Chapitre 45

« Éteins ça Rose, soupira Alix dans le couloir rempli de monde à la sortie des cours.

– Oh mais il faut que tu vois ça d'abord ! »

L'image des deux super-héros traversant le ciel de Paris à la poursuite d'un akuma défilait sur l'écran de son téléphone fuchsia. Chat Noir atterit devant Nadjia et le caméraman, avec un sourire en coin suivi d'un jeu de mots au poil.

« … Pour répondre à votre question, très chère Nadjia, il s'agissait simplement d'une petite crise passagère. Vous savez, c'est ça être un couple ! dit-il en faisant un clin d'œil à la caméra.

– Chat Noir, on n'est pas en couple ! pesta Ladybug en arrière-plan en train de ligoter l'akumatisé.

– Vous voyez ! Tout est rentré dans l'ordre, comme avant ! ». Puis il bondit dans les airs pour rejoindre sa partenaire.

– Oh ! Ils sont tellement mignons ! s'extasia Rose.

– C'est ouf. Je m'absente une semaine pour un tournoi de roller en Allemagne, et tout Paris part en sucette.

– Cela aurait pu être très bénéfique. L'absence d'attaque du Papillon sur une période aussi longue indiquait une chance à 81,3% que sa menace ait définitivement pris fin.

– Bah finalement non.

– Mais nos héros ont retrouvé leur cohésion et leur esprit d'équipe ! C'est merveilleux ! »

Cette fois-ci, Alya et Nino ne prirent pas part à la conversation. La jeune journaliste avait bien entendu relayé l'interview sur le Ladyblog, mais elle gardait surtout cette réjouissance personnelle pour elle-même. Et pour sa meilleure amie.

Nino s'étira bruyamment, dans une vaine tentative de chasser l'engourdissement de ses muscles après être resté assis deux heures. Puis il se radossa contre le mur à côté de la porte. Des élèves continuaient de sortir de la classe.

« Comme j'ai la dalle moi ! » s'exclama-t-il.

Alya remit sa casquette en place sur sa tête en souriant, avant de se retourner vers Marinette, concentrée sur le cahier ouvert dans ses mains.

« Eh ! C'est la pause de midi, ce n'est pas le moment de stresser pour l'interro.

– J'ai pas assez révisé hier soir ! s'alarma Marinette sans relever les yeux de ses lignes.

– Allez, je vais prendre les choses en mains ! » proclama triomphalement Alya en faisant claquer le cahier pour le refermer.

Les mèches brunes de sa meilleure amie s'envolèrent dans le courant d'air. Elle soupira.

« Viens, on va allez manger, reprit la rousse amusée.

– Désolée Alya, pas aujourd'hui. »

Au même moment, Adrien sortit de la classe. Il entraperçut Marinette se pencher pour ranger ses cours dans son sac, mais son attention se reporta immédiatement ailleurs.

« T'en a mis du temps !

– Excuse-moi Nino, la prof me faisait le topo sur le devoir à rendre pour la semaine prochaine.

– Mais ce n'serait pas Adrien par hasard ? »

Il se retourna vers l'une de ses camarades qui venait de lui flanquer une tape dans le dos.

– Salut Alix, content de voir que tu es rentrée ! Alors cette compétition ?

– Pas mal. J'ai fini première. Et toi alors ? La dernière fois que je t'ai vu, t'étais obligé de porter une tenue de camouflage parce que t'avais interdiction de sortir.

– Ha ha, c'est vrai que ça ressemblait à ça. Finalement, j'ai pu négocier avec mon père.

– Sérieux ? J'te crois pas.

– Il est allé loin, un peu trop… Et j'ai dû en parler à la police. Et il s'avère que s'il y a une chose que mon père déteste plus qu'un fils qui déserte, c'est les scandales dans les magazines.

– Nan… Tu l'as vraiment menacé d'aller tout raconter à la presse ? Ça m'étonne, t'es pas le genre à aimer pleurnicher sur ton sort, surtout auprès des paparazzis.

– Rassure-toi, l'idée ne m'enchantait pas plus que ça. Malheureusement, on n'a pas trouvée d'autre solution. Et cela s'avère efficace !

– Je vois, je vois. »

Un grognement ventral les interrompit.

« Bon les gars, intervint Nino en passant son bras autour des épaules de son meilleur ami. J'veux pas faire le mec chiant, mais j'ai les crocs ! »

Alix rejoignit Max, Rose et Juleka. Les deux garçons lui emboitèrent le pas. Alya et Marinette se mirent à marcher derrière eux.

Il ne lui lança pas un regard. Il riait avec Nino à propos d'une nouvelle musique en vogue.
Marinette observa le dos de son magnifique camarade en silence, ses épaules être secouées par son rire. Il passa sa main à l'arrière de sa tête, glissant ses doigts dans ses cheveux dorés qui reflétaient le soleil. Elle l'avait vu faire ça des milliers de fois. Les choses avaient donc repris leur cours.

Les mains dans les poches, Alya remarqua la scène et la laissa faire sans rien dire.

Le bruit de la multitude d'élèves qui dévalaient l'escalier se répercuta contre les murs, pareil à un troupeau qui passait par là. Dans le tumulte, Marinette traina le pas.
Ses doigts se faufilèrent parmi les autres, agrippant une manche particulière.

Adrien ralentit, laissant la marée de lycéens se dissiper. Alya le dépassa et rattrapa Nino qui continuait son discours comme si sa copine en avait toujours été l'auditeur.

Le couple était désormais loin devant. Tout le monde était parti manger.
Adrien se retourna, faisant face à Marinette. Elle était à sa hauteur grâce aux quelques marches supplémentaires. Ses yeux se plongèrent dans les siens, il n'y avait plus aucun bruit autour d'eux.

Il s'avança tout doucement, et les deux adolescents s'embrassèrent.
Marinette le sentit sourire contre sa bouche. Elle adorait ça.

Le monde s'arrêta le temps d'un court baiser. Lorsqu'ils s'écartèrent, il vit une joie légère et innocente éclairer le visage de sa partenaire.

« Faut qu'on file, mes parents vont nous attendre pour le repas.

– On devrait… »

Elle descendit les dernières marches en sautillant. Adrien suivit le mouvement.

« Et puis j'aimerais garder un peu de temps pour réviser le contrôle de cet aprem !

– Dommage… chuchota-t-il en lui faisant un baisemain.

– Tu penses que tu vas assurer toi ?

– Tu t'inquiètes pour ma réussite ? demanda-t-il en haussant un sourcil intéressé.

– Pas du tout ! feignit-elle pour plaisanter.

– Tu n'as pas à t'en faire. J'ai la meilleure moyenne qui soit, à faire pâlir les plus grandes écoles !

– Voyez-vous ça… Mais quel vantard !

– Tu sais, tu n'as qu'à mot à dire, et je t'offre autant de cours particuliers que tu le souhaites. Il ne faut pas hésiter à apprendre des meilleurs.

– Figure-toi que je n'en ai absolument pas besoin, je me débrouille très bien toute seule ! dit-elle en s'arrêtant pour lui donner une petite tape sur le nez avec son index.

Il ne put empêcher son sourire narquois de s'étirer davantage et se pencha vers elle.

– Ah oui ? Tu en es sûre ?

Elle jeta un œil autour d'eux pour vérifier qu'ils étaient bien les derniers, puis répondit :

– Certaine. Et je pense même que c'est toi qui va réclamer des cours particuliers.

– Tu crois ça ? » chuchota-t-il d'un ton sensuel et provocateur.

Mais à cet instant, elle lui lança un regard indescriptible, qui témoignait d'une force et d'une détermination impérieuse mêlées à un certain appétit vorace.

« À quoi tu penses ? demanda-t-il intrigué.

– Tu sais très bien à quoi je pense… »

Il s'écarta d'un pas, embarrassé, alors qu'elle se rapprochait dangereusement d'une démarche lascive.

« … À un chaton présomptueux qui s'est introduit hier soir dans ma chambre, et qui a eu droit à son petit moment de plaisir… »

Il heurta le mur du couloir dans son dos.

« … Et qui serait sûrement très content de renouveler l'expérience.

– Tu veux dire… Là ? Main… Maintenant ? »

Son hypnotique regard bleu azur plongé droit dans le sien s'intensifia. Elle s'approcha encore et passa sa langue sur ses lèvres rouges et si désirables pour les humidifier.
Adrien déglutit.

« On fanfaronne moins à ce que je vois… »

Elle se pencha un peu plus près de lui. Elle était si séduisante, Adrien détourna les yeux, ses joues en feu. Elle susurrait chacun de ses mots avec un sourire amusé et enjôleur.

« Tu as l'air perdu ? »

Elle avait l'air sûr d'elle.

« Je… Je n'arrive pas à savoir si tu es sérieuse ou non… » souffla-t-il en manque d'air.

Elle lui sourit sincèrement, avant d'approcher sa bouche à quelques millimètres de la sienne.

« Tu n'as qu'à demander, et je t'offrirai autant de cours particuliers que tu voudras, même ici. »

Elle effleura ses lèvres. Adrien ferma les yeux, sous la décharge électrique qui prit d'assaut son corps, plus particulièrement son cœur et son bas ventre.

« Tu vas me rendre dingue… avoua-t-il dans un murmure.

– Petit joueur, le taquina-t-elle.

– S'il te plait, ne me fais pas ça en plein combat buginette, je vais perdre tous mes moyens.

– C'est promis. »

Ils débouchèrent à l'extérieur du lycée, où Chloé et Sabrina attendaient la limousine de la famille Bourgeois qui, pour la première fois, était en retard.

« Non mais qu'est-ce qu'ils croient !? Que je vais poireauter ici comme une vulgaire potiche ! »

Son regard d'acier se posa sur les deux adolescents, en particulier Marinette.
Ces derniers poursuivirent leur chemin.

Marinette ne put s'empêcher de donner un léger coup d'épaule à Adrien. Il la regarda sans comprendre, avant de fondre devant sa lèvre pincée et son petit regard coupable.
Il jeta un coup d'œil derrière lui. Chloé avait les joues gonflées de colère.

« Tu es diabolique Marinette. Mais si tu veux vraiment la faire enrager, tu devrais plutôt t'y prendre comme ça… »

Il agrippa sa camarade sous son bras, tout contre lui, et lui ébouriffa allégrement ses cheveux bruns tandis qu'elle tentait de se défaire de son emprise, sans succès. Face à cette affectueuse proximité, tous deux entendirent la pimbêche blonde fulminer dans leur dos.
Ils en rigolèrent durant le reste du trajet.


« On est là ! » lança Marinette en passant la porte.

Elle entendit soudain Adrien lâcher son sac par terre. Il la plaqua contre le mur de l'entrée et prit sa bouche d'assaut, de manière plus longue, plus manifeste, plus pressante, plus impérieuse et irrésistible.

« Vous avez une chambre ma parole ! s'offusqua son père qui sortait de la boulangerie.

– Désolé M. Dupain ! s'excusa Adrien en se redressant brusquement, rouge de honte.

– J'ai dit Tom ! »

Marinette pouffa, puis elle s'empara de sa main pour l'entrainer dans les étages. Sa mère venait d'extraire un plat du four quand elle le laissa quelques minutes dans le salon pour aller chercher son livre de maths en prévision de la suite de la journée de cours.

Après avoir fait une bise à Sabine et que celle-ci ait poliment refusé son aide pour quoi que ce soit, le regard d'Adrien se perdit sur ce décor familial et chaleureux qu'il connaissait sur le bout des doigts. Il regarda le canapé, ce même canapé où ils s'étaient retrouvés une semaine plus tôt, l'agent Roger, les parents de Marinette, elle et lui.

Il avait expliqué sa situation, tous l'avaient écouté attentivement, ses doigts fermement entrelacés à ceux de Marinette qui le lui rendait avec la même force. Étrangement, malgré la gravité et le poids des problèmes évoqués, Adrien s'était senti en sécurité dans la chaleur de ce foyer, qui n'avait d'égal que l'austérité et la froideur du sien.
Tom et Sabine, débordant de bonnes intentions et d'idées, avaient appuyé ses propos, certifiant son sérieux et la confiance qu'ils avaient en lui. Et cela avait assurément convaincu le policier.
Avertir Gabriel Agreste, porter plainte, contacter les services de protection de l'enfance, faire surveiller la résidence pour intervenir en cas de besoin,… tout avait été passé en revue. Son père avait plié face à ces mises en garde, craignant que le scandale éclabousse sa maison, et Adrien avait obtenu l'autorisation de retourner au lycée.
Pour ne pas déclencher de nouvelles hostilités, il avait accepté de faire des compromis avec son père, comme ne pas rentrer après 20h, ne pas sortir sans l'approbation paternelle, aucune baisse de ses notes et, évidemment, ne pas entretenir de relation avec Marinette.
Et c'est exactement ce qu'il avait fait. Les choses étaient redevenues comme avant.
… Officiellement parlant.

Car la boulangerie était devenue leur refuge. Les parents de Marinette avaient le don d'être aimants et compréhensifs, même si par certains côtés ils restaient des parents. C'était le seul endroit où leur couple s'affichait au grand jour, avec la bénédiction de Tom et Sabine.

Adrien observa ensuite les innombrables photos de famille exposées sur les étagères de chaque meuble. Il y avait des visages souriants pendant des sorites ou durant des vacances, lors de grandes occasions, des portraits en bonne et due forme ou bien des instants magiques du quotidien capturés par enchantement.
Il contempla longuement l'air radieux de Marinette sur ces clichés, épanouie et heureuse. Il rêva d'être un jour sur l'un d'eux, à ses côtés.

Le claquement de la trappe l'émergea de ses pensées. L'instant d'après, la délicieuse odeur du repas raviva ses sens.

« Merci encore de m'accueillir chez vous !

– Il n'y a pas de quoi mon garçon !

– Et nous sommes heureux de voir que Marinette va mieux. Beaucoup mieux.

– Tu as repris des couleurs ma puce !

– Et tu as aussi retrouvé l'appétit visiblement. »

L'intéressée releva le nez de son assiette en direction de ses parents, la bouche pleine comme les joues d'un hamster.
Adrien éclata de rire.


Ils passeraient le reste de la pause midi ensemble, ne s'adresseraient quasiment plus la parole, jusqu'au dernier cours de la journée où ils étaient assis côte à côte. Cela allait de soi dorénavant, sans avoir besoin de se concerter sur le juste milieu. Ils se comprenaient toujours, c'était une évidence.

« Ne fais pas cette tête, je passerai te voir cette nuit, murmura-t-il alors qu'ils marchaient dans la rue pour regagner leur établissement.

– C'est moi qui viendrai te voir. Mes parents ont prévus une soirée ciné dans le salon.

– Prend garde à toi, le rouge se camoufle moins bien que le noir dans la nuit.

– Continue à me charrier et je reste chez moi en fermant mon velux à clef ! » déclara-t-elle en relevant le menton.

Il s'immobilisa, avec cet air doux, ce sourire tendre et ce regard indéchiffrable qui engloutit Marinette toute entière. Ses doigts vinrent effleurer sa joue et replacèrent une mèche derrière son oreille.

Elle aurait pu mordre ses lèvres et l'embrasser jusqu'à la fin des temps.

Elle n'attendait que ça. Pouvoir enfin vivre pleinement son amour avec l'homme de sa vie, profiter de la chance qu'elle avait eue de partager avec lui ce lien si puissant qui les unissait, elle et son partenaire, ainsi que cette chance que leurs sentiments soient réciproques.
Plus rien d'autre ne comptait, à part venir à bout de tous les obstacles qui se dressaient devant eux. Faire preuve de patience et de persévérance pour que plus rien ne leur arrive d'ici là, car ils venaient de s'engager sur un chemin semé d'embûches, qui durerait probablement des mois, voire des années encore.

Seulement, pour Marinette et Adrien, il n'y avait aucun autre chemin possible. Car ils s'aimaient, et s'aimeraient pour toujours.

Il lui saisit sa main pour la ramener à la réalité et l'emmena jusqu'au lycée.

Ils retrouvèrent Alya et Nino en train de parlementer et s'installèrent sur le banc à proximité. Leurs amis s'enflammaient à propos d'un grand débat pour savoir qui serait le plus dangereux akumatisé entre le doudou de Chloé et le crocodile de Jagged Stone. Sans s'en apercevoir, les deux adolescents commencèrent à compter les points en riant joyeusement du spectacle qui se déroulait devant eux, quand Marinette aperçu Marc du coin de l'œil.

Il avait les épaules affaissées, les yeux humides, le regard fuyant. Quelque chose n'allait pas.

Elle l'appela et lui fit signe de les rejoindre. D'un pas lent, le garçon se dirigea vers le petit groupe.

« Marc, ça ne va pas ? Qu'est-ce qui t'arrives ? s'inquiéta-t-elle.

– C'est Nathaniel… »

Tous se turent instantanément.

« Sa mère est décédée. »