Dans une tente du camp militaire, les chefs de guerre du royaume de Logres et les chevaliers de Kaamelott se penchaient sur une carte posée sur une grande table en bois. Entouré de Loth et de Calogrenant, Arthur expliquait à l'assemblée la stratégie à suivre. Calogrenant avait les sourcils froncés et transpirait abondamment. Loth arborait un air sombre.
Il était capital que le plan de bataille soit suivi à la lettre pour éviter les pertes humaines et matérielles. Cela faisait donc plusieurs minutes qu'Arthur tentait d'adapter ses explications à la « diversité intellectuelle » de son public. Lorsque Perceval et Karadoc demandèrent pour la cinquième fois pourquoi « on devait taper les types qui allaient débarquer de la mer », les chevaliers et seigneurs plus affûtés commencèrent à pousser des soupirs d'exaspération.
Les hommes à l'extérieur étaient de plus en plus nerveux. Calogrenant et Loth, les deux rois dont les territoires étaient les plus menacés, étaient particulièrement sur les nerfs : ils jouaient en cet instant l'avenir de leur peuple. Arthur sentait qu'il devait couper court :
« Seigneurs Perceval et Karadoc, vous vous mettrez derrière la ligne des archers et vous surveillerez que personne ne nous attaque à revers. La réunion est terminée. »
Une vague de soulagement traversa l'auditoire. Tous les hommes quittèrent progressivement la tente pour rejoindre leur position sur le champ de bataille.
Arthur fit un geste à Galessin pour lui demander de s'entretenir avec lui en privé. Le Duc d'Orcanie jeta un coup d'œil inquiet vers la sortie. Il attendit d'être seul avec le roi pour prendre la parole.
« Sire ? » demanda Galessin à voix basse.
« Qu'est-ce qui lui arrive à Loth ? Je ne l'ai jamais vu aussi sombre. On dirait qu'il a mangé une tarte de ma belle-mère… et je vous assure que c'est pas le pied. Il a des raisons de penser que notre plan n'est pas le bon ? »
Arthur savait que Loth disposait d'un réseau d'espions particulièrement performant. Il se méfiait de ce que le roi orcanien pouvait savoir et lui cacher. Galessin eut l'air surpris.
« Non ! Pas du tout ! Ce n'est pas ça… Il… » commença-t-il. Galessin baissa les yeux et commença à se tortiller les mains. Il songea qu'il en avait déjà trop dit.
« Pour tout vous avouer, Monseigneur, cela ne va vraiment pas fort entre lui et votre sœur et… »
« Demi-sœur » l'interrompit Arthur d'une voix sèche.
« Pardon. Demi-sœur. Elle lui a dit pas mal d'horreurs lorsque nous avons dû nous presser pour retourner en Orcanie. En ma présence et en la présence de Gauvain », expliqua Galessin.
« Je croyais que Loth avait le cuir dur et qu'il était plus ou moins habitué à ce traitement… Anna a été encore plus rude que d'habitude ? »
« En Orcanie, on a un proverbe : ''La plus solide des murailles cède toujours face aux assauts du vent et de la mer'' » répondit Galessin en haussant les épaules.
Arthur prit quelques secondes pour réfléchir avant de répondre.
« Concentrons-nous sur ce qui nous occupe à présent. Allons casser du pillard scandinave ! Je tâcherai de m'entretenir avec Loth après la bataille. »
Galessin hocha la tête avant de sortir de la tente en compagnie d'Arthur.
Arthur faisait le bilan de la bataille qui s'était déroulée au mieux : l'armée de Kaamelott avait essuyé peu de pertes et de dégâts, les envahisseurs avaient reçu une belle raclée et n'étaient pas près de revenir. C'était une belle réussite.
Les Orcaniens et les Calédoniens, désireux de protéger leur pays respectif, avaient fait preuve d'une combativité et d'une rage peu communes. Les équipements de Léodagan (et notamment ses tours de guet bien aimées) avaient permis de couler quelques navires à distance. Après avoir remercié ses différents chevaliers, rassuré Bohort (qui n'était décidément pas fait pour le champ de bataille) et félicité Calogrenant pour l'opiniâtreté de ses troupes, Arthur se dirigeait vers la partie orcanienne du camp militaire.
Il y félicita son neveu Gauvain pour son courage. Le jeune homme avait en effet fait fuir plusieurs soldats ennemis en hurlant (de peur ? de rage ?). Arthur jugea que c'était un exploit qui méritait d'être souligné. Le jeune homme avait les joues roses de satisfaction.
« Je dois m'entretenir avec votre père. Vous savez où il est ? » lui demanda Arthur.
« Il est avec notre médecin, là-bas. » répondit le jeune homme en montrant une tente située à une dizaine de mètres.
Arthur pénétra dans la tente en question et trouva Loth, le bras gauche découvert, en train d'être soigné par un homme entre deux âges. Il avait l'air absent et abattu. En constatant la présence d'Arthur, il sortit de sa torpeur et plaqua un sourire un peu forcé sur son visage.
« Une flèche perdue. Une simple éraflure… », déclara-t-il d'un ton presque désolé.
En effet, la blessure semblait peu impressionnante. Le médecin avait badigeonné la plaie d'une mixture jaunâtre et préparait un bandage à appliquer sur le bras du roi d'Orcanie.
Arthur ne savait pas trop comment aborder les choses. Il décida de jouer franc-jeu.
« Galessin m'a dit que cela n'allait pas fort entre vous et Anna… »
Loth se renfrogna aussitôt. Il était visiblement mécontent d'entendre que son vassal avait « bavé » auprès de son suzerain.
« Ne soyez pas trop dur avec lui. Il s'inquiète vraiment pour vous », ajouta Arthur.
« Que voulez-vous que je vous dise ? » répondit Loth d'un ton sec.
« Je sais que ma demi-sœur est une ignoble connasse… » (Loth ne put s'empêcher de souffler du nez) « … mais si je peux faire quelque chose pour vous rendre la vie plus douce à vous deux, pensez-y ! »
« Comment ça ? » répondit Loth. Il semblait décontenancé.
« Bah… je suis roi de droit divin. Je fais ce que je veux, non ? Réfléchissez-y ! » dit Arthur en lui adressant un clin d'œil et en tapotant sa tempe de son index droit. « Au fait, vous vous êtes bien battu. Je vous souhaite un bon retour en Orcanie ! »
Arthur quitta la tente. Loth était songeur.
Les troupes orcaniennes rentraient dans leur pays et il leur restait une bonne journée et demie de marche devant eux. Malgré la fatigue, la joie prédominait dans les rangs et la discipline militaire se relâchait un peu : on buvait et on grignotait en cachette, on parlait avec ses voisins, on chantait des chansons paillardes, on montrait la jolie hache scandinave pillée sur le corps d'un ennemi malchanceux, etc.
À l'avant des troupes, une première compagnie de troupiers ouvrait la marche. Elle était suivie par la carriole royale à côté de laquelle le roi Loth chevauchait. Loth avait refusé de monter dans la carriole. Galessin supposait qu'il avait besoin d'un moment d'introspection après la bataille et n'avait pas osé questionner son suzerain.
Gauvain avait peur de monter à cheval, c'est pourquoi ils avaient pris la carriole avec eux. Loth trouvait cela ridicule (« Un futur souverain qui ne sait pas monter à cheval ?! C'est une honte ! ») et avait tenté à plusieurs reprises de former son fils aîné. Cependant, Anna en avait décidé autrement et Gauvain s'était engouffré dans cette brèche parentale pour éviter de remonter à cheval. Comme sur de nombreux sujets, cela faisait plusieurs années que Loth avait lâché l'affaire.
Dans la carriole royale, Gauvain racontait avec force détails comment il s'était courageusement battu contre l'ennemi. Galessin accueillait avec bienveillance ses anecdotes (peut-être un peu embellies) : le futur roi était jeune et c'était sa première bataille réellement notable.
Les troupes continuaient à progresser. En plein milieu d'une forêt, Loth leva brusquement le poing gauche : il s'agissait d'un code pour dire d'arrêter le mouvement. En cœur, les sergents orcaniens sommèrent les troupiers de s'arrêter. Galessin ne put s'empêcher d'émettre un « Encore ? » de surprise.
Gauvain et Galessin sortirent la tête de la carriole. Loth avait posé pied à tête, remis les rênes de son cheval au soldat le plus proche. Le roi d'Orcanie regardait l'étendue forestière qui les entourait. Gauvain et Galessin descendirent de la carriole. Le jeune homme avait l'air inquiet.
« Père… qu'y a-t-il ? »
Sans répondre, Loth fit signe à l'un de ses archers de s'approcher, puis s'adressa à l'homme.
« Donnez-moi votre arc, vos flèches et vos rations », lui ordonna-t-il d'un ton sec.
Loth se tourna vers son fils aîné. Il avait les traits tirés et l'air grave.
« Ne venez pas me chercher. En mon absence, votre mère sera régente du royaume d'Orcanie et vous l'assisterez. Prenez soin d'elle. Au fait… tenez ! » dit-il en retirant la bague qu'il portait à son annulaire droit et qui marquait la qualité de souverain orcanien. Il la tendit à son fils.
Gauvain prit la bague sans un mot, assommé par la tournure que prenaient les événements. Son père le serra dans ses bras, fixa d'un air entendu Galessin, puis s'enfonça rapidement dans les bois en laissant en plan son armée, son fils aîné et ses vassaux.
Les soldats se regardaient et chuchotaient entre eux. Gauvain était blanc comme un linge. Galessin serrait les dents. Le convoi reprit son chemin, mais la rumeur enflait.
Quand on lui annonça que son mari, le roi Loth d'Orcanie, s'était enfoncé dans une obscure forêt calédonienne pour une durée indéterminée, équipé simplement d'un paquetage de soldat en lui laissant la régence du royaume, Anna avait laissé tomber son masque de froide indifférence et n'avait pu retenir une expression de stupeur.
« Mais… il a peur en forêt la nuit ! »
Pour cette femme tout en retenue, en froideur et en calcul, c'était un véritable cri du cœur.
