16 octobre
« Je te déteste. » « Moi aussi je t'aime. » (« I hate you » - « I love you too »)
Robin, Gilles et tous les autres hors-la-loi étaient rentrés à Sherwood sitôt que la situation, après la mort du Shérif, s'était éclaircie. Robin était toujours un repris de justice aux yeux de la loi. Il n'avait plus ni terres ni autorité sur ses paysans. N'importe qui pourrait le faire arrêter, même si des aristocrates étaient venus de loin pour lui dire qu'ils approuvaient sa fidélité au roi et sa lutte contre Nottingham. Il n'avait rien d'autre à faire, à présent, que retourner dans la forêt, reconstruire le campement détruit et y rester avec ses hommes jusqu'à ce que les choses se soient calmées pour eux.
Leur vie redevint assez vite ce qu'elle était avant. Il y avait juste une donnée qui changeait dans leur quotidien et elle était de taille : Gilles était désormais le frère de Robin.
En conséquence de quoi, il mangeait toujours à côté de lui lors des repas, il passait une bonne partie de ses nuits dans sa cabane et ils se promenaient beaucoup ensemble.
Cette proximité soudaine n'était pas toujours facile, bien sûr.
Ils étaient prédisposés à très bien s'entendre puisque, une fois son ire retombée, Gilles était un jeune homme aimable, espiègle, plein d'humour. Robin l'était aussi et son tempérament insouciant faisait que leur grande différence d'âge n'était pas un problème. L'aîné avait la maturité de son âge et le cadet avait celle des événements vécus. Ils auraient été amis très rapidement, si Robin n'avait pas révélé sa véritable identité et si Gilles ne lui avaient pas tenu autant rancune.
Mais il n'empêchait que les deux hommes n'avaient jamais eu à vivre vraiment avec un frère de toute leur existence et qu'on n'arrêtait pas d'être enfant unique comme ça.
« Robin, tu es encore en train de dormir ? lui reprocha Gilles les premiers jours où il le vit encore au lit à dix heures du matin.
-Quoi ? se défendit son frère. J'ai besoin de reconstituer mes réserves d'énergie. Nous n'avons pas chômé, ces derniers jours.
-Personne n'a chômé et les autres sont déjà en train de cuisiner le repas de ce midi, rétorqua son cadet.
-Même toi ?
-Même moi. J'étais en train de préparer des noisettes pour les faire griller. Viens avec moi.
-Encore cinq minutes, marmonna l'archer en remontant sa couverture – récupérée dans le château du Shérif – sur son visage. »
Au lieu de lui accorder ce petit répit que son frère lui réclamait, Gilles insista tant et si bien que Robin finit par le suivre à contrecœur et s'occuper desdites noisettes avec mauvaise humeur.
Un peu plus tard, par pur esprit de vengeance ou bien parce que la question le préoccupait sincèrement, l'aîné des deux frères demanda à son cadet de rester au camp après avoir reçu près de l'œil une griffure de branche d'arbuste. Ça n'avait pas touché la prunelle, mais c'était rouge, gonflé et il devrait le garder fermé pendant deux ou trois jours.
« Je peux très bien continuer à voler avec un seul œil, protesta le jeune homme en luttant contre la prise de Robin.
-Non, tu restes ici, rétorqua son frère. Je ne veux pas que cette blessure s'aggrave.
-Elle ne s'aggravera pas ! Tu n'as pas à me couver comme ça alors que je ne t'ai rien demandé !
-Je suis ton frère. C'est mon devoir de faire en sorte que tu restes en bonne santé. »
Gilles resta donc, contraint et forcé, et se mit à bouder comme Robin l'avait fait en devant se lever plus tôt le matin même. Sur leur lancée, les deux frères de Locksley passèrent les jours suivants à se chamailler pour des choses futiles, testant, sans en avoir vraiment conscience, les contours et les caractéristiques de leur nouvelle relation.
Au bout d'un moment, rompus par ces enfantillages, les deux hommes se toisèrent longuement.
« Je te déteste, marmonna Robin.
-Moi aussi je t'aime, rétorqua Gilles. »
Cette exclamation n'était pas du tout calculée, elle venait du fond du cœur. L'archer, qui était doux, gentil et attentionné, en fut tout ému.
« Ooh ! souffla-t-il.
-Quoi ? Pourquoi me regardes-tu comme ça ? se défendit Gilles, un peu gêné.
-Tu peux le redire ? demanda Robin avec son grand sourire lumineux si caractéristique.
-Non ! Tu n'avais qu'à pas m'obliger à mâcher ces feuilles pour être en meilleure santé. »
Avant qu'il ait pu s'esquiver, évidemment, son aîné le rattrapa par la taille et le serra contre lui.
« Merci, dit-il en enfouissant son nez contre sa tempe. Je suis heureux que tu me dises ça.
-Y'a pas de quoi, marmonna le jeune voleur sans chercher à se dégager et en posant ses deux mains sur son torse.
-Moi aussi je t'aime.
-Merci. Content que tu ne me tiennes pas rancune pour t'avoir obligé à te lever ce matin. »
Robin rit doucement et lui posa un baiser sur la joue.
« C'est la première fois que tu me dis ça, remarqua-t-il.
-Toi aussi, rétorqua Gilles.
-Ce n'est pas pour autant que je ne le ressentais pas.
-Évidemment, je le sais, répondit son frère en souriant quand il lui lissa les cheveux en arrière. C'est bien pour ça qu'on s'est réconciliés, n'est-ce pas ? »
L'archer ne savait pas exactement s'il faisait référence à leurs chamailleries des derniers jours ou bien à la grosse réconciliation qui avait eu lieu quelques semaines plus tôt et donné naissance à leur lien fraternel. Sans doute les deux. Il s'était toujours senti lié à Gilles, du fait de sa personnalité qui l'avait toujours intrigué. Et Gilles avait toujours su pourquoi ils étaient bel et bien liés tous les deux. Même quand ils se détestaient, ils s'aimaient un peu, un tout petit peu, quelque part.
