22 octobre
« Tu as entendu ? » (« Have you heard ? »)
Robin trottinait à petites foulées dans la cour du château, selon un parcours complètement aléatoire. Il cherchait une idée, n'importe laquelle, qui lui permettrait de redonner un coup de fouet à Duncan. L'intendant de son père, qui était aussi devenu, par habitude, fidélité et tendresse, une de ses « nounous » la plus assidue, était véritablement déprimé en ce moment. Il s'était cassé le col du fémur lors d'une mauvaise chute et, même s'il s'en remettait assez bien, il doutait désormais de ses capacités. Après tout, disait-il, il devenait vieux et il se blessait beaucoup plus facilement. Peut-être ne serait-il plus capable de veiller sur la famille de Locksley comme avant. Peut-être devrait-il abandonner bientôt son poste !
Évidemment, le maître des lieux l'avait fermement détrompé à plusieurs reprises. Duncan était parfaitement capable de rester à leur service et de remplir ses fonctions et ce, pour plusieurs années encore. Pourquoi devait-il toujours dramatiser quand il était obligé de prendre un peu de repos, bien normal après tout ce qu'il faisait pour leur famille ! Il était à leur service depuis avant même la naissance de Robin.
Le jeune noble l'aimait énormément et le considérait presque comme un membre de sa famille, au même titre que Mary, sa nourrice. Il voulait faire quelque chose pour lui ! Il voulait absolument lui remonter le moral et que Duncan soit de nouveau strict, mais gentil et fier de son travail. Alors, il cherchait une solution. Peut-être y avait-il, dans la grande cour, un problème à régler qui nécessiterait l'attention de Duncan. Une brèche dans l'une des granges qui menacerait leurs réserves d'eau potable, des chevaux nerveux sans que l'on sache pourquoi, une menace rôdant à l'ombre des murs ?
À cette idée, Robin se figea entre les gens qui traversaient la cour pour vaquer à leurs occupations et les bottes de foin frais qui venaient d'être livrées. Oui, une menace rôdant dans l'ombre… ça c'était une bonne idée ! Il pourrait montrer à Duncan à quel point il était encore utile et, surtout, vaillant et courageux ! Ça, ce serait quelque chose de réconfortant. Le jeune noble résolut donc d'attendre la fin de la journée pour mettre son plan à exécution.
« Duncan, viens donc faire un tour dehors avec moi, insista-t-il donc pendant des heures, alors que la nuit commençait à tomber sur le château.
-Jeune maître, tu sais bien que j'ai encore des difficultés à marcher dans cette cour pleine de paille, de boue et de cais…
-Ta jambe va très bien, rétorqua Robin, excédé par ses lamentations irrationnelles. Tu as justement besoin de faire un peu d'efforts physiques pour retrouver la forme !
-Je ne suis quand même pas sûr que ce soit une bonne idée.
-Fais-le, alors, par amour pour moi ! »
Le jeune noble lui adressa son plus beau regard bouleversé et l'intendant fut obligé de céder. Il aimait ce garçon, en effet, et il l'aimait même de tout son cœur. Il ne pouvait pas lui refusa ça, même si son abattement était tel qu'il se serait bien enfoui dans son lit pour y dormir jusqu'à la fin de ses jours.
Duncan accepta donc de mettre son manteau et d'accompagner Robin à l'extérieur. Il faisait sombre malgré la lumière de la lune et les torches qui brûlaient à intervalles réguliers aux fenêtres, mais pas suffisamment pour les empêcher de déambuler agréablement dans la cour. Robin tenait Duncan par le bras mais, de temps en temps, il le lâchait pour aller trottiner devant. Son ami protestait et soutenait qu'il n'avait vraiment pas assez de forces pour avancer tout seul et le jeune noble le grondait en rétorquant qu'il se faisait des idées, qu'il devait arrêter de ressasser son accident et que ce n'était pas la fin du monde, bon sang ! Mais il revenait quand même vers lui pour serrer contre son flanc et avancer à côté de lui.
Cela dura jusqu'à ce que les deux promeneurs arrivent à un point donné sous les remparts, que le jeune noble avait repéré lors de sa sortie de l'après-midi et soigneusement préparé. Le coin était plein de tonneaux, de piles de foin, de silhouettes créées par l'architecture du château et des communs et qui faisaient naître le doute sur leur qualité de monuments. Pour cela, Robin savait que l'illusion qu'il voulait générer serait encore plus convaincante et marcherait sûrement sur Duncan.
Le jeune noble jeta un coup d'œil à l'intendant et lança soudain :
« Tu as entendu ? »
Duncan se figea à son tour et regarda autour de lui.
« Non, je n'ai rien entendu, répondit-il. À quoi est-ce que ce son ressemblait ?
-Je ne sais pas, peut-être des gens, prétendit Robin en faisant semblant de fouiller les alentours du regard. Des mendiants, tu crois ? »
Il tourna son regard bleu vers Duncan. Celui-ci n'avait plus du tout la même expression. Il était désormais tourné vers une mission primordiale : protéger son jeune maître des dangers potentiels qui pouvaient subvenir aux abords de leur demeure. Certes, il n'était plus tout jeune, il avait été blessé… mais veiller sur Robin était la chose la plus importante qu'on lui avait jamais demandée de toute son existence. Jamais il ne pouvait laisser quoi que ce soit lui arriver !
« Reste près de moi, jeune maître, ordonna-t-il donc en se plaçant devant lui. D'où venait le bruit que tu as entendu ?
-Par là-bas, prétendit Robin, enchanté que son plan fonctionne, en lui indiquant le nord. Mais ce n'était peut-être rien, tu sais.
-On n'est jamais trop prudent ! Retourne dans le château, je vais surveiller tes arrières. »
Duncan s'acquitta avec un grand sérieux de sa mission et ne se déconcentra pas du monde autour d'eux une seule seconde, jusqu'à ce qu'il soit sûr que Robin était en sécurité.
« Tu peux te détendre, à présent, déclara-t-il une fois que la porte du logis principal se fut refermée derrière eux, barricadée par les gardes. »
Le jeune noble insista pour qu'il le raccompagne même jusqu'à ses appartements, par jeu.
« Merci beaucoup, Duncan, dit-il en s'asseyant sur son lit. Peu importe ce qui arrive, je sais que je peux toujours compter sur toi et ça me rend vraiment heureux, tu sais.
-C'est à moi de te remercier, jeune maître, répondit l'intendant, ému, quand Robin enroula ses bras autour de son cou pour lui faire un câlin. »
Il l'étreignit à son tour et ils restèrent comme ça quelques instants, pour un moment doux et sincère que Robin savoura vraiment. Il aimait tellement Duncan.
