Chapitre 49

La population était en effervescence. Les chaines télévisées avaient essayé tant bien que mal de retransmettre des brides de l'affrontement malgré la distance, et dès lors que les autorités avaient levé l'interdiction d'accéder à la zone, tous les citoyens avaient accouru sur les lieux.
Des scènes revenaient sur toutes les lèvres, de façon chaotique et décousue : l'apparition de Chat Étincelant qui avait été transformé on ne sait pas comment, le Papillon qui était dans un camp puis dans l'autre, Ladybug seule contre le super-vilain en possession du miraculous de la destruction, une résurrection suivie d'une disparition de nouveau, l'intervention du courageux mannequin Adrien Agreste ou bien le malencontreux concours de circonstance qu'il se retrouve sur les lieux de la bataille…

Ladybug avait sauté au cou de Rena Rouge lorsque les victimes de Transcendance étaient réapparues grâce aux coccinelles magiques, pendant que Chat noir s'inquiétait de l'état de Nino et de Nathaniel. Les deux jeunes femmes s'étaient ensuite éclipsées, Ladybug était allée nourrir son kwami avant de retourner sur place. Alya était revenue en courant et sauta à son tour au cou de Nino.

Beaucoup de monde s'était réunis autour de la famille Kurtzberg pour les soutenir et les consoler. Le père restait encore déboussolé, reconstituant ce qu'il s'était passé à l'aide de récits et de brides d'images.

Alya, après s'être réjouie d'être en vie, avait hurlé de frustration d'avoir raté la transformation de Chat Noir en Chat Étincelant par le Papillon. La police prit peu à peu le relais, comme à l'accoutumé, et escorta les victimes avec l'aide des pompiers. Pendant ce temps, Ladybug et Chat Noir répondaient aux questions des journalistes dans un rituel habituel post-affrontement. Les témoignages et les dépositions fusaient de toute part. Jamais la situation n'avait été aussi critique, hors de contrôle.
La victoire des deux héros n'en était que plus retentissante, extraordinaire et unique.


Ils s'isolèrent de l'agitation de la foule, loin dans les hauteurs. Assis sur une corniche, Chat Noir balançait nonchalamment ses jambes dans le vide, les yeux dans le vague. À côté de lui, Ladybug ne savait pas quoi dire, ni quoi penser.
Elle se mordit la lèvre en le voyant, puis lui prit la main. C'était lourd de sens.

« Je ne suis pas sûr que… On pourrait nous voir d'ici… fit-il remarquer, surpris par son geste.

– Ça n'a plus d'importance désormais… » souffla-t-elle.

Son coéquipier eut un petit rire nerveux et forcée.

« Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou non. D'un côté le Papillon connait mon identité, et donc on n'a plus besoin de cacher notre relation. D'un autre côté, le Papillon connait mon identité, et n'aura aucun mal à faire de notre vie un enfer. »

Leur ennemi les avait aidé car la situation lui avait échappé et que ce super-vilain était devenu aussi incontrôlable et dangereux pour lui que pour eux. Mais rien ne garantissait vraiment qu'il avait changé de camp.

Elle n'avait rien à lui répondre, rien pour le rassurer. Rien à part sa main dans la sienne qu'elle serra encore plus fort.

« À ton avis, que va-t-il se passer après ça ? demanda-t-il l'air absent et inquiet.

– Je n'en sais rien…

– Comment on va vivre avec ça ? Je ne peux pas supporter l'idée que je vais mettre en danger tous mes amis, ma famille, mon père, Nathalie,… et toi. Le Papillon connait mon nom, il ne tardera pas à faire le rapprochement avec toi et la Miracle Box.

– On ne sort pas ensemble. Enfin… pas officiellement en tout cas. Il ne me trouvera pas forcément.

– Mais tu es ma plus proche amie, ce n'est un secret pour personne. Je ne supporte pas l'idée de t'avoir mise en danger. Il faut que je parte.

– Certainement pas ! Que tu sois à des milliers de kilomètres ne l'empêchera pas d'enquêter sur les amis d'Adrien Agreste à Paris. Et si jamais il découvre mon identité, j'aurai besoin de toi, plus que jamais. Tu ne peux pas m'abandonner.

– Je n'arriverai pas à me cacher assez pour lui échapper. Si je reste, je nous condamne à mort.

– Toute ta vie est ici, tu ne peux pas partir.

– Il va nous détruire.

– Alors si tu pars, je viens avec toi. J'abonnerai absolument tout pour rester avec toi.

– Mais… Tu ne peux pas renoncer à tes rêves, ta famille et tes amis. Tu as encore le droit de vivre une vie normale.

– Tu l'as dit toi-même, je suis liée de près à toi, à Adrien. Il est peut-être déjà sur ma piste à l'heure qu'il est. Et de toute façon… si tu t'en vas, plus rien n'aura de sens pour moi.

– Tout est ma faute… »

Sa voix se brisa. Chat Noir se prit la tête dans les mains.
Elle l'entoura de ses bras et pressa sa tête contre sa poitrine pour le soulager.

« On est un duo de super-héros. C'est de notre faute ou alors c'est de la faute de personne. On partagera tout, jusqu'à la fin. »

Ils s'accordèrent quelques minutes, dans le vent frais et les lumières miroitantes de Paris.

« Alors, qu'est-ce qu'on fait ma lady ?

– Tout d'abord, il faut que tu viennes vivre chez moi pour le moment.

– Mon manoir est une vraie forteresse, mon père ne laissera pas entrer n'importe qui.

– Le Papillon n'est pas n'importe qui. Tu dois te mettre à l'abri ! Imagine qu'il ne t'affronte pas mais vole ton miraculous pendant ton sommeil. On sera trop vulnérables si on se sépare, même si ce n'est que pour une nuit.

– Mais comment je vais justifier mon départ auprès de mon père ? Lui qui n'a toujours pas digéré ma dernière fugue.

– Je ne sais pas encore. Mais pour cette nuit, tu viens dormir chez moi. Demain, on prendra une décision. »

Il prit un temps de réflexion, puis hocha la tête.
Chat Noir se redressa d'un bond leste et habile. Ladybug suivit le mouvement.

« Je passe chercher mes affaires et je te rejoins. »

Mais aucun d'eux ne bougea, figé dans le regard de l'autre.
L'incertitude de ce qui allait advenir tendait leurs muscles et crispait leur mâchoire. Il fallait qu'il décide d'un plan d'action, qu'ils trouvent une nouvelle solution à cet irréparable problème, qu'ils mettent en sécurité un nombre incalculable de personnes sans trahir leur secret, qu'ils protègent le pouvoir des miraculous. Leur avenir n'avait jamais été aussi flou et menacé.

Leur vie venait de basculer aujourd'hui.

Ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre et échangèrent un baiser passionné.
Ils venaient de gagner, une fois de plus, ils étaient ensembles. Ils auraient pu mourir, perdre leur miraculous, condamner tout Paris et le monde. Mais ils étaient sur ce toit, toujours vivants, toujours deux, toujours unis.
Alors ils se serrèrent l'un contre l'autre plus avidement encore, mêlant leur langue, le souffle court, leur corps brûlant.


Adrien atterrit dans sa chambre après avoir fait le tour du domaine pour s'assurer qu'aucune embuscade ne l'attendait. Heureusement que Plagg était là sur son épaule. À part blotti dans les bras de sa bien-aimée, il ne se sentait plus en sécurité nulle part.
Il ne comptait pas y rester longtemps et allait devoir faire ses adieux à son chez lui. Même s'il s'y sentait horriblement seul, cet endroit était sa maison.

« Ne t'en fais pas, il y aura tout le pain qu'on veut pour accompagner le fromage chez Marinette ! » tenta Plagg pour le réconforter.

Adrien lui adressa un sourire plein de gratitude.

Il s'apprêtait à empoigner un sac de voyage pour y mettre des vêtements et d'autres petites affaires nécessaires, lorsque quelque chose de brillant posé sur son bureau attira son attention. Il s'approcha lentement. Quoi que ce fût, cela ne s'y trouvait pas quand il avait quitté sa chambre.

Il fût enfin assez proche pour discerner de quoi il s'agissait. Son cœur rata un battement.
D'une main moite et tremblante, il saisit délicatement le miraculous du Papillon et du Paon posés sur la table.


.


« Bienvenue sur notre plateau télé ! Ici Nadja Chamack, en direct avec des invités remarquables : monsieur André Bourgeois, le maire de Paris, l'inspecteur en chef de la police Roger Raincomprix, Alya Césaire la célèbre rédactrice du Ladyblog et bien sûr, les deux plus grands héros de Paris : Ladybug et Chat Noir ! À votre demande, nous nous sommes tous réunis ici pour un communiqué très spécial, c'est bien cela Ladybug ?

– Tout à fait Nadja, nous avons une annonce de la plus haute importance à faire à tous les habitants de Paris.

– Et bien, nous vous écoutons ! »

Ladybug était gonflée d'excitation et d'allégresse, impatiente d'annoncer la nouvelle qu'elle rêvait d'annoncer depuis tant d'années. Elle sentit son cœur battre à tout rompre, le regard de millions de personnes braqué sur elle. Mais surtout le plus important d'entre tous, celui de son partenaire assis à côté d'elle, tout aussi enthousiaste.

Elle ouvrit son yoyo devant les caméras et en sortit les deux miraculous manquants à sa collection. Les brandissant en face d'elle, un immense sourire sur ses lèvres, Ladybug annonça à la ville entière :

« Le Papillon s'est rendu ! »

Des exclamations de surprise et de joie tintèrent dans le studio, mais les deux héros savaient pertinemment que c'était des cris de réjouissance portés par une foule exaltée qui envahissaient les rues à cet instant même.

« C'est une journée historique ! s'exclama le maire.

– Mais alors, reprit Nadja, qui était derrière ce masque ? Qui est l'homme qui a menacé la ville pendant des années ?

– Nous l'ignorons. Le Papillon a rendu ses miraculous, mais n'a pas révélé son identité. Nous espérons qu'un jour il se rendra aux autorités pour être jugé comme il se doit. Mais en attendant, Chat Noir et moi sommes heureux de vous annoncer que vous ne risquez plus rien, citoyens de Paris !

– Sommes-nous sûr qu'il s'agit bien des vrais bijoux magiques ? questionna l'agent Roger.

– Sûr et certain, répondit Chat Noir. Ils sont plus vrais que nature, cha ne fait aucun doute !

– Nous savons depuis longtemps, notamment grâce à Queen Bee, que vos pouvoirs sont l'œuvre de créature magique, intervint Alya. Ces petites créatures ne pourraient pas vous aider à obtenir l'identité de ce mystérieux porteur ?

– Ces petits êtres, les kwamis, ne peuvent révéler le nom de leur actuel ou ancien porteur. C'est une protection au cas où ils se feraient capturer par une personne mal intentionnée. Ils n'ont malheureusement pas pu nous aider.

– Je me permets de poser la question qui brûle toutes les lèvres, » demanda Nadja « : Va-t-on enfin connaitre vos véritables identités désormais ? »

Les deux super-héros rougirent simultanément.

« Nous en avons parlé entre nous… et nous avons décidé que non. Nous sommes déjà considérés comme des stars par certains, c'est difficile rien qu'avec notre statut de super-héros. Alors si les gens connaissaient nos identités secrètes…

– On pourrait dire adieu à notre intimité, termina Chat Noir.

– Mais, et vous alors ? Vous connaissez-vous ? »

Ladybug et Chat Noir s'échangèrent un regard complice et évocateur.

« Je crois que nous avons la réponse, conclut Nadja. Que va-t-il advenir de vous dorénavant ? Pourrons-nous encore apercevoir les super-héros escaladant les toits et sauvant Paris ?

– Nous allons plutôt rattraper le temps perdu. Cette lutte perpétuelle, tous ces combats nous ont empêché de profiter de notre famille, de passer plus de temps avec nos amis, de nous concentrer sur nos études et notre travail…

– … d'aller au cinéma rien que toi et moi ma lady, souffla son partenaire d'une voix suave.

Elle fit claquer sa langue et leva les yeux au ciel, délicieusement exaspérée.

– Bref, je crois qu'il est temps pour nous de prendre une retraite bien méritée. »

« Rose qu'est-ce que tu fais ? Je t'attends ! »

La jeune adolescente soupira de contentement avec un regard mielleux en direction du panneau d'information digital.

« Ils sont tellement mignons…

– Allez, ça fait une semaine qu'ils rediffusent ça en boucle sur tous les écrans. Tu la connais par cœur cette interview ! »

Le bruit sourd de l'explosion d'un feu d'artifice coupa Alix.

« Je veux pas rater le spectacle ! »

Elle attrapa son amie par le bras et l'entraina à travers les avenues pleines de monde. L'ambiance était à la l'enchantement. La ville entière était dehors et inondait les rues de festivités pour célébrer la victoire de Ladybug et Chat Noir.

Paris était en liesse.

« Oh regarde qui voilà !

– Alix ! Rose ! Ça me fait tellement plaisir de vous voir !

– Mylène, Ivan, vous allez bien ? »

Des feux d'artifices vinrent encore couvrirent le son de leur voix et illuminèrent leur visage dans un festival de couleurs. La musique était omniprésente de partout. Le ravissement général avait plongé tous les parisiens dans une ivresse collective d'allégresse.

Une vitre se brisa à proximité du petit groupe sous l'impact d'un bouchon de champagne.

« Ah ! s'écria Mylène tandis qu'Alix explosa de rire.

– Je suis là ma petite souris. »

La conversation n'en fut que plus animée entre les quatre amis. Des jours et des jours que tous les citoyens, homme, femme, enfant jubilaient.

Ce n'était pas le premier ni le dernier petit débordement à noter, au grand dam de l'agent Roger qui ne pouvait s'empêcher de rouspéter malgré l'euphorie partagée par des millions de personnes. Mais pour la première fois de sa vie, il n'en tint pas rigueur.
Après tout, comment les en blâmer ?
Alors il intervenait et réglait la situation, le sourire aux lèvres, lui et son équipe, comme au bon vieux temps où aucun danger ne venait troubler leur vie.
Et ils allaient devoir s'y faire, à ce retour à la normale.
Car curieusement, même si l'image de Ladybug et Chat Noir était retransmise sur chaque téléviseur en ville et que leurs noms étaient sur toutes les lèvres, il n'y avait plus eu l'ombre d'un héros depuis une semaine. Même pour des incidents plus conséquents, lorsqu'un projecteur avait failli tomber sur des civils à cause d'un excès d'entrain de la part du public, ou bien lorsque l'une des mascottes gonflables géantes avait failli se prendre dans un poteau électrique, il n'y avait eu aucun héros à l'horizon.
Ils n'étaient simplement plus là.

« On a fait le tour de la ville une dizaine de fois et on n'a pas croisé Marinette une seule fois !

– J'ai ma petite idée sur l'identité de la personne avec qui elle peut être…

– Elle doit sûrement être à la boulangerie, à aider ses parents à préparer des pâtisseries ! Il y a des festins et des réjouissances de partout !

– T'es trop innocente Rose…

– On a vu Chloé au palace avec son père. Ils y organisent réceptions, galas et soirées depuis le week-end dernier !

– Ju n'est pas avec vous ?

– Elle joue avec Luka sur le Liberty, c'est la folie là-bas. Mais on a préféré aller au concert de Jagged.

– On en revient, c'est la quatrième fois qu'on va le voir ! Nino est aux anges, il s'occupe du son ! »

Une nouvelle vague d'habitants poussant des cris de joie passèrent à proximité. Les adolescents se laissèrent prendre au jeu, et se mirent à courir parmi la foule en direction de la tour Eiffel éclairée de mille feux.

Les choses allaient bientôt reprendre leur cours. Chaque enfant, chaque parent, chaque habitant retournerait bientôt à son quotidien pour y vivre en paix.
Mais le moment n'était pas encore venu.

Pour l'heure, le cœur était à la fête.