arrivait, mais il ne sembla pas oser poursuivre. Anthony prit les devants et annonça :
- Je ne pense pas que les Serpentards aient vu quoi que ce soit. Il faisait trop noir et ils ne savaient pas ce qui se passait. Ni ce qu'il y avait à voir…
Rose hocha la tête, un peu rassurée. C'était une question qui tournait dans son esprit depuis la fin de la bataille : qui l'avait vue ? La panique et la colère lui avaient fait oublier toute discrétion.
- Sauf, reprit Michael avec une douceur inhabituelle, peut-être les deux que tu as… enfin… attaqués.
- Pas sûr, fit finalement Rose. Le premier ne s'est pas relevé et ne m'a jamais fait face. La seconde… je ne pense pas non plus. Elle était tellement sous le choc…
Elle se rappelait ses immenses yeux figés maintenant. Elle passa le sort de Mandy sous silence. Seul Derek serait au courant, parce qu'il lui était impossible de lui cacher quoi que ce soit. Elle regarda finalement Marc et Idriss. Il fallait qu'elle sache. Mais si Nassim l'avait vue, de toute façon…
- Vous m'avez vue ?
Ils hochèrent la tête sans parler. Elle soupira.
- Bon… Nassim aussi.
Terry raffermit sa prise sur sa main et lui lança un regard.
- Si, je vais leur dire… répondit Rose sans que son ami n'ait ouvert la bouche. Ça nous facilitera la vie à tous, en plus. Et puis, si vous m'avez vue… termina-t-elle à l'adresse des sixièmes. Je suis un Animagus.
- On avait deviné… fit Marc d'une petite voix.
Elle sourit.
- Voilà, c'est l'essentiel de l'information. C'est récent. Et ce n'est pas un choix de ma part, précisa-t-elle rapidement. J'ai une maladie très rare, qui m'a transformée en Animagus contre mon gré.
- C'est pour ça que tu passais beaucoup de temps à l'infirmerie l'année dernière ? demanda Idriss à juste titre.
- Et que tu avais des crises, comme de l'épilepsie ? ajouta Marc.
- Oui et oui.
Elle haussa les épaules.
- Il n'y a rien de plus à savoir… j'apprends toujours à maitriser cette partie de moi. C'est pas tous les jours évident, avoua-t-elle avec un nouveau petit sourire. Mais ça vient, lentement.
Ils se regardèrent tous. Rose précisa que son statut était sous secret et les autres répétèrent les instructions reçues de Dumbledore en juin dernier. Marc et Idriss promirent de tenir leurs langues. Un nouveau silence flotta.
- William ne t'a pas vue, lança soudainement Idriss. Il est pas au courant, lui.
Les cinquièmes eurent tous un sourire rapide.
- Si, il sait, le détrompa Rose. Depuis le début. Et il m'a déjà vue.
Les sixièmes eurent un air étonné auquel elle répondit par un sourire.
- Désolée, dit-elle finalement. Dumbledore nous avait fait promettre de ne pas répandre l'information… et pour être honnête, je pensais que William vous en avait parlé.
- Ah, non, répondit Marc. Jamais.
- Pourtant, il nous parle de toi matin, midi et soir, se moqua gentiment Idriss.
Les joues de Rose rougirent et elle regarda le bout de ses chaussures. Elle repensa à la Serpentard et lâcha d'un coup :
- J'ai failli la tuer.
Elle avait de nouveau leur attention.
- Je ne sais pas qui m'a retenue, à part Lisa, précisa-t-elle en regardant son amie. Mais merci.
Mandy leva une main, suivie d'Anthony qui murmura « Padma aussi ». Rose hocha la tête, la gorge nouée d'émotion. Il n'y eut pas besoin de mots pour qu'ils se comprennent.
Anthony reprit la parole le premier.
- Dormez ici, proposa-t-il succinctement.
Les filles hochèrent aussitôt la tête. Rose n'avait pas envie d'être ailleurs que près du lit de Derek, et l'absence de Padma allait être dure à supporter. Ils avaient besoin d'être ensemble. Marc et Idriss firent un geste comme pour sortir.
- Mais vous allez où ? questionna Mandy.
- Ben, dans notre dortoir…
- On a dit qu'on restait ensemble… rappela Michael.
- Ensemble, c'est vous aussi. Enfin, si vous voulez, ajouta Terry.
- Vous allez quand même pas rentrer à deux dans votre dortoir, fit Lisa d'un ton qui montrait à quel point l'idée était saugrenue.
- Mais pour les lits…
- On va se débrouiller, assura Rose.
- Pas la première fois que ça nous arrive ! ajouta Anthony pour clore le débat.
Marc et Idriss sourirent et abdiquèrent. Lisa resta blottie avec Anthony, Mandy et Rose partagèrent le lit de Derek. Marc et Idriss prirent donc place sur leurs propres matelas posés au sol, qu'ils étaient allés chercher dans leur chambre. Une fois tous allongés, ils discutèrent un moment dans le noir. D'un signe de tête de Rose, Mandy ferma les rideaux du lit. Rose mit longtemps à s'endormir, et abdiqua alors que des ronflements se faisaient entendre : elle se coula hors des draps et bientôt une panthère se roulait en boule aux pieds de Mandy. Le sommeil l'emporta à son tour et le dortoir fut enfin silencieux.
Au milieu de la nuit, une envie pressante réveilla l'animal, qui traversa silencieusement le dortoir. Rose ferma la porte de la salle de bains discrètement, et ne fit pas plus de bruit que la panthère en retournant vers le lit de Derek. Elle allait se retransformer et réchauffer les pieds de Mandy quand elle entendit un petit gémissement venant du lit de Terry. Elle s'approcha doucement et tendit l'oreille. Une nouvelle plainte lui parvint : son ami faisait un cauchemar. Elle écarta les rideaux du bout des doigts et le vit, transpirant, luttant entre ses draps. Il marmonna dans son sommeil et Rose alla vers lui, ne voulant pas le laisser en proie à des démons. Elle savait ce que c'était. Posant délicatement les fesses au bord du matelas, elle effleura le bras de Terry.
- Terry, chuchota-t-elle. Terry, réveille-toi.
Cela prit quelques appels avant que son ami n'ouvre difficilement les paupières, à moitié paniqué.
- Terry, c'est Rose. Tu faisais un cauchemar.
Il reprit pied avec la réalité et son regard se focalisa sur Rose, penchée vers lui.
- Désolée, ajouta-t-elle.
Il se racla la gorge.
- Non, merci de m'avoir réveillé. C'était horrible, souffla-t-il avec un frisson. Derek…
- Tout va bien. Il est en sécurité. Toi aussi.
Terry opina lentement et se décala spontanément sur le matelas, puis tapota le lit des doigts.
- Reste avec moi ? osa-t-il demander.
- Bien sûr.
Rose s'allongea à ses côtés et l'écouta se rendormir. Les deux adolescents étaient l'un dans les bras de l'autre, rassurés par leur présence mutuelle. Elle ferma les yeux et se laissa aller à son tour.
Tôt le matin, Madame Pomfresh laissa sortir les trois Serdaigles de l'infirmerie. Ils étaient réveillés, bien conscients et trop bruyants à son goût. Elle avait d'autres patients plus mal en point et n'avait pas besoin de ça. Derek, Padma et Nassim traversèrent le château encore désert en discutant des événements de la veille, et de l'état de santé de William qui n'avait pas ouvert les yeux, plongé dans un sommeil magique par l'infirmière.
Leur Salle Commune était vide et Padma se dirigea vers sa chambre. Derek et Nassim terminaient leur conversation, quand leur amie monta leurs marches, affolée.
- Elles ne sont pas là, annonça-t-elle.
Nassim venait de passer la tête dans le dortoir des sixièmes.
- Vide, lâcha-t-il.
Derek ne se démonta pas et poussa lentement la porte des cinquièmes. Il aperçut vite les matelas supplémentaires et sourit.
- Ils sont tous là, chuchota-t-il. Venez.
Nassim avisa son cousin par terre et s'affala près de lui. Padma le vit planter son doigt dans l'oreille de l'endormi, qui eut un mouvement réflexe pour le repousser. Réprimant un rire, elle chercha les filles des yeux. Enfin, Rose et Mandy, car elle ne se demanda pas où était Lisa. Derek poussa les rideaux de son lit, s'attendant à y trouver au moins une panthère. Mais il ne vit que Mandy et fit un signe à Padma, qui fut plus délicate avec la blonde et ne lui fourra pas son index dans l'oreille. Elle se contenta de s'asseoir après avoir ouvert les rideaux.
Derek était déjà devant le lit de Terry, et son anxiété s'évanouit lorsqu'il vit deux corps serrés l'un contre l'autre. Un sourire flottant sur les lèvres, il décida qu'il y avait bien moyen de rentrer à trois dans le lit et se pencha vers eux. Il déplaça délicatement Terry, l'arrachant aux bras de Rose sans qu'il ne se réveille. Il allait soulever sa meilleure amie pour se glisser entre eux deux quand deux prunelles vertes apparurent. Sans un mot, elle tendit les bras et s'enroula autour de Derek, soulagée de le voir, debout et en forme. Il la garda contre lui longtemps, assis sur le lit, son nez dans ses cheveux, respirant son odeur rassurante. Enfin Rose parvint à murmurer :
- J'ai eu tellement peur… tellement peur…
- Moi aussi, admit-il, imitant son timbre bas. Tu as été…
- Terrifiante, souffla-t-elle.
- Formidable, corrigea-t-il.
Sans la lâcher, il amorça un mouvement pour s'allonger à sa place. Rose s'écarta un peu.
- Je vais vous laisser.
- Ça va pas non ?
Il posa le dos sur le matelas, l'entrainant avec lui, et enroula son bras libre autour de Terry. Le brun se retourna et enfouit son visage contre Derek, sa main s'accrocha dans son pull. Rose se positionna de l'autre côté de son meilleur ami.
- Un bras chacun, rigola Derek, arrachant un sourire à Rose et Terry, qui s'était réveillé en les entendant parler.
Rose et Terry échangèrent un regard tranquillisé. Ils restèrent dans cette position assez longtemps pour se rendormir tous les trois, au chaud dans leur nid.
- Ils sont pas mignons comme ça ? demandait une voix qui ne parvint que vaguement aux oreilles de Rose.
- Adorables.
- Derek adorerait ce vocabulaire.
- Si ces commères de Poufsouffle voyaient ça… je vous raconte pas les rumeurs !
- Vous savez qui va regretter d'avoir raté une occasion pareille ? rigola une voix masculine.
- William ! compléta sa voix cousine, hilare.
Des rires fusèrent autour du lit et Derek ronchonna. Rose, elle, s'était complètement réveillée en entendant le prénom du sixième année mais gardait les yeux fermés, profitant d'encore un peu de chaleur et de calme.
- Bon… fit Anthony, toujours raisonnable.
Il se racla la gorge et clama d'une voix forte :
- Manger ?
Quatre yeux le fixèrent immédiatement, pendant que Terry riait tout bas, imité par tous les autres Serdaigles.
- Manger, répéta Derek, pendant que Terry relevait la tête.
- C'est malin ça, râla ce dernier. Vous avez réveillé les machines.
Il secoua la tête devant la mine boudeuse et enfantine de Rose.
- Mais j'ai faim…
Lisa leva les yeux au ciel.
- Ô surprise…
Rose s'étira et roula pour quitter le lit la première. Elle fondit sur Padma et la prit dans ses bras, lui chuchotant quelques mots à voix basse. Son amie opina et répondit doucement.
- Et moi alors ? chouina Nassim une fois les filles séparées.
Rose haussa un sourcil et abdiqua devant la tête de leur ami, puis elle le serra brièvement dans ses bras.
- Non mais, conclut-il victorieusement, faisant rire les autres.
- William, chuchota alors l'Animagus.
- Non, Nassim, corrigea Marc, un sourire aux lèvres. Madame Pomfresh ne t'a pas du tout soignée !
Elle agita une main en l'air alors que tout le monde riait de nouveau.
- Il dormait encore quand on est partis, expliqua Padma. Potion de Sommeil.
Rose opina. Ils virent Idriss secouer la tête et ils l'écoutèrent tous expliquer :
- Ils se sont jetés sur lui… il était devant quand on sortait des vestiaires. À un moment, j'en ai vu quatre l'attaquer en même temps… c'était horrible.
Leurs regards attristés et en colère se croisèrent encore.
Ils se séparèrent le temps d'aller se préparer pour le petit déjeuner. Ils passèrent de longs moments sous les jets d'eau chaude des douches, et même Derek ne trouva rien à y redire, malgré la faim qui le tiraillait. Ils en avaient tous eu bien besoin.
Rose regardait la mousse de son shampooing disparaitre dans la bonde. Elle pensait à William. Elle irait le voir après le repas. Et elle lui parlerait. Franchement, honnêtement. Si elle ne le faisait pas maintenant, elle le regretterait plus tard.
Il était temps.
Madame Pomfresh croisa les bras en les voyant arriver à onze dans son infirmerie et doucha immédiatement leurs espoirs.
- Il dort encore. Repassez plus tard.
Ils eurent tous l'air déçu en faisant demi-tour. Elle ajouta :
- Et moins nombreux !
Ils repartirent dans leur Salle Commune en ronchonnant.
Le midi, ils se présentèrent à huit mais reçurent le même accueil.
En milieu d'après-midi, n'y tenant plus, Idriss et Rose prirent pour prétexte d'aller à la Bibliothèque pour rendre des livres et quittèrent leurs amis, promettant de donner des nouvelles de William dès leur retour.
L'infirmière les considéra assez froidement et ils échangèrent un regard, persuadés de devoir encore rentrer bredouilles.
- Il est réveillé, annonça-t-elle finalement. Il est très fatigué et je n'accepterai qu'une personne à la fois.
Elle s'adoucit et sourit.
- Merci de ne pas avoir débarqué à soixante…
Ils répondirent timidement à son sourire. Rose poussa Idriss, soudainement timorée.
- Je t'attends. J'irai après.
Il ne protesta pas et Rose resta à l'entrée de l'infirmerie. Regardant autour d'elle, elle vit que les lits occupés la veille par les Serpentards étaient vides, excepté un, entouré des rideaux blancs qu'elle connaissait bien. Elle devina qu'il s'agissait de Rowland et se demanda si sa mémoire lui jouait le tour prévu par Mandy. Et si les marques sur sa peau allaient être identifiables ou pas.
Ce faisant, Rose essayait en même temps d'ignorer ses paumes moites et se mordait inconsciemment la lèvre du bas, nerveuse.
Madame Pomfresh escorta Idriss vers la sortie. Son ami adressa un pouce en l'air à Rose, signifiant que tout allait bien.
- Tu remonteras à la Salle Commune toute seule ?
- Pas de souci.
Il disparut et Rose se retourna, tombant nez à nez avec l'infirmière. Elle soutint son regard calmement.
- Warrington est parti.
Ce n'était pas une question et Pomfresh ne répondit pas.
- Elle s'est réveillée ?
- Oui.
Elle se mit à marcher, Rose la suivit et écouta.
- Les marques sont minimisées, mais elles resteront à vie. Je ne peux rien faire de plus.
Elle paraissait frustrée devant cet échec. Rose resta évidemment silencieuse, attendant la suite.
- Elle ne se souvient pas, révéla l'infirmière en s'arrêtant devant son bureau.
À voix très basse, elle continua :
- Pour elle, un sort l'a atteinte alors qu'elle se penchait vers Monsieur Van Alten et elle a perdu connaissance, pour ne se réveiller qu'ici.
Rose hocha prudemment la tête, ne voulant pas montrer sa satisfaction et son soulagement. Elle allait offrir toute la réserve de chocolat de Honeydukes à Mandy.
- En tant que membre du personnel de l'école, je ne peux pas cautionner cet acte.
L'estomac de la Serdaigle se contracta douloureusement.
- En tant que sorcière au courant de votre situation, j'estime que c'était nécessaire, termina-t-elle, presque à contrecœur.
- Merci, fit Rose du bout des lèvres, comprenant qu'elle était en sécurité.
Elles se regardèrent intensément. Elle allait se tourner vers les lits pour se précipiter vers William avant que le courage ne la quitte de nouveau, quand Madame Pomfresh reprit, toujours d'une voix discrète.
- Je vais vous reposer la question. Avez-vous perdu le contrôle ?
- Non, affirma de nouveau Rose. Je me suis transformée pour défendre mes amis. Je cours plus vite comme ça…
Elle masqua l'agacement qui pointait en elle.
- À quel moment vous êtes-vous arrêtée avec Miss Rowland ?
Rose croisa les bras et marmonna sa réponse.
- En voyant William.
Ce qui était un demi-mensonge. Peut-être trois quarts de mensonge. Bon, d'accord, un mensonge entier. Elle soupira, agacée par le regard intrusif de l'infirmière.
- Parce que mes amis m'ont retenue, cracha-t-elle enfin, maitrisant le volume de sa voix.
Elle serra les poings, les bras toujours croisés contre son buste.
- Mes amis m'ont retenue et m'ont parlé, j'ai vu William, je suis partie vers lui et j'ai laissé cette… j'ai laissé Rowland derrière moi.
Revivre le moment était la dernière chose à faire. Mais c'était trop tard : un second battement de cœur, faible mais ferme, s'ajouta au sien. Une grimace lui échappa.
Madame Pomfresh ne la quittait pas du regard et observait chacun de ses mouvements et expressions. Elle demanda d'une voix plus douce que d'ordinaire :
- Avez-vous déjà totalement perdu le contrôle ?
En voyant l'étudiante froncer les sourcils, elle précisa :
- Vous est-il déjà arrivé de vous transformer contre votre gré ? D'avoir un trou de mémoire ?
Surprise par la justesse de sa question, Rose entrouvrit la bouche sans répondre. Les seuls au courant étaient Derek et elle. Elle n'en parlait pas car elle était elle-même trop effrayée par cet épisode.
Le battement de cœur prit de l'ampleur pour égaler le sien. Ses mâchoires se contractèrent.
- Oui, finit-elle par parvenir à dire, ressentant distraitement les rythmes cardiaques jumeaux. Pendant les vacances de Noël.
C'était difficile à résumer rapidement, mais elle le fit aussi succinctement que possible, évoquant la mare, la forêt enneigée, l'arbre, les restes de mammifère, le froid. L'infirmière ne fit pas de commentaire et l'écouta attentivement.
Rose haussa les épaules, essayant de paraitre détachée.
- Ça ne s'est pas reproduit.
Elle décida qu'elle avait assez attendu et fit quelques pas vers le lit de William. Elle avait aussi besoin de bouger, pour garder la maitrise de son corps. Madame Pomfresh la suivit.
- Je suppose que ça arrive à tous les Animagus, non ?
Elle n'y croyait pas elle-même et ne fut pas étonnée quand elle entendit :
- Non. Ce n'est pas normal. Pourquoi ne pas en avoir parlé hier soir ?
- Je n'avais pas la tête à ça, répondit Rose, les dents serrées.
Pomfresh la regardait serrer et desserrer les poings, les mâchoires contractées.
- Vous allez vous transformer.
- Non, affirma Rose. Je n'ai pas envie.
- Vous arrive-t-il de vous transformer quand vous le décidez ?
- Tous les soirs, lui apprit-elle, les yeux posés sur un point invisible, debout devant les paravents de son ami.
L'infirmière sembla sur le point de continuer leur conversation, mais Rose en avait assez. Les battements de cœur résonnaient dans sa poitrine, elle ne voulait plus parler de ça avec Pomfresh, et elle voulait voir William. Elle avait des choses à lui dire mais n'était même plus sûre d'en être capable maintenant. Passablement agacée, elle tira les rideaux.
William était dans une position entre l'allongé et l'assis et ses yeux étaient fermés. Rose le regarda un instant, indécise. Son poing gauche se desserra progressivement, ce qui incita Madame Pomfresh à reprendre le cours de sa réflexion, et elle chuchota :
- Miss Wayne…
Rose se tourna vers elle.
- Vous vous transformez lorsque vous subissez des émotions violentes, presque contre votre gré, n'est-ce pas ?
Elle confirma d'un signe de tête réticent.
- Êtes-vous capable d'arrêter une telle transformation en cours de route ? Avant qu'il ne soit trop tard ?
La question déstabilisa Rose qui ne répondit pas, ne voulant pas admettre ses faiblesses face à l'Animagus en elle. Ses yeux repartirent vers William. Elle l'observa et suivit les contours de son visage. Son arcade était magiquement intacte, sa couleur naturelle revenait sous les hématomes presque disparus. Il paraissait surtout fatigué. Rose ne sentit pas le changement en elle, mais l'infirmière le remarqua nettement. Elle n'eut plus besoin de la réponse de l'étudiante.
- Je vous laisse quelques minutes seuls. Ne l'épuisez pas.
Puis elle s'effaça, gardant un œil sur l'Animagus, dont le corps se détendait visiblement en approchant le jeune homme étendu sur le lit. Elle rabattit le rideau et s'éloigna.
Rose s'arrêta devant William, soudainement mal à l'aise, ne sachant pas quoi faire de son corps. Elle avisa une chaise et s'y assit prudemment, prête à déguerpir. Elle se sermonna mentalement.
C'est William. Ton ami. Il ne va pas te manger.
- Je me suis rendormi, fit une voix ensommeillée alors qu'elle contemplait ses lacets avec passion.
Rose releva aussitôt la tête et sourit en voyant William réveillé.
- Pourtant je savais que tu allais arriver, Idriss me l'avait dit.
- Comment tu te sens ?
- Lourd et pas à mon avantage.
Elle rit doucement, se retint de lui dire qu'il était toujours à son avantage.
- Mais vivant, conclut-il avec satisfaction, lui décochant enfin un sourire.
Encouragée par son sourire, elle rapprocha un peu sa chaise du matelas et posa sa main sur son bras. Elle prit un air sérieux.
- Tu sais, si tu voulais remonter notre score à égalité, ce n'était pas la peine de déclencher une bagarre pareille… une coupure de parchemin aurait suffi, je t'aurais soigné quand même…
Il rit et grimaça aussitôt.
- Côtes fêlées hier, lui apprit-il. Elle a tout réparé, mais c'est encore douloureux.
L'air inquiet de Rose le fit sourire.
- Et dire que Derek a failli me voler la vedette ! se plaignit-il. S'il avait été plus touché, aux oubliettes le William ! Tu oubliais mon existence !
Elle rit encore.
- C'est pour ça, je me suis laissé faire, je ne voulais pas qu'il prenne trop d'avance.
- Bien sûr.
- Alors, qu'est-ce que j'ai raté ?
Rose réfléchit.
- Je ne sais pas vraiment… tu étais conscient quand on est arrivés en renfort ?
- Encore un peu. J'ai vu des silhouettes nous rejoindre et attaquer les autres. Je me souviens avoir pensé que c'était vous tous, mais après tout était emmêlé.
Il se redressa un peu mieux.
- Tu as été blessée ?
Elle secoua la tête. Il eut un sourire en coin.
- Le félin a fait une apparition ?
Elle força un petit sourire.
- Plusieurs, dit-elle sans élaborer.
Rose n'avait plus envie de parler de ça. Pas maintenant. Elle était trop heureuse de le voir, égal à lui-même, pour repenser à la bataille de la veille. Il sembla comprendre et la regarda pensivement sans plus rien demander.
Allez. C'est maintenant ou jamais. Lance-toi.
- William…
Mais elle s'arrêta net. Il venait de prononcer « Rose » exactement en même temps. Ils se considérèrent un instant, indécis. Le visage de William se fit très sérieux et il croisa les bras, abandonnant la main de Rose, qui la replaça sur ses cuisses et entremêla nerveusement ses doigts. Elle n'osa pas parler mais comme il ne disait rien, elle ouvrit la bouche. Il la coupa d'un coup, d'un geste de la main.
- Je vais parler en premier. Sinon je ne vais pas y arriver. Désolé, ajouta-t-il en voyant l'expression de Rose.
- Pas de problème, concéda-t-elle faiblement.
Zut ! Je ne vais jamais y arriver non plus !
- Je pense que…
Il sembla réfléchir un instant, le visage si sérieux que le ventre de Rose se contracta.
- Il faudrait qu'on arrête.
Devant l'absence de réaction de la jeune fille, il tourna le regard vers elle. Leurs yeux s'accrochèrent et elle parvint à articuler, perdue :
- Désolée, mais je ne comprends pas ?
William soupira, Rose paniquait intérieurement.
- Nous deux. Notre… relation. Enfin, notre non-relation. Bref, appelle ça comme tu veux, hésita-t-il. Je pense qu'on devrait arrêter.
Rose ne savait plus à quel moment elle avait arrêté de respirer.
- Je crois qu'il est temps que je m'incline.
Elle resta parfaitement immobile et considéra William, le regard détaché, le visage fermé. Il le comprit comme une confirmation de tous ses soupçons et continua.
- Zabini a gagné.
L'expression toujours neutre, Rose haussa brièvement un sourcil.
- Je vous ai vus, révéla-t-il, les yeux dans le vague. À la Bibliothèque, l'autre samedi.
Il se racla la gorge et jeta un œil à Rose.
- Je vous ai vus ensemble. Parler, étudier. Rire.
Rose resta figée, sous le choc.
- J'ai vu… la façon dont tu le regardes. Tu as l'air tellement… séduite par lui.
Elle avait envie de hurler que c'était la même chose avec lui, mais aucun son ne sortit de sa gorge.
- Je ne voulais pas, dit-il d'un coup. Je m'étais planqué à la Bibliothèque en pensant que ce serait le dernier endroit où tu serais avec lui… mais j'étais assis tout près de vous. Je n'ai pas osé bouger, je ne voulais pas que tu croies que je… t'espionnais ou je sais pas quoi.
Rose était toujours paralysée par ce qu'elle entendait. Il poursuivit.
- La manière dont tu le touches… dont vous vous embrassez…
Il baissa le nez vers ses mains après avoir vérifié qu'elle écoutait toujours.
- Je fais pas le poids.
Mais bien sûr que si ! C'est ça, que je voulais te dire !
Les mots étaient coincés en elle. Ses lèvres ne bougèrent même pas.
William eut un sourire triste qui l'acheva. Elle crut qu'elle allait éclater en sanglots, mais encore une fois, tout était bloqué profondément en elle.
- Depuis ce jour, je me dis que… tout ce qu'on a partagé… c'était juste, je sais pas, physique. Et avec lui, tu as… une connexion. Quelque chose d'autre. De mieux.
Tais-toi ! Par Circée, tais-toi, tu dis n'importe quoi !
Pas un seul de ses muscles ne bougea. Ses yeux verts étaient toujours rivés au visage de William, qui finit par la regarder à son tour.
L'absence totale de réaction de Rose sembla l'encourager à terminer.
- Bref. Ça faisait longtemps que je voulais t'en parler, mais je n'en avais pas le courage.
Quelque chose tintait dans les oreilles de Rose et laissait la voix de William lui parvenir dans un murmure étouffé, bien qu'elle entende tout ce qu'il disait. Comme si elle avait baissé le son, avec les boutons de la vélétision de chez Derek.
- Rose…, reprit la voix assourdie.
Entendre son prénom la ranima un peu et elle sortit de sa léthargie. Ses yeux se focalisèrent de nouveau sur lui.
- Dis quelque chose.
William attendait une réponse, mais le cerveau de Rose était centré sur une seule information.
Il en a fini avec moi. C'est fini.
Elle articula silencieusement une réponse, sa voix ne voulant pas coopérer.
- Je t'entends pas, souffla-t-il.
- Très bien, fit-elle finalement d'une voix intelligible, le regardant véritablement pour la première fois depuis de longues minutes.
Son regard d'habitude expressif resta détaché. Elle se leva lentement.
- Très bien, répéta-t-elle, incapable de dire quoi que ce soit d'autre.
Rose recula de quelques pas. Elle avait l'impression que tout son corps était engourdi.
- J'y vais maintenant, déclara-t-elle, toujours froide.
William hocha la tête. Elle lui tourna le dos et se glissa entre deux paravents, puis hors de l'infirmerie, sans un regard pour lui. Elle n'en avait pas la force.
Elle ne sait pas comment elle se traina jusqu'à la haute Salle Commune sans que ses genoux ne cèdent, sans que ses yeux ne débordent de larmes. Tout était coincé, bloqué. Ses mains étaient glacées, elle avait froid partout, mais elle ne frissonnait même pas. Elle traversa l'espace commun sans rien voir, monta les escaliers et entra dans la chambre vide.
Ses jambes la lâchèrent devant son lit et elle se laissa tomber sur son matelas, sans forces, les yeux dans le vague.
Elle se sentait vide, d'énergie, de sentiments, de tout. Les paroles de William étaient imprimées dans son cerveau et tournaient en boucle.
« On devrait arrêter. Zabini a gagné. C'était juste physique. »
Elle resta quelques minutes immobile, le visage dans les mains. Puis elle leva la tête et ses yeux se plantèrent sur la silhouette qui était entrée dans la chambre.
- Rose ? Est-ce que tout va bien ? demanda la voix inquiète de Lisa.
Elle eut un signe de tête qui ne voulait ni dire oui, ni dire non.
- J'avais juste… besoin d'être seule un instant.
- Tu veux que je sorte ? proposa son amie.
- Non, bien sûr que non. Je vais descendre avec toi. Je passe aux toilettes avant.
- Je t'attends, dit Lisa fermement, bien consciente que quelque chose n'allait pas très bien.
Rose s'aspergea le visage d'eau froide pour revenir à l'instant présent, s'essuya lentement, se pinça les joues. Elle s'observa dans le miroir et regarda le sang affluer de nouveau sous sa peau. Lorsqu'elle considéra qu'elle avait meilleure mine, elle rejoignit Lisa.
Les autres étaient installés sur des fauteuils et canapés et les regardèrent venir à eux. Derek lui tendit automatiquement les bras et elle s'y blottit, sans faire de commentaire.
- William va bien ? s'enquit Padma.
Rose était consciente qu'Idriss avait probablement déjà fait son rapport, mais elle se plia à la curiosité de ses amis et confirma qu'il allait bien, parla de ses côtes cassées et soignées, de son visage qui avait meilleure allure. Elle tut bien sûr le reste de leur conversation et personne ne lui posa de question. Qui aurait pu deviner ?
Derek peut-être.
- On s'isole ? offrit-il à voix basse dans son oreille.
Elle secoua la tête.
- Aucune raison, répondit-elle fermement.
Il lui embrassa la tempe et se mêla de nouveau aux discussions du groupe. Rose resta légèrement en retrait, mais personne ne lui en tint rigueur. Elle ne participait que lorsqu'on lui posait des questions directes. Nassim en avait beaucoup sur son Animagus, et Anthony n'avait de cesse de lui demander d'être plus discret. Idriss lui reprocha de vouloir « tuer leur enthousiasme », ce qui fit rire tout le monde, même Rose.
Le reste de la journée, elle dut se l'avouer en se réveillant lundi matin, était flou. Ses souvenirs de la bagarre de samedi soir étaient plus clairs que ceux de dimanche, comme si son esprit s'était fermé.
Vu de l'extérieur, personne n'aurait pu deviner qu'elle avait le cœur serré, le cerveau retourné et qu'elle était épuisée. Blaise lui offrit sans le savoir un répit bienvenu en cours de Botanique.
Blaise.
Elle le considéra longuement alors qu'il venait s'installer près d'elle, lui souriant comme toujours. Ils discutèrent pendant le cours, discrètement. Il lui effleurait régulièrement la peau, elle se laissait faire, contente qu'il la touche de ses doigts chauds.
Il posa un baiser sur sa joue en la quittant, elle sourit et rejoignit ses amis. Ils se cloitrèrent à la Bibliothèque pour le restant de l'après-midi, plongés dans leurs devoirs, ce qui allait très bien à Rose pour s'occuper l'esprit.
Elle commençait déjà à se faire une raison, passant un temps fou à se rappeler à l'ordre.
Vous n'étiez pas un couple. C'est son choix, respecte-le. Et lâche l'affaire.
Ça semblait fonctionner, petit à petit.
Mardi ressembla à lundi, à un détail près : William sortit de l'infirmerie et les sixièmes arrivèrent tous les quatre à table pour le diner.
Rose ne les vit pas tout de suite, occupée à échanger un regard amusé avec Blaise après avoir vu un Poufsouffle se faire jeter un verre d'eau à la figure par une Serpentard à l'air excédé.
Elle ne tourna la tête vers ses amis que lorsqu'elle entendit des exclamations, toutefois discrètes :
- William !
- Tu es sorti !
- Bon retour parmi nous, félicita Michael alors que tout le monde se poussait pour faire une place aux sixièmes.
William arborait un sourire victorieux au visage et s'assit, droit comme un I, très digne.
- Je le savais que je vous avais manqué.
Les rires fusèrent autour de lui. Rose lui coula un regard si fugace que personne ne le vit. Il avait l'air… bien. Elle regarda son assiette et mangea en silence, pendant que tout le monde devisait gaiement.
- Laisse-moi comprendre, marmonna une voix tout près d'elle.
- Pas encore, refusa-t-elle sans regarder Derek.
- Hé, Rose ! lança Nassim.
Elle le regarda, haussant un sourcil.
- Motivée pour l'Astronomie ce soir ?
Elle ronchonna immédiatement, déclenchant des rires. Tout le monde savait qu'elle détestait ce cours et c'était toujours amusant de la faire râler. Elle sourit malgré elle. Et ses yeux se posèrent machinalement sur William. Par réflexe, par habitude. Par envie aussi. Ils s'observèrent quelques secondes, et elle ne sut pas ce qu'il lut, car il détourna rapidement le regard.
Si une infime partie de Rose s'était dit que dimanche était une plaisanterie élaborée et un peu cruelle, elle était désormais détrompée.
Quelle que fut la nature de leur relation, c'était bel et bien terminé entre William et elle.
En haut de la tour d'Astronomie, elle sentit la haute silhouette de Blaise se glisser près d'elle. Il se débrouillait toujours pour rester à ses côtés pendant ce cours, et ses camarades ne semblaient pas s'en apercevoir. Ils travaillaient toujours à deux, et vu leur calme apparent et leur discrétion, la professeure Sinistra n'y trouvait rien à redire.
Rose se félicita que leur professeure n'ait pas l'œil magique de Fol-Œil, vu que Blaise venait d'attraper sa main et de lui embrasser la joue discrètement. Elle sourit au contact et le contempla alors qu'il mettait leurs télescopes en place. Blaise lui fit son sourire attitré et attendit les instructions pour le cours du soir. Rose n'écouta que d'une oreille et laissa Blaise mener leurs recherches dans le ciel, comme souvent. La professeure passait dans les rangs pour les aider, et s'arrêta devant la carte de Rose. Elle pointa une inscription que l'étudiante avait fait quelques minutes plus tôt.
- Attention Miss Wayne, ce n'est pas le groupe de Carmé de Jupiter ici, mais bel et bien la lune Pandore de Saturne ! C'est assez évident quand on regarde le ciel depuis le périapse de Prométhée.
Elle fit un petit sourire encourageant à Rose et partit vers quelqu'un qui l'appelait. La Serdaigle leva aussitôt les yeux au ciel.
- Ah, mais c'est ça, c'était le périapse de Prométhée, aussi, railla Blaise à voix basse, qui avait fait la même erreur sur sa carte.
Rose se surprit à pouffer. Blaise la regarda et elle vit l'étincelle d'humour dans ses yeux. Il se mit à rire à son tour, entrainé par Rose qui ne s'arrêtait plus.
Les doigts de Blaise cherchèrent ceux de Rose et ils posèrent leurs mains jointes sur la table. Elle les considéra un instant et leva le visage pour voir Blaise. Il semblait l'attendre et leurs regards se lièrent un long moment.
Quelque chose se fissura en Rose et elle eut un mouvement qu'elle sembla à peine contrôler, ni même comprendre. Elle approcha de Blaise, écartant leurs mains de la table. Se hissant sur la pointe des pieds, elle tira sur le pull du Serpentard pour l'inciter à baisser la tête vers elle. Et elle posa ses lèvres sur les siennes.
La réponse de Blaise fut immédiate, il saisit la taille de Rose de son bras libre et, délaçant ses doigts de ceux de Rose, les glissa derrière sa nuque. Les mains libres de Rose trouvèrent leur place autour du cou de Blaise, auquel elle s'accrocha désespérément. Leurs langues n'eurent que le temps de se frôler quand leur baiser passionné – et passionnant à en juger les expressions des autres étudiants – fut interrompu par un bruyant raclement de gorge.
Blaise et Rose se détachèrent l'un de l'autre et lancèrent un regard coupable à la professeure Sinistra qui les regardait fixement, les yeux ronds. Interloquée, elle ne semblait pas savoir quoi dire. C'était la première fois que deux de ses étudiants se lançaient dans des démonstrations romantiques pendant son cours, à sa connaissance. Finalement, elle se décida :
- Le cours est terminé pour ce soir, rentrez dans vos Salles Communes. Vous deux, restez ici.
Ils rangèrent tous leurs affaires, et Rose garda le nez baissé sur la table. Elle ne vit pas les regards échangés par ses amis, ni l'expression perplexe de Derek, que Terry dut pousser dans le dos pour qu'il descende les escaliers.
- Je ne veux plus vous voir côte à côte pendant mes cours, annonça-t-elle simplement. Compris ?
- Oui professeure, répondirent les deux fautifs à l'unisson.
- Bien. Rentrez maintenant.
Elle les congédia d'un signe de la main et ils dévalèrent les premières marches, stupéfaits de s'en tirer sans une retenue, ou des points en moins. Une fois qu'ils furent assez loin, ils ralentirent le rythme. Blaise attrapa le bras de Rose et la fit s'arrêter, quelques marches plus bas que lui.
- Attends, demanda-t-il.
Le nez levé et l'air concentré, elle le regarda la rejoindre. Il descendit deux marches supplémentaires pour être à la hauteur de Rose. Elle pria mentalement pour qu'il n'ait pas une subite envie de parler lui aussi.
- Y'a un truc qu'on a pas terminé, susurra-t-il, sa voix basse résonnant en Rose.
Il l'attira contre lui et prit la bouche de Rose sans attendre de réponse. Leurs bras retrouvèrent les mêmes positions que pendant le cours et Blaise grogna lorsque des ongles lui éraflèrent la nuque. Il serra Rose tout contre lui et chercha sa langue pour la caresser. Il résista à l'envie de la plaquer contre le mur et d'enrouler la jambe de Rose autour de sa taille. Il avait adoré faire ça mais estimait que les escaliers n'étaient pas le meilleur endroit pour recommencer.
Rose éloigna sa bouche et embrassa la mâchoire de Blaise, puis son cou. Il se laissa faire, les yeux fermés, et récupéra vite les douces lèvres pour les mordiller. Elle soupira et sentit la langue de Blaise s'introduire langoureusement dans sa bouche. Elle la suçota un instant avant qu'elle ne disparaisse.
À contrecœur, Blaise rompit leur baiser et éloigna son visage de celui de Rose. Il retira ses mains de la peau de Rose et remit en place le pull froissé. Essoufflée, elle le regarda faire sans rien dire. Il lui sourit et sembla d'un coup très amusé.
- En plein cours ? dit-il finalement, déclenchant un rire de Rose.
- Désolée, souffla-t-elle. Je sais pas ce qui m'a pris. Enfin, si.
Il la fixa de ses yeux noirs en amande.
- J'avais envie, expliqua-t-elle simplement.
- Et ça ne pouvait plus attendre. Je peux comprendre. Je suis irrésistible.
Il eut un nouveau sourire séducteur et elle croisa les bras, faussement fâchée.
- Mais pas modeste.
Blaise haussa les épaules.
- Difficile de l'être quand Rose Wayne me saute dessus devant tout le monde.
Elle rougit, un peu gênée. Puis reprit son sérieux.
- Justement. Je voulais te dire…
- Si c'est pour m'annoncer tes fiançailles avec Van Alten, honnêtement, pas ce soir.
Elle leva les yeux au ciel, balayant sa plaisanterie du revers de la main avec un tic agacé. Le sourire en coin de Blaise réapparut. Il adorait quand elle était dédaigneuse.
Elle resta bloquée, sans savoir comment formuler ce qu'elle voulait lui dire. Il prit les devants et lova sa main contre le visage de Rose, l'obligeant à le regarder.
- Baiser d'adieu ou de bienvenue ?
Elle planta ses prunelles vertes dans les siennes et murmura fermement :
- De bienvenue.
Il eut un sourire victorieux avant de reprendre possession de ses lèvres et de l'embrasser plus intensément qu'auparavant, la poussant finalement contre le mur.
Le retour vers la tour Serdaigle fut rapide, Rose avait l'esprit ailleurs et ne cessait de revivre les baisers passionnés qu'elle avait échangés avec Blaise.
Elle n'était plus très sûre, mais il lui semblait l'avoir entendu marmonner « c'est pas trop tôt » entre deux baisers, alors qu'elle reprenait son souffle.
Elle se frotta machinalement l'arrière de la tête. Son crâne avait frotté contre la pierre dure du mur de la tour d'Astronomie. Blaise avait même fini par passer sa main derrière sa tête car elle n'arrêtait pas de grimacer à cause de la douleur et du froid.
Elle sentait encore la main contre sa cuisse et eut un sourire embarrassé en le revoyant poser délicatement sa jambe par terre, lui murmurant « pas sur les marches » avant de laisser une traînée de baisers dans le cou de Rose.
Blaise l'avait accompagnée dans les couloirs aussi loin qu'il l'avait pu avant de lâcher sa main pour rejoindre la salle commune de Serpentard. Son dernier baiser semblait imprimé sur la peau de Rose et elle soupira.
Elle jeta un œil machinal dans la grande pièce et repéra ses sept amis dans un coin. Elle ne les avait pas encore rejoints que Derek avait déjà relevé la tête pour lui lancer un sourire un peu moqueur.
- Salut, dit-elle en se plaçant derrière lui.
Elle glissa ses mains sur ses épaules et se rendit compte que tout le monde la fixait. Comme personne ne disait rien, elle finit par soupirer et ronchonner :
- Quoi ?
- Quoi, quoi ? répéta une Mandy plus ahurie que les autres.
Michael ricana et même Anthony esquissa un sourire.
- Astronomie ! Blaise ! Démonstration publique d'affection ! résuma la blonde alors que Terry opinait vivement.
Rose haussa les épaules d'un air détaché, puis lâcha avec un sourire en coin :
- Tu vas être fière de moi. Ça y est, c'est officiel.
Elle eut un petit air satisfait et annonça qu'elle allait se coucher, ignorant délibérément les expressions surprises autour d'elle.
Le lendemain, Rose soupçonna Derek d'avoir briefé les autres pour leur interdire de poser des questions, car personne ne mentionna l'épisode de la veille. Seule Lisa fit exception, discrètement pendant leur cours d'Étude des Runes Anciennes. Elle demanda simplement :
- Blaise ?
- Blaise, confirma Rose sans élaborer.
Son amie opina et lui sourit.
- Tu es surprise ?
- Un peu, avoua Lisa. Moins que Mandy en tout cas…
Elles gloussèrent doucement.
- Je suis étonnée que ça n'ait pas encore fait le tour de l'école, marmonna Rose. Peut-être que ma vie privée n'intéresse plus personne.
- Ne crie pas victoire tout de suite, fit Derek en se mêlant naturellement à la conversation.
- Vous en avez parlé ?
- Nous, non, dit Lisa. Mais les Serpentards vont probablement répandre la nouvelle…
- Sauf si Zabini… commença Anthony, abandonnant son dictionnaire à son tour.
- Blaise, coupa Rose. Va falloir vous habituer.
- Sauf si Blaise, se corrigea-t-il, leur a lancé le même… avertissement que Derek hier soir.
Rose leva les yeux au ciel alors que Derek avait un sourire très peu coupable.
- Qu'est-ce que t'as été raconter toi ?
- Raconter ?! Rien du tout. Prévenir.
Anthony fit un petit bruit outré.
- Tu nous as menacés, oui !
Rose administra une petite tape au dos de Derek, assis devant elle.
- Franchement, réprimanda-t-elle.
Lisa eut un sourire indulgent et Anthony haussa les épaules, pas vraiment vexé ni effrayé par leur ami. Un rappel à l'ordre de leur professeure les coupa dans leur conversation et ils se replongèrent dans les Runes.
En cours de Botanique jeudi matin, Rose dut repousser Blaise à plusieurs reprises alors qu'il tentait de capturer ses mains, sa taille, et même une fois, ses lèvres. Il n'appréciait pas du tout de se faire rejeter et ne cessait de râler dans son coin. Elle se retenait de rire et finit par lui dire qu'elle voulait éviter de réitérer l'épisode du cours d'Astronomie, Chourave étant probablement moins tolérante que Sinistra. Cela sembla le calmer un peu, mais il resta boudeur, jusqu'à ce que Rose lève les yeux au ciel et lui pose une question pour détourner son attention.
- Tu fais quoi demain après-midi, après les cours ? Je suis libre.
Il eut l'air le plus frustré du monde et ronchonna :
- Entrainement de Quidditch. Goyle s'est blessé.
Le discret rire de Rose s'envola et elle haussa un sourcil.
- Et après ? Disons, vers dix-neuf heures trente ?
Blaise se tourna complètement vers elle et, le coude sur la table, posa sa tête sur sa main, un sourire enjôleur aux lèvres.
- Je profite de Miss Wayne dans un endroit sombre et reculé de l'école ?
Elle entrouvrit la bouche et Blaise sourit en voyant ses joues rougir. Elle se reprit et corrigea :
- Dans une salle désaffectée et les torches allumées.
- Et pour la partie où je profite de toi… ?
- Ça, ça peut s'arranger, susurra Rose après avoir glissé son regard sur la bouche de Blaise.
Pris au dépourvu par sa réplique, il déglutit et Rose observa sa pomme d'Adam monter et descendre. Son sourire séducteur revint rapidement.
- Dix-neuf heures trente demain alors.
Elle opina, ravie. Il lui pressa la main avec affection et se concentra sur la plante – « encore une horreur végétale » – devant eux.
Leur premier jeudi avec le professeur Flitwick ne fut pas aussi horrible qu'ils ne l'avaient craint. Ils durent faire des révisions sur leurs programmes respectifs, ce qui, d'après eux, n'étaient pas une punition, mais un jeudi soir banal. Les cinquièmes purent avancer sur une dissertation attendue sous peu par le professeur tandis que les sixièmes se penchaient sur le programme des ASPIC. Ils furent tous exemplaires pendant les deux heures que dura leur séance, restant concentrés sur leurs parchemins et posant des questions lorsque nécessaire, dans un calme très scolaire. Nassim en particulier était très soulagé de ne pas effectuer des heures de retenue à copier des lignes pour Ombrage. Avant de les libérer, Flitwick leur dit qu'il n'en attendait pas moins d'eux la semaine prochaine, et leur rappela de mentionner qu'ils prenaient des cours de rattrapage si on leur posait la question. À cette idée, ils frissonnèrent tous, pensant parfaitement humiliante l'idée de devoir prendre des cours de rattrapage. Cette menace leur paraissait être une punition en elle-même.
Rose fut intenable tout le vendredi. En cours de Potions, elle fit absolument n'importe quoi et Rogue sembla ravi de retirer des points à Serdaigle. Terry vit du coin de l'œil que les Poufsouffles les observaient régulièrement, chuchotant sans cesse.
- Ah, ça y est. Ils sont au courant, murmura Padma.
- Quelle bande de commères, lança Mandy, ne voyant pas l'ironie, contrairement aux autres qui échangèrent des sourires amusés.
- Concentre-toi, réprimanda Derek en mettant un coup de coude à Rose.
Il était toujours vexé que sa meilleure amie ne lui ait pas raconté ce qui s'était passé depuis dimanche. Rose eut une moue désolée : elle n'avait honnêtement pas eu le temps de s'isoler avec lui, entre les cours, les devoirs et leur entrainement pour l'A.D. la veille au soir. Il lui fit un petit sourire en sentant son désarroi.
- T'inquiète, finit-il par dire. Quand tu seras prête.
Elle lui adressa un merci silencieux.
La tête ailleurs au déjeuner, elle ne vit pas tout de suite les regards curieux qui allaient d'elle à Blaise, pour changer. Lisa leva les yeux au ciel plusieurs fois et Michael garda un sourire railleur quand Rose s'en aperçut. Elle lui tira la langue et retourna à son assiette. Ils savaient tous les sept qu'elle avait rendez-vous avec le Serpentard le soir et ne cessaient de la taquiner à ce sujet. Sauf Mandy, qui prenait la chose très au sérieux et réfléchissait à la tenue que devait mettre Rose, qui lui avait laissé le choix de ses vêtements avec soulagement.
Avant le diner, elle écouta religieusement les conseils vestimentaires de son amie, pas certaine de réussir à tout retenir. Mandy était décidément bien plus au fait de la mode, sorcière comme moldue.
- Et donc, par exemple tu devrais éviter ce mélange de motifs, ils ne vont pas du tout ensemble.
- Je ne savais même pas que j'avais ça dans mon placard, marmonna Rose en pointant un pantalon rayé.
- Normal, c'est à Lisa.
L'intéressée les regardait avec amusement, assise sur le lit de Rose, pliant machinalement tout ce que Mandy sortait de l'armoire. L'Animagus croisa les bras. Il leur restait une petite heure avant de descendre manger, rapidement pour Rose, et elle n'avait pas choisi sa tenue.
- Bon… qu'est-ce que je mets alors ?
Elle ne put résister et souffla :
- Je pense que je vais remettre mon uniforme.
Mandy tomba la tête la première dans le piège et s'écria :
- Hors de question ! Tu veux finir nonne ou quoi ?
Rose éclata de rire et ne demanda pas ce qu'était une nonne : son amie, qui adorait répéter cette phrase, le lui avait déjà expliqué. Elle regarda Mandy déplier le haut rouge qu'elle avait mis en octobre. Elle s'en saisit et le reposa dans l'armoire, refusant d'un signe de tête catégorique.
Mandy parlait toute seule à voix basse en assemblant et défaisant des tenues sur le lit. Rose la laissait faire et essayer de retenir les informations qu'elle marmonnait. Elle finit par pointer ce qui lui plaisait le plus : une robe noire en velours à bretelles fines, un gilet XXL couleur crème emprunté à Padma, des collants noirs et ses fidèles Dr Martens.
- Voilà. Mets ça, ordonna-t-elle, contente de son choix.
Rose jeta un œil à Lisa qui opinait, satisfaite elle aussi. Elle passa la tenue et laça ses chaussures en dernier.
- Par-fait ! s'exclama Padma qui venait d'arriver. Bravo, Mandy.
- Je me demande comme tu as deviné que c'était elle qui avait choisi ma tenue.
Padma éclata de rire en posant son sac sur son lit. Rose se tortilla devant le miroir.
- C'est un peu court non ?
- Mais non, contra immédiatement Mandy. Tant qu'on voit pas tes fesses, c'est que c'est assez long.
Lisa rit devant le visage incrédule de Rose.
- Pour aller dans la Grande Salle, tu devrais mettre ta cape, conseilla finalement la rousse. Parce qu'en effet, pour un repas d'école, c'est un peu court.
Mandy lui lança un regard outré.
- Mais c'est très bien pour le rendez-vous d'après ! précisa immédiatement Lisa, les mains levées dans un geste de défense.
Rose opina, d'accord avec elle. Elle s'occupa de ses cheveux, les séchant et les coiffant en une tresse sur le côté, aidée par Padma.
Bien emballée dans une de ses capes noires, elle suivit ses amies à table et s'installa à côté de Derek, comme toujours. Il entreprit de soulever le manteau sous le regard amusé de Terry.
- Allez, montre, fit le grand blond.
- C'est bon, c'est bon, capitula Rose en dégrafant l'attache et laissant la cape glisser sur sa chaise.
- Superbe, jaugea son ami en regardant chaque détail de sa tenue. Arrête de t'en faire.
Elle lui adressa un sourire rassuré. Un sifflement admirateur lui vint de la droite.
- Hé ben, Rose ! s'exclamait Nassim, un sourire aux lèvres.
Son cousin nota l'embarras de la jeune fille alors qu'ils s'asseyaient avec eux.
- T'as un rendez-vous ou quoi ? demanda Idriss, les yeux pétillants.
Ils la virent rougir un peu et leur hilarité redoubla.
- Oui, marmonna-t-elle en resserrant les pans du gilet autour d'elle.
Nassim jeta un œil à William et ouvrit la bouche pour lancer une autre plaisanterie, mais il s'arrêta net quand Terry lui décocha un coup de pied plutôt violent. Il poussa un cri de douleur et vit, comme tous les autres, le regard lointain de William, qui n'avait pas l'air de vouloir plaisanter ni même de participer.
Rose avait manqué la scène, prétendant que William n'existait pas. Les yeux rivés sur son assiette, elle essayait d'écraser un sentiment qu'elle n'identifiait pas mais qui tournait en elle.
Elle mangea rapidement, surveillant l'heure au poignet de Derek, répondant de temps à autre aux conversations mêlées du groupe. Elle sourit à l'air satisfait que Mandy eut en regardant sa tenue.
- Heureusement que je suis là, ronchonna son amie à voix basse. Sinon, tu y allais en serviette de bain.
Lisa rit à l'idée, imitée par Padma et Rose. Elles s'imaginèrent entre deux fous rires la tête des professeurs si Rose avait débarqué en serviette dans la Grande Salle. Elles ne virent pas William quitter brutalement la table, aussitôt suivi de Nassim, Idriss et Marc, qui lança un « désolé » précipité aux garçons qui les regardèrent partir.
Derek lui décocha un coup de coude.
- C'est presque l'heure.
Elle revêtit sa cape et vérifia qu'elle était bien refermée avant de quitter la Grande Salle discrètement. Elle s'arrêta à quelques mètres de la porte et attendit, un petit sourire aux lèvres.
- J'ai cru que tu ne quitterais jamais ta table, lança une voix grave en la rejoignant.
Elle se tourna et lui sourit franchement. Lui aussi avait abandonné son uniforme et elle se retint de le détailler des pieds à la tête. Blaise lui tendit son bras spontanément et elle l'attrapa. Ils naviguèrent dans les couloirs, l'un contre l'autre, ne rencontrant presque personne puisque c'était encore l'heure du repas.
Leur salle était vide et Blaise alluma deux torches pendant qu'elle refermait la porte.
- Deux ? s'étonna-t-elle, amusée.
- Privilège de gagnant, fanfaronna-t-il.
Elle leva les yeux au ciel et défit sa cape, qu'elle posa sur un des bureaux. Blaise ne se priva pas de la regarder de haut en bas, lentement. Elle aurait juré voir ses yeux déjà noirs s'assombrir mais n'en était pas sûre.
- Je rectifie, fit-il de sa voix grave. C'est ça, mon privilège de gagnant.
Il désigna la tenue de Rose, ou Rose elle-même peut-être, dont les pommettes se colorèrent. Il lui tendit une main et elle l'attrapa, se laissant attirer dans son étreinte.
Leurs lèvres ne se cherchèrent pas longtemps et bientôt Blaise pressait sa taille alors que Rose laissait ses mains caresser le torse vêtu de noir. Elle finit par remonter sur son visage, comme pour mieux le tenir plaqué contre elle alors que la langue de Blaise venait envahir sa bouche. Bientôt les doigts de Blaise glissèrent sur les fesses de Rose et il manœuvra pour qu'elle soit appuyée contre un bureau. Il s'arrêta en la sentant sourire et la regarda, l'air interrogateur.
- Ça me rappelle notre baiser en retenue, souffla-t-elle, arrachant à son tour un sourire à Blaise.
Comme il ne répondait rien, elle l'attira de nouveau contre elle. Il posa un bref baiser sur ses lèvres et se redressa un peu, ses mains toujours sur Rose. Puis il se décida et souleva prestement Rose pour la poser sur le bureau. Il prit une de ses jambes et l'enroula autour de lui, sa main se logeant sous la petite robe noire qu'il repoussa sans ménagement.
- Et ça, ça me rappelle l'Astronomie, gronda-t-il avant de fondre sur sa bouche, collé contre une Rose qui ne savait plus comment elle s'appelait.
Ses doigts remontèrent le pull de Blaise contre sa peau et caressèrent langoureusement tout ce qu'ils touchaient. Le gilet de Rose glissa sur son épaule et Blaise en profita pour embrasser son cou, sa clavicule, son épaule nue… il tira sur sa tresse pour qu'elle lui offre son cou et il continua son chemin sur sa peau. Il la soutint par la taille quand il sentit qu'elle penchait trop vers l'arrière. Elle se cramponna à ses bras, quittant son torse à regret. Il posa ses lèvres le long du décolleté sage de sa robe et un soupir enivré échappa à Rose. Électrisé par ce son, Blaise se remit droit et mordilla de nouveau les lèvres de Rose, qui coula ses bras autour de son cou. Il saisit l'autre jambe de Rose et elle subit le même sort que l'autre, enroulée à son bassin, maintenue fermement par sa main dont les doigts s'imprimaient dans la cuisse de Rose. Blaise fit glisser Rose tout au bord de la table, sa robe remonta définitivement. Rose le sentit brulant contre elle et eut un gémissement sourd alors qu'il pressait leurs bassins ensemble. Elle se mordit la lèvre alors qu'une main de Blaise quittait sa cuisse pour remonter sur son buste et se poser sur sa poitrine, touchant doucement son sein. Il allait retourner autour de sa taille quand Rose plaqua sa main sur la sienne pour l'empêcher de bouger. Blaise lâcha un grognement ravi et se laissa embrasser fiévreusement par Rose, goutant encore sa langue avec délectation.
Ils ne surent pas qui interrompit le baiser le premier, mais ils restèrent un moment l'un contre l'autre, les mains de Blaise appuyée sur la table de part et d'autre de Rose, le souffle court. Rose osait à peine le regarder mais préféra finalement la vision de son visage à celle de sa robe toute froissée et remontée autour de sa taille. Il lui sourit, les yeux sombres de désir. Au bord du bureau, les jambes pendant dans le vide, elle se tortilla un peu, comme pour remettre ses vêtements en place.
- Non, reste comme ça, demanda Blaise. Laisse-moi en profiter.
Elle rougit encore plus et sentit sa peau bruler là où Blaise posait ses yeux. Finalement, il l'aida à se rasseoir plus confortablement et rajusta son gilet sur ses épaules, où il déposa un baiser avant de les couvrir. Il soupira et elle pencha la tête sur le côté.
- Si tu savais ce que j'ai envie de te faire, susurra-t-il, étendant le rouge à tout le visage de Rose.
Il se racla la gorge.
- Mais, pas tout le premier soir, dit-il avec un sourire avant de lui donner un nouveau baiser et de l'aider à descendre du bureau.
- Tu as raison, finit-elle par dire, une fois cette fichue robe rajustée. Il vaut mieux étaler un peu, sinon qu'est-ce qu'on ferait la prochaine fois ?!
- Exactement.
Il rit et l'embrassa encore, irrésistiblement attiré par sa bouche rougie.
Lorsqu'elle retrouva la Salle Commune, elle consentit du bout des lèvres à dire que oui, ça c'était bien passé, et non, ils n'avaient pas beaucoup parlé, arrachant des sourires moqueurs à ses amis.
Une fois seule dans son lit, débarrassée de la robe que Blaise n'avait eu de cesse de faire remonter sur ses cuisses, Rose retrouva ce sentiment inconfortable qui l'avait tenaillée pendant tout le repas. Elle l'avait identifié : la culpabilité. Celle de n'avoir rien dit à William à l'infirmerie, de s'être montrée tout apprêtée devant lui avant son premier rendez-vous officiel avec Blaise, et finalement de s'être jetée dans les bras du Serpentard. Elle soupira et fixa le plafond de son lit, toute envie de dormir envolée.
Renonçant à trouver le sommeil, elle se glissa hors de la chambre. Un feu brulait encore dans une des cheminées, alors elle s'installa sur un canapé en face, les yeux sur les flammes. Elle ne sursauta pas quand un poids fit s'affaisser le sofa en s'asseyant à côté d'elle.
- Bon.
- Bon, confirma-t-elle.
- Nous voilà enfin seuls.
Elle soupira. Derek passa son bras autour de ses épaules et elle appuya sa tête contre lui. Il attendit patiemment qu'elle se décide.
- Dimanche… avec William…
Sa gorge se serra et elle ne put pas continuer.
- Oh, c'est stupide, râla-t-elle en se raclant la gorge. Regarde-moi.
Il s'écarta un peu d'elle pour la voir. Elle attendit quelques secondes puis leva les yeux au ciel.
- Allez, pressa-t-elle. Ça ira plus vite.
- Non, refusa-t-il. J'ai promis.
- Toi et tes principes… puisque c'est moi qui te le demande !
Elle réprima un sourire.
- Tu ne verras que ce que je te montre. Allez !
Il gonfla les joues pour toute réponse.
- Et si je te faisais mal ?
- On l'a déjà fait, rappela-t-elle. Et ça s'est bien passé, non ?
Il marmonna mais ne répondit pas directement. Rose soupira.
- Tu as un don incroyable et tu refuses de t'en servir consciemment. Pourtant tu passes ton temps à savoir ce qui se passe dans ma tête !
- Je ne le fais pas exprès, se défendit Derek. Tu es facile à lire.
Elle lui jeta un regard exaspéré.
- Là, par exemple, tu es irritée, dit-il, la faisant rire.
Il reprit son sérieux mais continua à éviter de fixer ses yeux.
- Tu as contente de ta soirée… mais tu culpabilises aussi. Et j'aimerais savoir pourquoi…
- Alors entre, insista-t-elle encore.
Comme il détournait la tête, elle murmura :
- Je suis pas sûre de réussir à te raconter sans pleurer.
- C'est malin, ça, ronchonna-t-il. C'est bas, même.
- C'est vrai, surtout, renchérit Rose.
Un coup d'œil vers elle lui indiqua qu'elle était sincère.
- Ah, tu m'agaces, céda-t-il enfin.
Derek plongea ses yeux noirs dans les siens et elle le laissa faire.
- Baisse les défenses, mon chat, chuchota-t-il, concentré.
Rose expira lentement et pressa la main de Derek. Elle accueillit la présence de son ami dans son esprit, le sentit hésitant. Pour l'aider, elle conjura ses souvenirs de dimanche et tenta de les lui imposer. Cela fonctionna et Derek ne dit plus rien, assistant au déroulé de ses souvenirs comme s'il regardait un film. Il dut quitter l'esprit de Rose alors que les yeux verts se remplissaient d'eau et brouillait sa vision d'elle quittant l'infirmerie.
Elle secoua la tête et parvint à articuler :
- Tu vois, tu ne m'as pas fait mal…
- Pardon, fit-il en la prenant contre lui.
Derek soupira.
- C'est pour ça aussi que je n'aime pas faire ça… je n'ai pas envie que tu revives des moments désagréables.
Les larmes disparurent dans la manche de Rose et elle sourit un peu.
- Je peux te montrer des souvenirs beaucoup plus sympathiques si tu veux, proposa-t-elle, pleine de malice. Genre, ma soirée avec Blaise.
- Non merci ! s'écria-t-il aussitôt en fermant les yeux, alors qu'elle éclatait de rire.
Rose se laissa aller contre le dossier du canapé et il la regarda calmement.
- Pourquoi la culpabilité ce soir ?
- Parce que… je me suis jetée sur Blaise très vite. C'est bête hein ?
- Tu regrettes ?
Elle réfléchit un instant.
- Non.
- Alors, c'est pas bête. Et puis, continua-t-il d'une voix plus sèche, tant pis pour William. Il n'avait qu'à pas se dégonfler comme ça.
Rose ouvrit la bouche de surprise. Derek ne parlait jamais en mal de leur ami. Au contraire, ils semblaient vraiment bien s'entendre. Il lui fit un petit sourire.
- Je l'apprécie beaucoup, mais là, je comprends pas ce qui lui a pris alors que... Bref, je vais pas pleurer pour lui.
- Il en avait marre d'attendre, surement, dit Rose sagement. Il en avait le droit après tout… ça me surprend d'être la plus rationnelle des deux !
- Ah, mon chat, quand tu es concernée, je ne suis pas très raisonnable. Enfin ça, c'est d'après Terry, car moi je me trouve très pondéré.
- Sans aucune mauvaise foi, bien sûr.
- Aucune.
Ils se sourirent encore.
- Un Serpentard, finit par râler Derek en levant les yeux au ciel pour la faire rire. Ça va être simple ça !
- Désolée, rétorqua-t-elle en riant.
Ils restèrent encore ensemble, à discuter d'autres choses, naturellement. Derek lui raconta dans un soupir frustré qu'il passait moins de nuits avec Terry ces derniers temps, car il devenait trop entreprenant à son propre goût et ne voulait pas terrifier son petit ami.
- C'est dur, si tu savais… marmonna-t-il.
Rose éclata de rire et fut incapable de parler pendant de longues minutes. Cela prit un moment à Derek pour comprendre l'hilarité de son amie, puis il rougit un peu.
- Oh, toi et ton esprit tordu…
Puis il se mit à rire aussi. Rose finit par le pousser du coude.
- Tu lui en as parlé ?
Ils réprimèrent un nouveau fou rire avant de réussir à reprendre leur sérieux.
- Pas vraiment, avoua-t-il. J'y arrive pas. Et je dis quoi ? « Hé Terry, ça te va si on dort moins ensemble parce que j'ai une furieuse envie de te faire des trucs et je ne veux pas passer pour un gros pervers ? ».
Le rire de Rose résonna dans la Salle Commune.
- On pourrait peut-être rendre ta phrase plus subtile ?
Il grogna pour toute réponse.
- « Terry, j'adore dormir avec toi », toujours commencer par la chose la plus positive. Sinon il risque de penser que ça ne t'intéresse plus de rester avec lui !
Derek eut l'air affolé à cette simple idée. Rose poursuivit.
- « Et j'ai tellement envie de toi ». Tu peux toujours ajouter « et c'est très dur » si tu en ressens l'envie…
Elle s'arrêta alors qu'ils rigolaient ensemble.
- « Mais je ne veux évidemment pas faire quoi que ce soit tant que tu ne me dis pas que tu es prêt. C'est pour ça que je préfère dormir plus souvent seul en ce moment. Je ne veux pas te mettre la pression avec mon désir. » Qu'est-ce que tu dis de ça ?!
Son meilleur ami enfouit son visage dans ses mains.
- J'oserai jamais dire tout ça…
- Mais si, assura Rose. Tu l'aimes ?
- Évidemment.
- Alors tu peux le dire. Imagine la situation inverse ! Terry dort moins avec toi et ne te donne aucune explication : comment tu réagis ?
- Je pense que quelque chose ne va pas. Que c'est la fin de notre relation.
- Ben voilà.
Derek opina puis répéta plusieurs fois les phrases que Rose venait d'improviser.
- Et ! s'exclama Rose en levant un index. Comme tu es un être exceptionnel, tu vas tout de suite savoir comment ta tirade est accueillie.
- Non.
- Et pourquoi pas ?
- Je ne veux pas entrer dans son esprit !
Elle eut l'air sincèrement surprise.
- Mais non, mais… tu peux juste ressentir ses émotions non ? Comme avec moi ?
Il secoua la tête.
- Je te l'ai dit, toi c'est spécial. Peut-être que c'est parce qu'on se connait depuis longtemps… ou parce que tu m'en as explicitement donné l'autorisation, je ne sais pas.
- Tu ne lui en as jamais parlé ? murmura Rose. Je croyais…
- Jamais, confirma-t-il sur le même ton. Personne sauf toi et mes parents.
Elle le regarda longuement, laissant ses sentiments déborder de son esprit pour essayer d'atteindre celui de Derek. Il la prit dans ses bras rapidement.
- Moi aussi je t'aime, mon chat.
- Va voir ton amoureux maintenant. Il n'y a pas de raison pour que je sois la seule à ressentir la fougue masculine ce soir, conclut-elle avec un sourire espiègle.
Il éclata de rire et la relâcha.
- Tu es complètement dépravée.
Elle rit en se levant, il l'imita et lui embrassa la joue avant de rejoindre la chambre des garçons.
Derek se glissa dans la pièce et se dirigea vers le lit de Terry. Il hésita un instant devant les rideaux tirés. Et s'il dormait ? Il n'allait pas le réveiller pour ça quand même. Il esquissa un pas en arrière.
- Décide-toi, marmonna une voix ensommeillée, mais ne reste pas planté là.
Le grand blond déglutit et écarta doucement les rideaux. Terry se redressa et étouffa un bâillement puis il tapota le bord du matelas pour l'inciter à s'asseoir. Il essaya de demander subtilement où était passé son petit ami à cette heure avancée de la nuit alors que Derek s'installait et refermait les rideaux.
- Tu n'arrives pas à dormir ?
- Rose, répondit simplement Derek.
- Elle est venue te chercher ? s'étonna Terry.
- Non, non…
Mais il n'élabora pas plus, décidant que ce serait pour une autre fois. De toute façon, les autres avaient l'habitude de leur connexion un peu spéciale.
S'ils savaient, sourit Derek avant de reporter son attention sur Terry qui l'observait silencieusement.
- Désolé, je ne voulais pas te réveiller.
- Je ne dors jamais vraiment tant que tu n'es pas là, lui apprit-il en haussant les épaules.
Cette information était nouvelle pour Derek et il eut une mimique de surprise.
- Je savais pas…
- Peut-être parce que je ne te l'ai jamais dit, expliqua Terry avec un sourire plein d'humour.
- Écoute, je dois te dire un truc, se lança subitement Derek.
Il essaya de garder ses yeux dans ceux de Terry, qui attendait, calme en apparence, mais Derek ne put y manquer l'étincelle de panique. Ou peut-être qu'il commençait à se ramollir et à se laisser aller à capter les émotions de son petit ami alors qu'il n'en avait pas l'autorisation. Il inspira, se forçant à se concentrer.
- Terry, j'adore dormir avec toi, commença-t-il, répétant ce qu'il avait préparé avec Rose.
- Moi aussi, chuchota le brun avec un petit sourire.
Derek baissa un peu plus la voix.
- Et j'ai très envie de toi.
Les yeux de Terry ne le lâchaient pas.
- Mais, je sais que tu n'es pas prêt à aller plus loin, et je ne veux pas être insistant, ou te faire peur ou quoi… C'est pour ça que je préfère dormir plus souvent seul en ce moment. Je ne veux pas te mettre la pression avec mon désir, acheva-t-il en un souffle, incertain de l'accueil de sa petite tirade.
- Oh, Derek, murmura Terry.
Il se redressa et repoussa ses couvertures avant de se lover contre lui et de poser ses lèvres contre les siennes. Derek l'enlaça automatiquement et répondit au baiser, soulagé.
- Tu m'en veux pas ? voulut-il s'assurer malgré tout.
- Pas du tout, fit Terry avec un sourire. Embrasse-moi maintenant.
Trop heureux de répondre à cette demande, Derek reprit sa bouche et mordilla ses lèvres avant de sentir la langue de Terry venir rencontrer la sienne. Sans s'éloigner de sa bouche, Terry attrapa le bas du t-shirt de Derek et le fit passer par-dessus sa tête, le laissant tomber hors du lit. Il fit ensuite subir le même sort à son propre haut de pyjama. Il posa ses mains sur le torse de Derek, écartant les doigts. Son petit ami rompit leur baiser et s'éloigna un peu. Terry fronça les sourcils et comprit.
- Quelle tristesse, murmura-t-il, que ton premier réflexe quand je te touche soit de t'éloigner… parce que tu as tant l'habitude que je te repousse…
Il regarda Derek qui ne savait pas quoi dire. Peu lui importait que Terry le repousse tant qu'il n'était pas prêt. Il était d'une nature patiente avec ceux qu'il aimait.
- Ne bouge pas, fit Terry.
Et il replaça ses mains sur la peau de Derek, laissant ses doigts caresser ses muscles. Derek le regardait faire, la bouche entrouverte, les yeux voilés par le désir. Il se forçait à ne surtout pas bouger. Ce soir, c'était Terry qui menait.
Ce dernier réduisit la distance entre eux et posa brièvement ses lèvres sur celles de Derek, mais ne s'y arrêta pas. Elles descendirent sur sa mâchoire, se posèrent plusieurs fois dans son cou. Puis sa clavicule, et sa poitrine aux muscles contractés. Derek ressentait tout, les mains de Terry posées contre ses hanches, et sa bouche sur sa peau, qui l'embrassait, partout, brulante. Un grondement bas lui échappa alors que les lèvres touchaient son ventre et que Terry avait glissé ses doigts juste sous la ceinture élastique de son pantalon.
Le visage du brun remonta vers lui et leurs regards s'accrochèrent.
- Touche-moi, susurra Terry.
Derek ne se fit pas prier et posa ses grandes mains sur ses bras, caressa, toucha chaque centimètre carré de peau dénudée. Après s'être assuré d'un regard que tout allait bien, il fit basculer Terry dos au matelas, et son visage descendit pour poser à son tour des baisers passionnés, après avoir mordillé le cou de Terry qui soupirait, ravi. Il ne résista pas et pointa sa langue sous son nombril, la faisant glisser vers le bas. Il atteignait le pantalon quand il entendit un gémissement qui faillit lui faire perdre la tête. Il se demanda s'il n'avait pas abimé les draps à force de les serrer dans ses poings pour tenter de garder pied avec la réalité. Sa langue se retira de la peau chaude et il embrassa là où il était.
Deux mains vinrent attraper son visage et le forcèrent à remonter. Terry l'embrassa avec ferveur, laissant Derek se positionner délicatement au-dessus de lui. Il adorait quand ils se mettaient comme ça, mais ne lui avait jamais dit.
- J'adore, souffla-t-il enfin, quand tu es là, au-dessus de moi.
Un grognement échappa à Derek et il osa poser doucement son bassin et son ventre contre ceux de Terry. Il attendit un instant, appuyé sur les avant-bras, prêt à reculer instantanément. Les yeux gris s'écarquillèrent et Terry expira de façon saccadée. Derek allait se redresser quand une main pressa le bas de son dos.
- Reste.
Ils s'embrassèrent encore, leurs mains caressant le corps de l'autre. Derek essayait comme il le pouvait de ne pas bouger le bas de son corps, mais quelques à-coups de bassin échappèrent à son contrôle. Il se mordit la lèvre, s'en voulant immédiatement malgré le plaisir qu'il ressentait. Il voulut s'excuser mais un mouvement sous lui coupa toute idée de discussion. Terry venait de faire le même geste du bassin et Derek inspira lentement, le regardant droit dans les yeux. Un demi-sourire se forma sur ses lèvres en voyant Terry, les yeux pleins de désir, les lèvres gonflées et entrouvertes, les joues rougies. Il fondit sur sa bouche et l'embrassa longuement, laissant ses hanches bouger régulièrement, en délicatesse contre celles de son petit ami.
- Derek, gémit à voix très basse Terry.
Entendre son prénom sur ce ton-là lui tourna la tête. Ce fut pire lorsqu'il sentit une main se faufiler sous son pantalon. Il fixa Terry et attendit, soudainement immobile. Son petit ami n'osait pas le regarder. Derek serra les poings lorsque les doigts de Terry l'effleurèrent, par-dessus son caleçon. Sa respiration n'était plus régulière et il ferma les yeux. La main la caressait lentement, et bientôt elle s'aventura sous la dernière couche de tissu. Derek était brulant de désir, très concentré, mais il parvint quand même à articuler :
- T'es pas… obligé…
- J'ai envie.
Il hocha la tête, incapable de parler plus longtemps. Terry s'enhardit et récupéra sa main, puis repoussa les derniers vêtements de Derek pour le mettre à nu. Le blond l'aida et resta dans la même position, au-dessus de Terry, sur les avant-bras pour ne pas l'écraser.
Aussitôt, la main revint sur lui et le caressa plus fermement, prenant le temps d'explorer. Derek se mordait furieusement la lèvre, les yeux fermés et Terry sourit. Il était intimidé mais très excité et jamais il n'avait ressenti autant d'amour pour lui qu'en le voyant comme ça. Il referma ses doigts autour du membre dur de son petit ami et imprima quelques mouvements de va-et-vient, arrachant un gémissement à Derek qui entrouvrit les paupières pour le regarder.
Le blond avait du mal à penser correctement, noyé dans le plaisir et le désir. Il savait qu'il avait envie de faire la même chose à Terry, mais n'osait pas encore, de peur de l'effaroucher. Et il savait aussi qu'il n'allait pas tenir longtemps, son plaisir intense exacerbé par les yeux remplis de désir qui se posaient sur lui, et celui qu'il ressentait en son petit ami, en dépit de ses promesses de ne pas capter les émotions des autres. Là, c'était trop compliqué de se contrôler.
- Terry…
Un nouveau gémissement sortit de sa gorge. Les mouvements se firent plus forts, plus passionnés. Derek cambra les hanches plusieurs fois d'affilée et ses yeux noirs ne quittaient pas le visage du brun.
- Terry, répéta-t-il vaillamment. Je vais… bientôt…
- Vas-y, l'encouragea-t-il, la voix basse, tendue par l'excitation.
Ses gestes ne faiblirent pas un instant et il observait le visage de Derek, tendu de plaisir, au bord de la jouissance.
Derek explosa après un dernier grondement, ses paupières papillonnant par réflexe. Il garda les yeux suffisamment ouverts pour voir Terry pendant qu'il jouissait.
Ses muscles furent parcourus d'un tremblement. Il était pantelant et mangeait Terry des yeux. Son petit ami lui fit un sourire, ne revenant toujours pas d'avoir enfin touché Derek comme ça. Il baissa le regard sur son ventre, là où le liquide s'étalait.
- Pardon, chuchota précipitamment Derek.
Il tendit un bras hors du lit et revint avec un mouchoir, s'appliqua à nettoyer son petit ami. Il se racla la gorge.
- C'était… incroyable, résuma le blond avant d'imprimer un baiser sur la bouche de Terry qui souriait.
Terry gigota sous lui.
- À toi ! s'exclama tout bas Derek.
Il attendit toutefois une confirmation de sa part, puis baissa en même temps son caleçon et son pantalon, tout en embrassant son torse et son ventre. Il l'embrassa juste là, à l'orée des poils et Terry plaqua sa main sur sa bouche pour ne pas crier. Les doigts de Derek remontèrent le long de ses cuisses, en caressèrent l'intérieur. Il se laissa toucher, les hanches décollant périodiquement du matelas.
Derek résista à l'envie de le prendre dans sa bouche, mais ne put s'empêcher d'embrasser rapidement le bout si doux. Terry ne put contenir un gémissement avant que la langue ne remonte le long de son torse et que les doigts s'enroulent autour de son érection. Derek l'embrassa dans le cou et pressa son corps contre celui de Terry, se laissant suffisamment d'espace pour bouger sa main le long de son membre. La main de son petit ami s'agrippa soudainement à son bras, l'autre était serré sur la couverture. Derek sentit les ongles s'enfoncer dans sa peau et comprit qu'il ne devait surtout pas s'arrêter. Il buvait chaque expression de Terry et n'était plus trop en mesure de contrôler son esprit, qui interceptait les émotions du brun dans un joyeux fouillis. Un gémissement résonna aux oreilles de Derek et un susurrement lui parvint :
- Continue… je vais jouir…
Il ne faiblit pas le rythme et bientôt, le corps de Terry se tendait et il sentit son érection pulser entre ses doigts. Derek ralentit progressivement puis relâcha la pression. Il n'avait pas quitté son petit ami du regard et Terry vit en premier deux yeux noirs qui le guettait, puis un sourire en coin satisfait. Il attira le visage vers lui et l'embrassa éperdument. Derek soupira contre lui entre deux baisers. Puis il s'écarta un peu, le temps de passer un mouchoir sur le ventre de Terry une nouvelle fois. Il s'allongea contre lui, et rabattit les couvertures sur leurs corps nus alors que le brun frissonnait un peu. Il l'embrassa encore et le regarda sourire avec douceur.
- J'ai adoré, murmura Terry.
- Moi aussi. Ça valait le coup d'attendre !
Terry leva les yeux au ciel et eut un rire discret.
- Merci, ajouta Derek.
- Merci ?
- De m'avoir fait confiance.
- Alors, merci d'avoir attendu.
- C'est normal, murmura Derek.
Terry le regarda avec amour et ils s'embrassèrent, se laissant aller contre l'oreiller, soudainement épuisés.
Lorsque Terry ouvrit les yeux le lendemain, il était seul dans le lit. Il soupira, se demandant un instant s'il n'avait pas complètement rêvé la scène de cette nuit. Puis il sourit en s'étirant, repensant à leur plaisir, à cette connexion si forte entre eux. Son sourire s'effaça alors qu'il essayait de comprendre pourquoi Derek n'était plus là.
Il entendit la porte de la salle de bain s'ouvrir et des pas s'approcher. Une main écarta les rideaux du lit et un visage apparut.
- Tu es réveillé, fit Derek.
Il s'assit au bord du lit et l'embrassa, passant sa main dans ses cheveux.
- Tu t'es levé il y a longtemps ?
- Un peu, avoua le blond. Je suis allé courir autour du lac et j'ai pris une douche.
- Quelle heure il est ?
- Presque neuf heures.
Terry se redressa complètement et eut un air amusé.
- Et tu as fait tout ça sans manger ?!
- Je suis pas fou. J'ai fait un crochet par la Grande Salle avant de sortir.
- Me voilà rassuré, se moqua le brun.
Derek lui sourit et caressa son visage du bout des doigts.
- Je dirais pas non à un deuxième petit-déjeuner, soupira-t-il en touchant son estomac.
- C'est marrant, je m'en doutais un peu… Allez, laisse-moi me préparer et on descend. J'imagine qu'il y en a une qui va bientôt débouler parce qu'elle est en train de mourir de faim aussi.
Son petit ami rit devant la justesse de son propos et retourna vers son lit, rangeant des affaires pendant que Terry filait sous la douche.
Il avait bien sûr vu juste, et une fille à l'air grognon patientait debout au milieu de la chambre quand il quitta la salle de bains. Terry leva les yeux au ciel et glissa son bras sous celui de Rose pour l'entrainer dans la Salle Commune.
- On y va, on y va…
Ravie, Rose l'entraina plus rapidement, Derek sur leurs talons.
Leur samedi fut studieux et ils eurent une séance avec l'A.D. le soir, pendant l'heure du diner. Ils rentrèrent relativement tard, fatigués comme toujours mais contents de leurs performances. Ils partirent se coucher presque immédiatement, vaincus par leur entrainement.
Dimanche matin, Rose et Blaise se retrouvèrent à la Bibliothèque. Ils avaient tous les deux besoin d'avancer leurs devoirs. Il lui confia qu'il était ravi de ne plus avoir à se cacher s'il voulait lui tenir la main en public. Elle lui sourit et pressa ses doigts avec tendresse. Ils ne firent pas étalage de « démonstrations publiques d'affection », même si Rose sentait régulièrement la main de Blaise caresser sa cuisse par-dessus son jean noir. Ils s'embrassèrent dans le couloir avant de se séparer, « sans se planquer derrière une statue et ça c'est formidable », commenta Blaise.
En début d'après-midi, Derek tentait de la persuader de sortir avec lui, sous les regards amusés des autres.
- Allez, viens !
- Non.
- Mais si, continua-t-il. Je vais courir et tu viens !
- Hors de question que je galope dans le parc du château.
- Mais t'as pas besoin de courir ! Tu prends juste l'air !
Elle ronchonna.
- Tu peux même prendre un livre, tu t'installes au soleil et tu t'adonnes à l'activité préférée des Sangs-Purs !
- C'est-à-dire ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.
- La glandouille ! fit Derek sous les rires des autres.
Elle croisa les bras et tenta vainement de réprimer un sourire.
- Pas drôle.
- Allez ma Rosinette !
Elle leva les yeux au ciel et abdiqua.
- Très bien, très bien… laisse-moi prendre ma cape et mon livre pour glandouiller alors.
- Trop bien !
Elle regarda leurs amis, au cas où quelqu'un veuille bien se dévouer aussi. Anthony marmonna quelque chose à propos des Potions, Mandy et Padma avaient disparu derrière leurs magazines, Terry regardait ailleurs… Seul Michael se leva, mais il annonça qu'il allait se joindre à Derek pour « se dérouiller les muscles ». Elle jeta un œil à Lisa qui se pencha et lui murmura :
- Pas possible, j'ai promis d'aider Anthony, pour euh, les Potions.
Rose haussa un sourcil, amusée. Anthony était bien plus doué dans cette matière qu'elle et n'avait certainement pas besoin d'aide. Elle avait remarqué qu'à chaque fois qu'ils allaient « étudier pour les Potions », ils disparaissaient plusieurs heures et revenaient toujours les yeux brillants et le rouge aux joues.
- Amuse-toi bien avec les « Potions », ironisa Rose avec humour avant d'aller chercher ses affaires.
Elle suivit Derek et Michael de mauvaise grâce. Ils la laissèrent devant le lac, près d'un banc au soleil.
- Tu comptes les tours ! lança Derek joyeusement avant de s'élancer avec Michael.
- Ben voyons, marmonna-t-elle en ouvrant son roman là où elle l'avait laissé.
Elle profita du soleil sur son visage et finit par enlever sa cape tellement la température était clémente. Elle relevait le nez malgré elle à chaque fois que Derek passait en courant devant son banc. Elle nota avec amusement que plus les tours défilaient, plus Michael semblait distancé par le grand blond. L'énergie inébranlable de Derek allait bientôt avoir raison de leur ami, qui était de plus en plus rouge et essoufflé. Quand ils apparurent devant Rose pour ce qui lui sembla être la vingtième fois – mais elle n'était pas sûre d'avoir compté tous leurs passages – Derek ralentit le rythme et se laissa rattraper par Michael.
- Allez, c'est le dernier tour ! annonça-t-il, toujours motivé.
- Ça fait six fois que tu me dis ça, rétorqua un Michael épuisé.
Rose ne put s'empêcher de rire et les regarda repartir après que Derek eut administré une grande tape dans le dos de Michael qui avait failli s'écrouler. Trop distraite par leurs cris, Rose posa son livre et les suivit du regard aussi loin qu'elle le put. Elle aussi avait envie de se dégourdir les jambes car elle commençait à avoir mal aux fesses sur le banc en pierre. Une idée lui traversa l'esprit et elle sourit malicieusement, se dirigeant rapidement du côté du lac où ses amis allaient bientôt arriver. Elle avisa quelques taillis au bord de l'eau et après avoir vérifié qu'il n'y avait personne alentour, se transforma en panthère et se dissimula dans la végétation. Elle attendit patiemment d'entendre leurs pas se rapprocher d'elle.
Dès qu'elle les jugea suffisamment proches, la panthère bondit sur eux, la gueule grande ouverte, poussant un petit rugissement joueur. Elle entendit un cri de stupéfaction et vit Michael trébucher et s'étaler de tout son long à côté de Derek, qui s'était arrêté net en voyant l'animal débouler devant lui. Le grand blond éclata de son rire sonore alors que Michael se relevait en bougonnant.
- Non mais tu en as souvent des idées comme ça toi ?! dit-il en s'époussetant les genoux.
Amusé, l'animal se contenta de ronronner en se frottant aux jambes de Derek.
- Tu n'es pas blessé ? demanda ce dernier à Michael.
- Mais non, rétorqua-t-il aussitôt, adressant finalement un sourire au félin qui le regardait avec ce qu'il interpréta comme de l'inquiétude.
Il tendit la main et gratouilla la tête qui s'y présenta.
- L'avantage, c'est que Derek a arrêté de courir, conclut-il avec bonheur.
L'intéressé allait répliquer quelque chose mais il s'interrompit en regardant derrière lui.
- Quelqu'un ! s'exclama-t-il et, attrapant la panthère, la fourra sans délicatesse dans un buisson.
Elle n'eut pas le temps de protester ni d'essayer de se retransformer qu'elle avait déjà la tête dans les feuilles et enroulait sa queue autour de ses pattes. Elle put écouter sans être vue, et Michael parla le premier, chuchotant pour eux trois.
- C'est bon, pas de panique. Ce n'est que William.
Elle ne manqua pas le grognement de Derek. Elle vit les jambes de ses amis s'éloigner un peu du fourré où elle était dissimulée, ce qui lui permit de mieux voir la scène. Elle ne bougea pas, au cas où il soit accompagné de quelqu'un qui n'était pas au courant pour sa situation.
- Salut ! lança une voix enjouée qu'elle aurait reconnue entre mille.
- Salut William, répondit Michael aussitôt.
- Jogging du dimanche ? demanda le sixième année avec un sourire dans la voix.
- On vient de terminer et on allait rentrer au château, lui apprit Derek.
La panthère sentit la tension dans la voix de son meilleur ami et remua les moustaches, amusée. Elle commença à se lever car elle n'avait visiblement aucune raison de se cacher.
- Et toi ? demanda alors Michael.
- Ah, euh, je… hésita-t-il. J'attends quelqu'un.
Les pupilles de l'animal se dilatèrent et elle se rassit convenablement, abandonnant son idée de sortir du buisson et de retrouver sa forme humaine. Elle sentit avant de la voir qu'une quatrième personne arrivait vers eux.
- William ! appela une voix féminine inconnue.
Bientôt elle fut toute proche.
- Oh, salut Michael.
- Salut, Megan, marmonna-t-il.
Sa queue fouetta dans les buissons et ses griffes s'enfoncèrent dans la terre, mais la panthère resta immobile.
- Bon, on va rentrer… tenta Michael, visiblement mal à l'aise.
Derek hésita, ne voulant pas laisser son amie derrière eux. Le félin se concentra, espérant qu'ils partent devant. Ce serait étrange qu'ils restent dans les parages alors qu'ils venaient de dire qu'ils avaient fini leur séance de sport. Il pourrait toujours les rejoindre plus tard.
À son soulagement, il les vit faire quelques pas, en direction du château. Avant qu'ils ne se saluent, Megan s'adressa au sixième année.
- William, on va là ? demanda-t-elle, pointant quelque chose du doigt.
Elle s'était décalée et son visage apparaissait à la panthère, qui, si elle avait été sous sa forme humaine, aurait eu la moue la plus méprisante de sa vie.
- Bien sûr, confirma l'intéressé en la suivant. À plus les gars !
Les cinquièmes saluèrent à leur tour et partirent lentement, essayant de marcher le plus naturellement du monde. Derek se retourna vers le buisson et pointa rapidement du menton un lieu très, très proche. La panthère tourna la tête et vit avec horreur que William et Megan venaient de s'installer au soleil sur un banc presque à côté d'elle.
Il lui serait impossible de sortir de là sans être vue.
