À l'origine ce chapitre n'en était pas un, ces scènes n'étaient même pas prévues mais il me semblait important de passer par là plutôt que d'enchaîner directement avec le prochaine chapitre. Il a aussi pris une tournure très différente de ce à quoi je m'attendais mais je n'en suis pas mécontente au final.
Chapitre XV
Remplir son devoir
Alinor se réveilla avec la désagréable sensation de ne pas s'être reposée du tout. Elle était couverte de sueur et parcourue de frissons, son corps glacé comme si les couvertures qui la recouvraient n'étaient d'aucune utilité.
Elle prit un instant pour scruter les alentours et reconnut le dortoir du Culte impérial, plongé dans l'obscurité que seules quelques lanternes bleutées venaient éclairer. Une seule autre personne occupait les lieux : allongé sur un lit en face d'elle, Nels Llendo dormait d'un profond sommeil.
Elle ferma les yeux et poussa un soupir de soulagement.
Il est donc en vie…
Elle ne pensait pas qu'elle se serait inquiétée pour un brigand qui lui avait apporté tant d'ennuis mais elle était heureux de constater qu'il n'était pas mort à cause d'elle, pris dans un affrontement qui ne le concernait pas.
Son esprit encore somnolant, elle eut du mal à se remémorer les récents évènements. Ils s'étaient battus à Coeurébène, contre un Khajiit et…
Le Daedra de Verre !
Elle rouvrit les yeux et se redressa d'un coup. Une douleur éphémère mais fulgurante la traversa. Elle grimaça et posa sa main sur son abdomen, qu'elle sentit recouvert de bandages, ce qui la fit déglutir, se rappelant comment la lame du katana daedrique l'avait transpercée…
« Vous êtes déjà réveillée ? souffla une voix acariâtre. C'est une bonne nouvelle mais si vous pouviez ne pas rouvrir votre blessure, ce serait encore mieux. Alors pour l'amour des Divins, allongez-vous ! »
Alinor tressaillit sous le ton réprobateur de Synnolian Tunifus qui venait d'entrer et s'empressa de s'exécuter. L'Impérial s'approcha d'elle et releva la tunique qu'elle portait pour examiner le bandage.
« Vous avez de la chance : la plaie ne s'est pas rouverte, dit-il avec un soupçon de soulagement dans son intonation. Pour une Disciple de Stendarr, vous semblez assez insouciante avec vos propres blessures. Êtes-vous sûre d'avoir reçu une formation de base en guérison ? »
Elle fut tentée de protester en répondant à cette question clairement rhétorique mais se retint : il n'était jamais bon de s'attirer les foudres d'un guérisseur.
« Mes excuses. Mon intention n'était pas de saboter votre travail. J'étais juste… »
Elle ne parvint pas à finir sa phrase, incapable d'expliquer la raison de sa réaction. Synnolian hocha la tête d'un air grave et s'assit à son chevet.
« Je comprends mais faites attention. Vous avez failli y laisser la vie, vous savez ? Quand on m'a dit qu'il y avait eu un affrontement sur la Place du Dragon et une blessée grave, je ne m'attendais pas à ce que ça soit vous. Votre état était si critique que votre amie n'osait pas vous déplacer et j'ai moi-même crû un instant que vous n'en réchapperiez pas.
— Mon amie ? répéta Alinor, confuse. Vous parlez d'Almasea Ulès ? Est… Est-ce qu'elle va bien ? Où est-elle ?
— Calmez-vous, s'exclama l'Impérial en se massant les tempes. Vous me donnez mal à la tête. Votre amie va bien : de vous trois, elle était la seule à peu près indemne. »
Il jeta un coup d'œil vers Nels Llendo.
« Quant à lui, il s'est beaucoup plaint de ses blessures mais en vérité, il n'avait pas grand-chose qu'un peu de repos ne puisse réparer. Il est quand même ironique que ce soit lui qui dorme encore et vous qui soyez éveillée. »
Alinor sourit. Normalement elle serait d'accord avec lui mais après tout ce qui s'était passé, le brigand avait plus que le droit de se reposer.
« Il est vrai qu'il est souvent dramatique pour peu de choses mais il s'est vraiment vaillamment battu contre nos assaillants. »
Synnolian lui jeta un regard sceptique.
« Si vous le dites… »
Le guérisseur se leva et se rendit vers une table sur laquelle était disposé tout un assortiments d'ingrédients d'alchimie et de potions. Il rassembla quelques feuilles, dont Alinor ne parvenait pas à deviner l'usage, dans un mortier et les broya à l'aide d'un pilon en pierre avant de farfouiller dans ses flacons jusqu'à trouver la potion qu'il voulait et d'en verser le contenu dans le récipient.
Une fois qu'il eut mélangé le tout, il en mit une partie dans un bol en argile qu'il tendit vers Alinor.
« Tenez, buvez ceci. Cet élixir est conçu pour régénérer votre énergie, aussi bien vitale que magique. Il va aussi vous rendre somnolente, ce qui est une bonne chose : votre corps a besoin de repos pour guérir. »
Elle fut tentée de le refuser – pourquoi devrait-elle dormir alors qu'elle était réveillée et qu'il y avait bien des choses à faire ? – mais se résigna face au regard intransigeant du guérisseur et avala la mixture.
Son goût était atroce mais son efficacité certaine : en quelques gorgées, elle sentit un poids se poser sur ses épaules et commença à avoir du mal à garder les yeux ouverts. Elle faillit presque renverser le bol, que Synnolian attrapa in-extremis avant qu'elle ne ferme complètement les yeux.
« Reposez-vous, Disciple de Stendarr. Pour une fois, autorisez-vous à prendre un peu de repos. »
. . .
À son réveil, Alinor constata que l'élixir avait fait des merveilles : elle se sentait reposée comme elle l'avait rarement été ces derniers jours. La blessure la tiraillait encore mais était assez gérable pour qu'elle puisse se lever sans trop de difficulté.
Elle était cette fois-ci seule dans le dortoir. Au bord de son lit, quelqu'un avait déposé une robe d'un bleu sombre terne qui avait clairement connu des jours meilleurs et qui ne lui correspondait guère mais qu'elle revêtit tout de même par dessus sa tunique et son pantalon – elle espérait juste pouvoir récupérer ses vêtements par la suite et qu'ils ne soient pas tachés de son sang.
Elle finissait d'attacher la ceinture de sa robe quand elle entendit quelqu'un descendre les escaliers et ouvrir la porte. Le visage de Nels Llendo s'éclaircit d'un sourire radieux en la voyant.
« Je me disais bien que j'avais entendu du bruit ! s'exclama-t-il. Bon retour parmi nous, ma belle étincelle. Comment vous sentez-vous ? »
Elle y réfléchit un instant avant de dire :
« Je vais bien. Il est bon de vous revoir, rôdeur.
— Le plaisir est partagé. Je vous aurais bien serré dans mes bras tellement je suis heureux de vous voir debout mais les démonstrations d'affection ne semblent pas être votre fort, pas vrai ? De plus, je tiens à ma vie : vous êtes peut-être encore en convalescence mais je ne doute pas que vous pourriez me mettre à terre en un instant si j'essayais. »
Elle plissa des yeux avec méfiance à l'idée qu'il s'approche d'elle et envahisse son espace personnel, ce qui le fit rire.
« Votre regard si charmant et empli de bienveillance m'avait manqué. Si vous vous en pensez capable, pourquoi ne pas monter jusqu'à la chapelle ? Vous voir debout va rassurer beaucoup de monde là-haut. »
Il lui ouvrit la voie et l'aida à traverser l'escalier – chaque marche tendait ses muscles autour de sa blessure et les bandages étaient si serrés qu'ils limitaient ses mouvements. Heureusement pour sa fierté, Nels Llendo ne fit aucun commentaire pendant qu'il la soutenait.
« Depuis combien de temps sommes-nous ici ?
— Mmh… Trois jours, si je ne me trompe pas. C'était d'ailleurs assez long : on a vite fait le tour des lieux et cet endroit manque cruellement d'activité si vous voulez mon avis. »
Alinor écarquilla les yeux de surprise. Elle était alitée depuis tout ce temps ? Elle savait que sa blessure était sérieuse mais ne s'attendait pas à ce qu'elle soit grave à ce point.
Elle frissonna. Synnolian n'exagérait pas quand il disait qu'elle avait failli mourir…
En arrivant dans la chapelle, des éclats de voix se firent entendre :
« Selon les ordres de Varus Vantinius, il va être transféré aux geôles de Coeurébène d'un jour à l'autre…
— Pourrons-nous l'interroger quand ça sera le cas ?
— Eh bien, nous pouvons toujours essayer de convaincre le chevalier du dragon impérial mais ce n'est pas certain qu'il accepte… »
Alinor et Nels Llendo entrèrent dans la chapelle, où Lalatia et Almasea discutaient devant l'autel. L'oracle fut la première à les remarquer et sourit avec une expression soulagée.
« Louons les Huit et l'Unique pour votre rétablissement. Il est bon de vous voir sur pieds, Alinor.
— Je ne l'aurais pas été sans les soins apportés par Synnolian Tunifus, répondit-elle. Je suis son obligée. »
L'oracle rit et secoua la tête.
« Ne le lui dites surtout pas : notre guérisseur n'aime pas que les gens pensent avoir une dette envers lui parce qu'il fait son travail. Ça a le don de l'énerver. »
Un peu déstabilisée, Alinor opina maladroitement et se tourna vers la personne qu'elle espérait voir depuis son réveil. Almasea la dévisageait en silence, son visage trahissant l'inquiétude qu'elle ressentait alors qu'elle l'examinait de haut en bas comme si elle s'attendait que la Disciple de Stendarr s'effondre d'un moment à l'autre.
« Ne vous en faites pas, je me sens bien » déclara Alinor pour la rassurer.
La devineresse eut un sourire en coin.
« Vous dites ça à chaque fois. Ne soyez donc pas surprise si je remettre en doute votre parole quand il s'agit de votre bien-être. »
Almasea reprit son sérieux et la fixa avec gravité.
« Vous nous avez fait peur, Alinor. J'ai essayé d'arrêter l'hémorragie mais sans succès et si un garde impérial n'avait pas eu la présence d'esprit d'aller prévenir le Culte impérial, vous seriez morte dans mes bras. »
Alinor détourna la tête, sentant la honte la submerger.
« Je… Je suis désolé pour ça. »
Elle regarda tour à tour Almasea et Nels Llendo et reprit :
« Ce n'était pas mon intention que vous mis en danger à cause de moi. Je vous présente à tous les deux mes excuses pour vous avoir entraînés dans cette affaire. »
Un silence pesant envahit la chapelle. Alinor attendit que l'un de ses compagnons prenne la parole, ce que Nels Llendo finit par faire. Il grimaça et passa une main à son cou en disant :
« Décidément, vous savez mettre les gens mal à l'aise, ma belle étincelle… Ne vous en faites pas pour ça. Ce qui compte, c'est que nous nous en soyons sortis vivants. »
Almasea approuva d'un hochement de tête.
« Vous abandonner à un tel moment aurait été d'une bassesse sans pareille. De plus, nous avons des raisons de croire que le Culte impérial ne soit pas la seule cible de ces malfaiteurs, bien que nous essayons toujours de comprendre pourquoi vous êtes leur priorité. »
La façon dont elle s'exprima troubla Alinor.
« Vous avez une idée de qui ils sont ? »
L'oracle et la devineresse échangèrent un regard.
« Peut-être bien, admit l'Impériale. Vous souvenez-vous d'un certain Faven Drès ? »
Ce nom lui était familier mais elle ne parvenait pas à s'en rappeler précisément.
« C'est le Dunmer que vous avez rencontré à Pélagiad avant de vous faire attaquer le soir même, expliqua Nels Llendo sans cacher son dégoût.
— Oh… »
C'était l'informateur que les Lames de Seyda Nihyn l'avaient envoyé rencontrer pour en savoir plus sur ceux qui cherchaient à la tuer et qui, ironiquement, l'avait vendu à la Confrérie Noire. Elle fut étonnée d'entendre parler de lui : elle n'était pas retournée voir Sellus Gravius et Aurane Renault pour leur annoncer sa trahison. Elle n'en avait pas non fait mention lors de son dernier rapport envoyé au Culte impérial : il lui aurait fallu mentionner l'agent Renault et elle ne semblait pas être dans son droit de le faire.
Le seul ainsi au courant de l'incident à Pélagiad était Nels Llendo, auquel elle jeta un regard agacé. Il haussa dédaigneusement les épaules.
« Quoi ? De ce que j'ai compris, ce Dunmer est un traître. Pourquoi voudriez-vous que ça reste secret ?
— J'ai mes raisons, se justifia-t-elle avant d'ajouter, sous la pression des regards curieux de ses trois interlocuteurs : Elles… relèvent du secret impérial. »
Elle ignorait si Lalatia était dans la confidence concernant la présence des Lames sur Vvardenfell mais en tout cas l'oracle hocha la tête avec compréhension et reprit :
« Quoi qu'il en soit, la Légion impériale l'a retrouvé et arrêté. Il est actuellement enfermé au Fort Phalène près de Balmora mais apparemment, le chevalier du dragon impérial a envoyé une missive au commandant Varro pour qu'il soit envoyé à Coeurébène.
— Pourquoi ? » demanda Alinor, confuse.
Elle savait que Faven Drès était un traître mais comment Varus Vantinius pouvait-il le savoir ? S'il était soupçonné de trahison depuis longtemps, elle imaginait mal que Sellius Gravus et Aurane Renault l'aient volontairement envoyée vers lui juste pour confirmer leurs soupçons.
Le doute l'envahit.
Se pourrait-il que les Lames surveillent cette affaire d'attaques contre le Culte impérial depuis le début ? Mais ces assassinats ont commencé quant Iudas et moi sommes arrivés sur Vvardenfell…ou alors Larrius Varro a informé Varus Vantinius de ce qui s'était passé à Caldéra, qui lui-même en aurait averti les Lames ?
Elle fronça les sourcils. Tout ceci lui donnait mal à la tête. Elle aurait préféré mille fois affronter des hordes d'Abominations que d'être prise dans cette histoire de complots sans fin.
« Qui sait ? fut la réponse laconique de l'oracle. L'Empire a des yeux et des oreilles partout… »
Alinor était plus que disposée à le croire : c'était un secret connu de tous, qu'on n'osait pas évoquer par respect et crainte envers l'empereur Uriel Septim VII.
Les magouilles de l'Empire étaient aussi gardées sous silence car si tous comprenaient leur importance, ce n'était pas quelque chose d'ouvertement approuvé et les citoyens ne se sentaient pas à l'aise avec ça – un contraste saisissant avec la province de Morrowind où apparemment toutes les personnes d'importance pouvaient faire appel aux services d'organisations criminelles sans que cela fasse scandale. C'était sans doute ce qu'on appelait des différences culturelles…
« Vous pensez que Faven Drès a un lien avec les détracteurs des Neuf ?
— Nous le pensons, en effet, confirma l'oracle. Almasea Ulès m'a expliqué que la Confrérie Noire cherchait aussi à nuire au Culte impérial et que ce problème avait été réglé depuis mais peut-être que Faven Drès vous a vendu à un de ces membres parce que votre mort – qu'importe par qui – était ce que ses employeurs recherchaient.
— Donc nous l'interrogerons lorsqu'il sera transféré à Coeurébène afin d'apprendre pour qui il travaille ? »
Le regard de l'oracle devint hésitant et elle échangea un coup d'œil avec la devineresse. Alinor fronça les sourcils.
« Qu'y-a-t-il ? »
Elles ne lui répondirent pas, ce qui ne fit que l'agacer davantage. Que lui cachaient-elles ?
Elle fut tentée de le demander directement mais se retint en se rappelant que Lalatia était techniquement sa supérieure tant qu'elle était sur Vvardenfell et Almasea une personnalité éminente et influente de Morrowind – quelque chose qui lui était apparu très clairement lors de leur audience avec le roi. Ainsi, même si elles entretenaient de bon rapport, Alinor ne pouvait pas se permettre d'outrepasser ses limites.
Les propos d'Almasea lui revinrent à l'esprit : peut-être bien qu'elle était trop révérencielle mais c'était plus fort qu'elle. Elle ne pouvait pas s'en empêcher.
Alors elle attendit qu'une d'entre elles réponde à sa question, ce que fit finalement l'oracle.
« Votre mission s'achève ici, Alinor. »
La Bréton cligna des yeux, confuse. Qu'est-ce que ça signifiait ?
« Je prévois de vous faire rentrer en Cyrodiil. Ce qui se trame sur Vvardenfell n'est pas ce pourquoi on vous a fait venir et dépasse les compétences des Disciples de Stendarr. Je vous renvoie chez vous avant que vous vous fassiez tuée dans un conflit qui ne vous concerne pas. »
Alinor eut l'impression d'être poignardée dans le dos et chancela. Insinuait-on qu'elle n'était pas capable de gérer cette affaire, qu'elle était un poids mort que le Culte impérial traînait avec lui – voir même qu'elle était un problème à part entière ?
Il lui fallut tous les efforts du monde pour garder son calme et dire :
« Avec tout le respect que je vous dois, je m'oppose à cette décision. Sauf situation exceptionnelle, vous n'avez pas le droit de me renvoyer – seuls mes supérieurs hiérarchiques au sein de l'ordre des Disciples de Stendarr le peuvent.
— Je vous avais prévenu que ça ne lui plairait pas » murmura Almasea avec un sourire triste.
Alinor se retint de laisser transparaître sa surprise à ces mots. Almasea connaissait le choix de l'oracle et l'approuvait ?
Lalatia inspira un grand coup et reporta son attention sur Alinor.
« Ne réalisez-vous pas que la situation est exceptionnelle ? admonesta-t-elle d'un ton sévère qu'Alinor ne l'avait jamais entendu employer. Le Culte impérial vit un moment critique, dont bien de ses adeptes ont déjà subis les frais. Votre camarade est mort et vous avez failli y laisser la vie vous aussi, tout comme Frik. Alors qu'importe ce que vous en pensez, ma décision est sans appel et vous vous y plierez. Ou devrais-je ajouter que vous faites preuve d'insubordination à un supérieur dans ma missive qui vous accompagnera à Chorrol ? »
Aux daedra ma subordination… pensa aussitôt Alinor en serrant des poings, bien qu'elle ne prononcerait jamais de tels mots à haute voix.
Elle pouvait comprendre le point de vue de l'oracle, sa responsabilité vis à vis de ceux qui servaient dans le Culte impérial sur Vvardenfell. Néanmoins, Alinor était déjà trop liée à cette affaire pour simplement plier bagages et fuir.
Elle était une Disciple de Stendarr, servait aussi bien Sa Miséricorde que Sa Justice. Venger la mort d'Iudas relevait de Sa Justice, tout comme permettre aux fidèles de vénérer les Neuf sans être attaqués par des détracteurs intolérants.
« N'y a-t-il aucun moyen de vous convaincre que ma place est ici, à me battre contre nos ennemis ? Insista-t-elle, partagée entre la colère d'une telle injustice et le désespoir de ne pas pouvoir si opposer.
— Cela ne vous mènera qu'à un funeste sort. Un tel sacrifice ne servira aucune cause. »
Alinor secoua la tête, ne supportant plus ce qu'elle entendait. Elle s'excusa et quitta la chapelle pour s'engager dans les rues de la ville portuaire.
Elle avait besoin de se changer les idées.
. . .
Pourquoi suis-je venue ici ?
Alinor regretta de s'être rendue sur les quais. Comment avait-elle pu penser un instant qu'elle se sentirait mieux dans un lieu au vacarme et aux va-et-viens incessants ?
« Alinor ? »
… et bien sûr, quelqu'un venait de la trouver. Elle soupira. Elle savait cette conversation inévitable et attendit donc qu'Almasea la rejoigne sur le banc en pierre qui faisait face à la mer.
« Comment va votre blessure ? fut la première chose que lui demanda la Dunmer en s'asseyant auprès d'elle. C'est inconsidéré d'être venue jusqu'ici dans votre état. »
Cela n'avait certainement pas été la plus brillante de ses idées : sa blessure s'était enflammée mais il était alors trop tard pour faire demi-tour. La douleur s'était quelque peu calmée depuis mais la tiraillait toujours – elle espérait ne pas avoir rouvert la plaie, sinon Synnolian la rendrait sourde avec toutes ses remontrances et cela donnerait une raison supplémentaire à Lalatia de la renvoyer en Cyrodiil.
Humph, qui croit-elle que je sois ? Un enfant à qui elle puisse ordonner ou commander ?
Elle réalisa alors qu'elle n'avait pas répondu à la question de son interlocutrice et dit donc :
« Ça va. Elle ne s'est pas rouverte, je pense. »
Elle entendit la devineresse soupirer mais garda le silence en contemplant la mer, bien décidée à monter qu'elle n'avait nullement envie de prendre part à cette discussion.
« Vous êtes toujours en colère, pas vrai ? Je crois que je ne vous ai jamais vu vous mettre dans un tel état. »
Alinor ferma brièvement les yeux. À qui essayait-elle de faire croire ça ? Non seulement c'était puéril de réagir ainsi mais en plus, elle savait parfaitement qu'elle serait rongée par la culpabilité et la honte si elle infligeait le traitement silencieux à Almasea.
« Je me suis surtout ridiculisée. »
Almasea lui lança un sourire compatissant.
« Peut-être bien mais vous vous en remettrez. Après tout ce que vous avez vécu, personne ne vous en voudra de ce petit écart de conduite. »
Cela ne l'aida pas à se sentir mieux : une telle réaction était indigne d'elle mais que l'oracle prenne une telle décision l'avait mis hors d'elle, presque autant que lorsqu'elle avait repensé à la mort d'Iudas en combattant le Daedra de Verre…
« Je sais à quoi vous pensez mais ne lui en voulez pas, Alinor. Elle doit veiller sur la sécurité de ceux qui travaillent sous ses ordres et fait ce qu'elle croit être le mieux.
— Je ne lui en veux pas.
— Vraiment ? »
Almasea arqua un sourcil mais Alinor soutint son regard, du moins jusqu'à avoir l'impression qu'il pouvait voir à travers elle et soupira.
« Je ne lui en veux pas, répéta-t-elle plus doucement. Je comprends pourquoi elle a pris cette décision mais ma vie est sous ma responsabilité et si je dois risquer de la perdre pour servir la Justice de Stendarr en arrêtant ces malfrats qu'il en soit ainsi. Ce serait une fin des plus honorables.
— Vous parlez comme une Nordique, déclara Almasea en laissant échapper un rire amère. Enfin, je suppose que cela ne devrait pas me surprendre de la part d'une adepte de Stendarr. N'est-il pas celui que les Nordiques appellent Stuhn ? »
Alinor fronça les sourcils, perplexe et dubitative.
« Ce n'est pas vraiment la même chose… Stuhn serait plutôt son anticipation, comme vous dites en Morrowind – ou encore son précurseur ou son équivalent nordique puisque avant d'être un dieu du Culte impérial, Stendarr serait un dieu elfique. On associe souvent Stuhn à Stendarr par le rôle qu'ils jouent auprès des Hommes mais en dehors de ça, ils ne sont guère comparables et… »
Elle s'interrompit en entendant Almasea glousser.
« Quoi ?
— Vous divaguez.
— Oh… »
Elle rougit, embarrassée. C'était de mieux en mieux : d'abord elle perdait son sang-froid et maintenant elle divaguait. De quelle manière allait-elle s'humilier la prochaine fois ?
« Vous avez pas à être gênée, lui dit Almasea. Je trouve ça plutôt doux, surtout venant de vous.
— D-doux ? »
Cela devait être un cauchemar ou alors elle était tombée dans le piège d'un Prince Daedra car jamais de sa vie on n'avait associé son attitude à de la douceur – en fait, c'était certainement le terme qui la définissait le moins.
Elle pouvait presque entendre Iudas rire aux éclats et pour la première fois depuis sa mort, ce ne fut pas l'image d'un cadavre en sang, avec un regard figé d'effroi, qui gisait sur une terre aride et hostile qui lui apparu mais le visage insouciant de l'Impérial aux cheveux de jais qui fut son acolyte, avec ce sourire paresseux sur les lèvres qu'il arborait toujours lorsqu'il cherchait à la contrarier avec ses remarques ridicules…
Cela la fit presque sourire mais n'aida certainement pas à diminuer la rougeur qui venait ramper le long de son cou et recouvrir le bout de ses oreilles.
« Pour l'amour des Neuf, arrêtez… »
Nels Llendo et elle étaient-ils de mèche pour essayer de la faire mourir de honte ?
À son grand soulagement, Almasea cessa de la torturer impitoyablement mais Alinor en vint presque à le regretter en voyant son visage s'assombrir d'une expression emplie de culpabilité.
« Je ne suis pas venue ici seulement pour vous chahuter mais surtout pour vous avouer quelque chose d'important. Je… J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop.
— Pourquoi devrais-je vous en vouloir ? »
C'était bien la première fois qu'Alinor la voyait mal à l'aise. Cela l'inquiéta grandement.
« Almasea, que…
— Je suis celle qui a convaincu l'oracle de vous renvoyer en Cyrodiil. »
Alinor s'attendait à tout sauf à ça. Elle la dévisagea bêtement, sans être capable de dire quoi que ce soit, du moins jusqu'à parvenir à bredouiller un mot, un seul :
« … Pourquoi ? »
Almasea n'osa pas croiser son regard et se concentra plutôt sur ses mains gantées – Alinor remarqua alors que ce n'étaient pas les mêmes qu'avant mais une paire de gants d'un rouge carmin rendus presque marron par l'usure, probablement récupérée à la chapelle ou une boutique quelconque de Coeurébène.
« Je les ai jeté, l'informa Almasea comme si elle pouvait entendre la question dans son esprit. Ils étaient couverts de sang quand vous avez été emmenée. J'ai essayé de les nettoyer mais dès que je les voyais, je ne pensais qu'au fait qu'ils avaient été baignés de votre sang. Je ne pouvais plus supporter leur vue donc j'ai demandé à ce qu'on m'en donne de nouveaux et je me suis débarrassée des anciens – même si j'en achèterai de nouveaux dès mon retour à Balmora car ceux-ci sont d'une couleur horrible. »
Elle s'interrompit un instant avant de reprendre :
« Je pensais vraiment que vous alliez mourir. Vous ne bougiez plus. Je n'ai jamais autant regretté de ne pas avoir la moindre compétence en magie de Guérison. Ce n'est pas quelque chose qu'on nous apprend en tant qu'Ordonnateurs : si quelqu'un est blessé au point de devoir être guéri, c'est que nous avons échoué.
— Ce n'est pas votre faute si cet assassin est parvenu à me blesser.
— Je sais mais ça ne change rien à ce qui s'est passé. Vous étiez aux portes de la mort et c'est un miracle que vous soyez en vie. Vvardenfell est devenu trop dangereux pour que vous restiez. Vous serez plus en sécurité dans la province impériale qu'ici.
Alinor commençait vraiment à détester ce terme mais avant qu'elle ne puisse protester, Almasea ajouta :
« Du moins, c'est ce que je pense mais j'ai bien compris que vous aviez un avis bien différent du mien. Je présume qu'il serait inutile d'essayer de vous convaincre de partir, n'est-ce pas ? »
Alinor songea un instant à mentir mais se ravisa aussitôt. À quoi prétendre le contraire si elles savaient toutes deux la vérité ?
« Je ne serais pas devenue une Disciple de Stendarr si je préférais privilégier ma sécurité à mon devoir. Nous sommes le bras armé de Sa Justice et les hérauts de Sa Miséricorde et c'est avec honneur et courage que nous remplissons notre rôle.
— Je m'attendais à ce que vous disiez quelque chose d'aussi solennel, dit Almasea avec un sourire amusé. C'est drôle mais il me semble avoir tenu des propos similaires lorsque je me suis mise au service de la Dame de Miséricorde. Je suppose qu'il est aussi inutile de vous demander d'être plus prudente à l'avenir ? »
Alinor lui jeta un regard vide.
« Ça répond à ma question. Il ne me reste qu'à persuader l'oracle d'abandonner cette idée de vous faire partir.
— Comment comptez-vous la convaincre ?
— Ne vous en faites pas, ce ne sera pas difficile. Doutez-vous que j'y arrive ?
— Pas un instant. »
Un confortable silence s'installa entre elles, jusqu'à ce qu'un raclement de gorge les fit se retourner.
Nels Llendo se tenait timidement derrière elles mais affichait un sourire malicieux – comme témoin d'un secret qui lui permettrait de les faire chanter.
« Vous… Vous voulez peut-être que je repasse plus tard, mesdames ? »
Almasea plissa des yeux.
« Depuis combien de temps nous surveillez-vous, voleur ?
— Je vous assure que je viens juste d'arriver.
— Vous faites un piètre menteur.
— Un menteur ? Sachez que Nels Llendo ne ment jamais. Ce serait indigne de lui. »
Il croisa les bras avec suffisance.
« Par contre, j'ai une excellence mémoire et me rappelle qu'avant ce petit incident avec un chat acrobate akavirois et un assassin qui ne sait pas ce qu'il veut, nous devions trinquer à notre santé. Alors qu'attendons-nous pour le faire ?
— Vous êtes vraiment toujours à la recherche d'un prétexte pour boire ?
— Toujours, ma belle étincelle. »
Alinor soupira devant l'entrain du rôdeur mais devait admettre qu'il était contagieux, au point qu'elle en oublia presque sa blessure – qui lui rappelait le danger qui les guettait et qui réapparaîtrait tôt ou tard…
