21 octobre
Bisou de bonne chance (Kiss for good luck)
On avait tendance à raconter dans les belles légendes et les épopées fantastiques à quel point les chevaliers tiraient des forces dans l'amour de leur belle. C'était sa présence, sa confiance, la bénédiction qu'elle apposait à leurs armes qui leur permettaient de triompher des plus grands périls et de vaincre les plus féroces ennemis.
Mais, dans le cas de Lord Locksley, ce n'était pas son épouse qui lui donnait le plus d'inspiration. Bien sûr, il l'aimait profondément, mais le seul véritable trésor de sa vie, c'était leur petit garçon, Robin.
C'était le seul enfant qu'ils avaient eu et le comte aurait tellement voulu en engendrer d'autres. Il n'avait jamais été aussi ému que par ces toutes petites mains, cette petite tête coiffée de cheveux blonds, les yeux clos et les petits gazouillis qui s'échappaient de la bouche de l'enfant que, sitôt sorti du ventre de sa mère, on lui avait mis dans les bras. Il avait su dès cet instant que Robin deviendrait ce qu'il avait de plus cher au monde.
Il gardait un fin tissu crème brodé de trèfles blancs, qui avait servi de doudou à son fils quand il était tout petit, sur lui en permanence quand il se battait. Le linge dépassait à peine de sa ceinture et lui portait chance, il le savait, au même titre que les couleurs de sa femme enroulées autour de sa lance. Mais il n'y avait pas que ça…
« Père ! Père ! s'exclama la voix joyeuse de Robin au seuil du pont-levis. Père ! Ne partez pas sans que je vous aie adressé mes encouragements !
-Évidemment ! Je n'aurais jamais voulu partir sans, répondit le comte en riant.
-Vous êtes déjà tellement bien apprêté ! Et vous êtes très beau !
-Eh bien, je te remercie, Robin. Tu es très mignon aussi, dans cette tunique écarlate. Est-ce que c'est ta mère qui te l'a cousue ?
-Mais je ne veux pas être mignon ! Je veux être vaillant, comme vous ! »
Lord Locksley rit une nouvelle fois. Il prit son petit des bras de la nourrice qui le lui avait apporté et le cala contre lui. Il était bien engoncé dans cette côte de mailles, mais il pouvait sentir contre lui la chaleur de son corps d'enfant et la tendresse de ses petits bras passés autour de lui.
« Père, je suis sûr que vous allez être parfait dans ce tournoi, reprit Robin en s'écartant, ses petites mains posées sur son torse. Mais… Pourquoi est-ce que vous ne voulez pas que je vienne vous encourager ? »
Sa bouche se plissait en une moue boudeuse à chaque fois qu'ils évoquaient cette question. Le père dut se montrer ferme une fois encore :
« Je t'ai déjà dit que tu étais trop petit pour ces jouxtes. Ce sont certes des jeux, mais il y a beaucoup de sang et de violence. Je ne veux pas que tu fasses de cauchemars.
-Mais je n'en ferai pas, protesta Robin. Je suis courageux. Je n'ai presque plus peur des fantômes.
-Je sais, mon trésor, sourit Lord Locksley en lui relevant le menton. Mais ta mère et moi maintenons que ce n'est pas un spectacle pour les petits garçons. »
La nourrice vint reprendre l'enfant des bras de son père tandis que Duncan apportait la monture de Lord Locksley. Les domestiques et les palefreniers étaient prêts, il était temps de partir.
« Dis au revoir à Lord Locksley, Robin, ordonna la nourrice en le rapprochant du comte.
-Au revoir, Père ! Bonne chance, dit le petit garçon en posant un gros bisou sur la joue de son papa.
-Merci, Robin. Tu es vraiment ce que j'ai de plus cher au monde, tu sais, souffla le comte en lui effleurant le visage du doigt. »
Il partit donc à son tournoi avec confiance et détermination. Il ne pouvait pas décevoir son petit garçon. Et il avait à cœur l'honneur de sa maison, comme tous les vrais chevaliers.
