Chapitre 46
Gabriel maintenait avec une poigne de fer les accoudoirs du fauteuil sur lequel il était installé. Voilà des jours qu'il surveillait une émotion d'une puissance ultime, une émotion qu'il ne connaissait que trop bien, dont il connaissait la force et les ravages.
L'on frappa à sa porte. Il reconnut immédiatement son assistante, à l'assurance des coups mais sans une once de dureté. Elle passa l'ouverture cinq secondes plus tard.
Il ne lui avait pas demandé de venir, alors il demeura attentif, à l'écoute de ce qu'elle avait à lui dire.
« Adrien a besoin de vous. »
Il soupira. Pour la première fois de sa vie, il la sentait désapprouver sa décision.
« J'ignore comment lui parler.
– Vous êtes son père, monsieur. Vous trouverez comment y parvenir.
– Cela fait tant d'années que j'essaie… depuis le jour de sa naissance. Si seulement elle était là… Elle me manque tellement. Elle nous manque. À Adrien comme à moi. »
Il se leva et se perdit dans la contemplation du sublime portrait de sa femme.
« Je dois absolument trouver un moyen de la ramener. Je dois mettre la main sur ces miraculous !
– Mais votre fils a failli perdre la vie. Et depuis, il a failli également disparaitre dans la nature pour ne jamais revenir. Vous ne pouvez pas continuer à passer à côté de ces précieux moments. Vous devez en profiter, tant qu'il est encore temps.
– Je ne peux pas renoncer Nathalie.
– Votre quête vous obnubile, elle prend tout votre temps et votre attention, au point de le délaisser, au point qu'il frôle la mort sans que vous ne soyez présent. Ne l'oubliez pas. »
Il resta silencieux, le regard dur planté dans les yeux cyans et impassibles de cette femme pleine de raison.
« Vous pouvez y aller Nathalie. »
Comme d'habitude, elle ne fit pas la moindre tentative pour le convaincre outre mesure. Elle n'esquissa pas le moindre mouvement qui aurait pu trahir un refus ou une déception. Elle avait accompli son travail, de façon exemplaire. Son assistante sortit du bureau solennellement.
Gabriel ferma les yeux. Une nouvelle voix désagréable venait de vibrer dans ses oreilles, comme beaucoup d'autres ces derniers temps. C'était un écho, beaucoup trop pesant et corrosif pour être ignoré, duquel s'échappaient des mots aux allures de condamnations.
...
« Comment ça vous n'avez encore rien trouvez !
– Nous faisons tout notre possible, mais le mal qui ronge votre femme reste inconnu. Vous avez engagé les meilleurs spécialistes M. Agreste, et tous s'accordent à dire que son cas est un mystère. Nous ignorons toujours de quoi elle est atteinte.
– Refaites des examens !
– Nous avons déjà fait tous les examens possibles et inimaginables. Nous en pratiquons encore pour surveiller l'évolution de son état, mais ça ne donne rien. Nous n'écartons aucune piste, je vous assure. Mais gardez à l'esprit que cela peut venir de n'importe où : d'un virus à croissance lente qu'elle aurait attrapé lors d'un de vos nombreux voyages, d'une bactérie qui s'est développée dans l'eau, l'air ou l'alimentation, d'une surexposition à un agent toxique qui peut provenir de votre maison, du travail ou des lieux qu'elle fréquente, d'une pathologie rare ou génétique qu'elle aurait contractée… Les causes peuvent êtres très nombreuses, je le regrette.
– Comment suis-je censé expliquer à mon fils de onze ans que sa mère est dans un état critique et que vous n'avez pas la moindre piste ? Et comment expliquez-vous que son état s'aggrave alors que vous la surveillez en permanence ?!
– Je l'ignore. Mais votre femme doit avant tout se reposer et continuer à prendre son traitement le temps que nous trouvions un remède efficace. »
Il rentra dans la chambre conjugale, le lit était vide. L'ange qui illuminait ses jours était assise à sa coiffeuse, face au miroir, en train d'ajuster la broche du Paon accrochée à sa veste.
« Que fais-tu ? Comment l'as-tu trouvé ?
– Tu ne pouvais pas me le cacher éternellement, dit-elle avec un sourire doux et complice à son mari. Je te connais par cœur mon chéri, ce qui signifie que je connais tous tes secrets, et toutes tes petites cachettes.
– C'est précisément pour que tu arrêtes de t'en servir que je l'ai caché.
– Si je venais à disparaitre, je veux que ce monde soit plus sûr pour mes deux amours.
– Tu n'es pas en état de jouer les super-héroïnes ! C'est du repos qu'il te faut.
– Nul ne sait de quoi je souffre, ni combien de temps il me reste. Et je ne veux pas rester les bras croisés. Nous n'avons jamais abandonné.
– Justement, ne baisse pas les bras et continue de te soigner correctement !
– Je ne baisse pas les bras, au contraire. Je vais finir ce que nous avons commencé avant de partir pour de bon.
– Je t'interdis de dire une chose pareille ! Tu vas t'en sortir, et nous serons de nouveau réunis, pour toujours, tous les trois !
– Gabriel… je te demande de veiller sur notre fils adoré. Garde confiance en toi, même si tu n'as jamais su comment t'y prendre. Tu sauras être un bon père.
– Adrien a besoin de toi, il a besoin de sa mère. J'ai besoin de toi ! Car rien ni personne ne pourra jamais te remplacer Émilie… Il ne t'arrivera rien, tu m'entends ? »
...
Aucun enterrement n'aurait pu être aussi triste que celui auquel venait d'assister Marinette. Même si c'était pour elle une première, elle imaginait sans difficulté qu'on ne pouvait pas faire pire. Un ciel gris et sinistre qui assombrissait les corps en noir. Des petites gouttes de pluie glacées qui se perdaient sur les visages parmi les larmes. Les pierres tombales aussi froides que l'hiver avec leurs inscriptions qui rendaient la tragique réalité d'autant plus inéluctable. La nature ternie par la tristesse du lieu. La famille déchirée par le manque d'une femme partie beaucoup trop tôt.
Elle se trouvait maintenant six pieds sous terre, avec tout ce qu'il restait d'elle à la surface : un époux tombé à genoux au sol et un fils en sanglots.
Le père de Nathaniel avait demandé à ce qu'on le laisse seul. Même son propre fils semblait être un inconnu pour lui tant son âme était mutilée par le chagrin.
Marinette, qui avait fait tout son possible afin d'être présente pour son ami, pour lui apporter soutien et réconfort, s'était accordée quelques minutes pour s'écarter du groupe en entrainant Adrien par le bras.
Elle trouva un coin reculé du cimetière, à l'abri sous les arbres, puis le prit et le serra fort dans ses bras. Lui aussi avait tout fait pour soutenir son camarade qui traversait un malheur que personne ne méritait de vivre, mais Marinette n'était pas dupe. Le cœur serré autant que sa gorge, elle voyait bien combien il était bouleversé, combien il avait retenu ses larmes et combien elle l'avait senti secoué de tremblements lorsqu'elle avait pris sa main.
C'était douloureux à revivre, c'était insoutenable.
Mais contrairement à l'enterrement de sa mère il a des années, cette fois-ci il n'était pas seul.
Marinette était avec lui, et Adrien le savait.
Il ferma les paupières et plongea sa tête dans le creux de son cou, puisant dans son amour et sa douce chaleur pour s'apaiser, pour s'y noyer éperdument. Elle le serra plus fort encore.
La jeune fille regarda autour d'elle ce décor lugubre et funèbre. Elle trouva en premier lieu Tikki blottie contre Plagg dans son sac. Depuis qu'Adrien et elle avaient surmonter cette épreuve cruciale, les deux kwamis passaient le plus clair de leur temps ensemble dans sa sacoche à chaque fois que les deux adolescents étaient à proximité.
Elle aperçut ensuite ses nombreux amis regroupés autour de Nath qui était perdu dans les bras de Marc. De toute part, elle entendait venir des pleurs inconsolables.
Tout à coup, elle vit ce qu'elle n'aurait pas dû voir, pas aujourd'hui, pas au moment où l'homme dans ses bras était complètement désemparé par l'atroce douleur de la disparition d'une mère. Marinette se figea.
Un papillon maléfique voletait en direction du mari veuf resté isolé près de la tombe à une soixantaine de mètres. L'insecte volant n'était plus qu'à quelques centimètres de son alliance. Mais le plus terrifiant, c'était sa couleur. Le papillon était rose.
Pourquoi frapper maintenant, si peu de temps depuis la dernière attaque, alors que leur ennemi venait de sortir d'un mois d'inactivité suspecte ? Pourquoi ? Dans quel but ?
Adrien dû sentir la tension qui s'était emparée de sa bien-aimée car il redressa la tête et suivit du regard ce qu'elle fixait avec une telle intensité. Il s'immobilisa.
Les doigts et les genoux enfoncés dans la terre mouillée par la bruine, les joues trempées et les yeux rougis, l'akuma rose s'imprégna dans l'anneau doré du père dévasté par l'image de sa femme, qui à présent se trouvait enterrée sous ses pieds.
« Transcendance,
Je suis le Papillon. La vie t'a arraché ta femme, l'amour de ta vie, ta raison d'être. Je t'offre le pouvoir de dépasser les limites de ce monde cruel et d'outrepasser les lois de la nature pour la ramener.
En plus de cela, tu auras la capacité de surmonter tous les obstacles de ton environnement intérieur. Plus de trouble, plus de doute, plus d'hésitation, plus de culpabilité. Une tranquillité d'esprit qui te permettra d'atteindre ton plus haut potentiel, sans aucune limite. Plus aucun cas de conscience morale ne te freinera. Plus rien ne barrera ta route ou t'empêchera de parvenir à tes fins.
En échange, tu devras m'apporter le miraculous de Ladybug et Chat Noir. »
Alya observait ses camarades avec attention. Le torse chaleureux de Nino contre son dos, ses larges bras enroulés autour d'elle, le réconfort mutuel restait la meilleure des options.
Être parfaitement présente pour les personnes en deuil était la seule chose à faire en de telles circonstances.
C'est pour cela qu'elle fut la première à voir les yeux de Nathaniel s'ouvrir de stupeur avant de l'entendre crier, ainsi que la deuxième à voir son père à proximité de la tombe métamorphosé en super-vilain absolument effrayant.
De son bras long et informe, il étendit ses doigts fantomatiques à travers le sol pour en extraire en quelques secondes le cercueil de sa défunte épouse. Alya le vit murmurer quelque chose. À cet instant, le bois de la sépulture vola en éclat et une silhouette blanche immaculée et composée de lumière vit le jour là où aurait dû se trouver le corps de sa femme.
Deux autres silhouettes venaient de faire leur apparition au-dessus de la cime des arbres et fonçaient à toute vitesse en direction du super-vilain : Ladybug et Chat Noir.
Le groupe d'élèves céda à la panique et commença à prendre la fuite, rapidement suivi par toutes les personnes présentes aux funérailles.
« Vite ! Il faut partir ! s'écria Nino en attrapant le bras de sa petite-amie.
– Adrien n'est pas en état de se battre, je dois aller les aider ! répondit-elle.
– Ok, je viens avec… ». Mais Alya était partie avant qu'il n'ait pu terminer sa phrase.
Il alla pour la suivre, au moment où Marc passa en courant devant lui.
« Papa ! »
Son camarade courait en direction de son père qui n'était plus lui-même dorénavant. Nino parvint à le stopper à temps.
« Ça sert à rien Nath, tu ne peux plus rien pour lui.
– Je ne peux pas le laisser comme ça !
– Le Papillon profite de son malheur, ce sale… »
Il se retint, tout en essayant de maitriser Nathaniel qui se débattait.
« Laisse faire Ladybug et Chat Noir, ils vont le sauver ! Là, faut que tu m'aides à récupérer tout le monde pour que personne ne soit blessé ! »
Son camarade finit par se calmer et se résigna à le suivre. Les deux jeunes hommes s'attelèrent à la tâche, ne négligeant pas leurs efforts pour faire évacuer les lieux dans le calme. Mais en vain. Transcendance tourna vers la foule un visage cauchemardesque doté de deux orbites vidées, noires et obscures, digne d'absorber l'âme. Bouche béante, sa mâchoire tombait inhumainement bas, son visage était décharné, surplombant un corps cadavérique et bleuâtre. Sa voix caverneuse fit vibrer le sol.
« Inutile de vous échapper, votre énergie vitale est à moi. »
Sur ces mots, les doigts de sa main s'allongèrent et il balaya la zone, telle une faux gigantesque et inarrêtable. Les malheureuses victimes traversées par ses doigts translucides furent abattues et se décomposèrent en lambeaux. Leurs restes se désagrégèrent et dégringolèrent sur le sol. La lueur de leur vitalité qui avait été aspirée remonta à travers le spectre et pénétra dans le corps de la défunte épouse, dont la lumière s'intensifia.
L'affolement général explosa de façon exponentielle, si bien qu'il fut impossible de gérer la panique. Nino essaya tant qu'il put de porter secours aux personnes les plus éloignées, les plus fragiles ou les plus vulnérables. Il secourut une vielle dame lorsqu'il distingua Rena Rouge voler à son tour au-dessus des arbres, juste avant d'avoir une dernière vision : une trainée spectrale qui fendit l'espace en un instant.
