15 octobre
Les accidents ne se produisent pas uniquement par accident (Accidents don't just happen accidentally)
La jeune paysanne était assise devant sa masure, le dos appuyé contre un traversin garni de paille. Il faisait assez frais, mais c'était une fraîcheur revigorante qui lui rosissait les joues et insufflait une énergie nouvelle dans ses poumons. Elle avait un fichu sur la tête, qui la protégeait des vents trop froids, et avait enveloppé son bébé dans une épaisse couverture de laine rouge.
Le petit garçon, qui n'avait que quelques mois, babillait doucement en tendant les mains vers les feuilles jaunes et orange qui dansaient dans le ciel, loin au-dessus du toit de la maison et de la tête de sa mère. Il était adorable, avec ses petits cheveux blonds, que la paysanne savait hérités de son père, et ses yeux verts, qu'il avait reçus d'elle. Et c'était un bébé en bonne santé, robuste et vigoureux, qui l'impressionnait chaque jour par sa combativité et sa curiosité pour toutes les choses de la vie.
« Regarde comme l'automne est beau, Gilles, murmura-t-elle. Je sais que ce n'est pas la saison la plus encourageante car elle annonce le début des rigueurs de l'hiver, mais c'est aussi la période des moissons, des arbres parés de couleurs chaudes et des fêtes des récoltes. »
L'enfant babilla, visiblement enchanté par cette perspective ou bien par la gaieté de sa mère. Attendrie, la paysanne lui toucha doucement le bout du nez.
« Tu es vraiment trop mignon, murmura-t-elle ensuite en le serrant fort contre sa poitrine. »
Dans ce petit corps chaud, doux et délicat logeait véritablement toute sa vie. Tout son cœur était incarné par ces cheveux blonds et ces yeux verts, par cet enfant qu'elle n'avait pas prévu d'avoir… mais qui lui faisait quand même penser de façon aigüe que les accidents ne se produisaient pas uniquement par accident. Oui, elle savait bien que produire un enfant illégitime était source d'opprobre et de difficultés terribles et elle avait fort espéré ne pas tomber enceinte de son amant… Mais, en même temps, elle était si amoureuse de Lord Locksley et elle était si fière de leur union que le fait qu'une petite vie, issue pour moitié de chacun d'entre eux, éclose dans son ventre la comblait d'émotion.
« Allons marcher un peu, décida-t-elle en se levant de son banc. »
La jeune paysanne s'engagea sur le chemin semé de feuilles d'automne et gagna une petite clairière non loin de là, que les villageois du coin connaissaient bien pour venir remplir leurs cruches à la fontaine qui s'y trouvait. Au fond, près du petit bassin d'eau, il y avait une biche qui s'abreuvait et la mère s'accroupit derrière un buisson pour pouvoir l'observer.
Elle y demeura longtemps, son petit garçon dans les bras. Assez vite, il s'assoupit et la jeune mère profita de tout son être de cette petite parenthèse bénie.
Peut-être que son fils était le moyen que Dieu avait trouvé pour donner un sens à sa vie. Tout lui semblait tellement plus beau depuis que Gilles était entré dans son existence, même si la vie était loin d'être facile, pour elle autant que pour lui. Elle savait, également, que les années à venir seraient très dures, que son petit garçon serait méprisé pour ne pas avoir été éduqué par son père, pour ne pas avoir été légitimé par les liens sacrés du mariage, pour ne pas avoir de fortune… Et elle aurait dû s'en vouloir de jouir pleinement de cette naissance qui n'apporterait que souffrance à l'objet de son amour, mais elle ne parvenait tout simplement pas à regretter d'avoir mis Gilles au monde.
Il devait bien y avoir une raison derrière cette naissance et elle voulait croire que Dieu lui avait laissé son enfant parce qu'Il considérait que c'était ainsi qu'elle trouverait l'accomplissement : en étant mère. Egalement, parce qu'Il pensait que Gilles était paré de toutes les vertus qu'il seyait à un honnête homme et qu'il méritait de vivre dans ce monde. Peut-être même qu'Il approuvait l'amour profond qui l'avait unie à Lord Locksley !
En tout cas, le bébé qui dormait contre son sein, c'était son petit trésor. La jeune paysanne croyait ardemment au fait qu'il surmonterait les épreuves et ferait de sa vie quelque chose de très beau.
Et puis, cet enfant ne serait pas seul dans ce monde. Un jour, il retrouverait son grand frère, elle en était sûre.
