Titre : Celui qui rêvait éveillé, scène 1.
Base : Gundam Wing.
Genre : Sérieux, torture mentale d'un Hee-chan sans défense sous ma plume, perso parfois kawaï, mais même pas de shonen aï.
Couple : Seulement si on a l'esprit vraiment très mal tourné. Et parce qu'on ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve...
Auteurs : Meanne77, avec la collaboration de Seinseya.

Notes : Première fic... Remodelage de la chronologie (mais quelle chronologie ?), parce que ça m'arrange. Merci à Sein, sans qui cette fic n'aurait pas dépassé la cinquième page... La plupart du vocabulaire utilisé est traduit dans la fic même, enfin, vous verrez... Langage "châtié" de Duo, mais on lui pardonne...
Disclaimer : On se cotise, on se cotise. Mais pour l'instant, ils sont pas encore à nous... Kotori et le jeune homme nous appartiennent, mais qui s'en soucie, mis à part nous ?

Acte Premier : Heero
Celui qui rêvait éveillé

Scène 1 :

La petite maison qui leur servait de planque se trouvait légèrement à l'écart de la ville. Suffisamment pour qu'ils n'attirassent pas l'attention, mais pas trop loin non plus afin de leur permettre de déguerpir rapidement si besoin était. Le soleil d'automne ne tarderait plus à se coucher, et tout était calme. En apparence...
- RAAAAA ! P'TAIN MAIS KESKI FOUT ? s'exclama bruyamment Duo, levant les mains au ciel comme pour le prendre à témoin. Le pilote à la natte se remit immédiatement à faire les cent pas, n'ayant suspendu son va-et-vient que pour rompre une fois de plus le silence.
- Calme toi, Maxwell, répondit Wu Fei, sans même lever le nez de son livre. Tu t'inquiètes trop...
Duo s'arrêta de nouveau pour regarder son coéquipier, gardant le silence. Wu Fei ne manqua pas de le remarquer et jugea judicieux de ne surtout pas lever les yeux.
- Wuffy..., commença Duo d'une voix basse.
- M'appelle pas comme ça.
Réponse lasse, manquant de conviction et marquée par l'habitude.
- ... ce mec est une machine. On parle d'Heero là, pas de moi, continua le natté avec une pointe d'ironie dans la voix. S'il est en retard, c'est qu'il lui est arrivé quelque chose.
Wu Fei préféra ne pas répondre, histoire de ne pas devenir la cible du pilote 02. Il ne tenait pas à lui servir de "trompe-l'inquiétude". Duo observa encore Wu Fei. Il avait beau faire son stoïque, il savait bien qu'il était aussi inquiet que lui : il n'avait pas tourné sa page depuis plus de dix minutes. Mais le Chinois affectait de ne pas paraître concerné. Duo soupira... et reprit sa marche...

Une heure encore s'écoula. Duo alternait entre grommeler dans un fauteuil et user le judas à force de guetter le retour d'Heero. Ils ne tarderaient pas à passer à table et le Soldat Parfait n'était toujours pas revenu...
Les cinq pilotes se connaissaient depuis plusieurs mois à présent. S'ils avaient agi chacun de leur côté au début, ils avaient rapidement dû coopérer afin de faire face à des missions de plus en plus périlleuses et une résistance d'OZ de plus en plus accrue. L'union faisait la force, d'après un ancien proverbe, et ils devaient bien reconnaître qu'ils avaient besoin les uns des autres. Nul ne saurait dire s'ils étaient amis ou non, pourtant, mais leur devoir les rapprochait, et dans une certaine mesure, ils s'appréciaient, ou tout au moins, se respectaient. Duo aimait tout le monde, de toute façon. Quatre était tout simplement trop diplomate ou trop empathe ? pour ne pas être la pierre de voûte du groupe. Sans lui, la coopération forcée, mais indispensable, n'existerait pas, et ils en avaient tous conscience, même les plus asociaux d'entre eux. Wu Fei se tenait à l'écart, semblant ne pas vouloir s'attacher, mais Quatre savait, et Duo se doutait, qu'en fin de compte, il se souciait de la survie de ses alliés. Il avait eu le plus de mal à devoir accepter le fait qu'il ne pouvait plus se permettre de faire cavalier seul, mais à présent que cette idée s'était ancrée en lui, il participait de son mieux à l'harmonie du groupe. Trowa était un véritable mur de silence, mais il savait se montrer plus qu'efficace lors des missions et pouvait même se montrer amical, parfois. Quant à Heero... Le Soldat Parfait obéissait aux ordres qu'il recevait sans se poser de question. S'allier aux autres pilotes de Gundam ? Soit, ninmu ryukaï.
Ils avaient fini par prendre l'habitude de se voir confier la même mission. Pourtant, cette fois, aucun des autres pilotes n'avait reçu d'instruction, Heero seul était parti. "Tôt ce matin", avait ajouté Quatre. Et il n'était toujours pas revenu.

Il lui est arrivé quelque chose..., murmura pour la énième fois Duo. Quatre ? ajouta-t-il en se dirigeant vers la petite cuisine. Quatre, tu ne sens vraiment rien ?
Quatre secoua la tête, son ami car lui, tout comme Duo, considérait comme tel les autres pilotes lui avait déjà posé plusieurs fois la question. En vain.
- Je ne saurais même pas te dire où il se trouve, Duo. De plus, Heero est plus... difficile à percevoir que vous autres.
- Comment ça ?
- Et bien, comment dire...? Disons que cela dépend en partie de la personne. Je perçois les sentiments, les émotions et...
- Compris ! Iceman est amputé des sentiments, c'est ça ?
Quatre sourit faiblement.
- Je ne l'aurais pas formulé ainsi mais il y a de ça, oui. Chez lui, je ne perçois que les émotions violentes. Pour toi, qui es plus ouvert, c'est plus sensible...
- Hum, je vois... Un sourire malicieux étira ses lèvres. Finalement, ce ne doit pas être si pénible que ça, ton don. Avec les trois autres, c'est plutôt reposant : tu n'as qu'à me supporter, moi !
- Tu comptes pour plusieurs.
Duo se retourna surpris vers le jeune homme à la mèche.
- Tro-man ? Mais tu parles ? Je croyais qu'on avait oublié de te changer tes piles !
- Duo ! s'exclama Quatre, amusé malgré lui. Mais Duo était lancé. Il s'approcha à petits pas du pilote 03, l'air espiègle.
- Dis, Tro-man, où c'est qu'on les change, tes batteries ? fit-il d'une voix enfantine en soulevant brusquement le bas du pull à col roulé du pilote, dévoilant son dos nu. Ooooh ! Pas de T-shirt ? Et en bas ? Aïe ! Grande brute, pas la peine de me frapper !
Trowa, impassible, venait de lui assener un léger coup de poing sur le haut du crâne, histoire de lui apprendre à se tenir tranquille. Et à ne pas trop l'approcher. Quatre, lui, avait pris quelques couleurs, ce que remarqua l'oeil exercé de Duo.
- Tu rougis, Qua-chan ? Pourquoiiii ?
- Euh ! Mais non, c'est l'eau des pâtes qui bout !
- Mais oui, bien sûr ! Viens voir un peu là, toi... Duo s'interrompit en entendant la porte d'entrée s'ouvrir. Il se propulsa hors de la cuisine, gardant l'un de ses couteaux à portée de main, juste au cas où, mais espérant que ce serait...
- C'EST PAS TROP TÔT ! OU T'ETAIS PASSE BON SANG ? T'AS VU L'HEURE ? QUATRE ETAIT MORT D'INQUIETUDE ! beugla-t-il, sans mentionner qu'il l'avait été lui aussi. Heero passa devant lui en l'ignorant superbement.
Non. Il y avait autre chose. Duo passait son temps, mine de rien, à observer ses coéquipiers. Ce n'était pas normal. Heero n'avait pas la souplesse féline et silencieuse qui accompagnait d'ordinaire chacun de ses mouvements. Il s'avançait un poil trop lentement et de façon... rigide, presque comme un automate. Etait-il blessé ?
- Heero-kun ? reprit-il d'une voix moins stridente, mais d'où perçait malgré tout son inquiétude. Heero ne l'avait pas ignoré, il pouvait se vanter d'être un expert en la matière. Il était passé devant lui sans le voir, nuance.
- Youhou ? La Terre à L1, répondez !
- Hn.
Ou peut-être que si, finalement ? Mais il sembla à Duo que c'était d'avantage un 'Hn' en réponse à un vague bruit qu'un 'Hn, fous-moi la paix Duo'.
Boooooon ! On lance le plan B !
- Heeeeee-chaaaaaan ! miaula presque le pilote à la natte tout en se jetant sur le Soldat Parfait. La réaction de ce dernier ne se fit pas attendre. A peine Duo eut-il touché son ami qu'il reçut un violent coup de coude dans le ventre, le faisant se plier en deux sous la douleur, et expulsant l'air de ses poumons. Avant même qu'il ait eu le temps de réagir, il sentit une douleur envahir son menton la crosse d'un pistolet ? et percuta le mur derrière lui. Lorsqu'il releva les yeux, l'arme d'Heero était pointée sur lui.
- HEY ! Mais ça va pas la tête ou quoi ? T'es pas un peu malade, non ?
- Du... Duo ?
- Yuy !
Wu Fei, Quatre et Trowa avaient accouru au bruit.
Heero fixait le jeune homme à terre ; sa respiration s'était légèrement accélérée et le peu de couleur qu'il avait d'ordinaire avait quitté son visage.
- Dis, ça te ferait rien de baisser ton arme, s'te plaît ? dit Duo avec humeur, en se frottant le menton d'une main et en se tenant les côtes de l'autre. Il en avait peut-être une de cassée. Heero cligna des yeux deux fois, semblant hésiter une seconde, puis s'exécuta, rangeant son pistolet quelque part sur lui.
- Duo, ça va ? Quatre aida son ami à se relever.
- Ouais, si on veut. T'as des putain d'réflexes, Yuy ! ajouta-t-il. Mais Heero s'était déjà enfermé dans sa chambre, bousculant légèrement Trowa au passage.
- Et bin ! Je m'attendais pas vraiment à ce qu'il s'excuse à genoux, mais un petit 'pardon' aurait été bien accueilli !
- Qu'est-ce que tu lui as dit, Maxwell ? demanda d'un ton brusque le Chinois.
- Mais rien ! Nan, sérieux là, j'ai rien dit, rien fait ! Vraiment ! Boon, je lui ai un peu sauté dessus, mais c'était pour voir s'il allait bien quoi !
- Et bien, comme ça tu es fixé ! renifla dédaigneusement le pilote de Nataku.
- De là à me descendre ! J'ai vraiment cru qu'il allait tirer !
Les trois autres ne dirent rien mais ne purent que reconnaître qu'il avait raison, la réaction de Heero avait été... excessive. Et plutôt inhabituelle.

Il ne l'avait pas vu. Ni même entendu. Il avait simplement senti un poids s'abattre sur ses épaules et avait réagi en conséquence, comme on le lui avait appris. Et il avait failli tirer. Sur Duo. Duo, qui l'avait fixé de son regard améthyste et incrédule. Avec une pointe de... Non, il n'avait pas les idées claires, Duo n'avait pu avoir du soulagement dans les yeux. Pas ce genre de soulagement là. Quel genre, au fait ?
Heero se passa une main sur le visage. Ses pensées échappaient à son contrôle. Ses rêves aussi. Ou plutôt ses cauchemars. Il se retourna légèrement sur sa gauche. Elle lui sourit gentiment. Elle l'avait suivi jusque là. Impulsivement, Heero braqua son arme sur elle, le doigt sur la gâchette. Elle souriait toujours. Heero hésita. Il ne pouvait tout de même pas la tuer une seconde fois. Il abaissa son arme et ferma les yeux, très forts. Depuis quand réagissait-il impulsivement ? De longues secondes passèrent, qui lui parurent durer une éternité. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il était seul. Mais pour combien de temps ?

Il alluma machinalement son ordinateur, posant son arme à côté, et se dirigea vers sa salle d'eau. Celle-ci était exiguë, tout comme la chambre. La maison n'était pas grande mais elle offrait tout le confort nécessaire, y compris une chambre pour chacun des cinq pilotes. Heero se passa un grand coup d'eau fraîche sur le visage puis appuya fort sur ses yeux, jusqu'à ce qu'apparussent des lumières clignotantes derrière ses paupières closes. Enfin, il repassa dans la chambre et vérifia ses e-mails. Il avait commis une erreur grave aujourd'hui : il était sorti sans prévenir quiconque, alors qu'un ordre de mission aurait pu arriver à n'importe quel moment. Mais il avait fallu qu'il sorte, qu'il... fuie ? Oui, c'était le mot, qu'il fuie son cauchemar. Mais il l'avait rattrapé, ne cessant de le tourmenter toute la journée... Il avait cru que remettre sa vie entre les mains de la famille Noventa serait la meilleure solution. La seule qu'il avait à leur offrir. Et ils lui avaient pardonné. Du moins, Madame Noventa lui avait pardonné. Sylvia, elle, l'avait traité de lâche. Et sans doute en était-il un. Ne tremblait-il pas devant des fantômes ?

Duo avait refusé que Quatre le soigne.
- Qua-chan, enfin, je t'assure que c'est pas la peine ! C'est qu'une égratignure et une bosse quoi ! Pour qui tu me prends, un Shinigami en pain d'épice ?
Il ne mentionna pas sa côte cassée, s'efforçant de dissimuler à l'empathe la douleur aiguë de son flanc, sous couvert d'une fausse colère dirigée contre Heero. Quatre avait lui-même reconnu qu'il ne percevait que les émotions superficielles, et même s'il prétendait mieux "décoder" Duo que les autres, le pilote de Deathscythe savait qu'il se leurrait. Quatre ne pouvait percevoir les sentiments enfouis au fond de lui, il y mettrait sa natte à couper. Quatre ne manquerait pas de réagir, s'il savait...
- Ne lui en veux pas, Duo..., dit le blond avec douceur.
Duo sourit intérieurement.
- ... il est... perturbé...
- N'importe qui verrait qu'il n'est pas dans son état normal, mon coeur en sucre, plaisanta le jeune homme natté. T'as pas des précisions? Qu'est-ce qui cloche chez lui ?
Quatre secoua la tête.
- Si je le savais...
Duo fit une moue déçue.
- C'est nul, ton truc, ça nous dit que ce qu'on est capable de voir par nous-même !
- Je suis désolé, répondit faiblement Quatre.
- Euh, Quatchounet, je plai-san-tais !
Son ami eut un faible sourire. Celui de Duo fut plus prononcé ; l'empathe était bien le seul à ne pas se formaliser des surnoms dont il les affublait...
- Heero est... je ne sais pas quoi dire d'autre... perturbé. J'ignore par quoi, mais ça semble couver depuis quelques temps.
- Que sens-tu au juste ? demanda Trowa par-dessus son épaule.
- Hum, et bien... Ah ! comment vous expliquer ? Ce que je sens, d'ordinaire, c'est un peu comme... des vagues qui fluctuent.
- Gue ?
Quatre sourit à Duo.
- Disons que c'est comme si vous étiez entourés d'un flux mouvant d'air. Chaque personne à son flux propre, qui change selon ses émotions. Rythme, couleur, chaleur...
- C'est ça que tu ressens ? s'exclama Duo, qui n'en croyait pas ses oreilles.
- Nooon, je... j'essaye de trouver des analogies que vous puissiez comprendre ; c'est tout simplement indescriptible. Disons alors plutôt que c'est comme des ondes qui oscillent en harmonie, mais dont la phase, et tout le reste, varient en fonction des émotions. Malgré ces variations, ces ondes restent cohérentes pour une personne donnée, et elles sont uniques pour chacun.
- Et pour Heero ?
- Hum, disons que ce serait comme si ces ondes étaient brouillées, comme parasitées par quelque chose...
- Wha ! Attends là, t'es quand même pas en train de nous dire que Heero est possédé ? s'exclama Duo, soudain enthousiasmé par cette idée, surtout après avoir repéré du coin de l'oeil un petit frisson chez Wu Fei.
- Non ! C'est juste... Quatre soupira. ... Il est perturbé, c'est tout.
- Hum ! C'est pas très clair tout ça !
Quatre eut un sourire navré.
- Quelqu'un saurait ce qui pourrait le troubler de la sorte ?
Duo secoua avec force la tête, en prenant garde de ménager ses côtes. Brève négation de Wu Fei. Silence de Trowa. Pourtant, Quatre sembla percevoir quelque chose.
- Trowa ? demanda-t-il doucement.
Clignement de paupières de Duo.
- Yo, Tro-man ! Tu nous fais des cachotteries ? Hein ?
Trowa se retourna lentement vers ses coéquipiers et dit avec calme et sérieux :
- Les pâtes sont cuites.
Duo se frappa bruyamment le front avec la paume de sa main.
- Je vais chercher Heero, proposa Quatre, toujours serviable.
- Laisse, j'y vais. Duo se leva le plus normalement qu'il put. La douleur lancinante à son flanc commençait sérieusement à l'agacer. Il se dirigea vers la chambre d'Heero. Wu Fei se chargea de mettre la table pour cinq, tandis que Trowa achevait la préparation des pâtes.
- Trowa ? répéta doucement Quatre. Il lui avait semblé sentir une hésitation chez son ami. Il se rappela alors que quelques jours plus tôt, Heero et lui avait reçu une mission. Pour autant qu'il le savait, celle-ci s'était plutôt bien déroulée, il s'était agi d'une mission somme toute classique, rien de bien risqué pour deux garçons comme Trowa et Heero. Alors pourquoi cette hésitation ?
Ça n'a peut être rien à voir... Ou je me suis trompé ?
Trowa n'était pas très facile à déchiffrer lui non plus, au grand dam de l'empathe... Le grand jeune homme lui jeta un petit regard impassible. S'il savait quelque chose, il n'avait pas l'intention d'en parler, c'était évident.

Duo marqua un court temps d'arrêt devant la porte de la chambre d'Heero. Il sentait qu'il valait mieux y aller mollo. Il frappa donc, chose rarissime pour lui.
- Heero-kun ?
Silence...
- Heero ? C'est moi. Duo. On mange, tu viens ? Il frappa encore. Heee-roo ?
N'y tenant plus, il ouvrit doucement la porte et pénétra prudemment dans la pièce. Il ne tenait pas à expérimenter deux fois dans la même soirée les réflexes fulgurants du Soldat Parfait. La pièce était plongée dans l'obscurité, les seules sources de lumière venant du couloir et de la salle de bain. Duo distingua pourtant une silhouette assise sur une chaise, là où se trouvait un ordinateur portable. Eteint. Duo fronça les sourcils. Eteint ? Heero ? Impossible !
Ses yeux s'habituant à l'obscurité, il remarqua que Heero était tourné vers lui, et non vers son écran. Il jugea préférable de ne pas pousser l'interrupteur.
- Bah ! Qu'est-ce qu'tu fais dans l'noir ?
- ...
- On mange, tu viens ? répéta-t-il.
- ...
Duo s'appuya contre le mur mais se redressa bien vite, ne pouvant retenir une grimace de douleur. Heero le remarqua, sans pouvoir lui en trouver une cause.
Le natté eut un soupir. Il se décida à s'approcher du jeune homme, et s'assit sur le rebord du lit, laissant la porte grande ouverte. Juste au cas où. Et puis, le couloir lui fournissait un peu de lumière.
- Ta mission s'est mal passée ?
Quelle mission ? faillit laisser échapper Heero. Mais il garda le silence. Ils pensaient qu'il avait reçu une mission. Objectivement, il ne pouvait pas les en blâmer. Existait-il quelque chose d'autre dans sa vie que les missions ? Rien. Jusqu'à récemment.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
Récemment...
- Heero, réponds-moi quoi ! Allez ! Fais-moi un petit "Omae o korosu" !
- ... J'arrive.
- Quoi ?
- Je vous rejoins.
Hein ? Oh ! Ah ! Le repas ! Autrement dit : "fous-moi le camp". Okaaaaay !
Duo garda le silence quelques secondes, observant son compagnon, ne parvenant pas à voir son expression dans la pénombre. Il se leva finalement. Lorsqu'il atteignit la porte, il se retourna pourtant.
- Si jamais tu veux en parler... je suis là, tu sais, dit-il avec sérieux. Puis, après une brève hésitation. Quatre aussi, ou même Trowa, Wu Fei...
Bref, t'as l'embarras du choix !
Duo aurait préféré qu'il se confie à lui, mais il préférait encore d'avantage qu'Heero aille voir quelqu'un d'autre plutôt que de rester comme une huître. Même s'il savait que jamais Heero ne confierait à quiconque ses problèmes, Duo préférait l'assurer que cette alternative existait. Il rejoignit alors les autres dans la cuisine. Il avait faim.
Duo marqua un temps d'arrêt juste avant de pénétrer dans la cuisine. Il se recomposa son expression habituelle, enjouée et moqueuse, puis surgit dans la pièce sans crier gare.
- Bon bin, les enfants, Hee-chan ne va pas tarder et moi, je meuuuuuurs de faim ! s'exclama-t-il en se jetant sur sa chaise, saisissant d'un geste vif ses couverts et en les cognant avec enthousiasme contre la table. A taaaaable ! bava-t-il presque.
Aussitôt, Wu Fei se leva et entreprit de servir les jeunes gens attablés. Duo prit un air faussement outré en le voyant faire.
- Oooh , bin, Fei Fei ! On attend pas Heero ? A peine je m'assois que tu te jettes sur la bouffe ! Et moi qui pensais être affamé ! T'es pire que moi ma parole !
- Mais ! Mais mais pas du tout ! Qu'est-ce que tu racontes encore Maxwell , fit le Chinois en piquant un fard. Tu as dit que Yuy arrivait tout de suite, je commence à servir, c'est tout !
- Il était temps que je revienne alors ! Un peu plus et ma part disparaissait dans ton assiette !
- Maaaaxweeell ! Jamais je ne ferais une telle chose ! gronda Wu Fei, en rougissant de plus belle. Heero franchit alors la porte de la cuisine et s'installa à sa place dans le plus grand silence. Trowa lui jeta un regard sans expression. Quatre jugea opportun d'enchaîner. Il avait senti en Duo que sa discussion avec Heero n'avait mené à rien.
- C'est vrai, Duo, Wu Fei ne ferait jamais ça. Et je peux bien lui donner un peu de ma part, je ne mange pas autant que vous...
- Mais ! Je n'ai même pas faim, d'abord ! Wu Fei lâcha les couverts et se rassit. Duo était écroulé sur son assiette, montrant son voisin du doigt.
- Une écreviiiisse ! Ça me donne encore plus faim ! ajouta-t-il avec un regard gourmand. Allez, sers-moi, Wuffy, s'te plaît, avant que je ne m'attaque à la table !
Wu Fei obtempéra, en maugréant un 'Maxwell', suivi de quelques mots en chinois. Il servit ensuite le reste de la tablée, pour finir par lui. Le silence menaçait de se réinstaller. Duo soupira intérieurement.
- Je croyais que tu n'avais pas faim, Wu-man ? Aaah ! J'ai compris pourquoi c'est toi qui nous sers ! Tu te réserves la plus grosse part ! C'est pas idiot ! Y'en a là d'dans hein ? dit-il en désignant de son couteau la tête de Wu Fei.
- Arrête ça !
- Quaaaatre ! Y'a quoi comme dessert ?
- J'ai fait une mousse au chocolat, j'espère que vous aimez tous ça ?
Un immense sourire éclaira le visage de Duo.
- C'est mouah qui vous sers !
- Je voudrais aussi pouvoir y goûter, Maxwell.
- Mais tu es un ogre ! Avec tout ce qu'il y a dans ton assiette, t'auras encore faim ?

Le repas continua de la sorte ; dès que le silence semblait s'instaurer, Duo trouvait une excuse pour asticoter Wu Fei et Quatre suivait le mouvement. D'habitude, Heero était également la cible des moqueries de l'Américain, mais pas ce soir, non, surtout pas ce soir. Quant à Trowa, il était toujours difficile de le faire réagir.
Quatre écoutait la conversation animée de Duo, tout en s'efforçant de trier les émotions qui s'entremêlaient. C'était toujours plus difficile lorsqu'ils étaient tous réunis. Duo émettait à lui seul une telle palette de sentiments qu'il était difficile de ne pas se laisser submerger. L'indignation de Wu Fei venait y ajouter ses propres couleurs, d'autant plus que Duo donnait le meilleur de lui-même pour détendre l'atmosphère. Il fallait qu'il réussisse à faire abstraction des ces ondes envahissantes pour se concentrer sur celles de ses deux autres amis.
Il lui fallut fermer les yeux un court moment. Si seulement Duo pouvait cesser de ressentir trente secondes... Il retient de justesse un soupir. Il commençait à sentir Heero, pourtant juste à sa gauche. Le brun était toujours "brouillé", même s'il semblait à Quatre qu'il retrouvait peu à peu une certaine cohérence. Mais quelque chose n'allait pas. Quatre fronça les sourcils. C'était trop subtil, trop hésitant, pour qu'il parvienne à s'en saisir. Il avait l'impression que l'esprit d'Heero lui glissait entre les doigts comme une anguille. Quatre frissonna. C'était la première fois qu'il ressentait un telle chose, il ne savait pas comment l'interpréter. Il décida de passer à Trowa. Il était persuadé qu'il savait quelque chose au sujet d'Heero. Peut-être pourrait-il l'aider à comprendre ? Mais le grand jeune homme n'avait pas semblé vouloir en parler. Et Quatre pouvait tout aussi bien faire fausse route. Il le regarda un instant : lorsque le pilote d'Heavy Arms n'était pas concentré sur son repas, il regardait en direction d'Heero...
Il parlerait à Trowa. Mais plus tard, en privé.

Heero ne s'attarda pas à table. A peine eut-il fini son assiette qu'il se leva et la déposa dans l'évier, la nettoyant rapidement avant de sortir. Il entendit Quatre le questionner au sujet d'un dessert, et il répondit par son mot fétiche, avant de se diriger vers sa chambre, qu'il ferma à clé.
Peu après le départ d'Heero, Duo laissa le silence retomber. Il n'avait plus envie de faire des efforts. Il n'avait plus vraiment à en faire, d'ailleurs, puisque le problème avait quitté la pièce. Il se leva et servit la mousse en silence. Wu Fei ne fit aucun commentaire. Une fois rassis, Duo se retourna légèrement vers Quatre, se contentant de le regarder. Le jeune empathe ne put que secouer la tête, l'air malheureux. Il sentit une main s'abattre sur son épaule. Duo lui sourit et lui fit un clin d'oeil, avant d'entamer sa mousse. Peu après, il vantait bruyamment les mérites du chef-cuisinier...

Duo se laissa tomber sur son matelas et poussa un grognement ; il avait encore oublié de ménager ses côtes.
Il s'inquiétait. Il avait beau se dire que Heero était parfaitement capable de surmonter ses problèmes, rien n'y faisait, il s'inquiétait. Il ne l'avait encore jamais vu ainsi. Quelque chose d'indéfinissable était apparu chez Heero. Il ne saurait même pas dire d'où lui venait cette idée, l'attitude du pilote 01 n'avait en rien changé. Ou presque. Duo avait l'impression que Heero était en permanence sur le point de... sursauter. Comme s'il avait l'esprit ailleurs. Ce qui, pour Heero, était parfaitement ridicule. Il avait été le voir pour lui faire comprendre qu'il n'était pas seul, mais il se demandait s'il avait correctement interprété sa visite. Duo n'avait pas tellement l'habitude d'être sérieux. Mais il fallait bien que quelqu'un remontât le moral des troupes, et qui sinon lui ? Trowa ? Il ricana à cette idée. Et dire que la couverture de Trowa était clown dans un cirque. Il rigola un peu plus fort. Il rêvait de le voir en costume... Il roula doucement sur le dos et secoua la tête ; son esprit dérivait une fois de plus. Heero, donc... Il avait peut-être cru qu'il était venu se moquer de lui ? Pourtant, il avait bien pris soin de le laisser tranquille durant tout le dîner, mais il n'était pas sûr que son ami l'ait remarqué. Quatre était sympa, il l'avait bien aidé à embêter Wu Fei.
Duo se tapa un peu le front de la main.
Heero, bon sang !
Il ne savait pas trop quoi faire, si Heero ne pensait même pas qu'il voulait vraiment l'aider. Wu Fei avait raison, il s'inquiétait peut-être trop, et pour pas grand chose. Oui, dans un jour ou deux, tout serait redevenu comme avant, c'était sûr. Il était tenté de demander à G quelle mission avait reçu Heero mais n'en ferait rien. Ça ne le concernait pas. Même s'il se sentait concerné...
Il finit par s'endormir, sans même s'en rendre compte, ses pensées toujours tournées vers son ami aux yeux bleus.

Heero poussa avec crainte l'interrupteur. Crainte, lui ? Oui, crainte.
Personne.
Il alla vérifier la salle de bain.
R.A.S.
Mais il savait que cela ne voulait rien dire, ils pouvaient surgir à n'importe quel moment. Il prit une douche. Longtemps, il laissa l'eau chaude couler sur son corps, peu soucieux de consommer toute la réserve, mais elle ne l'apaisa pas. Il se sentait toujours épié. Traqué. Et il l'était. Pourtant, une question revenait sans cesse dans son esprit. Pourquoi maintenant ? Pourquoi n'étaient-ils pas venus avant ? Pourquoi... ne le laissaient-ils pas en paix ?
En paix ? Après ce qu'il avait fait ? Ce qu'il ferait encore, si nécessaire ?
Je n'ai pas droit à la paix, pensa-t-il en retournant dans sa chambre, frictionnant vigoureusement ses cheveux. Je me bats pour elle, mais je ne la mérite pas pour moi-même.
Ses yeux se tournèrent vers son ordinateur. Il avait vérifié avant que Duo ne vienne le chercher, mais par acquis de conscience, il le ralluma. Aucune mission n'était arrivée entre temps. Il avait eu de la chance, une mission aurait pu tomber durant son absence. Son indiscipline était inacceptable.
Ça ne doit plus se reproduire, pensa-t-il avec résolution, en serrant les poings.
Il se coucha, les cheveux encore humides, avec cette unique pensée : Jamais.