Je passe une main sur mon front. Je me sens chaud. C'est idiot, parce que je sais que les loups-garous ne peuvent pas tomber malade tant leur système immunitaire est efficace. Simplement, je dois être un peu fatigué.

S'occuper de Stiles n'est pas de tout repos et même si globalement, je commence à avoir l'impression qu'on progresse un peu, ça reste tendu. Il alterne entre crises et moments de lucidité. Jackson et moi, on se relaie au mieux, même si j'occupe la majorité de mon temps auprès de l'hyperactif. Parce que c'est avec moi qu'il est lié.

- Fatigué ?

Je me retourne vers Jackson. Lui-même commence à avoir de sérieux cernes. Il faut dire que Stiles cauchemarde souvent et qu'il a tendance à se réveiller en hurlant. Dormant avec lui, je le calme toujours aussi vite que possible, mais le moindre de ses cris titille l'ouïe lupine de Jackson. De temps à autres, le kanima vient même nous rejoindre et Stiles commence à s'habituer à nos deux présences, tout comme il commence à se détendre lorsque Jackson est avec lui. Il est moins sur la défensive, sans doute parce qu'il constate tout ce qu'il fait pour lui. Je ne suis pas le seul à l'aider : Jackson est également un soutien sans faille.

- En quelque sorte, je réponds.

Depuis ce jour où Peter a fait croire à Stiles que je lui avais fait du mal, je m'exerce. A chaque fois que je me retrouve seul avec Stiles, je me concentre et j'essaie de comprendre ce que je pourrais faire avec le lien. J'essaie de deviner comment je pourrais agir dessus. Je le vois, je le sens, mais mes efforts sont pour le moment infructueux. Alors, avec Stiles, nous faisons ce qu'il a dit : on apprend à se connaître. Je pense aujourd'hui que j'en sais presque autant que Scott sur l'hyperactif, si ce n'est plus. On ne peut pas dire que de son côté, notre alpha soit très présent pour lui. Je ne peux d'ailleurs pas m'empêcher de lui en tenir rigueur, sans toutefois le montrer devant Stiles. On en a discuté à plusieurs reprises avec Jackson. Scott est peut-être occupé avec son rôle d'alpha, mais il ne remplit absolument pas son rôle de meilleur ami. D'ami tout court. On a laissé à Stiles l'accès à son téléphone, en bloquant toutefois Peter. Scott ne lui a pas envoyé un seul message.

- Repose-toi vieux, je vais prendre le relais, m'assure-t-il en posant une main sur mon épaule.

Ma première idée est de protester, mais je finis par me raviser. Au fond, je sais qu'il a raison. A trop penser à Stiles et à ce que je peux faire pour lui, je me néglige, je m'épuise, je me perds. L'aider n'est pas un problème. C'est ma façon de faire qui n'est pas forcément la meilleure. Alors, je hoche la tête. Je patauge, il faut donc que je réfléchisse différemment, que j'accepte l'idée que tout n'est pas aussi facile que je l'aurais pensé au départ.

- Je vais prendre une douche, lui dis-je en me levant.

Il m'imite et me regarde d'un air moqueur.

- T'as raison, tu pues le fauve.

- Parle pour toi, je rétorque.

Dans d'autres circonstances, j'aurais ri. Mais en fait, c'est réel. On n'a jamais beaucoup de temps pour nous et le plus souvent… On passe ce temps – et plus encore – avec Stiles. On a à peine l'occasion de se laver l'un et l'autre. Stiles nous demande involontairement une attention quasi constante. Je suppose qu'une petite douche prolongée ne me ferait pas de mal. J'ai déjà une serviette réservée dans la salle de bain, il n'y a qu'à la réutiliser. Je fais un signe de tête entendu à Jackson, dont l'air moqueur cède la place à une fatigue incontestable. Je suis bien conscient qu'il paie aussi cher que moi cette situation et c'est pour cette raison que j'envisage de plus en plus sérieusement de mettre une troisième personne au courant – Deaton mis à part. Il faudra qu'on en discute à l'occasion.

Je monte à l'étage et m'enferme dans la salle de bain. Je me déshabille et fais couler l'eau de la douche. J'augmente la température encore et encore. Je soupire de bien-être alors que l'eau chaude coule sur ma peau, dénoue partiellement les nœuds dans mon dos. Je suis tendu, presque en permanence, alors je profite de ce petit moment de répit pour me relaxer un peu, ne penser à rien, me détendre purement et simplement, en profitant de cette douce chaleur et en me lavant, simplement.

J'en ai besoin.

xxx

Stiles dort. On est en pleine journée, mais il dort. Lui aussi, il est épuisé. On a beau tout faire pour le préserver, on sait très bien que celui qui en pâtit le plus de tout ça, c'est lui. Je caresse sa joue avec douceur et me prépare à le réveiller à la moindre crise, la moindre intrusion dans ses rêves par Peter. On en a discuté, et il est d'accord. Quitte à se fatiguer en voyant son sommeil se couper brusquement, autant le faire pour sortir de l'emprise de mon oncle. C'est la manière la plus efficace qu'on a trouvée pour limiter les actions de Peter. Mais en conséquence, Stiles a bien du mal à récupérer. Peter ne lui laisse pas beaucoup de répit. Il a toujours eu tendance à attaquer lorsque son adversaire était affaibli. J'aurais dû me douter qu'il finirait par dérailler. Je m'efforce de ne pas penser à lui et à cette colère qu'il a fait renaître en moi, je fais tout pour me concentrer uniquement sur Stiles et son petit corps dans mes bras. Enfin, petit corps… Nous faisons presque la même taille, mais il est un peu plus frêle, un peu plus… Fragile. Disons qu'il a commencé à faiblir et maigrir dès que Peter s'est attaqué à lui.

Il remange plus ou moins normalement, mais pas de lui-même. Il faut toujours être derrière lui. Autrement, il n'y pense pas. Ce n'est pas qu'il n'en a pas envie ou qu'il refuse de se nourrir d'une quelconque manière. Non, juste… Il oublie qu'il faut manger si on ne le lui rappelle pas. A chaque fois que je lui sors que c'est l'heure du petit-déjeuner, ou bien du repas… Il me regarde avec cet air perdu de celui qui ne sait plus. Ses yeux ambrés s'emplissent de confusion, je lui dis ce qu'il faut faire et c'est à cet instant qu'il semble se souvenir. En fait, c'est comme s'il devenait peu à peu dépendant, comme s'il oubliait comment vivre par lui-même. C'est terrifiant. Comment peut-on détruire une vie de cette façon ? Il est là, dans mes bras, et pourtant, j'ai l'impression d'être en train de le perdre. Je n'arrive toujours pas à agir sur ce fichu lien. Il manque quelque chose, mais je n'ai aucune idée de quoi. J'ai beau y réfléchir, je ne vois pas ce que ce manque pourrait être.

Dans son sommeil pour l'instant sans intrusion, Stiles se pelotonne contre moi. J'esquisse un faible sourire. Pour l'instant, il est là. Avec moi. Dans mes bras. J'aime sentir son petit corps pas si petit que ça contre le mien. J'aime l'étreindre, que celui-ci se love ainsi. J'aime bien les baisers qu'on échange parfois. Mais ce que j'aime par-dessus tout, c'est ces moments où il est lui-même. Ces moments où l'éclat dans ses yeux est celui de la vie, de la sienne. Il disparaît, ne se montre plus très souvent.

Et c'est ce qui me rend d'autant plus triste, parce que ces moments deviennent rares. Honnêtement, je ne sais plus quoi faire. Comme toujours, je sens le lien, j'essaie de transmettre certaines de mes pensées, de le solidifier mais je… Je ne sais pas. C'est dans ce genre de moments que j'aurais aimé que ma mère soit encore en vie. Elle partageait un lien d'union avec mon père. Ils l'avaient fait très jeunes, parce qu'ils avaient eu le coup de foudre. Quand j'étais enfant, elle m'avait raconté dans les grandes lignes qu'elle percevait ses émotions, ses doutes, qu'il en était de même pour lui. Lorsque l'un avait un coup de mou, l'autre l'aidait à travers le lien, mais sans jamais m'expliquer comment ils faisaient.

Et maintenant, je suis seul, à tenter de faire marcher un lien d'union auquel je ne connais rien. J'essaie de ne pas penser à la tristesse que me provoque sans arrêt le rappel de la mort de ma famille. Mais à cet instant, je me sens… Comme un petit garçon qui ne sait rien, qui doit tout apprendre seul, e autonomie, sans savoir par quoi commencer ni comment faire. Je continue de caresser la joue si douce de Stiles et observe l'autre, couverte par un petit pansement cachant une blessure. L'une de celles qu'il s'est lui-même infligé. Mon cœur a mal. Je me souviens de ce jour, où Jackson l'a immobilisé. J'ai vu Stiles dans un état déplorable, à se gratter jusqu'au sang. Je ne veux plus que ça arrive. Ma main descend jusqu'à son cou. Sur le côté, il s'est gratté, là aussi. A cet endroit, il n'a pas de pansement. Je passe mon doigt avec douceur et lenteur sur la petite plaie. Je regarde les mains de Stiles, l'une d'elle est posée à plat contre mon torse. Il a les ongles courts. Et pourtant, ils l'ont fait saigner. Je me mords la lèvre, le cœur serré. J'aimerais le protéger convenablement, j'aimerais pouvoir le sortir de là. Mais plus le temps passe, plus je doute d'y arriver. Je ne me décourage pas et j'essaie toujours autant de faire au mieux, mais… Pas grand-chose n'avance. Avec douceur, je dépose un baiser sur son front. De ma main libre, je sors mon portable de ma poche et je le consulte, incapable de dormir. Enfin, je suis fatigué, mais je ne peux pas me permettre de céder au sommeil pour l'instant. Jackson n'est pas là, il est parti voir Scott pour tenter de savoir où on en est. C'est notre alpha, on a beau ne pas avoir de nouvelles de sa part et ne pas trop compter sur lui… Il vaut toujours mieux tenter. Tant qu'il est absent, je préfère faire mon maximum pour rester éveillé, pour Stiles. Il est imprévisible, peut avoir besoin d'aide à tout moment.

Une espèce de stress m'envahit alors que je vois un message s'afficher sur mon écran. Un message de Noah Stilinski.

« Bonjour Derek, comment va mon fils ? Vous avez du nouveau ? Si je peux être utile, dites-le-moi.

Sans lui, la maison parait si vide… Il me manque. »

Connaissant le shérif, je me doute qu'il a mesuré ses mots. Qu'il ressent bien plus que ce qu'il ne dit. Il souffre, lui aussi. Je n'ose imaginer sa peine, l'angoisse qui doit l'étreindre à chaque instant. Savoir ce que son fils est en train de subir et ne pouvoir rien faire, même pas attraper Peter… Qui se cache plutôt bien. Très bien, même. Finalement, je me demande si l'idée de Jackson n'était pas la meilleure, si on n'aurait pas dû prévenir tout le monde dès le début… Je me ravise aussitôt. Stiles n'aurait pas voulu ça. Et Peter se cacherait quand même, peut-être plus s'il se savait recherché par l'entièreté de la meute. Pas aussi assuré que je n'aurais dû l'être, je réponds vaguement au shérif que l'état de son fils est stable. Qu'il n'y a pas vraiment d'amélioration, mais pas non plus de dégradation significative. Mes mots sont maladroits, je ne sais pas vraiment quoi dire, j'essaie de le rassurer tout en restant plus ou moins honnête. J'ajoute que concernant Peter, nous sommes au point mort et je lui recommande de se faire discret à ce sujet. Il est hors de question que Noah se mette en danger. J'appuie sur « envoyer », omettant sciemment la dernière partie de son message. Je remets mon téléphone dans ma poche et je laisse mon rythme cardiaque se caler sur celui de mon endormi.

Au bout d'un moment, j'entends du bruit. Je perçois la clé qui déverrouille la serrure, la porte d'entrée qui s'ouvre puis se ferme. L'odeur de Jackson, que je connais par cœur à force de le côtoyer, inonde mes narines alors qu'il est encore à l'entrée. Je fronce les sourcils. Je n'aime pas ce que je sens. Jackson apparaît bien vite sur le seuil de la chambre. Son visage est fermé et ses yeux, emplis d'une colère sourde. Il me fait un signe de tête, me quémandant silencieusement de venir. J'hésite à laisser mon précieux fardeau seul quelques minutes, mais je relativise. On ne sera pas loin. S'il a un problème, on l'entendra. De toute manière, j'écoute sans arrêt les battements de son cœur. A la moindre variation, j'accourrai. Avec une extrême douceur et une grande délicatesse, je me sépare de Stiles et fais tout pour ne pas le réveiller. Il ne bronche pas. Sa poitrine se soulève et s'abaisse doucement, au rythme de sa respiration lente et régulière. Ma main passe une dernière fois sur sa joue. Je ne veux pas le quitter, pas même une seconde, mais je commence à connaître Jackson. D'ordinaire, il attend avant de me faire comprendre qu'il doit me parler. S'il m'a fait signe alors même qu'il a vu que Stiles dormait… Je me mords la lèvre et le suit jusqu'au salon sans cacher ma préoccupation.

- On a un problème, siffle-t-il entre ses dents. On a un gros problème.