17 octobre U.A
Refuge animalier (Animal shelter)
La famille Dubois avait vraiment de drôles d'habitudes. La plus étonnante de toutes n'était pas de mettre une partie de leur fortune au service du confort de leurs paysans, mais bien ce refuge animalier qu'ils avaient fait construire sur l'un des domaines de leurs cousins. Il se trouvait là des faons orphelins, des marcassins sans troupeau, des bébés renards, des chevaux et des chiens blessés. Le principe et l'exécution étaient tout bonnement ahurissants. Personne ne faisait ça ! Les animaux sauvages étaient plutôt faits pour être chassés, pas pour être soignés et dorlotés comme des nouveau-nés.
Mais tels étaient les membres de cette branche cousine du roi. Quand ils étaient petits, Marianne et Pierre se faisaient toujours une joie d'aller jouer dans cette réserve et, ce jour-là, la jeune femme se dit que cet espace pourrait bien être la solution pour redonner un peu le moral à son frère, son mari et leur ami d'enfance Matthew.
Depuis qu'ils étaient rentrés des Croisades, les trois hommes n'allaient pas toujours très bien. Ils faisaient des cauchemars terribles à propos des horreurs qu'ils avaient vécues en Terre Sainte et étaient pris parfois de tétanie à cause d'une impression, d'une odeur ou d'un souvenir qui s'imposaient brusquement à eux. Ils avaient vraiment besoin de côtoyer des choses douces, tendres et innocentes pendant quelques temps, des choses qui les feraient se sentir bien, relaxés et en sécurité. Marianne avait dans l'idée que des bébés animaux tout innocents et tout duveteux feraient bien l'affaire. Comment être angoissé lorsqu'on était submergé de chiots et de bébés lapins ?
La comtesse soumit son idée à son beau-frère un matin qu'il avait particulièrement mal dormi à cause des angoisses de Robin. Ils étaient tous les deux étendus dans son lit et l'archer sommeillait enfin après une nuit très agitée. Les draps étaient complètement défaits et Gilles fixait le plafond de sa chambre d'un air vide, les cheveux encore plus décoiffés que d'habitude.
« Je trouve que c'est une très bonne idée, répondit-il en jetant un coup d'œil à son frère, avachi la tête sur sa poitrine. Moi, je n'aime pas les chiens et les chevaux, mais je sais bien que la plupart des nobles les trouvent beaux. »
Il lança un regard goguenard à sa belle-sœur et essaya de s'enfoncer un peu dans son matelas pour se rendormir.
Marianne se chargea donc de conduire les trois hommes jusqu'au refuge sans leur dire exactement ce qu'elle comptait leur y faire faire. Après quoi, elle s'en alla en les prévenant que les domestiques qui s'occupaient des pensionnaires allaient les rejoindre sous peu pour leur expliquer ce qu'ils faisaient là.
« Qu'est-ce qu'on est censés accomplir ici exactement ? finit par demander Robin en se tournant vers Pierre, un air suspicieux sur le visage.
-Comment le saurais-je ? se défendit son ami d'enfance. C'est toi son mari.
-Mais c'est toi son frère ! Mes idées les plus saugrenues, je les confie toujours à Gilles.
-Les plus saugrenues ? Elles sont toujours saugrenues, le taquina Pierre en lui donnant un petit coup dans le bras.
-J'ai l'impression qu'on s'est fait avoir, soupira Matthew en rentrant le nez dans le col de sa cape. »
Les trois amis se blottirent les uns contre les autres, presque instinctivement. Aux fureurs des combats traumatisants et sanglants de la Terre Sainte s'étaient succédé cinq ans de prison puis une évasion durant laquelle Robin avait dû abandonner Matthew et qui avait failli tuer Pierre. Il avait été tellement reconnaissant et soulagé que ses amis rentrent au pays huit mois plus tard, grâce à la rançon que leurs familles respectives avaient enfin réussi à faire parvenir au potentat concerné… Le besoin qu'ils avaient parfois de se serrer dans les bras, tous les trois, en était encore plus irrépressible.
Les gérants du refuge arrivèrent alors et informèrent leur maître de ce que sa sœur avait préparé pour eux.
« Des chiots ? répéta Robin, complètement interloqué. Mais qu'est-ce que c'est que cette idée saugrenue ?
-Eh bien moi, ça me va très bien, décréta Matthew à leur grande surprise. On aura beau dire que ce sont là faiblesses de bonne femme, je trouve désormais du réconfort dans ce qui est doux et mignon. Montrez-moi donc ces bébés chiens tout pelucheux et ces petits faons aux yeux de velours !
-Allons, du calme, rit Pierre en lui serrant l'épaule. Ils ne vont pas s'envoler. Et que sommes-nous censés faire, au juste ? demanda-t-il ensuite aux serviteurs. Jouer avec eux ? Leur donner à manger ?
-Tout ce que vous voudrez, Messire, répondit le responsable. Dame Marianne souhaite juste que vous passiez un bon moment relaxant.
-Bon, soupira Robin en jouant le blasé, puisqu'il le faut… »
En fait, il était le premier ravi de l'idée de sa femme. C'était un homme doux et gentil. Plus avec ses proches qu'avec les animaux, car ils comptaient bien davantage pour lui, mais il aimait dans tous les cas prendre soin de ceux qui en avaient besoin. D'autant plus qu'il s'attendrissait vite.
Les trois bébés renards qu'on lui présenta donc, tout petits et nourris au biberon car ils n'avaient plus de mère, faillirent bien lui arracher un soupir d'émotion. Il laissa les petites créatures, pourtant considérées comme fourbes et sournoises, lui grimper dessus et mordiller les lacets de sa chemise, le revers de sa manche ou encore sa ceinture. Leur petite fourrure rousse était toute douce et ils étaient tellement craquants à se rouler sur le dos en agitant leurs petites pattes et à planter leurs petites dents dans la tétine en cuir du biberon… Robin ne put pas résister à l'envie de les soulever dans leurs mains pour leur faire des bisous sur la truffe.
Pendant ce temps, Pierre et Matthew étaient complètement débordés par une portée de chiots tout duveteux qui seraient utilisés plus tard comme chiens de berger. En attendant, ils étaient incroyablement sociaux et joyeux et remuaient la queue en grimpant sur les deux nobles pour leur lécher le visage.
« Oh, ils sont tellement mignons, se laissa aller à soupirer Matthew en serrant l'un des chiots contre lui. Je crois que… je crois que je vais pleurer…
-Oh ! Mais non, voyons, souffla Pierre en se rapprochant de lui malgré les trois petites créatures qui essayaient de lui mordiller les cheveux. »
Il parvint, bon han mal han, à passer un bras autour des épaules de son ami au milieu de la marée de bébés chiens et le serra contre lui. Robin, les trois renardeaux accrochés à lui, vint les rejoindre et se serra contre l'autre flanc de Matthew. Comme les bébés animaux étaient encore petits, ils ne s'imaginèrent pas qu'ils étaient des ennemis naturels et se mirent à chahuter ensemble.
« On dirait nous, vous ne croyez pas ? sourit l'archer en attrapant Pierre et Matthew par le revers de leurs capes pour les attirer contre lui. »
Quand ils rentrèrent dans leurs propriétés respectives à la fin de la journée, Robin, qui traînait derrière, eut la surprise de voir Azeem assis près d'un enclos, qui prenait soin de bébés lapins.
« J'ai besoin de ces moments de sérénité, moi aussi, expliqua-t-il à son Chrétien dans un sourire. Alors, je viens ici de temps en temps pour soigner les animaux.
-Tu devrais te joindre à nous, la prochaine fois, suggéra l'archer. »
Mais Azeem secoua la tête.
« Non, Chrétien, répondit-il. J'ai besoin de me consacrer seul et tranquillement à mon art de temps en temps. Et toi, tu as besoin de passer du temps avec tes amis d'enfance pour vous remémorer des souvenirs et vivre des moments doux et tendres. »
C'était vrai que l'après-midi avec les adorables créatures avait été très concluant. Robin avait l'impression que son cœur était plus léger.
