Bonsoir bonsoir !

Me revoici avec la suite ! Bon, nos héros se sont bien reposés, donc aujourd'hui, ils vont transpirer un peu ! Si l'action vous manquait, ce chapitre devrait y remédier :)

Bonne lecture à tous !


Chapitre 27 - Embuscade

Shaolan finit par s'avouer vaincu, Sakura et Kurogane à leur suite : le mage patinait vraiment trop vite. Ils remontèrent sur le rivage, les joues colorées par l'effort et un immense sourire sur leur visage : cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas autant amusés. C'était comme si, pendant quelques heures, le temps s'était arrêté et leurs problèmes avec lui. Ils déjeunèrent avec appétit, nourrirent les chevaux puis reprirent la route.

De part et d'autre de la vallée, la ligne dentelée des montagnes les dominait et plus ils avançaient, plus les crêtes adoptaient des formes et des altitudes diverses. Certaines se terminaient en pitons effilés et burinés par le vent, s'étirant vers le ciel telle une lance légendaire. D'autres, campées sur des versants imposants, présentaient des cimes rectangulaires, au sommet plat, comme si un chevalier géant avait déposé son heaume sur le faîte. Ils chevauchaient depuis près d'une demi-heure et le loch s'apprêtait à faire un coude sur leur gauche. Les montagnes se resserraient et le chemin grimpait en pente, les empêchant de distinguer le paysage que prenait la vallée après ce virage. Ils s'y engagèrent et à cet instant, Sakura s'immobilisa, les sens aux aguets. Ses compagnons firent de même.

– Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Hideki à voix basse.

– Je sens une présence, répondit la jeune fille.

– Oui, et ils sont nombreux, confirma Fye.

Au même moment, des dizaines d'hommes et de femmes jaillirent du tournant comme des monstres vomis par la montagne. Une embuscade ! Leurs assaillants étaient armés jusqu'aux dents et un homme doté d'une haute hallebarde avançait à leur tête.

– Les hommes d'Ingvar ! s'exclama Sakura.

– Et Gowan, ajouta Kurogane avec un sourire de loup.

– Je ne vois pas Moira, dit Shaolan en fronçant les sourcils. Gowan serait venu seul ?

– Père, mère, restez derrière nous ! ordonna Fye aux anciens souverains. Mokona, va avec eux !

– Oui ! acquiesça la boule de poils en sautant de cheval à cheval.

Les soldats se ruèrent dans leur direction, les lanciers d'abord, puis tous les hommes armés d'une épée, d'une hache ou d'un simple couteau. Kurogane fit apparaître son sabre, Shaolan son épée, Sakura attrapa son boomerang et Fye prépara une série de runes. La terre trembla sous le pas des combattants et la neige roula par grosses mottes dans la pente. Les lanciers abaissèrent la pointe de leur arme vers leurs montures et chargèrent. Sakura projeta son boomerang, Fye ses lettres bleutées : l'arme de la princesse frappa trois lanciers en première ligne, tandis que les runes du mage en faisaient tomber quatre autres. Deux réussirent tout de même à passer à travers leur maillage et les encerclèrent en menaçant les pattes de leurs chevaux avec leurs lances. Kurogane et Shaolan repoussèrent ceux qui s'approchaient trop près, mais la neige et le terrain incliné jouaient en leur défaveur. Leurs montures glissaient et leurs adversaires profitaient de cette faiblesse pour les déstabiliser.

– Reculez ! s'écria Kurogane. Si on reste sur cette pente, on ne pas y arriver !

Tous s'exécutèrent, sans cesser de riposter aux coups qu'on leur assénait. Les lanciers harcelaient leurs montures tandis que les épéistes se concentraient sur les cavaliers. Shaolan vit avec horreur un lancier se glisser derrière son cheval. D'un coup de pointe bien placé, l'homme sectionna un premier jarret de sa monture, puis un deuxième. L'animal hennit de douleur et Shaolan sentit qu'il perdait l'équilibre. Le cheval s'effondra de côté, entraînant le jeune homme dans sa chute.

– Shaolan ! s'écria Sakura.

Dès que l'adolescent toucha le sol, il roula sur son épaule droite afin de ne pas rester coincé sous l'animal. Le contact avec la solide couche de neige lui fit un mal de chien, mais il n'entendit aucun os craquer. Sakura lança son boomerang contre les soldats qui couraient dans sa direction.

– Shaolan, ça va ?!

– Oui, ça va, acquiesça-t-il en redressant tant bien que mal. Mais mon cheval, lui …

Le malheureux animal, incapable de se relever, avait henni de désespoir avant d'être achevé par leurs ennemis. Shaolan sentit son estomac se contracter de peine pour la pauvre bête, mais il ne pouvait pas s'attarder.

– Monte avec moi ! lui lança Sakura.

Il saisit la main qu'elle lui tendait et se remit en selle. Rapidement, ils battirent en retraite vers la vallée et rejoignirent leurs amis. Cependant, au moment où ils atteignaient les rivages du loch, une volée de flèches sifflantes s'abattit sur eux : un second groupe d'assaillants, caché sur les hauteurs des montagnes, avait prévu leur mouvement et les attendait pour les prendre à revers. Sakura vit les pointes fuser vers Hideki et Chii, qui ne possédaient aucune arme pour se défendre. Elle plongea la main dans sa poche, en extirpa son dé magique et le lança de toutes ses forces :

Deux, bouclier !

Une bulle protectrice se forma au-dessus des parents de Fye et dévia la trajectoire d'une partie des flèches. Quant à celles qui poursuivirent leur course, Shaolan posa deux doigts sur la lame de son épée.

Raitei shourai !

La foudre jaillit de son arme et brisa les hampes des flèches qui retombèrent sur la terre dans une pluie de bois. Les quatre compagnons rejoignirent Hideki et Chii au galop.

– C'était moins une ! s'exclama Sakura. Vos altesses, vous allez bien ?

– Oui, ça va, merci ! acquiesça Chii en lui rendant son dé.

Au même moment, des éclats d'armes blanches les firent tressaillir : sur la berge, un troisième contingent avançait droit vers eux. Les combattants qui le constituaient étaient aussi effrayants que les autres, et devant eux, Shaolan reconnut une silhouette féminine. Moira, le deuxième général d'Ingvar ! Elle et son groupe s'étaient probablement dissimulés sur les hauteurs avec les archers et avaient gagné les berges pendant que leurs camarades les assaillaient de flèches. Les six voyageurs se retournèrent vers le flanc de la montagne : le premier groupe dévalait la pente à toute vitesse, leur barrant le passage vers la vallée, tandis que le groupe de Moira coupait court à toute possibilité de fuite en arrière ; enfin, au-dessus de leurs têtes, les archers interdisaient tout accès à la montagne. Chaque bataillon comptait près d'une trentaine d'hommes, soit plus d'une centaine de combattants au total. Ils étaient cernés.

Kurogane était persuadé de reconnaître certains soldats, mais aucun d'eux ne portaient de traces des blessures. Pourtant, il en avait amoché un grand nombre devant le palais de Valeria : ces hommes détenaient-ils le pouvoir de se régénérer si les coups qu'ils recevaient ne touchaient pas leur point faible ? Visiblement oui, car ils s'étaient tous remis de leur précédente bataille, y compris Gowan qui n'affichait plus aucune marque de la blessure qu'il lui avait infligé à la poitrine. Fye, lui, se souvint de sa discussion avec Kurogane à propos du voleur d'âmes : les hommes et les femmes qui se tenaient devant eux avaient-ils été victimes d'Ingvar ? Les forçait-on à tuer ? Ils semblaient pourtant très déterminés. Et leurs corps, dotés d'une faculté de guérison incroyable, étaient-ils le fruit d'une création magique ? Si Ingvar ne pouvait pas voyager entre les dimensions, il était inconcevable de penser qu'il ait pu fabriquer autant d'enveloppes charnelles … Shaolan se faisait la même réflexion et échangea un bref regard avec Sakura : ils ignoraient si ceux qui leur faisaient face agissaient de leur plein gré ou sous la contrainte. Ils savaient que leur point faible se trouvait à droite de leur poitrine, en miroir du cœur, mais devaient-ils vraiment les tuer ? Avaient-ils le droit de faire une telle chose ?

Kurogane fronça les sourcils : combattre à cheval leur donnait un avantage certain par rapport à leurs ennemis, mais ils avaient déjà perdu l'une de leurs bêtes. Or, ces dernières leur étaient vitales pour poursuivre leur voyage. Ils n'avaient pas emporté assez de vivres pour se permettre de continuer la route à pied et ils ne pourraient jamais transporter tout leur matériel de campement à dos d'homme.

– Pied à terre ! ordonna-t-il à ses compagnons. Il faut protéger les chevaux !

Tous s'exécutèrent. Profitant de l'ouverture que leur offraient les voyageurs, les archers visèrent le cou de leurs chevaux. Un sortilège de Fye dévia les pointes tandis que Sakura regroupait les animaux en les tenant par la bride. Elle recula vers Chii et Hideki et cria à ses amis :

– Je m'occupe de protéger les montures et leurs altesses ! Fye, Kurogane, Shaolan, je vous laisse le reste !

Ses amis acquiescèrent et elle lança une nouvelle fois son dé magique dans les airs.

Deux, bouclier !

Un kekkai forma un dôme au-dessus des souverains et de leurs chevaux, sans toutefois étendre sa protection sur Sakura.

– Pourquoi ne restez-vous pas avec nous ? s'exclama Chii, effrayée.

– J'ai dit que j'allais vous protéger, vos altesses. Pour cela, je dois être à l'extérieur de la barrière.

Elle saisit son boomerang et le projeta vers quatre hommes : deux d'entre eux furent percutés et s'effondrèrent sous l'impact, mais les deux autres l'encerclèrent. Sakura rattrapa son arme et serra les dents : ils étaient trop près, à cette distance, son boomerang ne lui serait d'aucune utilité. Elle le lâcha donc, plia les jambes et serra les poings, prête à riposter. Elle allait enfin voir si ses entraînements avec Shaolan avaient porté leurs fruits ! Le premier homme se jeta sur elle, un couteau dans la main droite : elle inclina le buste vers le gauche, fit pivoter sa hanche et lui envoya un coup pied dans le ventre. L'homme en eut le souffle coupé et s'écroula. Elle avait réussi ! Elle n'eut cependant guère le loisir de savourer sa victoire, car un autre adversaire prit aussitôt le relais, une longue épée au poing. L'homme essaya de lui faucher les jambes de sa lame, mais Sakura bondit et profita de cet élan pour lui asséner un coup de pied qui l'atteignit à la mâchoire : cette frappe-là, elle l'avait expérimentée elle-même. Elle savait donc que la douleur était lancinante, à fortiori si l'autre se mordait la langue, ce qui semblait être le cas de son opposant. L'homme cria et tomba à genoux, la bouche en sang. Sakura ramassa aussitôt son boomerang et recula vers la bulle magique où se trouvaient les parents de Fye. Ses exercices avec Shaolan payaient et elle avait réussi à se débrouiller seule en combat rapproché, mais elle ne tiendrait pas ainsi éternellement. Si la situation devenait inextricable, devrait-elle se résoudre à tuer ceux qui l'approchaient, quand bien même ces soldats seraient manipulés par le voleur d'âmes ?

À une vingtaine de mètres, Kurogane repoussa avec énergie deux combattants, en désarma un troisième et gratifia le dernier d'un coup de pied dans les rotules. Derrière lui, Fye le protégeait du gros des troupes à l'aide de ses runes, mais le ninja avait remarqué qu'il n'achevait aucun de ses adversaires. Shaolan, qui bataillait un peu plus loin, assommait hommes et femmes à l'aide de coups de pieds bien placés, et lorsqu'une lame s'approchait un peu trop près de lui il la contrait, mais il n'osait pas riposter au niveau du point faible des soldats. Ils hésitaient, tous, pris au piège d'un dilemme moral. Devait-il tuer ces gens, les épargner ? Kurogane savait que s'ils doutaient trop longtemps, ils finiraient par perdre. Ces soldats étaient trop nombreux et ils ne ressentaient pratiquement pas la douleur, il était impossible de les vaincre par épuisement. Les coups qu'ils leur portaient les faisaient tituber quelques instants, mais ils revenaient vite à l'assaut sans la moindre fatigue.

À cet instant, une nouvelle nuée de flèches s'abattit sur eux : Shaolan, Sakura et Kurogane étaient trop engagés dans la lutte pour pouvoir les détruire. Fye traça donc des runes de la main droite et les projeta dans le ciel : des spirales bleutées s'étirèrent de chacune des lettres, se rejoignirent entre elles et formèrent un maillage protecteur au-dessus de leurs têtes. Les flèches, déviées de leur trajectoire, échouèrent sur le loch ou, mieux, touchèrent certains de leurs adversaires, créant une véritable débandade parmi les rangs ennemis. Kurogane jugea que c'était le moment de mettre un coup d'arrêt à ceux qui avançaient encore. La même idée dut traverser l'esprit du mage, car il se retourna vers lui.

– Kuro-chan, frappe un grand coup, maintenant !

– Avec plaisir !

Il se concentra, déversa tout son qi dans la lame de son sabre.

Hama Ryu-o Jin !

La vague de lumière emporta les soldats comme la lame de fond d'une tempête. Le ninja se redressa, un sourire sur les lèvres : avec ce qu'ils venaient de se prendre dans les dents, ces gars allaient se tenir tranquilles un moment. Certains avaient peut-être subi des blessures graves, les autres n'étaient sans doute qu'étourdis, mais il n'avait touché le point faible d'aucun d'entre eux. Cette attaque ne leur résolvait pas leur cas de conscience, mais elle leur offrait un bref répit.

C'était sans compter sur Gowan et Moira, qui étaient demeurés en retrait jusqu'alors. Jugeant qu'il était temps pour eux de relayer leurs hommes, ils s'avancèrent sur le champ de bataille. Le regard Kurogane s'embrasa de satisfaction : enfin, il allait pour pouvoir prendre sa revanche sur Gowan ! La hache de sa hallebarde, d'un noir sinistre, se détachait comme le bec d'un corbeau sur la neige immaculée. Le ninja nota que le crochet situé sous le tranchant de son arme était toujours cassé : c'était Fye qui l'avait brisé lors de leur première rencontre avec le général, afin d'éviter que ce morceau de métal ne se transforme en serpent et n'émette les vapeurs qui avaient bien failli les asphyxier. Gowan n'avait pas fait réparer son arme, et c'était tant mieux, même si la pointe de sa hallebarde pouvait encore se métamorphoser et produire du poison. Kurogane se mit en place ; au même instant, les combattants les moins amochés par son attaque se relevèrent. Bordel, ils récupéraient plus vite que prévu ! Fye se plaça derrière lui.

– Occupe-toi de Gowan, je te couvre.

Le ninja le remercia d'un signe de tête, pendant que le mage traçait des runes. Il se tourna vers Gowan et les deux hommes se toisèrent, un sourire carnassier sur les lèvres.

– Je savais bien qu'on se reverrait, déclara le général calmement. Tu n'es pas du genre à laisser un combat inachevé.

– Comment tu le sais ?

– Parce que j'étais comme toi, avant.

Il leva sa hallebarde et s'élança. Parfait, songea Kurogane, Gowan avait visiblement décidé de se battre à la loyale : s'il ne recourrait pas à sa fumée empoisonnée, il pourrait l'affronter sans avoir besoin de l'aide de Fye. Dès le début de l'embuscade, le ninja était persuadé qu'il retrouverait le général et il avait pris soin de ramasser un bouclier au préalable. Pas question d'être pris au dépourvu comme la dernière fois ! Quand Gowan se fendit dans sa direction, la pointe de son arme dirigée vers sa tête, il leva immédiatement son bouclier et encaissa le coup, puis tenta d'atteindre son adversaire au ventre. Gowan ramena aussitôt la hampe de son arme devant lui pour se protéger, puis reprit l'assaut, força Kurogane à se défendre sur son côté droit, celui que le bouclier ne couvrait pas, afin de l'obliger à utiliser son sabre. Le ninja savait parfaitement où son adversaire voulait en venir : il espérait qu'à force de parades répétées, sa lame finirait par se briser. Mais il ne lui ferait pas ce plaisir ! Il évita tous ses assauts, écarta la hache de son ennemi quand elle le frôlait de trop près. Dans un premier temps, il y réussit plus tôt bien, mais à la longue, il commença à se fatiguer : l'esquive n'était pas sa technique de prédilection. À ce jeu-là, Fye était meilleur que lui. Sa respiration devenait plus hachée, son cœur battait de plus en plus vite, et tant qu'il se protégeait il ne pouvait pas reprendre l'initiative de l'attaque. Il savait que ce n'était pas comme ça qu'il viendrait à bout de Gowan, il devait le désarmer, comme la dernière fois. Tirant partie de son éreintement, le général abattit sa hallebarde vers lui. Kurogane para de son bouclier, mais il laissa tout son flanc gauche à découvert. Gowan en profita pour lui asséner un coup de pied juste sous les côtes. Kurogane tituba : cette enflure s'était souvenue de l'emplacement de la blessure qu'il avait reçue devant château de Valeria, et il avait frappé pile au même endroit. Si la plaie s'était refermée, sa peau n'en restait pas moins sensible, et c'était peu dire que le coup ne lui avait pas fait de bien. Il se redressa avec une expression féroce.

– Je vois que t'as bonne mémoire.

– En effet. Et toi, je suppose que tu te rappelles que mon point faible ne se trouve pas à la même place que mes subalternes.

– Exact, c'est pour ça que j'ai prévu de te tailler en pièces.

– Je n'en attendais pas moins de toi.

Les deux hommes reprirent la lutte, force contre force, précision contre précision, détermination contre détermination. Kurogane réussit à l'atteindre dans le dos en le contournant, le général l'érafla plusieurs fois de sa hache, mais aucun d'eux n'était prêt à abandonner. Ils mesuraient le talent de l'autre et cela désiraient farouchement remporter la victoire. Kurogane songea que cet homme lui ressemblait un peu et il se demanda quelle raison l'avait poussé à rejoindre Ingvar. L'avait-il décidé de son propre chef, l'y avait-on forcé ? Plus Kurogane luttait, plus il avait la sensation que Gowan n'agissait pas sous la contrainte. S'il se trouvait là, dans cette vallée, à ferrailler contre lui, c'était parce qu'il l'avait voulu. Cette règle s'appliquait-elle à tous les combattants ? Pouvaient-ils en tuer certains s'ils voyaient leur vie menacée, était-ce moralement acceptable ? Kurogane parvint à dévier la pointe de la hallebarde grâce à son bouclier et se fendit, jambe en avant, katana pointé vers la gorge de son ennemi. La pointe s'y enfonça et le ninja pria, en la retirant d'un geste sec, pour qu'il s'agisse du point faible du général. Hélas, il comprit au sourire de son adversaire qu'il n'avait pas encore fait la bonne touche. Pourtant, un tel coup aurait été mortel à n'importe quel combattant ; la plaie qui sanguinolait au niveau de son cou n'était vraiment pas belle à voir.

– Raté, ricana Gowan tandis que du sang débordait de sa bouche. Tu es habile, mais il te manque une information pour me vaincre. Tu risques de t'épuiser avant de réussir ton coup, tu le sais ?

– Je suis plus endurant que tu ne le crois.

– Oh, mais moi aussi. Seulement, j'ai une immunité que tu n'as pas.

Gowan esquissa une feinte dans sa direction, puis abattit sa hache sur son bras gauche. Il pensait couper son membre et achever le ninja dans la foulée, aussi, quelle ne fut pas surprise quand sa lame déchira ce qui ressemblait à un lambeau de peau pour ensuite se heurter à une surface métallique. Son tranchant rebondit sur la surface polie sans la briser. Qu'est-ce que c'était que ça ? Cet homme … il était pourtant humain, non ? Ce fut au tour du ninja de ricaner.

– Finalement, il n'y a pas que moi qui rate mes coups … dommage pour toi, tu es tombé sur la seule partie de mon corps que tu ne peux pas trancher. Ce bras métallique a été fabriqué grâce à une technologie qui dépasse tout ce que les habitants de ton pays peuvent imaginer.

Avec un rictus de rage, Gowan resserra sa prise sur son arme : puisque c'était comme ça, il n'allait pas perdre son temps en paroles. La pointe de sa hallebarde s'anima, s'étira et se couvrit d'une peau écailleuse pour donner naissance à un serpent. Ce dernier ouvrit la gueule et une vapeur violacée s'en échappa. Kurogane jura à voix basse : bordel, ce gars était mauvais joueur. Dépité d'être tombé sur son bras artificiel, Gowan avait visiblement décidé de recourir à la magie. Cela ne l'emballait pas des masses, mai Kurogane savait qu'il allait avoir besoin de Fye. Le mage avait déjà détecté le danger, et il l'entendit rire dans son dos :

– Je savais, Kuro-chan, que tu ne pouvais pas te passer de moi !

A l'aide de ses runes, il propulsa les combattants qui le menaçaient à une bonne cinquantaine de mètres, puis fit volte-face, leva du bout du pied une lance qui gisait au sol, la rattrapa et rejoignit Kurogane. Ce dernier luttait tant bien que mal contre Gowan, désavantagé par les fumées toxiques. Le général ne pouvait plus frapper d'estoc depuis que la pointe de sa hallebarde s'était métamorphosée, mais il multipliait les coups de hache et laissait peu de répit au ninja. Il réussit à lui arracher son bouclier, crocheta son sabre grâce à son bec de corbin, tira et Ginryû échappa des mains de Kurogane. Le ninja pesta : bordel, son sabre ! Ça faisait deux fois que ce mec lui arrachait Ginryû, il allait le lui payer ! Gowan leva sa hallebarde et abattit son tranchant vers sa tête, prêt à la fendre en deux. Kurogane allait s'écarter quand une hampe de bois bloqua celle du général : Fye venait de s'interposer entre lui et son adversaire. Il repoussa la hallebarde de ses deux bras, surprenant Gowan par sa force, tout en lui adressant un sourire de fauve : Kurogane voyait peut-être en lui un ennemi digne d'intérêt, mais si le général s'imaginait pouvoir toucher à un cheveu de son compagnon, il se trompait. Le ninja s'était relevé et avait récupéré son sabre. Fye remarqua qu'il peinait à respirer et lui-même commençait à tousser : les vapeurs infernales de Gowan faisaient effet. Mais si leur ennemi pensait qu'ils allaient abandonner, il pouvait toujours rêver. Fye lança à Kurogane :

– Je vais te créer des ouvertures. Toi, blesse-le jusqu'à trouver son point faible.

– Tu es déterminé à tuer ce gars-là ? Même s'il est manipulé ?

– On ne lit pas une telle détermination dans le regard d'une victime.

Kurogane cilla : Fye avait été longtemps le jouet de Fei Wang Reed. Il savait très bien de quoi il parlait.

– Ce Gowan se bat de sa propre volonté, j'en suis sûr. Ne lui fais pas de cadeau.

– Parfait, c'est ce que je voulais entendre.

Ensemble, ils passèrent à l'attaque. Fye contra un assaut de Gowan, lui envoya un coup de genou dans le ventre. Le général grogna, toussa, baissa sa garde, et Kurogane en profita pour glisser son sabre dans le creux que formait le bec de corbin brisé de sa hallebarde. D'un geste sec, il crocheta l'arme, l'abattit au sol et décocha à Gowan un coup de poing dans la mâchoire. Le général chancela, et Fye leva sa lance pour le transpercer à l'épaule. Gowan vacilla encore, mais réussit à dégager sa hallebarde et repoussa le mage d'un mouvement circulaire. Les deux compagnons froncèrent les sourcils : Gowan ne manifestait pas la moindre trace de douleur malgré sa blessure à l'épaule. Ce n'était pas encore le bon endroit. Très bien, songea Fye, il était temps de passer à une attaque plus déstabilisante. Il piqua vers le général, le provoqua pour l'obliger à repasser à l'attaque. Gowan s'élança, tranchant levé en direction du magicien. Fye para, mais au lieu de s'écarter immédiatement, il maintint bloquée en l'air la hampe de son ennemi, se mit de profil et glissa sa jambe gauche derrière la jambe droite de Gowan. Tout en lui faisant un croche-pied, il remonta la hampe de sa lance vers sa gorge et appuya. Son adversaire s'étrangla, le sang coula de son cou, il perdit pied et s'effondra.

– Kuro-chan, à toi !

Le ninja taillada le ventre du général, mais il n'eut guère le loisir d'aller plus loin car Gowan le repoussa de sa hache. Kurogane battit en retraite : bordel, Fye lui avait créé une bonne ouverture, mais leur ennemi était rapide. Ils n'avaient toujours pas localisé son point faible, pourtant, ce n'était pas faute de le blesser ; qu'à cela ne tienne, ils s'acharneraient jusqu'à l'achever. Seulement, ils allaient devoir se dépêcher : le poison continuait de faire effet sur leur organisme et ralentissait leurs réflexes, ils ne demeureraient pas lucides éternellement.

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Tout comme Gowan s'était naturellement dirigé vers Kurogane, Moira se planta devant Shaolan, rapière au poing et en position de garde. L'adolescent savait que la femme viendrait vers lui. Il leva sa propre épée et se prépara au combat. Sans un mot, ils se jaugèrent, et plutôt que de laisser Moira prendre l'ascendant, Shaolan attaqua le premier. Il piqua vers la hanche de son adversaire, mais Moira réagit promptement, détourna son arme, l'abaissa vers le sol et remonta sa propre lame pour le frapper à la tête. Shaolan n'échappa à la blessure qu'en s'accroupissant, et leva aussitôt son épée pour parer le coup que Moira assénait sur sa nuque. Il la repoussa, se remit en garde tout en réfléchissant. Il devait absolument garder l'avantage de l'assaut. S'il s'enfermait dans la défense, il ne pourrait plus agir. Il tenta une feinte circulaire pour obliger Moira à le contrer par le bas. Si elle tombait dans son piège, il lèverait son arme pour la toucher au visage. Hélas, son subterfuge ne prit pas : Moira enveloppa sa lame et la rabattit vers le sol, bloquant tout mouvement de sa part ; il eut tout juste le temps de reculer pour ne pas être blessé. Décidément, cette femme était douée, il ne pourrait pas la tromper facilement. Elle l'assaillit de coups, avec une telle diversité dans ses mouvements que Shaolan ne parvenait pas à prévoir sa prochaine attaque. Pour la toucher, il devait la surprendre, la déstabiliser ; il était temps qu'il mette à profit certaines techniques que Kurogane lui avait apprises. Moira voulait conserver son ascendant sur lui ? Très bien, c'était ce qu'il allait lui faire croire. Il la laissa venir vers lui, resta sur la défensive dans un premier temps, para un coup, puis deux, tenta une timide attaque vers son bras droit. Moira prit ce geste pour une hésitation et piqua de l'avant. Shaolan sourit intérieurement : cette fois, elle était tombée dans le panneau. Il enroula sa lame avec la sienne, la repoussa dans le sens contraire à l'articulation de son poignet et bloqua son bras. Puis, il recula d'un pas, dégagea sa propre lame et la releva vivement, touchant son adversaire au visage. Enfin, il lui envoya un coup de pied dans les hanches. Moira recula, du sang coula de front. Elle se redressa, stupéfaite : elle ne s'attendait visiblement pas à un tel assaut. Malheureusement, elle ne sembla éprouver ni douleur ni crainte. Shaolan pesta : le visage n'était visiblement pas le point faible des généraux … Mais où diable se cachait-il, dans ce cas ? Moira essuya machinalement le sang qui empoissait son front.

– Pas mal, gamin … mais ce n'est pas ça qui me mettra à terre.

Shaolan serra les dents : il ne s'avouerait pas vaincu. Il visa son épaule, mais la générale repoussa sa lame vers le haut et le déséquilibra. Profitant de sa posture instable, elle fit un pas vers lui, saisit son bras gauche, le leva à la verticale pour dégager son ventre et lui asséna un coup de genou. Il chancela, le souffle coupé, tandis que la douleur remontait jusqu'à ses côtes. Il devait rester concentré ! Il reprit lentement sa respiration, tâcha de faire fi de l'élancement qui irradiait dans sa poitrine. Il allait reprendre le duel quand il remarqua que Moira jetait des coups d'œil derrière lui. Il suivit son regard et se rendit compte qu'une bonne moitié des soldats évincés par Kurogane s'était déjà ressaisie. Cependant, au lieu de se répartir uniformément, ils encerclaient peu à peu Sakura. Shaolan aurait juré voir Moira faire un signe à ses subalternes. Et si les combattants essayaient de capturer la mère de Fye ? Après tout, c'était son pouvoir qu'Ingvar convoitait, non ? Shaolan en fut brusquement persuadé, jusqu'à ce qu'il voie Sakura s'écarter de la bulle protectrice où se trouvaient les parents de Fye pour mieux faire face à ses agresseurs. Si la théorie de l'adolescent avait été juste, les combattants auraient dû se rapprocher les anciens souverains pour briser la barrière qui les protégeaient. Au lieu de cela, tous suivirent la princesse. Shaolan tressaillit : se serait-il trompé ? Ces hommes n'en auraient-ils pas après Chii, mais après Sakura ? Pourquoi ? Quelle que soit la réponse, il était maintenant convaincu que l'attaque des généraux ne servait qu'à détourner leur attention, à lui, Fye et Kurogane, pendant que les soldats se concentraient sur la jeune fille. Avec rage, il se retourna vers Moira.

– Qu'est-ce que vous manigancez ?

La jeune femme eut un sourire mauvais.

– Ça ne te regarde pas.

Furieux, Shaolan attaqua, passa derrière Moira et lui asséna un coup de pied dans les rotules, qu'il accompagna d'une entaille de son épée pour être sûr de la faire ployer. Du sang jaillit au niveau de ses mollets que ses jambières en cuir ne protégeaient pas. Les yeux de Moira s'écarquillèrent et elle repoussa Shaolan avec violence. Elle recula, tremblante. Son regard sidéré frôlait la panique, dans une expression que le jeune homme ne lui avait jamais vue depuis le début de leur combat. Venait-il de trouver son point faible ? Oui, cela expliquerait l'effroi qu'il lisait dans ses yeux. Il ne devait pas s'agir des mollets, sinon Moira se serait déjà effondrée, mais sa lame avait dû passer tout près de l'emplacement fatidique. Il détailla rapidement la guerrière et se rendit compte que ses jambières s'épaississaient au niveau de ses chevilles. Là. Il s'élança, mais au même moment, Moira leva sa rapière et des vapeurs verdâtres s'élevèrent de sa lame. Une odeur de gaz emplit l'atmosphère et dès qu'il la sentit, Shaolan se figea : il savait ce que la jeune femme était de faire. Lors de leur première rencontre, Moira avait déjà activé la magie contenue dans son épée. Ce pouvoir lui permettait de dresser un espace de vide autour d'elle et cette barrière, plus efficace qu'elle n'y paraissait, avait la faculté d'annihiler ses attaques à base de foudre et de feu. Aux dires de Moira, son corps exploserait s'il tentait de pénétrer dans cet espace. En la blessant aux mollets, Shaolan avait réveillé son instinct de survie. Comment la vaincre dans ces conditions, alors que le cercle des soldats se refermait sur Sakura ?

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Protégés des attaques par le dôme magique de Sakura, Chii et Hideki observaient avec angoisse le combat de leur fils et de ses compagnons. Un sentiment d'impuissance les dévorait de l'intérieur et leurs mains devenaient de plus en plus moites. Chii regardait alternativement Fye, Kurogane et Shaolan en se mordant la lèvre. Si seulement elle avait pu leur venir en aide, si seulement elle avait pu utiliser sa magie ! À chaque fois que la hallebarde de Gowan frôlait Fye d'un peu trop près, elle avait l'impression de revivre le jour où l'on lui avait arraché ses enfants. Pourquoi, depuis, ne pouvait-elle plus se servir de ses pouvoirs ? Pourquoi ? Était-ce bien, comme elle le supposait, à cause de sa propre faiblesse ? Était-ce parce qu'elle avait eu trop peur de perdre son mari et ses fils qu'elle avait inconsciemment bloqué le flux de ses pouvoirs ? Dans ce cas, comment le réactiver ? En effaçant la peur qui la taraudait ? Elle était incapable, en cet instant, de ressentir une autre chose que de la peur. Elle essaya de calmer les battements de son cœur, de faire abstraction des entrechocs métalliques, de retrouver la détermination qui l'animait jadis, et tendit la main droite devant elle. Hideki retint son souffle : y arriverait-elle, cette fois ? La jeune femme plaça toute sa volonté dans sa paume, crispa ses doigts, son front se plissa. Elle devait y parvenir. Mais elle devinait que son cœur battait encore trop vite, que sa concentration n'était pas totale et que le démon de la peur lui gelait toujours les entrailles. Elle rouvrit les yeux et fixa sa main : rien, elle n'éprouvait rien. La magie enfouie en elle demeurait inexorablement endormie malgré sa résolution. Le bleu de ses yeux devint presque noir et elle frappa le sol de son poing.

– Pourquoi ? Pourquoi je n'y arrive pas ?!

Hideki la fixa, puis releva la tête vers la bataille. Cet insupportable sentiment d'impuissance lui collait la rage, à lui aussi. N'était-il pas le roi cadet de Valeria ? Sa place n'était-elle pas sur ce champ de bataille, comme tout souverain qui se respecte ? Comment prouverait-il sa valeur à son fils s'il demeurait toujours à l'écart ? Il s'était juré, vingt ans plus tôt, de ne plus jamais céder à la faiblesse et de protéger ses enfants. Le destin lui en avait déjà pris un, il refusait que le seul qu'il lui restait se sacrifie dans son intérêt. C'était lui, le père, c'était à lui d'agir ! Il devina la silhouette de Fye au milieu du nuage de fumée créé par la hallebarde de Gowan. De sa lance, il repoussait ou détournait les attaques du général, tout en créant des ouvertures pour que Kurogane puisse l'attaquer. Gowan saignait de partout, pourtant il continuait de se battre sans manifester la moindre douleur. Hideki serra les poings : oui, c'était lui qui aurait dû se tenir aux côtés de Fye, au lieu de cet étranger aux yeux rouges ! Il aperçut la haute stature de Kurogane, non loin de celle de Fye, et sa mâchoire se crispa. Le ninja calait ses gestes sur ceux de son fils et tous deux agissaient dans une synchronisation parfaite. Kurogane accompagnait Fye sans une once d'hésitation, sans le moindre geste de faiblesse, et son fils lui faisait complètement confiance … Hideki jura à mi-voix. Il ne resterait pas en arrière plus longtemps, à se terrer comme un lâche. Il se leva et s'approcha de la barrière de protection établie par Sakura.

La princesse projeta son boomerang contre ses assaillants. Elle devait éviter de se battre au corps à corps et de s'épuiser afin de protéger les parents de Fye le plus longtemps possible. Seulement, avec tous ces soldats qui reprenaient leurs esprits, la situation commençait à se tendre. Elle les avait vus se relever, un à un, mais elle ne pensait pas qu'ils concentreraient tous leur action sur elle. La jeune fille s'était écartée de la bulle qui protégeait Chii et Hideki, et à sa grande surprise, tous les hommes et les femmes l'avaient suivie. Ce serait donc à elle qu'ils en voulaient ? Pourquoi ? Cela ne tenait pas debout. Elle relança son boomerang, faucha plusieurs combattants. Elle et ses compagnons devaient trouver un moyen d'échapper à cette armée. Mais comment faire ? Ils ignoraient toujours si ces gens agissaient de leur propre volonté, ils ne pouvaient pas les tuer. À cet instant, une femme dégaina une dague et fondit sur elle. Sakura tenta de la désarmer d'un coup de pied dans le coude, mais son adversaire réussit à lui échapper, saisit sa jambe et la lui tordit. Sakura grimaça de douleur, perdit l'équilibre et s'écroula dans la neige. La combattante se jeta à califourchon sur elle, leva son arme, mais Sakura lui envoya un coup de poing sous le menton. La réplique sonna la femme et la princesse en profita pour lui faire lâcher sa lame, puis la repoussa par les épaules et la renversa à terre. Cette fois, c'était elle qui se tenait au-dessus de son opposante, dague à la main. Elle la leva, hésita : elle n'avait qu'à frapper à droite de sa poitrine pour tuer cette guerrière, mais elle n'y parvenait pas. Et si elle était manipulée ? Et si elle, princesse de Clow, était incapable de prendre une vie ? À cet instant, la voix de la femme s'éleva :

– Allez-y, tuez-moi. Je suis fatiguée … d'être une marionnette.

À ces mots, Sakura tressaillit. Dans le regard de la combattante, prisonnière sous elle, elle ne lisait que lassitude et désespoir. Sa main trembla, la dague demeura en suspens.

– Non … non, je ne peux pas faire pas. Pas si l'on vous oblige à tuer !

La femme lui adressa un regard reconnaissant, puis, d'un geste vif, saisit le poignet de Sakura, referma son autre main sur celle de la princesse et abaissa l'arme vers sa poitrine. La dague se planta dans son point faible et Sakura laissa échapper un cri de terreur. Les mains de la combattante tinrent bon sur les siennes, et au bout d'une seconde qui parut durer des heures à Sakura, la femme la libéra de son emprise. Sakura retira aussitôt son arme du corps de la femme, paniquée, et appuya sur la plaie, mais il était déjà trop tard. La vie s'éteignait dans le regard de la guerrière, tandis qu'une mare de sang se répandait sur la neige glacée. Avant de fermer les yeux, la femme plongea son regard dans celui de Sakura et murmura :

– Merci d'avoir eu pitié de moi.

Tremblante, la princesse vit la tête de la femme retomber au sol. Elle la fixa, tétanisée, mais d'autres soldats resserraient déjà leur cercle autour d'elle. Elle se redressa, vacillante, dévisagea ceux qui lui faisaient face. Ces gens seraient donc forcés d'agir ? Mais alors, qu'en était-il de Gowan et Moira, qui paraissaient si déterminés ? Tous les soldats d'Ingvar n'auraient donc pas été choisis de la même manière ? Dans ce cas, comment faire la différence entre les victimes et ceux qui agissaient de leur plein gré ?

Perdue, la jeune fille jeta un œil en direction de Fye et de Kurogane : ces derniers étaient toujours aux prises avec Gowan, qui avait activé le pouvoir infernal de sa hallebarde. Quant à Shaolan, il s'était figé face à Moira. La jeune femme s'était agenouillée et appuyait sur ses mollets blessés. Pourquoi Shaolan ne l'attaquait-il pas, alors qu'elle se trouvait en position de faiblesse ? La princesse fronça les sourcils : Moira, tout comme Gowan, possédait une arme magique. Si Shaolan s'était immobilisé, c'était probablement parce que la générale avait libéré le pouvoir de son épée pour créer un espace de vide autour d'elle. Sakura cilla : elle avait besoin d'aide. Près de soixante soldats l'encerclaient, elle ne parviendrait jamais à les repousser seule. Elle devait intervenir pour permettre à l'un de ses compagnons de lui prêter main forte, mais qui aider ? Shaolan ? Ou bien Kurogane et Fye ? Le mage et le ninja avaient bien amoché Gowan, mais le général ne semblait pas près d'abandonner, tandis que Moira s'était mise sur la défensive. Son attitude étonnait d'ailleurs la princesse, car si sa blessure au mollet saignait, elle ne paraissait pas plus grave que celle qu'elle portait au front. Et si Shaolan était passé près de son point faible ? Oui, cela expliquerait son expression effrayée ! Dans ce cas, le jeune homme devait savoir où frapper pour l'achever. Mais devaient-ils tuer Moira ? Sakura secoua la tête : s'ils ne se débarrassaient pas d'au moins l'un des deux généraux, ils ne se sortiraient jamais de cette situation. Elle devait donner un coup de pouce à Shaolan pour qu'il puisse ensuite l'aider à repousser le gros des troupes, mais pour cela, elle avait besoin de son dé magique, ce qui impliquait de rompre brièvement le bouclier qui protégeaient les parents de Fye.

Au moment où elle se faisait cette réflexion, elle vit soudain Hideki se redresser … et franchir les limites du sa barrière. Paniquée, elle lança son boomerang devant elle et s'ouvrit une brèche dans la masse de combattants.

– Majesté, que faîtes-vous ? Restez à l'intérieur du kekkai !

– Je ne continuerai pas à observer ce combat sans rien faire !

Il ramassa une épée et Sakura nota qu'il avait l'air déterminé. S'il était prêt à se battre, peut-être pouvait-elle débloquer la situation ? Elle rattrapa son arme et courut vers l'ancien roi :

– Votre altesse ! Je vais avoir besoin de mon dé magique, pensez-vous pouvoir protéger Chii-sama pendant quelques secondes ?

– Compte sur moi !

La princesse se retourna vers Shaolan et cria :

– Shaolan ! Je vais dissoudre la barrière de Moira, à mon signal, attaque-la !

– Quoi ?

– Tu n'auras que deux minutes pour agir, ne laisse pas passer ta chance !

L'adolescent écarquilla les yeux : dissoudre la barrière de vide de Moira ? Comment Sakura pouvait-elle réussir un tel prodige ?

La jeune fille repoussa d'un coup de pied l'un de ses assaillants, relança son boomerang, puis se rapprocha du dôme protecteur qui enveloppait Chii. L'ancienne souveraine lui tendit son dé magique, qu'elle avait précieusement conservé.

– Dès que je le récupérerai, le kekkai disparaîtra, l'avertit la princesse.

– Ne t'inquiète pas, Hideki me protègera.

L'ancienne reine passa la main à travers la barrière et lui remit le petit objet ; aussitôt, le bouclier se résorba sur lui-même. Sakura se retourna vers Moira, lança le dé de toutes ses forces et prononça l'incantation.

Quatre, néant !

Un cercle magique apparut sous ses pieds et les points indiquant le numéro quatre du dé s'illuminèrent : des éclairs rosés s'en élevèrent et s'abattirent comme la foudre sur la barrière de Moira. La magie de la générale crépita, résista à la puissance du dé, mais finit par ployer face à une telle puissance. La barrière de vide grésilla, puis se volatilisa.

– Maintenant ! cria Sakura à Shaolan.

L'adolescent s'élança vers son adversaire, épée au poing.

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Lorsque Moira avait activé sa barrière de vide, Gowan l'avait immédiatement détectée. Tout en continuant de parer les attaques de Fye et Kurogane, il avait jeté un œil vers sa coéquipière et avait senti son sang se glacer : la jeune femme appuyait sur une plaie au niveau de ses mollets. Putain, le gamin avait frôlé son point faible ! Il ne devait absolument pas l'atteindre une deuxième fois, ou Moira ne se relèverait pas. Il devait aller l'aider, et vite. D'un mouvement circulaire de sa hallebarde, il arrêta les fumées empoisonnées que crachait le serpent au bout de son arme. Puis, il crocheta la lance de Fye, le désarma, repoussa Kurogane qui avançait dans sa direction et courut vers Moira. Au même instant, Sakura lança un petit objet dans les airs. Gowan comprit trop tard l'effet dévastateur de ce dé magique et vit Shaolan s'élancer vers Moira, épée tendue. La gamine avait réussi à détruire le sort de sa coéquipière ! Le général courut plus vite encore.

– Bordel, qu'est-ce qu'il nous fait ? s'exclama Kurogane. Il fuit ?

– Non, Kuro-chan, il va aider Moira ! Je crois que Shaolan a trouvé son point faible ! Dépêche-toi !

Le mage et le ninja poursuivirent Gowan, mais la masse grouillante des soldats qui avaient encerclé Sakura leur bloqua le passage.

– Je les avais oubliés, ceux-là, maugréa Kurogane.

Fye serra les dents et traça des runes à toute vitesse. Ils ne devaient surtout pas laisser Shaolan et Sakura seuls face aux deux généraux.

Shaolan piqua droit vers la chevilla de Moira, mais celle-ci c'était remise debout et para son assaut. Concentré, l'adolescent feinta, la contourna et réussit à toucher sa cheville droite. Moira cria, mais c'était de rage, et Shaolan comprit qu'il s'était trompé de cheville. Il bifurqua pour essayer de blesser l'autre. Il devait se dépêcher avant l'effet du sortilège de Sakura ne se rompe et que l'espace de vide n'entoure de nouveau Moira. Il croisa le fer avec la jeune femme, lui décocha un coup de pied dans les genoux, se rapprocha d'elle …

À cet instant, une hampe de bois le rejeta en arrière et l'envoya manger de la neige. L'adolescent reconnut Gowan et il eut à peine le temps de se redresser pour bloquer la hache du général.

– Dégage, morveux !

Shaolan jura intérieurement. Le sortilège de Sakura ne ferait bientôt plus effet. À cause de Gowan, il risquait de perdre l'opportunité de vaincre Moira. Il tenta des feintes, mais il comprit rapidement que son arme n'était pas du tout adaptée pour lutter contre une hallebarde. Le général le repoussa et lui décocha un coup de pied qui l'envoya rouler au sol. Au même moment, le dé de Sakura retomba et la barrière de vide de Moira réapparut. Elle reforma un bouclier dont la jeune femme constituait le centre, mais Gowan, lui, s'était écarté.

– Attention ! lui cria la femme.

Le kekkai s'éleva du sol, pile à l'endroit où le général avait posé son pied droit. Sous les yeux horrifiés de Shaolan, le membre du général explosa. Le reste de sa jambe y serait passé si Moira ne l'avait pas tiré en arrière à toute vitesse. Pétrifié, Shaolan fixa le membre réduit en bouillie du général. Quelle horreur … ainsi, Moira ne lui avait pas menti sur les effets de sa barrière. La nausée le saisit et il crut qu'il allait vomir. Hors d'haleine, Sakura se précipita vers lui.

– Shaolan, tu n'as rien ?

– Ça … ça va, mais je n'ai pas réussi à toucher Moira !

– J'ai vu, Gowan est intervenu, et son pied …

À l'intérieur de la barrière, Moira aidait Gowan à s'asseoir. Shaolan songea que si c'était son pied gauche qui avait été frappé par la barrière, son point faible aurait été atteint et il serait sans doute mort. Au lieu de cela, il semblait engourdi, mais sans ressentir l'abominable souffrance qu'un être normal aurait éprouvée à sa place. En revanche, son regard brûlait de fureur. D'une voix chargée furibonde, il hurla à ses soldats :

– Tuez-les ! Tuez-les tous !

Le groupe des soldats qui s'était jusqu'alors concentré sur Fye et Kurogane se divisa en trois : le premier continua de harceler le mage et le ninja, un second se dirigea vers Shaolan et Sakura, et le dernier avança vers Hideki et Chii. L'ancien souverain tenta de défendre sa femme, mais les combattants eurent tôt fait de le désarmer et de le rouer de coups. Par tous les dieux, songea Sakura, elle n'aurait jamais dû les laisser seuls ! Elle et Shaolan bondirent sur leurs pieds et coururent leur prêter main-forte.

À quelques centaines de mètres d'eux, Kurogane et Fye peinaient de plus en plus à lutter. Les fumées empoisonnées et leur combat contre Gowan les avaient épuisés, mais leurs adversaires, eux, ne ressentaient ni fatigue ni douleur. Chaque respiration leur demandait un effort, leurs mouvements devenaient plus lents et ils avaient les muscles en feu. Le ninja décida qu'ils ne pouvaient plus se permettre de douter : il désarma l'homme qui se précipitait vers lui et enfonça son sabre dans sa poitrine. Le guerrier s'effondra et ne se releva pas. Au même moment, la voix de la princesse lui parvint :

– Non, Kurogane ! Ne les tue pas ! Certains luttent contre leur volonté !

Le ninja demeura stupéfait. Ne pas les tuer ? Elle en avait de bonnes, la princesse ! S'ils ne se défendaient pas, c'était eux qui allaient y passer. Fye projeta une ligne de runes devant lui, tout en réfléchissant à toute vitesse. Le seul moyen de ne pas tuer leurs adversaires serait de prendre la fuite, mais l'armée les poursuivrait sûrement. Comment l'arrêter tout en ayant la certitude qu'elle ne se lancerait pas à leurs trousses ? Moira et Gowan n'avaient pas bougé du cercle entouré de vide. Ils étaient tous les deux blessés et ils ne risquaient pas de sortir de cet espace à présent que Shaolan avait découvert leur point faible. Fye songea qu'ils étaient tranquilles de ce côté-là, mais que faire pour ceux qui les harcelaient ? Son regard dériva vers le loch gelé, et soudain, une idée germa dans son esprit.

– Kuro-chan ! Le fleuve !

Le ninja se retourna, avisa l'étendue d'eau gelée, et le mage sut qu'il avait compris. Il hocha la tête, puis cria au gamin et à la princesse :

– Repoussez vos adversaires vers le loch !

Sakura fronça les sourcils, mais Shaolan, lui, devina leur plan. Il se retourna vers Chii et Hideki.

– Venez avec nous !

Hideki, couvert d'hématomes, acquiesça, et Chii le suivit en tenant leurs chevaux par la bride, tandis que Mokona se percha sur l'une de leurs montures. Shaolan se concentra, posa deux doigts sur la lame de son épée et invoqua le feu.

Kashin shourai !

Les flammes forcèrent les soldats à reculer vers les rives et Sakura renforça le mouvement en lançant son boomerang vers les lignes ennemies. Pendant ce temps, Fye et Kurogane reculaient vers le loch, poursuivis par les soldats. Quand ils s'aventurèrent sur la glace, certains combattants eurent un moment d'hésitation, mais les autres les suivirent sans hésiter sur l'eau gelée. Fye sourit : parfait, ils tombaient dans le piège.

Derrière cette masse de combattants, Shaolan et Sakura poussaient le reste de la troupe vers le fleuve. Pris en sandwich entre eux et leurs camarades, les soldats n'avaient pas d'autre choix que de reculer. Un nombre grandissant de soldats osaient s'engager sur la glace pour continuer le combat contre Fye et Kurogane. Tout en croisant le fer avec l'un des hommes de cette armée, Shaolan lança un regard à Chii et Hideki.

– Traversez le fleuve, Sakura va vous couvrir ! Faîtes passer les chevaux un par un !

Les anciens souverains acquiescèrent et se hâtèrent. Protégés par Sakura, ils firent traverser une à une leur monture, puis gagnèrent l'autre rive. Fye vit ses parents remonter sur la berge et serra les dents : sous leurs pieds, la glace commençait à se fendiller. Des bruits surréalistes résonnaient sous la surface, proches de tirs d'armes intergalactiques que Kurogane avait utilisées dans un jeu vidéo moderne. La glace travaillait, dans peu de temps elle lâcherait. Le magicien releva la tête vers Shaolan, qui était demeuré sur la rive avec Sakura. Le jeune homme hocha la tête : il savait ce qu'il avait à faire.

– Kuro-chan ! s'écria Fye. Maintenant !

Le ninja repoussa les hommes qui l'entouraient encore, puis plaça son sabre face à la glace et se concentra. Lutter contre Gowan et cette armée l'avait vidé de ses forces, mais il devait encore insuffler de l'énergie à cette attaque ; il y avait bien trente centimètres de glace à percer. Il abaissa sa lame d'un geste sec.

Hama Ryu-o Jin !

Un éclair illumina l'atmosphère et l'eau gelée explosa sous le point d'impact. Aussitôt, tout le loch se lézarda : la glace craqua comme la mâchoire d'un dragon, gronda, se divisa en plusieurs blocs et de l'eau liquide s'infiltra en clapotant entre les brèches. Les plaques sur lesquelles les soldats se déplaçaient devinrent glissantes et beaucoup dérapèrent pour tomber dans l'eau d'hiver. D'autres tentèrent de courir vers les rives, mais la surface mouvante les déstabilisa et ils basculèrent dans une gerbe d'éclaboussure. Fye avait déjà gagné la berge où s'étaient réfugiés ses parents. D'un sortilège preste, il gela un chemin sur le fleuve pour permettre à Kurogane de le rejoindre. Dès que son compagnon eut touché la terre ferme, il traça des runes et les projeta vers le loch : celles-ci achevèrent de tout fragmenter et les dents blanches de la glace se refermèrent sur les soldats d'Ingvar. De l'autre côté du fleuve, quelques combattants avaient reculé, horrifiés par le sort de leurs compagnons. Plus aucun ne prêtaient attention à Shaolan et Sakura, et la princesse, atterrée, fixait le fleuve où flottaient les blocs blancs. Pourquoi n'avaient-ils pas traversés en même temps que Kurogane ? À présent, ils étaient bloqués ! Mais Shaolan, lui, ne semblait pas inquiet. Il se tourna vers elle.

– Aller, on va rejoindre les autres !

– Mais … comment ? Nous ne pouvons plus traverser !

– Bien-sûr que si.

L'adolescent leva deux doigts à hauteur de son visage.

Fuuka shourai !

Le vent se leva d'un seul coup. Avant que Sakura n'ait pu formuler une pensée cohérente elle sentit ses pieds se décoller du sol : elle volait ! Elle tourna la tête vers Shaolan qui lui sourit : elle ignorait qu'il était capable d'invoquer le vent. Les courants les soulevèrent au-dessus du loch et les transportèrent jusqu'à l'autre rive, où ils atterrirent doucement.

– Bien joué, Shaolan-kun, le félicita Fye.

Les sept se retournèrent vers le fleuve où se débattaient hommes et femmes.

– Vous êtes certains que cela ne les tuera pas ? demanda Sakura d'une voix angoissée.

– Leur point faible n'a pas été touché, dit Fye. Néanmoins, ils vont peiner avant de se sortir de l'eau.

– C'est pas une raison pour moisir ici, déclara Kurogane.

Tous acquiescèrent et se mirent en selle. Chii offrit son cheval à Shaolan qui avait perdu le sien et l'ancienne reine monta derrière Hideki. Sans un regard pour leurs adversaires, ils talonnèrent leurs montures et s'éloignèrent dans la vallée.