CHAPITRE 29
La déesse avait été surprise de la facilité avec laquelle il lui avait cédé les cieux. Elle qui avait pensé qu'il lui faudrait argumenter et faire ses preuves… Le roi des dieux avait semblé ravi de sa demande. Tant et si bien qu'elle avait fini par trouver cela suspect. Dans le « passé », il avait partagé le monde entre eux de la même manière. Demeter avait eu la terre, les saisons, la nature. Poséidon les mers, les océans, les rivières et les cours d'eau. Hadès les Enfers, une montagne de responsabilité et autant de richesses pour compenser. Hestia n'était pas… en état de recevoir quoi que ce soit. Héra avait pour sa part obtenu les cieux. Ils étaient néanmoins assujettis au roi des dieux ce qui le rendait plus puissant qu'eux tous réunis. Il régnait sur ce qui leur appartenait et ce qui ne leur appartenait pas. Sur ce qui était vivant et ce qui ne l'était pas.
Il avait assuré sa suprématie en remportant la partie d'échecs, prenant la reine. Lorsqu'il s'était uni à elle, les cieux s'étaient retrouvés entre ses mains. Lorsque les choses s'étaient dégradées entre eux, Héra s'était demandé s'il l'avait jamais vraiment aimé. Peut-être qu'il ne s'agissait que d'un plan parfaitement agencé pour s'octroyer toujours plus de pouvoir. Comptait-il s'y prendre ainsi de nouveau. Pouvait-il même se comporter différemment de la première fois ? Après tout pour lui, il ne s'agissait pas d'une seconde vie. Il n'avait pas de souvenirs contrairement à elle.
La robe qui avait été confectionnée pour la cérémonie d'intronisation était une véritable œuvre d'art et nul doute qu'elle aurait été impressionnée si elle ne l'avait pas déjà vu dans une autre vie. Elle passa la main sur la dentelle brodée de mille fleurs en relief si réaliste qu'on aurait pu les croire réelles. Elle était fendue de toute part. Une première fois entre ses seins, s'arrêtant au-dessus de son nombril. Une deuxième fois dans son dos, jusqu'à la cambrure de ses reins. Et de part et d'autre de ses cuisses, remontant presque jusqu'à sa taille. Les nymphes avaient recouvert sa peau de rosaces et autres formes cycliques d'or. Des bijoux du même métal enserraient ses poignets et ses chevilles. Ses cheveux avaient été remonté en un chignon tressé de fleurs blanches.
- Votre majesté… commença timidement une nymphe. C'est bientôt l'heure.
- Oui, répondit-elle distraitement en s'inspectant sous toutes les coutures.
- Tu es parfaite…
- Merci, concéda-t-elle toujours sensible aux compliments se tournant vers Zeus qui venait d'entrer dans ses appartements.
Il congédia les servantes qui se dispersèrent sans demander leur reste. Il tenait dans ses mains un écrin à bijoux au velours d'un bleu sombre. Comme les yeux bleus assombris par le désir du roi des dieux. Elle ignora la boule qui lui tordit le ventre de dégout et se concentra sur le cadeau qu'il lui présenta. Il s'agissait d'un médaillon qu'elle avait porté dans sa vie antérieure… jusqu'à ce qu'il lui soit arraché par un garde qui l'avait couvé du même regard intéressé. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux mais elle parvint à les contenir. Elle refusait de ruiner le travail des nymphes.
- Je peux ? demanda-t-il.
- Bien sûr.
Elle lui tourna le dos et le laissa passer autour de son cou ce qu'elle voyait comme une laisse. Elle croisa le regard du dieu dans le miroir. Il ne la toucha pas et recula d'un pas après s'être débattu quelques secondes avec le fermoir. Prends sur toi Héra, se répéta-t-elle. Dans quelques heures tout serait fini et elle pourrait retirer cette abomination qui lui rappelait le jour où son corps avait été souillé, piétiné… violé.
Lorsqu'elle en aurait fini avec Zeus, elle irait se baigner dans les eaux de Léthé. Elle oublierait la souffrance. Elle serait heureuse. C'était une promesse.
- Prête ? s'enquit-il en lui tendant le bras.
Elle posa une main dans le creux de son coude, se laissant guider vers la salle de réception pleine à craquer. Elle remarqua Demeter qui lui fit un sourire éclatant qu'elle lui rendit avec une tendresse sincère. Hadès et Poséidon semblaient se quereller. Ou peut-être pas. Hestia était présente sans l'être. Des murmures admiratifs s'élevèrent à mesure qu'elle avançait vers son trône. Son apparence était régalienne.
Il la conduisit jusqu'au trône d'Ouranos qui surplombait l'assemblée. Elle s'y installa en se répétant inlassablement que même si tout semblait similaire à sa vie passée en cet instant, elle était différente. Elle ne laisserait pas Zeus lui prendre la couronne d'Hélios qu'il plaçait en cet instant même sur sa tête. Elle ne le laisserait pas obtenir les vassaux qui lui juraient loyauté et subissions. Elle serra dans sa main la pierre d'étoile contenant ce qui restait de l'essence des titans qui avaient régné sur le domaine nuageux des astres tandis que se succédaient les dieux et déesses et leur serment d'allégeance.
La voix scandant les titres qu'elle venait d'acquérir lui parvenait à peine dans le bourdonnement de pouvoirs qui la transperçait de toutes parts. Cette puissance, ce pouvoir lui avait terriblement manqué. Elle ne ressentit néanmoins aucun plaisir à les retrouver, le souvenir de se les voir arracher n'étant encore que trop vif.
- Héra ?
Elle leva les yeux vers celui qui tout comme la première fois, lui offrait le monde pour mieux le lui arracher. Ce qu'elle s'apprêtait à faire était un pari risqué mais elle avait toujours été plus habile que lui pour ce qui était des intrigues de la Cour. Sans Léto, il aurait eu bien plus de mal à la destituer et pour le moment la déesse à la chevelure dorée et aux yeux du bleu du ciel n'était pas dans les parages.
- Je ne te jurerais pas allégeance.
Un murmure parcourut la foule des divinités. Contrairement aux Titans, les sujets de Zeus n'aimaient pas la guerre, les conflits… le chaos. Arès avait été haï pour ce qu'il était. Ainsi, bien qu'étant le fils ainé et légitime du souverain, le reste de ses comparses lui avait préféré comme héritière la sage Athéna, dont les stratégies garantissaient une paix acquise en un minimum de temps et de morts. Si Zeus s'entêtait à lui arracher sa loyauté, il devrait le faire par le sang et les armes. Les seigneurs des vents du nord, de l'est, de l'ouest, du sud, Borée, Euros, Zéphyr et Notos étaient liés comme beaucoup d'autres à elle, et elle seule, par le serment qu'ils venaient de prononcer. Sans compter leurs propres vassaux, Apéliote, Caecias, Lips et Sciron. Et leurs enfants, la glaciale Chioné et sa neige éternelle ou encore la délicieusement colorée et indispensable Iris. Un joyeux petit monde pour une bien moins joyeuse cause.
- Ce n'est qu'une formalité, tenta-t-il dissimulant à la perfection sa colère face à la trahison évidente de la déesse.
- Tu pourras donc t'en passer aisément n'est-ce pas ?
- Ce serait injuste pour les autres qui ont dû le faire avant toi, ajouta-t-il désignant leur fratrie comme pour lui signifier qu'il disposait lui aussi d'une force de frappe conséquente.
- Délivre-les de leur serment dans ce cas, susurra-t-elle plantant les graines de la discorde entre eux.
Héra aurait juré voir les iris violets d'une certaine déesse espiègle dans la foule…
- Ne sommes-nous pas ta famille ? Ne sommes-nous pas tes égaux ?
- Elle n'a pas tort… intervint Poséidon qui avait mordu à l'hameçon.
- Père aussi était notre famille, rappela Hadès.
- Ça ne l'a pas empêché de nous dévorer, compléta Demeter en frissonnant.
- Zeus n'est pas Cronos, les coupa Héra de peur de perdre la main. Je lui fais confiance, mentit-elle. Tout ce que je demande, c'est qu'il en fasse de même.
Le roi des dieux ne prit la parole qu'après ce qui semblait être une éternité même pour leur âme immortelle.
- Un serment ne peut être repris ou brisé. Mes frères, ma sœur, je ne renoncerais pas à votre allégeance qui ne vous a pas été dérobée. Que vous m'ayez offerte et que j'aurais dû, peut-être refuser, car j'ai toute confiance en vous.
Héra ne pouvait nier qu'il avait habilement déjoué son plan pour lui faire perdre ses précieux alliés mais elle pouvait voir dans les yeux de Poséidon, Demeter et même Hadès, une lueur de désir pour ce qu'elle s'apprêtait à obtenir…
- Pour ce qui est de toi Héra, tu es l'occasion pour moi de faire mieux. De ne pas répéter mes erreurs passées. Tu ne seras pas ma vassale mais mon égale.
Elle soutint son regard malgré la peur qui lui tordait les entrailles. Cette phrase ne ressemblait pas à une capitulation mais bien à une menace. Son égale ne pouvait être que…
- Mon épouse.
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À bientôt pour un nouveau chapitre !
