Je lâche mes affaires et pousse un cri, un cri pas très viril. Il faut dire que la situation n'est pas commune. C'est vraiment très gênant !

Je me trouve à genoux devant lui, sa main droite encore autour de mon bras gauche, son bras gauche autour de mon cou, ma main libre sur son torse et nos visages a quelques centimètres l'un de l'autre. Il gémit de frustration et je reste immobile, les yeux écarquillés. Je ne respire plus.

- C'est malin... je faisais un beau rêve ..

Je sens sa prise se resserrer sur moi et m'attirer un peu plus vers lui.

- Qu.. pardon ?!

- C'est toi qui m'a réveillé ? Tu m'as sorti de mon rêve ! Alors prend tes responsabilités !

Il me regarde intensément les sourcils froncés et l'air déterminé. Je sens son cœur battre contre ma paume de main et le rouge le monter aux joues. Mais qu'est-ce qu'il veut à la fin ?

- Mais tu étai.. Je balbutie pitoyablement.

- Chut .. ne dit rien .. je ne veux pas d'excuse cette fois.

Je suis pétrifiée et me raidis encore lorsqu'il rapproche son visage. Je ferme les yeux et sens ses lèvres se poser sur mon cou ... un frisson me parcours, ses canines et sa langue font leur apparition. Je tente de le repousser en faisant pression sur son torse mais il resserre à nouveau sa prise sur moi. Il enfonce légèrement ses dents dans mon cou ce qui rend cette étreinte presque douloureuse. Je gémis et m'exprime enfin avec difficulté et malgré une voix tremblante.

- L... Lâche moi ! Lâche moi tu me fais mal !

C'est pitoyable, je me sens vraiment pitoyable de ne pas réagir d'avantage, de me sentir faible et fragile ... à nouveau ...

Je ferme violemment les yeux et serre les dents. Je sens les larmes monter et sur le point d'inonder mes joues..

Mais la pression exercée sur mon bras et mon cou se relâche en une seconde. J'ouvre lentement les yeux et tombe sur des yeux inquiets. Moi, je suis vraiment perdue et mon expression doit osciller entre colère et peur.

Il me lâche enfin et j'en profite pour rompre cette proximité. Je me lève rapidement et entre en trombe dans ma chambre je claque la porte et ferme le verrou sans me soucier de lui ou du fait que la porte vienne juste de rentrer en collision avec l'arrière de sa tête. Je l'entend d'ailleurs râler à travers la porte puis dans le couloir mais je m'en fou, je suis ailleurs.. perdue dans mes pensées.. dans des souvenirs que j'aurais préféré oublié ...

La solitude ...la pitié... la douleur ...l'abandon..l'abus...l'humiliation...les pleurs..les hurlements et le sang... beaucoup de sang... trop de sang...

J'ouvre les yeux à bout ... le souffle court... les yeux rouges et humides... cette angoisse qui revient et mon cœur qui se serre.. j'ai l'impression qu'il va exploser, je vais peux être vraiment en crever cette fois !

Tout est de sa faute ... c'est à cause de lui que tout ça reviens... plus j'y pense et plus je ...Non. C'est pas la peine d'y penser maintenant.. ça ne sert à rien de remuer le couteau dans la plaie.

Je me relève avec difficulté et marche les jambes tremblantes vers la salle de bain. Je m'accroche de toutes mes forces au lavabo, mes phalanges blanchissent sous l'effort. Je prend quelques inspirations douloureuses et me rafraîchis le visage à l'eau froide pour remettre mes idées en places.

C'est peine perdue ... je lève la tête et croise mon reflet dans le miroir. Ah... je me dégoûte ... mon regard se pose instantanément sur la trace rougeâtre présente sur mon cou... c'est pas vrai ... l'enflure ... les images de la scène me reviennent violemment en tête.

Un haut-le-cœur... encore ... je me précipite sur la cuvette et déverse le peu de nourriture avalée aujourd'hui.

J'ai froid ... pourquoi as-tu fais ça ?

J'ai froid ... tu avais pourtant promis..

J'ai froid ... je me sens si seul, si misérable..

J'ai froid ... j'ai encore besoin de toi.

Je reprend conscience lentement ... j'ai froid ... où suis-je ? La dureté et la fraîcheur du sol me sortent de mes songes et j'ouvre les yeux. Je suis allongé sur le sol de ma salle de bain. J'utilise mes mains pour prendre appui sur le sol et la cuvette des toilettes pour m'assoir.

Je me suis endormis ou évanouis ? Vertiges ..

J'ai ma réponse.. ça devient vraiment une habitude. Je me hisse jusqu'au meuble et ouvre le placard pour récupérer des pilules que j'avale sans une goutte d'eau. Je patiente encore un peu, quelques minutes, assis sur le carrelage glacé. J'ai froid.

Les vertiges passés, je me lève non sans difficulté et me maintien au meuble et au mur. Pas de vertige ? Je fais quelques pas maladroits pour m'en assurer. Parfait !

J'atteins enfin ma chambre. Elle n'est pas très spacieuse et les murs d'un blanc immaculé semblable aux chambres d'hôpital ne sont pas chaleureux mais je m'en fiche. Je me glisse sous ma couette bleu nuit et active la couverture chauffante.

Soupire ...

- C'est vraiment un bon investissement.

Ça y est ça me reprend .. je parle .. seul.

- Enfin bon c'est pas si grave !

Je fixe le plafond quelques minutes avant de diriger mon regard vers la fenêtre et le ciel. J'aime regarder le ciel, ça m'apaise .. Je ferme les yeux et m'endors rapidement usé par cette journée.

Mon réveil sonne, je me réveille doucement et commence par m'assoir au bord du lit. Pas de vertige ? C'est plutôt bon signe. Je me lève et fait quelques pas hésitants histoire de vérifier ma stabilité. Tout va bien. Je me précipite donc sous la douche et me lave rapidement malgré l'envie de rester un peu plus longtemps sous l'eau chaude. Je me sèche en insistant sur mes cheveux et m'habille chaudement. L'automne est si vite arrivée ! Il fait déjà plutôt frais, surtout le matin et ma fragilité habituelle me force à me couvrir d'avantage. J'attrape donc mon manteau, une grosse écharpe et un bonnet à ponpon. J'enfile mes bottes, mes mitaines et prépare mon appareil. Je sors de ma chambre puis le l'internat, je commence mon parcours habituel. Je check ma montre, il me reste 3 bonnes heures avant le début des premiers cours, ça devrait le faire !

Depuis que tu es parti je me lève tous les jours aux aurores. J'ai commencé ces balades matinales pour calmer ces migraines incessantes. Au fur et à mesure elles sont devenues habituelles et nécessaires surtout depuis la photographie. Depuis que la photographie est entrée dans ma vie. Je mêle alors l'utile à l'agréable en profitant des fraîcheurs matinales et des paysages qu'elles offrent. Les couleurs du ciel, des nuages, les brumes et rosées matinales. C'est si doux .. si apaisant, j'en oublierai presque ton absence. Presque.

Je n'ai pas de « sujet » favori pour mes photographies, c'est plus une question de ressenti, d'ambiance et de sensation. Bien que j'aime particulièrement les lieux déserts, il m'arrive de passer plusieurs heures a chercher le détail qui attirera mon œil, un objet, un animal, une lumière, une goutte d'eau... peu importe ce qui compte c'est que ce détail me parle, qu'il fasse battre mon cœur, qu'il me fasse ressentir quelques choses.

Je me balade donc dans les rues désertes de cette grande ville. Quelques courageux font leur jogging quotidien, d'autres promenèrent leur chien. Le paysage et l'ambiance sont si différents à cette heure. Je poursuis mon chemin et m'enfonce un peu plus dans la ville pour atteindre le parc. Après avoir passé le portail je prend une grande inspiration en fermant les yeux. J'aime l'odeur de la pluie et des feuilles mortes. C'est agréable et revigorant !

Je suis le sentier de terre jusqu'au cours d'eau et m'arrête à nouveau pour m'imprégner des lieux. J'agrippe mon appareil et inspecte attentivement les lieux à travers l'objectif. Je balaye le paysage, l'eau qui file sur le ruisseau, la fine brume qui flotte au dessus, la terre humide grâce à la rosée du matin, les gouttes d'eau qui perlent sur les planche de bois du petit pont, la silhouette grande et sombre adossée à la rambarde de ce pont.

Attend ..

Une silhouette sur le pont ?

Je reviens dessus, je m'attarde même, elle me fascine, elle dégage une telle émotion. Le genre de tristesse qui vous parcours l'échine dans un frisson.

CLICK !

Assez fier de mon cliché, je l'observe sur le petit écran de l'appareil. L'émotion qui s'en dégage résonne en moi. Lorsque je détache mes yeux de l'écran, elle a disparu. Où est-elle ? Je n'ai pourtant pas rêvé, elle était juste là ! Je vérifie la photo une dernière fois, non je n'ai pas rêvé elle était bien là.

Dommage ...

Après avoir parcouru le parc en large et en travers plusieurs fois sans succès et après avoir checké ma montre une nouvelle fois, je me décide à prendre la route du retour. Pas moyen de retrouver le sujet de mon cliché et si je m'attarde encore je vais finir par me mettre en retard !

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Dans le chapitre suivant :

- Aïe ! Ça va pas ! C'est pas avec cette délicatesse que tu trouveras quelqu'un espèce de brute !

- Ne t'en fais pas pour moi gamin, je saurais me montrer délicat avec la bonne personne.

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