Et les étoiles disparaîtront
Chapitre 13 – Les plus terribles vérités
Partie 1
oOo
« Echec et mat. »
L'air triomphal, Tyrion-copie jeta un sourire goguenard à Jaime, dont la mine déconfite le faisait toujours autant rire.
« Comment fais-tu pour gagner à chaque fois ? » soupira son frère en croisant les bras sur sa poitrine.
« Le talent, mon cher frère, le talent. »
« Ou la triche... » suggéra Cersei.
Tous les trois, qui n'avaient pas de cours à donner dans la matinée, s'étaient comme souvent retrouvés dans la chambre de celle-ci pour tâcher de se trouver une occupation. Tyrion avait tout naturellement sorti son échiquier et avait tenté convaincre Jaime de faire une partie avec lui, ce qu'il avait comme toujours fini par accepter. Cersei, quant à elle, les observait distraitement assise sur son lit. Elle feuilletait le carnet de son modèle et relisait chacune des pages qu'elle avait noircies à l'encre, et ce même si elle les connaissait probablement par cœur à présent.
« Je croyais que tu allais le rendre à ton modèle, » fit remarquer Jaime.
Il se garda toutefois bien d'avoir l'air de lui faire des reproches à ce sujet.
« Je vais le faire aujourd'hui. Je voulais simplement voir si quelque chose m'avait échappé. »
Tyrion et Cersei n'avaient pas fait part de leurs découvertes à leur frère étant donné que celui-ci leur avait bien fait comprendre qu'il ne souhaitait pas être mêlé à cette affaire.
« Tu as trouvé des réponses à tes questions ? » demanda t-il néanmoins, sans doute davantage par politesse que par réelle curiosité.
Cersei referma le carnet et caressa la couverture du bout du pousse, songeuse.
« Peut-être... »
Elle n'ajouta rien, se perdant un peu plus profondément dans les méandres de ses pensées. Tyrion, qui l'avait accompagnée dans ses recherches plus pour lui faire plaisir qu'autre chose, n'en était pas moins intrigué. Il y avait quelque chose d'étrange au sujet de l'incendie qui avait failli tuer Cersei-modèle et Jaime-modèle. Pourquoi les journaux avaient-ils à peine couvert l'événement ? Et surtout, comment se pouvait-il qu'ils n'en aient aucun souvenir ?
Jaime jeta un œil au calendrier qui était accroché sur le mur, se mordit la lèvre.
Mercredi 8 novembre.
Même sans lui poser la question, Tyrion pouvait très bien deviner ce qu'il avait à l'esprit. Plus que quelques jours avant que les chirurgiens ne reviennent au pensionnat... comment se déroulerait sa cérémonie de départ ? Le jour où les étoiles de Selyse devaient renaître, lui et les autres l'avaient longuement applaudie dans le hall d'entrée, tandis qu'elle se dirigeait vers l'aile du pensionnat qui leur était normalement interdite pour y effectuer son dernier voyage... Cersei et Jaime seraient-ils autorisés à l'accompagner jusqu'au bout ? C'était peu probable, mais Tyrion se surprenait à espérer... il se sentirait moins seul, s'ils venaient avec lui, s'il s'endormait pour la dernière fois en leur tenant la main...
« Tout va bien ? » s'inquiéta Jaime.
Tyrion s'aperçut alors qu'il fixait intensément le mur depuis une bonne minute. Il tenta de lui sourire mais seule une pauvre grimace parvint à se dessiner sur ses lèvres.
« J'ai toujours détesté la couleur des murs de ma chambre, » s'esclaffa t-il un peu tristement. « A l'instant où j'y ai mis les pieds pour la première fois, le jour de mes dix ans, j'ai décrété qu'elle ne me plaisait pas, et ça n'a jamais changé. Je n'aime pas du tout cet horrible vert clair... »
Cersei et Jaime l'écoutèrent en silence, attendant de voir où il voulait en venir. Tyrion, qui s'était assis sur le sol pour la partie d'échecs, se leva et fit quelques pas à travers la pièce et posa la paume sur le mur bleu ciel.
« J'ai toujours préféré la couleur des murs de ta chambre, Cersei... » reprit-il.
Il se décolla du mur et alla se planter devant le panneau de liège accroché au-dessus du bureau. Des dizaines de photos y étaient punaisées – sa sœur avait économisé son argent de poche pendant des mois et des mois pour pouvoir s'offrir un Polaroïd. Tyrion repéra une photo qui les représentait tous les trois et la décrocha avec délicatesse. Elle datait du 8 août 2015, c'est-à-dire du dix-septième anniversaire des jumeaux. Il effleura du bout des doigts leurs sourires figés pour l'éternité, puis remis avec un certain regret la photo à sa place, juste à côté du poème Ozymandias griffonné de l'écriture désordonnée de Cersei-modèle.
« En réalité, je crois que ce n'est pas tant la couleur des murs de ta chambre qui me plaît que ce qu'elle représente. »
« Qu'est-ce que tu veux dire ? »
Tyrion se laissa tomber à côté d'elle sur le lit et l'embrassa sur la joue. Son cœur se mit à battre un peu plus fort.
« La couleur me plaît parce que c'est celle des murs de ta chambre. Parce qu'elle me fait penser à tous les moments qu'on a passés ici ensemble, tous les trois. Parce qu'elle me rappelle à quel point je vous aime. »
Quelques larmes roulèrent sur les joues de Cersei. Elle l'attira contre lui et le serra avec force, tellement fort qu'elle lui en faisait presque mal, et Jaime les rejoignit et le serra tout aussi fort, mais Tyrion s'en moquait. Avoir mal, c'était être vivant, encore, juste un peu plus longtemps, c'était aimer son frère et sa sœur et c'était sentir leur étreinte chaleureuse l'envelopper tant que c'était encore possible.
Mon amour, dis-moi, dis-moi
Que tu resteras auprès de moi toujours, toujours, toujours, toujours, toujours, toujours...
Les paroles de la chanson préférée de Cersei lui revinrent naturellement en tête.
« Cersei ? Jaime ? » murmura t-il, la voix mouillée de larmes. « Ne m'abandonnez pas. »
Ils déposèrent un baiser sur son front.
« Jamais. »
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Cersei-modèle, appuyée contre le mur d'un couloir, regardait par la fenêtre, une main caressant distraitement son ventre. De là où elle se tenait, elle avait une bonne visibilité sur les jardins du pensionnat. Les copies les plus jeunes s'amusaient à se poursuivre entre les feuilles mortes sous la surveillance d'un gardien. Comme elle ne cessait de le faire depuis la veille, elle se demanda ce qu'il se passait dans leur esprit, s'il était oui ou non habité par une âme. Elle se mordit la lèvre. Elle ne voulait pas connaître la réponse, elle avait bien trop peur pour cela.
Cersei baissa les yeux vers son ventre. Aujourd'hui, elle allait dire à Jaime qu'elle était enceinte. Elle allait se jeter à l'eau et lui révéler le premier de ses secrets, celui qui était peut-être le moins lourd à porter. Elle n'allait pas pouvoir lui mentir bien longtemps encore... il était temps. Toutefois, même si elle avait pris sa décision, elle ne parvenait pas encore à trouver la force d'aller le rejoindre au chevet de Tyrion pour lui annoncer la nouvelle. Sa réaction la terrifiait. Allait-il s'énerver ? Allait-il lui jeter un regard plein de dégoût ? Allait-il lui reprocher de ne pas s'en être aperçue plus tôt ?
« Vous êtes bien songeuse, Mademoiselle Lannister. »
Cersei ne fit pas le plaisir à Baelish de sursauter et se contenta de lui jeter un coup d'œil peu amène.
« Vous êtes décidément partout. »
« Je suis le directeur adjoint du plus prestigieux pensionnat de Westeros. Je me dois d'être partout, » s'amusa t-il.
Il vint se planter de l'autre côté de la fenêtre et regarda les petites copies jouer à ses côtés en silence pendant quelques minutes.
« Avez-vous trouvé la réponse à la question que vous m'avez posée hier ? »
Cersei se renfrogna.
« Qu'est-ce qu'Aerys en pense ? » éluda t-elle, bien qu'elle savait que c'était évident.
La preuve, il laissa échapper un petit rire comme si elle venait de dire quelque chose de très drôle.
« Notre estimé directeur est persuadé que les pensionnaires sont dépourvus d'âme, bien entendu. D'après lui, ils ne valent guère mieux que des animaux d'élevage, parmi lesquels les Supernovas formeraient une race... supérieure aux Soleils. Des sublimes créatures, comme il se plaît parfois à les appeler... mais des créatures tout de même. »
Il désigna les petites copies d'un signe de tête.
« Si le docteur Qyburn n'avait pas réussi à le faire changer d'avis, les pensionnaires auraient été élevés comme des poules en batterie. A la place, nous leur offrons des conditions de vie plus que décentes, jusqu'à leur donner une éducation. »
L'auto-suffisance qu'elle percevait dans l'intonation de sa voix écœurait Cersei.
« Les gardiens ne se bousculent pas aux portes, » railla t-elle.
« En effet... cela posait problème, au tout début, mais nous pouvons depuis un moment maintenant compter sur les pensionnaires les plus âgés pour s'occuper des plus jeunes. Cela est un peu plus fâcheux quand nous devons recruter des médecins... Talisa Maegyr, qui travaillait ici depuis une quinzaine d'années, a d'ailleurs démissionné hier. »
Son visage demeurait de marbre.
« Vous n'avez pas l'air si désolé que ça. »
« Je m'y attendais. Elle était trop sensible et s'était beaucoup trop attachée aux pensionnaires. Je suis d'ailleurs surpris qu'elle ait tenu si longtemps. »
Devant son regard perplexe, il précisa :
« Nous recommandons chaudement à tout notre personnel d'instaurer une limite émotionnelle entre eux et les pensionnaires. C'est indispensable pour éviter qu'ils ne finissent par craquer, comme Talisa. »
Ses yeux brillaient d'une étrange lueur, et Cersei crut un instant que c'était Aerys qui la regardait ainsi, que c'était l'étincelle de la folie qui commençait à s'immiscer dans les yeux du directeur-adjoint.
« Il n'est pas bon de faire preuve de sentimentalisme dans le domaine de la science. Nous avons fait de grandes choses, avec le programme Constellation... année après années, certains des scientifiques les plus brillants ont mis leurs formidables esprits en commun pour avancer, pour repousser toujours un peu plus les limites du possible... et il nous reste beaucoup à faire, beaucoup... »
Cersei se força à se désintéresser des copies pour le regarder bien en face.
« C'est l'objet de ces conférences annuelles où vous envoyez vos chirurgiens, n'est-ce pas ? »
« En effet. »
Cette année avaient lieu des conférences qu'il estimait plus importantes qu'un énorme sac rempli à ras-bord de billets... assez importantes pour faire étinceler cette étrange lueur vive dans ses yeux... la flamme de l'ambition, le feu dévastateur du progrès...
« Les conférences de cette année... » reprit lentement Cersei. « Sur quoi portent-elles exactement ? »
Baelish jubilait, elle le voyait bien, comme s'il avait désespérément attendu qu'elle lui pose la question. Il conserva néanmoins son sempiternel air calme et posé.
« Imaginez que l'agression de votre petit frère ait été plus grave... imaginez que son corps ait été abîmé au-delà de tout espoir de guérison... imaginez que tous les organes de sa copie ne puissent suffire à le sauver... »
Ses propos lui firent l'effet d'un coup au cœur et ne lui rappelaient que trop bien ce qui aurait pu arriver à Tyrion, ce qui aurait pu se passer par sa faute.
« Ce dont il aurait besoin, c'est d'un autre corps... un corps neuf génétiquement identique au sien, un corps dans lequel il lui suffirait de se réveiller avant de reprendre sa vie où il l'aurait laissée... »
Cersei eut l'impression qu'une pierre lui tomba dans l'estomac. Avait-elle bien compris ?
« Vous voulez dire... transférer l'esprit de Tyrion dans sa copie ? »
« En effet. »
« C'est impossible, » répondit-elle du tac au tac.
C'était digne des romans de science-fiction qu'elle lisait parfois, mais ce n'était que des chimères, des illusions, des mensonges, ça ne pouvait pas arriver dans la réalité, pas plus qu'elle ne pouvait ramener Gendry et Mya Waters d'entre les morts, pas plus qu'elle ne pouvait remonter le temps et empêcher Tyrion de claquer la porte en larmes, courant sans le savoir vers ses agresseurs...
« Pour l'instant, » nuança Baelish. « Ça le sera sans doute pendant des années encore... mais un jour, un chercheur de notre programme plus brillant que les autres parviendra à donner du sens à des milliers d'heures de recherches, et l'impossible deviendra possible, soyez-en persuadée. »
Cersei se sentait de plus en plus mal, et elle savait qu'elle ne pouvait pas mettre ça sur le compte de sa grossesse.
« Mais... pour reprendre votre exemple... où irait l'esprit de la copie de Tyrion ? Sa conscience, ses souvenirs, ses sentiments ? » demanda t-elle un peu bêtement.
Elle avait volontairement évité de parler d'âme. Baelish haussa un sourcil.
« Eh bien, tout ça serait écrasé par la conscience de votre petit frère. »
« Ecrasé... comme si ça n'avait jamais existé ? »
Il sourit.
« Vous savez, ce n'est pas bien différent du destin actuel des pensionnaires. La seule différence, c'est que leur enveloppe corporelle continuera d'exister au lieu de mourir en même temps que leur... esprit, ou conscience, ou peu importe comment vous appelez ça. »
Sur le papier, c'était en effet la même chose, mais quelque chose dérangeait Cersei, parce qu'au fond, elle savait que ça ne l'était pas, que ça ne pouvait pas l'être.
Retiens mon cœur dans ton étreinte chaleureuse
Et dis-moi que personne ne prendra jamais ma place...
Ces paroles issues de Auprès de moi toujours prenaient un sens nouveau, à présent, un sens plus sinistre, plus violent, plus terrible, un sens qui ne lui plaisait guère et qui pourtant, elle le savait, ne quitterait plus jamais ses pensées...
« Excusez-moi, » finit par répondre Cersei sans chaleur. « Mon frère m'attend. »
Elle se détourna avant d'avoir pu voir l'expression de son visage et s'éloigna d'un pas raide. Mille pensées contradictoires se bousculaient dans son esprit et y mettre de l'ordre lui semblait être une tâche impossible.
Elle songea à sa mère, à la façon dont elle considérait les copies, à la douceur dans ses yeux quand elle leur confiait être certaine qu'elles avaient une âme. Etait-ce pour cela qu'elle avait attendu si longtemps après leur naissance pour accepter de souscrire au programme Supernova ? Peut-être avait-elle changé d'avis après l'incendie, après avoir failli les perdre, elle et Jaime. C'était la seule hypothèse valable, celle qui expliquait pourquoi ils avaient quatre ans d'écart avec leurs copies et non pas trois mois... la fabrication de celles-ci avait dû être lancée peu après le drame...
Sur le chemin de la chambre de Tyrion, Cersei s'arrêta plusieurs fois, comme incapable de faire un seul pas de plus. Même si Joanna Lannister avait eu la certitude que les copies n'étaient pas dépourvues d'âme, cela ne l'avait pas empêchée d'y avoir recours pour assurer la vie de ses enfants... et, au fond, Cersei n'était-elle pas dans le même cas ? Les certitudes qu'elle avait crues si solidement ancrées en elle avaient été ébranlées mais cela ne changerait rien, parce que pour sauver Tyrion, elle était prête à tout et n'importe quoi... elle ne pouvait pas se sentir coupable, pas quand la vie de son petit frère était en jeu...
« Salut. »
Elle sursauta. Cette voix... oh, comme elle rêvait de l'entendre de nouveau, mais simplement pas de cette façon...
Tyrion-copie la dévisageait avec curiosité, et peut-être une pointe d'inquiétude.
« Est-ce que tout va bien ? »
Cersei s'obligea à demeurer de marbre.
« Ça va, » répondit-elle aussi froidement que possible.
« Ça n'en a pas l'air... »
Elle claqua la langue avec agacement.
« Mêle-toi de ce qui te regarde. »
Discuter avec lui était désormais au-dessus de ses forces. Les paroles de Baelish tournaient en boucle dans sa tête, et elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer l'âme de son Tyrion dans son corps à lui, d'imaginer ce que ça ferait à sa propre copie de voir un étranger se balader dans le corps de son petit frère, et ça ne lui semblait pas bien, et elle s'en voulait d'avoir de telles pensées, et elle se sentait mal.
« Pourquoi es-tu toujours si agressive avec tout le monde ? » soupira t-il, plus las qu'agacé. « Ma Cersei veille toujours à essayer de rester calme, même quand elle n'est pas d'accord avec son interlocuteur. »
Elle leva les yeux au ciel. Il n'avait pas besoin de lui jeter au visage tout ce qui la différenciait de sa copie, elle en avait parfaitement conscience. Ceci dit, c'était toujours mieux qu'essayer de leur trouver des points communs – c'était bien moins effrayant.
Comme cela lui arrivait souvent de le faire, elle caressa distraitement la cicatrice dans le creux de son poignet droit. Tyrion-copie s'en aperçut.
« Qu'est-ce que c'est ? » s'enquit-il en lui saisissant doucement la main.
Elle frissonna à ce contact.
« Quand on avait quatre ans, Jaime et moi, on a pris un couteau et on s'est entaillé le poignet avec... on pensait que comme ça, on serait liés pour toujours. »
« Jouer avec un couteau ? Qu'est-ce qui vous est passé par la tête ? »
Il semblait partagé entre l'amusement et l'indignation.
« Aucune idée. On ne s'en souvient pas. C'est notre mère qui nous l'a raconté. »
Sa réponse déclencha chez lui un froncement de sourcils.
« Vraiment pas ? »
« Non, vraiment pas, » s'agaça t-elle. « Qu'est-ce que ça change ? »
Il se gratta le menton, pensif. Son regard inquisiteur la mettait mal à l'aise.
« Rien, » répondit-il finalement, mais son ton indiquait qu'il n'en pensait pas moins. « Mais je suis sûr que ma Cersei serait intéressée par ce détail... elle a lu plusieurs livres sur la mémoire. »
« Cersei par-ci, Cersei par-là... t'arrive t-il d'avoir un autre prénom à la bouche ? »
C'était quelque chose que Jaime aurait été capable de faire, parler d'elle sans cesse, s'il avait pu se confier sur leur relation interdite sans crainte d'être aussitôt jugé, ce qui n'était bien sûr jamais arrivé.
Visiblement vexé, Tyrion-copie croisa les bras sur sa poitrine.
« Elle mérite qu'on parle sans arrêt d'elle. Elle est incroyable. Elle est gentille, empathique, compréhensive, intelligente, créative... elle est un peu autoritaire, mais c'est ce qui fait son charme... comment quiconque ne pourrait pas l'aimer ? »
Sa tirade achevée, il se renfrogna, comme s'il craignait d'en avoir trop dit, et c'était effectivement le cas. Oh, les étoiles qui brillaient dans ses yeux... son air rêveur... Cersei ne pouvait pas ne pas reconnaître les signes, pas alors qu'elle avait l'habitude de voir des étoiles semblables scintiller dans des iris d'un vert identique...
« Tu es amoureux d'elle, » comprit-elle les yeux ronds.
Tyrion-copie rougit et se perdit dans la contemplation de ses chaussures. Il ne pouvait pas nier, et il le savait. C'était trop tard pour cela, bien trop tard.
L'inceste était-il donc inscrit dans leurs gènes ?
« Oui, » souffla t-il les dents serrées.
« Tu lui as dit ? »
« Bien sûr que non. »
Son air effaré lui faisait de la peine, probablement parce qu'elle l'avait déjà vu sur le visage de son petit frère.
« Pourquoi pas ? » insista t-elle.
Cersei se rendait compte que ses propos étaient légèrement hypocrites. Elle-même n'avait-elle pas attendu des mois et des mois avant d'oser révéler ses sentiments à Jaime ?
« Parce que ce ne sera jamais réciproque. D'abord, il y a eu Robert... et puis Alyssa... »
Il soupira. Cersei balaya ses objections d'un revers de la main.
« Elle a trompé Robert, et Alyssa est... partie. »
La voie est libre, faillit-elle ajouter, mais c'était stupide, parce qu'il lui restait à peine quelques jours à vivre, parce que, peut-être, certaines vérités ne devaient pas être dites parce que, révélées au grand jour, elles feraient plus de mal que de bien.
« Ça ne change rien, » répondit Tyrion.
S'il pensait lui aussi à sa mort imminente, il n'en montra rien.
« De toute façon, je n'aurais jamais eu la moindre chance. »
« Parce que c'est ta... ta sœur ? »
« Non. Parce que je suis asexuel. »
Il avait l'air plus misérable que jamais, et Cersei pouvait à peine le supporter, parce que l'océan de tristesse dans ses yeux la ramenait au jour terrible où Tyrion était rentré à la maison en larmes, fuyant la cruauté de Tysha et ses amis, et elle était horrifiée par toute la compassion qu'elle éprouvait pour cette copie.
« Le sexe n'est pas indispensable dans une relation, » fit-elle remarquer.
Il haussa à peine les épaules, comme écrasé par un poids invisible.
« Quelle importance, de toute façon ? C'est trop tard, maintenant. »
La suite fut si absurde que Cersei crut qu'elle était au beau milieu d'un de ses songes. Tyrion-copie fondit en larmes et se jeta dans ses bras, et elle lui rendit automatiquement son étreinte, le serrant fort pour l'empêcher de chavirer tout à fait. Son imagination s'emballa, et soudain, elle eut l'impression que c'était son petit frère qu'elle enlaçait ainsi. Elle eut envie de s'excuser pour toutes les fois où elle avait été trop dure avec lui, de le remercier pour les livres qu'il déposait régulièrement dans sa chambre, de lui murmurer que tout irait bien, maintenant, parce qu'elle ne le laisserait plus jamais tomber, de lui assurer que ce n'était pas grave si aucune fille ne voulait jamais de lui parce qu'elle serait là, elle, elle serait toujours là pour l'aimer.
Le fantasme n'alla pas plus loin, à son grand désespoir, et Tyrion-copie s'écarta d'elle, un mélange de regret et de frustration au fond des yeux, parce qu'elle n'était pas sa Cersei, pas plus qu'il n'était son Tyrion, et que c'était une étreinte différente qu'il recherchait.
« Je suis désolée, » murmura Cersei sans trop savoir pourquoi.
Tyrion-copie lui offrit un pauvre sourire et s'éloigna. Elle le regarda disparaître à l'angle du couloir sans un mot.
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Jaime-modèle était au chevet de Tyrion depuis plusieurs heures déjà quand Cersei le rejoignit. Son air livide le fit bondir sur ses pieds – elle semblait être sur le point de s'évanouir.
« Cersei ? » s'inquiéta t-il en glissant sa main dans la sienne. « Mais... tu pleures ? »
De petites larmes perlaient au coin de ses yeux, qu'il s'empressa d'essuyer du bout des doigts.
« J'ai quelque chose à te dire, » lâcha t-elle, semblant lutter contre elle-même.
Elle le guida jusqu'au fauteuil situé près du lit de Tyrion et le fit asseoir. Jaime s'aperçut qu'elle tremblait. Son cœur se mit à battre plus vite – quel secret avait-elle trouvé la force de partager avec lui ?
« Tu peux me faire confiance, » lui assura t-il avec conviction. « Tu peux tout me dire. Absolument tout. »
Cersei ferma les yeux et ses paupières demeurèrent closes pendant une dizaine de secondes. Puis, ses dernières résistances s'effondrèrent, mais elle ne dit rien. A la place, elle saisit le bas de son pull et le remonta lentement, dévoilant son ventre arrondi. Puis, elle lui prit la main et la posa dessus. Jaime, interdit, ne réagit pas immédiatement, comme si les rouages avaient du mal à s'imbriquer dans son esprit. Ce furent les sanglots à peine retenus de Cersei qui lui firent l'effet d'un électrochoc.
« Tu es enceinte, » souffla t-il.
Sa première réaction fut de se traiter mentalement d'idiot. Il l'avait serrée tant de fois contre lui ces derniers jours... comment avait-il pu penser qu'il s'agissait de rondeurs ordinaires ?
« Oh, Jaime... je suis tellement désolée... »
Elle fondit en larmes et se jeta dans ses bras. Hébété, il tenta de la réconfortée en lui caressant les cheveux et en lui murmurant des mots doux tout en la berçant avec tendresse. Quand Cersei s'écarta de lui, ses larmes taries, elle le regardait avec crainte, attendant probablement une explosion de fureur.
« Je ne suis pas en colère, » la rassura t-il, bien qu'il était toujours sous le choc.
Pour appuyer ses paroles, il lui prit la main et y déposa un baiser.
« Quand l'as-tu appris ? »
« Le jour de l'agression de Tyrion. Je... j'avais des symptômes, mais je n'y prêtais pas attention. Je ne pensais pas que ça pourrait m'arriver... et puis j'ai décidé de faire un test, juste au cas où... »
La culpabilité qu'il lisait dans ses yeux lui faisait mal au cœur.
« Je t'assure que j'ai pris ma pilule tous les jours, Jaime. Je n'ai pas fait exprès, je ne... »
« Cersei, » la coupa t-il doucement mais fermement. « Ce n'est pas de ta faute, d'accord ? Ce... ce sont des choses qui arrivent. »
Ils n'étaient pas le premier couple à qui une telle mésaventure arrivait, il en était certain. Cependant, ils ne formaient pas un couple ordinaire, et c'était bien là le cœur du problème.
« Je suis enceinte de trois mois et demi. C'est trop tard pour avorter. »
Son visage semblait s'être définitivement vidé de toutes ses couleurs devant ce que cela impliquait.
Ils étaient frère et sœur, et ils avaient conçu un enfant ensemble, brisant un des plus grands tabous moraux qui existaient.
« Comment on va faire ? » murmura Cersei, épouvantée.
Jaime l'embrassa sur le front. Il se sentait complètement perdu, comme s'il venait d'être propulsé au milieu d'un désert sans fin sans avoir la moindre idée de la direction à emprunter pour en sortir, un peu comme quand il avait appris que Cersei allait épouser Robert.
Il ne s'était pas battu pour la garder, il n'avait pas tout tenté pour faire annuler le mariage, il n'avait pas eu la présence d'esprit de s'enfuir avec elle. Il l'avait abandonnée dans les griffes d'un monstre.
Cette fois-ci, il ne ferait pas la même erreur. Il ne se montrerait pas lâche.
« Ça va aller, » répondit-il en l'embrassant tendrement. « Je te le promets. »
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« On dirait un haricot géant, » pouffa Jaime, ce qui fit glousser Cersei.
« C'est exactement ce que j'ai dit en le voyant. »
Tous deux étaient allongés sur le lit de Jaime, blottis l'un contre l'autre. Cersei venait de lui montrer le cliché de l'échographie qu'elle avait faite avec l'aide de son modèle.
Une drôle d'étincelle s'était allumée dans le cœur de Jaime tandis qu'il caressait les contours du fœtus du bout des doigts. Il posa ensuite doucement la main sur le ventre de sa jumelle, là où grandissait l'enfant. Leur enfant.
Dans ses rêves les plus fous de grand romantique, il s'imaginait épouser Cersei et fonder une famille avec elle, mais ce n'était pas censé être autre chose que ça – des rêves, des fantasmes, des illusions vouées à l'échec.
« Tu es sûr que tu ne m'en veux pas ? » demanda Cersei d'une toute petite voix.
Il lui caressa la joue.
« Evidemment. Ce bébé, nous l'avons conçu à deux. »
La peur se lisait dans ses beaux yeux verts.
« On... on a vraiment fait une énorme bêtise, hein ? »
Il était inutile de nier. Même si un bambin aux yeux verts et aux cheveux blonds s'invitait souvent dans ses rêveries, Jaime n'avait jamais eu l'intention de faire un enfant à Cersei pour un tas de raisons qui allaient du tabou moral jusqu'aux risques liés à la consanguinité. Cependant, c'était arrivé, et il fallait qu'ils assument les conséquences de leurs actions.
« Ce qui est fait est fait, » parvint-il à répondre en la serrant un peu plus fort contre lui. « On ne peut pas revenir en arrière. »
Il pouvait sentir l'intensité de son inquiétude rien qu'en la regardant.
« Et si... et si le bébé naît déformé ? Tu as bien vu à quel point on s'est moqué de Tyrion. Je... je ne veux pas qu'il lui arrive la même chose, ou pire. »
Jaime comprit qu'il allait devoir tout faire pour la rassurer, et il espérait que, ce faisant, il parviendrait à se rassurer lui-même.
« Ce ne sera pas le cas. »
« Et s'il a un retard mental ? Ou une maladie indétectable ? Ou... »
Elle se lança dans une liste sans fin d'afflictions dont l'enfant pouvait être atteint. Jaime la fit se redresser et prit son visage en coupe pour la regarder dans les yeux.
« Les rois de Westeros se mariaient entre frères et sœurs, jadis. »
« Les derniers rois étaient défigurés et ils attrapaient toutes sortes de maladies. »
« Oui, mais ces unions ont produit des enfants parfaitement sains pendant plusieurs générations. »
« Mais... »
« Ça va aller, d'accord ? Notre enfant sera en parfaite santé. »
« Comment peux-tu en être certain ? »
« Je le sais. C'est... c'est un enfant de l'amour, Cersei. Je sais qu'il ira bien... je le sais... fais-moi confiance. »
Cersei finit par acquiescer doucement, sans doute plus pour lui faire plaisir que parce qu'il l'avait vraiment convaincue, mais c'était un début. Jaime devait croire que leur enfant irait bien, il n'avait pas le choix. Il ne pouvait pas se permettre de douter.
« Même si l'enfant est en bonne santé... comment je pourrais m'occuper de lui ? » reprit Cersei d'une voix toujours aussi faible. « Je n'ai pas été capable de bien m'occuper de Tyrion... je ne suis même pas capable de m'occuper de moi-même. »
Elle s'essuya les yeux d'un revers de la manche.
Jaime mesura ses paroles pendant quelques secondes. Au fond, il savait ce qu'il devait faire – ce qu'il aurait dû faire depuis longtemps.
« Je vais arrêter l'université et rester à la maison pour m'occuper de toi et de Tyrion, puis du bébé. »
Cersei écarquilla les yeux.
« Jaime, non... tu ne peux pas arrêter maintenant. C'est ta dernière année... ensuite, tu auras ton diplôme. »
« Pour faire quoi avec ? Je ne veux pas reprendre l'entreprise. Ça ne m'intéresse pas, ça ne me rendra pas heureux. »
La conversation qu'il avait eue avec sa copie s'était durablement installée dans son esprit. L'autre Jaime avait eu raison. Les études, ce n'était pas ce qui l'animait. Il ne pouvait certes plus devenir une star du baseball, mais ça ne voulait pas dire que les portes du monde du sport s'étaient définitivement refermées pour lui.
Plus il y pensait et plus cette décision lui semblait être la meilleure à prendre, comme si le lourd poids qu'il portait sur ses épaules s'évaporait progressivement.
« Ce qui me rendra heureux, c'est être avec toi, Tyrion et notre enfant. »
Le fantasme reprit de plus belle et cette fois, Jaime laissa son courant l'emporter tout entier, sans chercher à se raccrocher désespérément aux berges de la réalité.
« Bon sang, Jaime... » protesta Cersei. « Tu ne pourras même pas reconnaître cet enfant. Personne ne pourra jamais savoir. »
Ce triste constat ne le ramena pas sur le rivage. Il n'était qu'un obstacle de plus sur son passage et certainement pas le plus gros, une formalité dont il comptait bien s'occuper rapidement.
Il prit la main de Cersei et la fit se lever.
« On changera de nom. On s'enfuira loin d'ici, on commencera une nouvelle vie... à Pentos, par exemple. On achètera une jolie maison au bord de la mer. »
Jaime l'embrassa dans le cou, ce qui la fit glousser.
« Je t'épouserai. Tu pourras être ma femme aux yeux du monde. Personne ne saura qui on est vraiment. »
Cersei déposa un baiser sur sa mâchoire avant de soupirer, l'air désolé.
« Tout semble si simple, dit comme ça... mais la vie... la vie, ce n'est pas un conte de fées, Jaime. »
« Je sais. »
Dans un conte de fées, Jaime aurait fait de Cersei sa reine des années plus tôt et ils auraient vécu heureux pour toujours dans leur château aux côtés de Tyrion et de leur enfant. Dans un conte de fées, Robert et les taches couleur du ciel qu'il lui laissait sur la peau n'aurait pas existé.
« La vie n'est pas un conte de fées, mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas avoir notre fin heureuse... » lui glissa t-il en pressant son front contre le sien.
Cette fois, Cersei n'émit aucune protestation et se laissa aller dans le refuge chaleureux de ses bras. Dehors, le soleil se couchait, illuminant la chambre de reflets crépusculaires. Jaime eut alors une idée. Il saisit son téléphone portable, resté sur sa table de chevet, et pianota quelques instants dessus sous le regard perplexe de sa jumelle.
Son froncement de sourcil se mua en une expression nostalgique quand les premières notes de Auprès de moi toujours retentirent dans l'air.
Mon amour, serre-moi, serre-moi, serre-moi
Et reste auprès de moi toujours, toujours, toujours...
Jaime attira alors Cersei contre lui, exactement comme il l'avait fait le soir où ils avaient entendu cette chanson pour la première fois – le soir où tout avait basculé entre eux.
Mon amour, embrasse-moi, embrasse-moi, embrasse-moi
Et reste auprès de moi toujours, toujours, toujours...
Cersei passa les bras autour de son cou et, front contre front, ils se mirent à tournoyer lentement, bercés par cette mélodie qui les ramenait à une époque où ils étaient encore jeunes et insouciants.
Verrouille mon cœur, jette la clé
Comble mon amour d'extase
Retiens mon cœur dans ton étreinte chaleureuse
Et dis-moi que personne ne prendra jamais ma place...
Cette danse, c'était comme la promesse d'un nouveau départ, d'un avenir meilleur où ils pourraient réparer leurs erreurs et panser leurs blessures, un paradis où les attendait la fin heureuse à laquelle ils aspiraient tant.
Cersei et Jaime avaient fermé les yeux, à présent, et s'enlaçaient avec force, à tel point qu'il semblait impossible que quoi que ce soit puisse jamais les séparer. Leur danse n'en était plus une et ils se contentaient désormais de se balancer légèrement de droite à gauche, parce que la véritable danse était celle de leurs deux cœurs qui s'unissaient avec euphorie dans une valse sans fin.
Mon amour, dis-moi, dis-moi, dis-moi
Que tu resteras auprès de moi toujours, toujours, toujours, toujours, toujours, toujours...
Ils ne s'écartèrent pas quand la chanson s'acheva, demeurant dans les bras l'un de l'autre, l'endroit qui pour eux se rapprochait le plus d'un foyer.
« Un bébé, Cersei, » murmura Jaime dans un éclat de rire. « On va avoir un bébé. »
Cersei hoqueta, et son rire à elle se mélangeait à ses larmes.
« C'est absurde... »
Il hocha la tête, toujours ivre de bonheur et d'hilarité.
« Ça l'est. »
Leur baiser eut le goût de l'espoir du bonheur retrouvé.
