Bonjour,
Une nouvelle fois, merci à vous de vous égarer avec moi dans cette histoire un peu nawaquienne. Merci aussi à ceux qui prennent le temps de partager leurs impressions avec moi à l'issue de leur lecture. Cela me touche beaucoup !
Voici le quatrième chapitre.
Bonne lecture.
Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada (pardon maître - j'ai tout de même un peu honte)
Chapitre 4 : Golden Eye
Trois jours plus tard, mercredi 3 juin, camping Le Zodiaque
Kanon faisait son douzième tour de bassin depuis qu'il avait enfilé le T-shirt portant la mention MNS inscrite en grosses lettres en plein milieu du dos, lorsque Aphrodite franchit le portillon de la piscine avec Milo à sa suite. Milo qui, au vu du slip de bain qui moulait à la perfection chaque détail de son superbe fessier, avait visiblement le dessein de s'accorder une baignade matinale. Le Gémeaux balaya de son esprit ce commentaire incongru concernant la plastique du Scorpion − après tout il n'avait jamais envisagé son rédempteur sous cet angle, en tout cas pas vraiment − et se dirigea d'un pas leste et décidé vers ses deux camarades en maillot.
« Salut les gars ! Aphro, t'es en avance. Ton cours d'aquagym commence pas avant une bonne demi-heure. Surtout que j'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup d'inscriptions ce matin. Tu risques donc de pas avoir grand monde à faire trémousser dans l'eau.
- Bonjour Kanon ! répondit le Poissons fraîchement reconverti en moniteur de gymnastique aquatique. Merci pour cette information, mais tu sais, j'accepte les participations impromptues. Je ne suis pas psychorigide, contrairement à certains. Et là, je ne fais référence à personne, et surtout pas à un certain jumeau avec qui tu partages une caravane.
- Désolé, j'vois pas de qui tu parles, ironisa le cadet du psychorigide en question.
- Et puis au pire, rebondit Aphrodite, si je n'ai vraiment personne ce matin, je ne serai pas contre une petite heure de farniente. Sinon pour répondre à ton étonnement concernant mon arrivée précoce, Milo cherchait désespérément quelqu'un portant divinement le maillot pour faire quelques longueurs. Alors évidemment, me voilà.
- Je t'ai rien demandé du tout ! s'insurgea le Scorpion, ravi de pouvoir enfin en placer une. Tu m'es tombé dessus quand je quittais mes claquettes devant l'entrée de la piscine. Sinon, ça roule Kanon ? La pêche ? RAS aujourd'hui ?
- Ça va. Rien de particulier. La routine.
- Même pas la moindre petite demande d'étalage de crème solaire ? insista l'Arachnide. Parce que je vois deux candidates, là-bas sur les transats à ta droite, qui en auraient bien besoin. Fichtre, on dirait des chipos qu'on a grillées au barbeuc !
- Ouais ben tant pis pour elles. C'est pas comme si Camus n'avait pas collé des affiches partout autour de la piscine pour rappeler les dangers du soleil.
- Il a fait ça ? J'ai pas fait gaffe.
- Oui Milo. Ton pote l'esquimau glacé a eu la bonne idée de prendre cette bienveillante initiative, qui ne fiche pas du tout la trouille aux gamins. A tel point que l'autre jour, j'ai un gosse qui est venu me voir en chialant parce que son grand frère lui avait dit qu'il avait une tumeur au milieu du menton. Sauf que c'était du chocolat.
- Ah ben c'était pas grave alors ! Mais c'est embêtant si ça fait peur aux petits… J'en toucherai deux mots à Camus.
- Oui, ce serait bien venu, approuva Kanon en tournant la tête vers son talkie qui venait de biper depuis la table à côté.
- Tu ne réponds pas ? s'étonna Aphrodite.
- Si c'était urgent, nos cosmos auraient déjà vibré, répondit le concerné.
- D'ailleurs, je pige pas pourquoi ton frangin nous oblige à utiliser ces gadgets à la noix, fit remarquer Milo en haussant des épaules.
- C'est pour faire plus naturel, expliqua le cadet gémellaire. Il paraît que tous les campings du coin ont investi dans ce genre de matériel. Et puis, j'en connais qui s'éclatent bien avec ça. Y a même un ou deux p'tits malins qui s'acharnent à me faire des blagues à la con.
- Ah oui, je vois le genre ! s'exclama le Poissons. L'autre jour, j'ai surpris Dohko en train de demander avec son plus bel accent anglais si une certaine « Tess T. Culls » (1) se trouvait parmi les clients du bar, parce qu'elle était attendue à la réception. Il a bien dû répéter le nom deux ou trois fois avant de comprendre pourquoi tout le monde riait à gorge déployée.
- Pauvre Dohko ! compatit le gardien du Huitième. Toutes ses années à méditer au pied de sa belle cascade ne l'avaient pas préparé à affronter ce genre d'épreuves. Et vous avez une idée de qui peut être l'auteur de ces sympathiques petits canulars ?
- Hum… Perso, mes soupçons se portent fortement sur Jamian, affirma Kanon. Des jeux de mots aussi élaborés ne peuvent qu'être la signature d'un humour britannique.
- Oh toi, t'as une dent contre les sujets de Sa Majesté ! T'as toujours pas digéré ton combat conte la Wyverne ?!
- Pas du tout, Milo ! Ça n'a absolument rien à voir ! Et si y'en a un qui devrait avoir du mal à encaisser ce souvenir, c'est lui et pas moi.
- Pas faux. C'est vrai que tu l'as bien fait monter au septième ciel, l'animal. Avec efficacité et panache. D'ailleurs, je suis certain que sans l'intervention du Very Big Boss, Rhadamanthe serait toujours en orbite.
- Exactement ! approuva l'aspirant cosmonaute.
- Bon sur ce, Aphro, tu viens piquer une tête ? Après tout, on est tout de même là pour ça, rappela Milo en faisant tourner ses bras par-dessus ses épaules en guise d'échauffement.
- Yes my lord ! approuva le Douzième gardien en déposant avec précaution sa serviette sur un transat.
- Alors bonne baignade ! Et n'oubliez pas que je suis là au cas où. Non parce que Milo, je t'ai vu nager l'autre jour et franchement, t'es pas encore prêt pour les JO.
- Attends une ou deux semaines, et je te mettrai la raclée au cinquante mètres ! » asséna le futur champion juste avant d'exécuter un superbe plongeon.
Kanon recula d'un bond pour éviter d'être atteint par la moindre éclaboussure, l'ex-Dragon des mers ne supportant pas d'être mouillé contre sa volonté. Vieux traumatisme laissé par un séjour carcéral particulièrement humide. Puis il se dirigea vers la table et le parasol où il avait pris l'habitude de déposer ses affaires pour vérifier son talkie, au cas où. Il saisit l'appareil dans sa main droite, choisit le canal désiré et approcha ses lèvres du micro :
« Kanon pour Saga.
- Oui Kanon, répondit aussitôt le premier Gémeaux. Qu'y-a-t-il ? A toi.
- T'as essayé de m'appeler y a cinq minutes ?
- Négatif. A toi.
- OK. Je m'en doutais. Alors à plus. Je reprends la surveillance de la piscine.
- Reçu ! Tout va bien là-bas ? A toi.
- Oui, RAS.
- OK. A plus tard. Terminé ! »
Kanon reposa son talkie en réfrénant la pensée moqueuse qu'il sentait poindre dans l'hémisphère le plus taquin de son cerveau. Son frère était vraiment tatillon sur tout. Même le vocabulaire radio devait y passer. Bah tant qu'il n'en faisait pas usage pour le mode télépathique, cela restait acceptable. Sachant qu'au final, les petites manies de Saga n'étaient pas si terribles. D'ailleurs, s'il voulait être tout à fait honnête, il pouvait presque confesser que celles-ci lui avaient manqué pendant son exil aquatique. Enfin dans une certaine mesure en tout cas.
Sur cette preuve flagrante d'amour fraternel, Kanon remit ses lunettes de soleil sur son nez, et entreprit de poursuivre sa ronde de surveillance autour de la piscine. Lorsqu'il passa devant les clientes au teint d'écrevisse mentionnées par Milo, il apprécia la discrétion que lui accordaient ses Ray-Ban. C'est vrai qu'elles étaient vraiment très rouges, et qu'elles allaient probablement regretter de s'être abandonnées comme ça aux rayons d'Apollon. Tant pis pour elles.
Après tout, même lui pensait à protéger sa peau. Enfin disons qu'il avait un aîné particulièrement protecteur qui le lui rappelait chaque matin. « Kanon, t'as mis de l'écran total sur ton nez ? Kanon, t'as pris tes lunettes de soleil ? Et ta casquette, tu as oublié ta casquette ! ». Ah… Saga est sa tatillonnerie.
Sauf que non, la casquette, il en était hors de question ! Aucun couvre-chef ne viendrait jamais plus masquer sa superbe chevelure. Il avait trop donné avec le casque de son écaille, et celui des Gémeaux, il le portait sous son bras. Alors une casquette, c'était nyet !
En terminant son treizième tour, Kanon fit de nouveau escale à la table où se trouvait son quartier général pour boire une grande gorgée de Coca. Sans sucres, le Coca. Encore un coup de Saga. Le risque de diabète et tout ça. Et c'est lorsqu'il revissait le bouchon sur le goulot de sa bouteille qu'il fut certain de le voir.
Tout juste sorti de l'eau, il se séchait à l'abri d'un parasol. Ces cheveux blonds. Ces larges épaules. Ce dos musclé. Cette attitude fière et supérieure. Il l'aurait juré sur son armure et sur son écaille, cet homme était la Wyverne. Sauf qu'une telle chose était impossible. Que ferait-il ici ? Et surtout, comment aurait-il pu s'approcher à ce point sans que son cosmos eût trahi sa présence ? Non, il devait divaguer. Forcément.
« Eh Kanon, ça va ? T'as vu un fantôme ou quoi ? s'enquit Milo qui venait de s'extirper du bassin pour s'asseoir sur le rebord de la piscine.
- Quoi ? balbutia le maître-nageur en reprenant ses esprits.
- Ben je sais pas, tu fais une drôle de tête !
- Non, c'est ta façon de nager. Je suis impressionné ! Tu pourras bientôt quitter ta bouée ! D'ailleurs, elle est où ? Faut que je la récupère pour les gamins.
- Ha ha, très drôle ! T'es jaloux, c'est tout ! Ou tu commences à avoir la trouille, je sais pas. J'hésite.
- La trouille de quoi ? Que tu te noies quand tu voudras faire la course contre moi ?
- Bon Kanon, t'as gagné ! Toi, moi, dans quinze jours, dans cette piscine. Je te prends au cinquante mètres nage-libre. Et on verra qui de nous deux aura besoin d'une bouée !
- Comme tu veux, Milo. Mais prépare-toi à accepter la défaite. Ça risque de pas être facile pour toi.
- Je ne perds jamais, Kanon. Tu m'entends ? JA-MAIS !
- Faut bien une première à tout ! Nouvelle vie, nouvelles règles !
- On verra ! Et en attendant, moi j'ai la dalle. Ça creuse, la natation. J'vais aller voir si Aldé a pas quelque chose pour moi dans ses frigos.
- Ça marche ! Mais fais gaffe à ce que tu manges quand même. J'me demande si t'as pas un peu trop abusé du gras et du sucre, toi, ces derniers temps.
- Aucun risque. J'ai un corps parfait et une condition physique tout aussi parfaite. Et surtout, huit ans de moins que toi, je te rappelle.
- Trop facile ça, Milo. Allez, va donc t'empiffrer de tartines ! J'en ai assez entendu pour aujourd'hui !
- Je t'en rapporte une, si tu veux ! Tu préfères rillettes ou Nutella ?
- Hors de ma vue, Milo ! »
Le Scorpion déguerpit en riant, une serviette nouée autour de la taille. Kanon le suivit du regard, un large sourire sur les lèvres à la perspective de sa victoire. Certaine. Pauvre Arachnide, il allait tomber de haut. En espérant qu'il ne ferait pas un plat. Parce que ça pouvait faire mal.
Le Scorpion lui fit un signe de la main en ouvrant le portillon de la piscine, et ne remarqua pas l'homme qui se tenait de l'autre côté. La tête baissée et le regard masqué par des lunettes noires, ce visiteur qui remettait ses mocassins − oui des mocassins – pouvait facilement passer pour un touriste ordinaire. Mais Kanon, lui, le reconnut aussitôt. Cette fois-ci, il n'avait plus le moindre doute. Surtout lorsque l'homme retira ses lunettes pour lui adresser un clin d'œil. Doré.
ooOoOoOoo
Mû du Bélier referma l'écran de son ordinateur portable dernier cri − un Apple PowerBook, leur Déesse n'avait pas lésiné sur les dépenses – et sourit de satisfaction. Le tableau des réservations pour la période estivale se remplissait peu à peu, et les demandes arrivaient chaque jour plus nombreuses par la poste ou par téléphone. Ce qui rendait la tâche qu'on lui avait attribuée de plus en plus fastidieuse. Remplir les détails de chaque dossier sur un tableur informatique n'était pas une mission particulièrement valorisante intellectuellement parlant, mais Saga et Camus lui avaient fait comprendre que c'était une étape obligatoire à la bonne gestion d'un établissement comme le leur. Alors Mû se pliait à cet exercice sans se plaindre, tout en réfléchissant à un procédé qui lui permettrait d'en optimiser la réalisation.
Il avait entendu parler de la création récente par des chercheurs du CERN d'une sorte de plateforme universelle permettant d'échanger toutes sortes d'informations de manière instantanée : le World Wide Web. Il ne devrait donc probablement pas être bien compliqué d'utiliser cet outil pour permettre aux futurs campeurs de compléter directement leurs dossiers en suivant un format adapté. Et le tour serait joué. Plus de double saisie inutile. Gain d'efficacité garanti. Enfin, on n'en était visiblement pas tout à fait encore là. Mais Mû était convaincu que bientôt, ce réseau international – que certains appelaient l'Internet – serait au cœur de leur vie et de leur quotidien, comme une sorte de cosmos accessible à tous. A deux ou trois petits détails près.
Galvanisé par ses réflexions futuristes, le Premier gardien sortit de son bureau confiant et déterminé. Il descendit les quelques marches qui le séparaient de la réception du camping et ouvrit la porte pour pénétrer dans l'arène. Un brouhaha multilingue envahit aussitôt ses oreilles, dans lequel il n'eut aucun mal à déceler un mélange d'impatience et d'agacement. Plusieurs groupes de touristes attendaient de pouvoir s'entretenir avec les deux agents présents à l'accueil, ces derniers étant aux prises avec un couple de retraités français pour l'un, et hollandais pour l'autre.
« Jeune homme, vous ne semblez pas très attentif à ma requête ! Mon épouse et moi-même voudrions simplement changer d'emplacement. Celui que vous nous avez attribué est beaucoup trop proche du bar. Nous ne supportons plus les cris du disc-jockey.
- Toutes mes excuses, Monsieur, et soyez assuré de ma totale attention », s'amenda Shaka de la Vierge dans un français quasiment parfait. En voilà un qui ne s'était pas assoupi pendant les enseignements de Camus du Verseau et de Misty du Lézard, contrairement à un certain disc-jockey aux ascendances scorpionesques.
« D'ailleurs, poursuivit le Sixième gardien, sachez que je comprends pleinement votre revendication, les dissonances en provenance du débit de boissons susnommé causant des altérations dans l'enracinement de la conscience de Bouddha dans le corps de votre humble serviteur ».
Le vieil homme en sandales cligna des paupières d'incompréhension, puis reprit son propos pour ne pas perdre le fil de ce pour quoi il était venu.
« Très bien, mais vous allez pouvoir nous déménager, oui ou non ?
- Bien entendu, mon cher Monsieur. Je vous propose l'emplacement 413, qui se trouve à mi-chemin entre le portail d'accès à la plage et les sanitaires B2. Celui-ci devrait convenir davantage à votre tranquillité.
- Merci beaucoup. Cela me semble idéal, en effet. Quand pourrons-nous déplacer notre caravane ?
- Dès à présent, Monsieur. L'emplacement 413 est actuellement inoccupé.
- Alors c'est parfait ! Je vous remercie et je vous souhaite une excellente journée, jeune homme, conclut le client ravi d'avoir été entendu.
- Pareillement, Monsieur. Que toutes les choses sacrées soient protégées. Ommm, Paix, Paix, Paix » ajouta Shaka en joignant ses mains en prière devant lui.
Le français satisfait sourit poliment à son bienfaiteur et se retourna vers son épouse qui attendait derrière lui.
« Alors, c'est bon, on va pouvoir déménager ?
- Oui, chérie. Tout est réglé.
- Tant mieux ! Et qu'a voulu te dire ce charmant jeune homme en te saluant de cette manière ?
- Je n'en ai pas la moindre idée. Mais ça avait l'air gentil. »
Mû observa le couple de touristes quitter la réception, heureux de constater que son ami Shaka semblait avoir retrouvé un certain goût pour les interactions sociales. Puis il reporta son attention sur Aiolos qui paraissait en bien plus mauvaise posture avec son couple de hollandais.
Le Bélier aiguisa son cosmos pour mieux saisir le contenu de la conversation, sa maîtrise du néerlandais lui permettant d'en comprendre les détails. Car Aiolos et lui se trouvaient être les seuls chevaliers d'Or à pratiquer la langue de Rembrandt. Lui, parce qu'il était parfaitement polyglotte, ses aptitudes mentales l'ayant transformé en véritable éponge à dialectes. Et Aiolos, parce qu'une mission au Pays-Bas l'avait jadis conduit à s'initier aux charmes de cette "jolie" langue germanique.
Mû comprit rapidement que le Sagittaire avait besoin d'un soutien, la diplomatie n'étant plus vraiment son fort depuis son retour parmi les vivants. Il s'approcha donc de son homologue et prit la parole sur un ton calme et enjoué.
« Messieurs-dames, en quoi pouvons-nous vous aider ? (ndla : le dialogue ci-dessous a été traduit en français, pour notre bien-être à tous)
- Nous voulons voir le directeur !
- Il sera ravi de s'entretenir avec vous, mais voyons d'abord si nous ne pouvons pas satisfaire votre demande sans faire appel à lui, poursuivit le Tibétain avec son plus beau sourire.
- Votre collègue ici présent ne semble pas partager votre point de vue, puisqu'il s'acharne à refuser de prendre en compte nos revendications.
- Il s'agit probablement d'un malentendu. De quoi avez-vous besoin précisément ? »
Aiolos leva les yeux en l'air à la perspective d'entendre à nouveaux les plaintes de ces deux touristes capricieux, et laissa vagabonder ses pensées. Pensées qui rencontrèrent rapidement celles de Saga des Gémeaux, dont le bureau se trouvait à l'étage juste au-dessus.
« Que se passe-t-il, Aiolos ? s'enquit télépathiquement le premier jumeau. Je perçois de la contrariété dans ton esprit.
- Rien de grave, répondit le Sagittaire. Juste des clients aux desiderata un peu compliqués. Mais Mû vient de prendre le relai. Tout devrait donc bientôt être réglé.
- En es-tu sûr ? Camus est avec moi, il peut descendre pour vous apporter son soutien, si besoin.
**Soupir télépathique du Verseau. Ses talents de diplomate lui collaient décidément à la peau.**
- Non, ce n'est pas nécessaire, affirma Aiolos. D'ailleurs Mû vient de mettre fin à son échange avec les deux enquiquineurs qui semblent enfin satisfaits.
- Aiolos, je ne te permets pas de parler de nos clients en ces termes ! s'offusqua le directeur adjoint du Zodiaque.
- Pardon Saga, marmonna de mauvaise grâce le Neuvième gardien. Si on ne pouvait plus râler tranquillement en silence, cette expérience estivale allait vite devenir infiniment compliquée.
- Excuses acceptées, mon ami. Et si tout est rentré dans l'ordre, je te laisse reprendre le travail. A plus tard Aiolos.
- A plus tard Saga. »
Le Sagittaire salua le couple de touristes qui repartait avec le sourire et remercia Mû pour son intervention. Ce dernier lui rétorqua que c'était la moindre des choses, et se dirigea vers la sortie pour se ressourcer avec un peu de silence. La réception était un lieu beaucoup trop bruyant pour ses ondes cérébrales à la sensibilité exacerbée.
Le Bélier fit quelque pas à l'ombre des pins maritimes, les mains croisées derrière le dos. Une douce brise imprégnée d'iode et de soleil lui caressa le visage et il ferma les yeux pour mieux apprécier l'instant. Une soudaine perturbation dans l'équilibre du cosmos vint toutefois rompre ce moment de quiétude pourtant bien mérité. Une altération presque imperceptible, mais qui ne pouvait pas échapper à la perception paroxysmique du Premier gardien. Et lorsqu'il souleva ses paupières, Mû aperçut un homme aux cheveux blonds et à la carrure imposante qui s'éloignait du camping discrètement.
ooOoOoOoo
Milo jeta sa serviette en papier imbibée du gras de son beignet dans une poubelle, et passa sur ses lèvres la pointe de son index. Index qu'il lécha ensuite avec gourmandise afin de ne pas gaspiller le moindre soupçon de sucre glace. Il raffolait vraiment des beignets préparés par le Taureau. Ce gars-là était un chef, et il comptait bien le convaincre de poursuivre l'exploitation de ses talents culinaires à leur retour au Sanctuaire.
Une fois devant la grande porte vitrée de la réception, le Scorpion se figea pour jeter un œil à son reflet. Kanon disait vraiment n'importe quoi lorsqu'il sous-entendait qu'il avait pris du poids. Son corps était absolument parfait, comme tout le reste de sa personne. Enfin, s'il faisait abstraction de ses nombreux défauts.
En pénétrant dans les locaux, Milo salua Shaka et Aiolos qui profitaient d'un moment de tranquillité pour ne rien faire. La Vierge fermait les yeux, probablement pour méditer ou peut-être pour dormir – on ne pouvait jamais savoir – et le Sagittaire effleurait le tissu de son bandana, perdu dans ses pensées. Milo s'égara alors dans une courte réflexion concernant les goûts vestimentaires de son aîné, qui finalement semblaient assez raccord avec l'air du temps. Enfin pour les fans de rock et de métal en tout cas, et pour ceux qui n'avaient rien contre les cyclistes roses fluo. Le moqueur avisé passa ensuite de l'autre côté du guichet sans déranger davantage ses deux camarades, et s'engouffra dans l'escalier qui menait au bureau de Saga.
Arrivé face à la porte, Milo prit un instant pour tenter de remettre sa chevelure en ordre et éliminer les dernières traces de sucre glace éparpillées sur son T-shirt. La perspective de consulter l'ancien Pope ne le rendait pas particulièrement nerveux, mais il venait de détecter la présence de Camus.
« Salut Saga ! Bonjour Camus ! La forme ? s'enquit-il en pénétrant dans l'office.
- Bonjour Milo, répondit le Gémeaux en relevant les yeux du gros registre qu'il tenait ouvert devant lui.
- Bonjour Milo, reprit Camus en s'écartant du bureau.
- Saga, t'as deux minutes à m'accorder, s'il te plaît ? J'ai besoin de te parler d'un truc.
- Cela ne peut pas attendre cet après-midi ? Camus et moi n'avons pas terminé de vérifier la comptabilité.
- Mais j'en ai vraiment pas pour longtemps ! Vous pourrez vous remettre à vos calculs dans cinq minutes maxi. Ah et Camus, avant que j'oublie, Kanon m'a dit de te dire qu'il fallait que t'enlèves les affiches que t'as collées autour de la piscine. Elles foutent la trouille aux gamins.
- Quelles affiches ? s'étonna Saga en relevant un sourcil.
- Camus t'expliquera ! Bon et alors, je peux te parler oui ou non ?
- Puisque tu es là et que tu sembles fort pressé de d'entretenir avec moi, vas-y, je t'écoute, concéda l'ex-chevalier tyrannique reconverti en directeur dévoué.
- Voulez-vous que je vous laisse ? proposa le Verseau, qui ne souhaitait pas participer à une conversation qui ne le concernait pas.
- Non, tu peux rester, ça me dérange pas, précisa le Scorpion.
- Oui, reste Camus, s'il te plaît. Comme ça nous pourrons nous remettre au travail juste après. Alors Milo, je t'en prie, quelle est la raison de ta visite ?
- Alors vous savez que je suis en charge de l'animation festive du camping. Les apéros, les soirées, et tout ça. Sachant qu'Aiolia me donne de temps en temps un coup de main pour les jeux apéros, lorsque j'ai besoin d'un assistant pour m'aider dans l'organisation. Vous vous rendez peut-être pas compte, mais c'est du boulot de préparer les jeux, de distribuer les accessoires qui peuvent parfois être nécessaires. Sachant qu'il faut trouver de nouvelles idées tous les jours. Et pour les soirées, c'est encore pire. Il faut une bonne sono, des lumières, et puis des CD à la mode, évidemment.
- Bon, où veux-tu en venir, Milo ? le coupa Saga, qui commençait déjà à s'impatienter. Deux minutes qu'il avait dit…
- Attends, j'y viens ! Je disais donc… Il faut de la bonne musique, et surtout, renouveler les concepts, sinon les clients finissent par se lasser. J'ai donc pas mal réfléchi à tout ça ces derniers jours, et j'en ai conclu que j'avais besoin de nouveaux équipements.
- De quel genre d'équipements parles-tu ? questionna le directeur à la longue chevelure bleue qui devenait curieux.
- Une nouvelle sono, un nouveau jeu de lumières stroboscopiques, et un dispositif de karaoké.
- Karao quoi ?! s'exclama Saga.
- Karaoké. Attends, t'en as jamais entendu parler ? Saga, faudrait p'têtre que tu sortes un peu de temps en temps, sans vouloir te vexer !
- Je n'ai pas le temps ! J'ai des responsabilités, moi, figure-toi ! se défendit le rabat-joie. Mais tu connais ça, toi, le kara-koké, Camus ?
- Karaoké, corrigea le Scorpion.
- Oui Saga, répondit le Verseau. C'est un terme qui provient d'une combinaison des raccourcis kara du mot japonais karappo, qui signifie "vide", et oke pour ōkesutora, qui veut dire "orchestre". Il s'agit donc d'une façon divertissante de chanter, en suivant les paroles sur un écran.
- Quelle précision, Camus ! Je n'aurais pas dit mieux moi-même.
- Merci Milo.
- Très bien, mais en quoi consiste un dispositif de kara-oké ? insista Saga qui n'était toujours pas certain de comprendre.
- Oh c'est trois fois rien, rétorqua le Scorpion. En gros, il faut un écran de télévision assez grand pour être vu de loin, un ou plusieurs micro, un lecteur de CD et un magnétoscope pour synchroniser les paroles qui s'affichent à l'écran avec la musique, tu sais comme pour les sous-titres d'un film.
- Et j'imagine que tout ça ne se trouve pas au supermarché du coin ?
- Eh ben non ! D'où la suite de ma requête. J'ai entendu parler d'un salon spécialisé dans l'animation, qui se tiendra à Paris la semaine prochaine, et je voudrais donc y aller afin d'acheter tout ce dont j'ai besoin pour la saison estivale. Car tu ne voudrais pas que les clients se plaignent de la qualité de nos animations, hein ?
- Évidemment que non ! Tout doit être irréprochable dans le camping de notre Déesse ! s'emporta celui qui avait fait le serment de garantir cette irréprochabilité.
- Et combien tout cela va-t-il coûter ? s'enquit Camus, à qui l'on n'avait tout de même pas confié la responsabilité de la comptabilité pour rien.
- Ben je sais pas trop… Mais c'est certain que la qualité a un prix.
- Bon, j'en ai assez entendu. Milo, j'accède à ta demande. Rends-toi à ce salon parisien pour acheter ce dont tu as besoin, en y mettant le prix qu'il faudra.
- Merci Saga ! Je te revaudrais ça ! s'enthousiasma le Scorpion.
- Pas la peine. Je ne fais que mon devoir. Et Camus, tu l'accompagnes.
- Quoi ?! s'écria le Français, surpris par la déclaration de son aîné. Mais Saga, je n'ai pas le temps voyons ! La semaine prochaine, je dois me rendre chez l'expert-comptable pour valider les derniers éléments dont nous avons parlé tous les deux.
- Eh bien tu avanceras ton rendez-vous d'un jour ou deux. De toute façon, nous avons presque terminé nos vérifications, les documents dont tu as besoin seront donc prêts plus tôt que tu ne l'avais prévu. Et je pense que tu seras ravi de pouvoir veiller à la pertinence des dépenses de Milo.
- Et tu pourras m'aider avec le français ! se réjouit l'apprenti DJ. Non, parce que j'ai pas beaucoup progressé depuis notre arrivée ici, et je dois bien avouer que c'est pas encore vraiment ça.
- Mais enfin Saga, tu pourrais pas l'accompagner toi-même ? insista Camus, sans trop y croire non plus.
- Hors de question ! Mon emploi du temps et mes responsabilités ne me permettent en aucun cas de quitter le Zodiaque. Donc vous partez tous les deux, fin de la discussion.
- Entendu, Saga, finit par concéder le Verseau.
- Super ! Une virée entre potes, comme au bon vieux temps ! s'exclama le Scorpion. Bon je vous laisse. J'avais pas dit que ça prendrait deux minutes ?
- Si. Sauf que ça fait plus de dix minutes que tu nous as interrompus, précisa Saga en chevalier tatillon. Kanon ne faisait pas toujours preuve de mauvaise foi non plus.
- Ah mince ! Désolé. Mais ça en valait la peine, non ? Allez, à plus les gars ! Et Camus, ça va être top, tu vas voir ! »
Camus sourit discrètement à Milo lorsque celui-ci quitta la pièce, puis se rembrunit aussitôt. La perspective de ce voyage ne l'enchantait absolument pas. Parce qu'il n'en avait ni l'envie, ni le temps. Le travail avant tout. Mais surtout, parce qu'il avait peur.
Peur de se retrouver seul avec son ami, sans la présence indiscrète des cosmos des autres chevaliers du Sanctuaire. Car depuis leur résurrection, ils n'avaient jamais eu l'occasion de se voir en tête à tête loin de toute oreille inquisitrice, et n'avait donc jamais eu la possibilité de parler sérieusement. Et quelque part, le Verseau était convaincu que c'était très bien comme ça. Mais quand serait-il la semaine prochaine ? Quand serait-il si Milo commençait à vouloir discuter, à lui poser des questions ? A lui demander des explications au sujet de son sacrifice pour Hyoga, de sa traîtrise qui n'en était pas une ? Au sujet de ses silences ? Camus n'avait pas la moindre idée de comment il réagirait, et il n'avait pas envie d'y réfléchir. Parce que songer à tout cela lui rappelait la raison de son mutisme. La raison pour laquelle il n'avait jamais eu ni la force ni le courage d'engager une véritable conversation avec le Scorpion depuis leur retour à la vie. Parce qu'il était amoureux de son meilleur ami depuis toujours, et qu'il ne lui avait jamais dit.
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Shaka de la Vierge enroula un voile de soie autour de ses épaules nues et s'installa en tailleur sur le sol de sa canadienne. La porte, ouverte, donnait sur le sentier de sable qui menait vers l'océan, et de là où il se trouvait, il pouvait distinguer la dune. Majestueuse, intemporelle, mais pourtant si fragile.
Il saisit la tasse posée sur le plateau devant lui, et but une gorgée du breuvage qu'il venait de préparer avec soin. Il avait laissé au Sanctuaire la plupart des substances psychotropes qu'il avait pris l'habitude de consommer depuis son retour à la vie – enfin, à sa vie humaine en tout cas – pour ne conserver que celle qui était devenue indispensable à l'ouverture de ses chakras. Une tisane composée de Psilocybe semilanceata qu'il avait lui-même cueillis lors de ses nombreuses escapades mystiques.
Car depuis son sacrifice devant le Mur des Lamentations, Shaka n'était plus capable de trouver par lui-même le chemin qui le menait à Bouddha. A ce moment-là, lorsque ses camarades et lui avaient donné leur vie – encore – pour leur Déesse et pour l'Humanité, quelque chose avait brisé son âme et avait fait de lui un homme différent. Cette terrible réalité, à laquelle il avait été confronté dès l'apparition de nouvelles molécules d'air dans ses poumons, l'avait anéanti. Alors il avait cherché une solution, un moyen de continuer à être celui qu'il avait toujours été. L'homme le plus proche des Dieux. Et il n'avait trouvé de salut que dans l'illégalité et le psychédélisme. En même temps, certains diraient qu'une telle dérive était probablement inéluctable eu égard à la décoration de la Sixième maison. Mais ceci était un tout autre sujet.
Une fois sa tisane terminée, Shaka se positionna en Lotus pour réciter son premier mantra. Mais à l'ouverture de son cinquième chakra, un sursaut dans son énergie vitale lui fit soulever une paupière. Il venait de distinguer très clairement une aura familière. Une aura qu'il avait jadis côtoyée dans les tréfonds du royaume d'Hadès, et qui cherchait aujourd'hui à se camoufler à seulement quelques kilomètres de là. L'aura de Rhadamanthe de la Wyverne, Spectre de l'étoile céleste de la férocité et l'un des trois Juges des Enfers.
A suivre...
Merci pour votre lecture.
Référence pour le titre du chapitre 4 : Golden Eye, Tina Turner, 1995. Sérieusement, vous ne trouvez pas que cette chanson va trop bien à Rhadamanthe ? La Wyverne ne ferait-il pas un excellent James Bond ?
Notes :
(1) Cette blague de mauvais goût n'est pas de moi (pour une fois) mais de Bart Simpson. Elle figure d'ailleurs dans le "top-10 des meilleurs appels de Bart à la Taverne de Moe".
MNS : Maître Nageur Sauveteur.
CERN : Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire, située à quelques kilomètres de Genève, en Suisse (et à cheval sur la frontière franco-suisse).
