Titre : Celui qui
rêvait éveillé, scène 2.
Base : Gundam Wing.
Genre : Sérieux, torture mentale d'un Hee-chan sans défense sous
ma plume, perso parfois kawaï, mais même pas de shonen aï.
Couples : Seulement si on a l'esprit vraiment très mal tourné.
Et parce qu'on ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve...
Auteurs : Meanne77, avec la collaboration de Seinseya.
Notes : Première fic... Remodelage de la chronologie (mais quelle chronologie
?), parce que ça m'arrange. Merci à Sein, sans qui cette fic
n'aurait pas dépassé la cinquième page... La plupart du
vocabulaire utilisé est traduit dans la fic même, enfin, vous verrez...
Langage "châtié" de Duo, mais on lui pardonne...
Disclaimer : On se cotise, on se cotise. Mais pour l'instant, ils sont pas encore
à nous... Kotori et le jeune homme nous appartiennent, mais qui s'en
soucie, mis à part nous ?
Acte Premier
: Heero
Celui qui rêvait éveillé
Scène 2 :
Moi je dis
: Dieu existe ! Qui d'autre aurait pu créer ces petites merveilles
sinon Lui ? Tu crois pas ? Regarde tous les parfums qu'ils ont en plus ! C'est
ça, le Paradis ! On a bien fait de venir ici, je commence presque à
remercier notre taupe ! piailla Duo en enfournant une nouvelle bouchée.
Aaaaah ! Trop bon ! Je meurs ! Chère taupe, je t'aime ! Dis, Heero,
tu manges pas la tienne ? C'est meilleur quand c'est pas fondu, tu sais ?
Heero jeta un coup d'oeil à son vis-à-vis, poussant un soupir exaspéré.
Ils n'étaient là que depuis quinze minutes et Duo n'avait pas arrêté
d'encenser sa
glace-quadruple-boules-vanille-fraise-pistache-nougat-chantilly-biscuit-et-parapluie-s'il-vous-plait.
Les seules secondes qu'il avait de répit était lorsqu'il avalait. Et
maintenant, il lorgnait sur la sienne. Qu'il n'avait pas touché, du
reste, mais tout de même !
Ils étaient installés à la terrasse d'un glacier réputé
(choisi par Duo, mais il devait reconnaître que le lieu était
stratégiquement avantageux), en plein centre-ville. Trowa et Quatre
de leur côté, et Wu Fei du sien, surveillaient les alentours.
Ils maintenaient un contact radio permanent, afin de ne pas perdre l'espion
de vue dans la foule. Les pilotes 04 et 03 se trouvaient en hauteur, avec
le matériel adéquat, ne perdant ainsi pas le moindre mouvement.
Pourquoi avait-il fallu qu'il se retrouve en équipe avec cette pipelette
de Duo ? Il aurait préféré la présence reposante
de Trowa, ou Wu Fei à la rigueur. Mais c'était toujours mieux
que de se retrouver coincé seul à seul avec le jeune empathe.
Il réprima un léger frisson. S'il reconnaissait les valeurs
de Quatre au combat, ainsi que son brillant esprit de stratège, il
ne pouvait s'empêcher d'éprouver une répugnance face à
son pouvoir. Surtout en ce moment. Nouveau frisson, qu'il réprima lui
aussi. Son esprit n'appartenait qu'à lui. Même s'il savait que
Quatre se montrait plutôt respectueux de leur intimité.
N'empêche... Il soupçonnait Duo d'avoir utilisé une pièce
truquée. Hypothèse à vérifier.
Heero surveillait consciencieusement la place. Il savait que Duo faisait de
même, malgré son attitude insouciante et insupportable qui
laissait penser le contraire. Mais il avait appris au fil des mois qu'on pouvait
se fier au côté 'Shinigami' du natté. C'était d'ailleurs
pour cela qu'il était encore en vie. Heero fit un geste discret vers
son pistolet, invisible sur lui. Le regard de Duo se modifia imperceptiblement.
Joie, moquerie, gourmandise et... sur ses gardes. Prêt à réagir
au dixième de seconde. Heero fit un léger mouvement du menton,
lui indiquant que ce n'était rien. Le jeune homme aux yeux améthystes
replongea immédiatement au fond de sa glace. Oui, on pouvait se fier
au Shinigami...
Duo avait commandé
une nouvelle tournée, la glace d'Heero irrémédiablement
fondue ne lui faisant plus envie. Il s'impatientait. On approchait du milieu
d'après-midi et Duo ne tenait plus en place. Il avait du mal à
rester assis sans bouger aussi longtemps, aussi bonne la glace soit-elle.
Il avait envie de se dégourdir les jambes. Il aimait les filatures,
chasser sa proie, mais il détestait avoir à attendre celle-ci.
Il sourit méchamment. Il avait envie de jouer. Peut-être les
profs le lui permettraient-ils, une fois la mission accomplie ? Après
tout, il faudrait bien qu'ils interrogent leur petit espion, à un moment
ou à un autre... Il s'agita sur sa chaise, s'attendant à recevoir
de nouveau le regard-qui-tue d'Heero. Et effectivement, Heero amorça
le geste de se retourner vers lui. Mais il s'arrêta brusquement, et
eut un mouvement de recul alors même que ses yeux s'arrondissaient légèrement.
Instantanément, Duo fit volte-face, se maudissant de n'avoir rien senti.
Puis resta perplexe. Rien, rien du tout, pas le moindre changement dans la
foule. D'ailleurs, Wu Fei leur avait signalé peu avant que leur cible
ne serait pas dans leur périmètre avant sept bonnes minutes.
Il se retourna alors vers Heero, plus lentement, et garda le silence. Son
ami fixait presque sans la voir la place laissée libre à la
gauche de Duo. Le regard de ce dernier se fit plus perçant. Le visage
d'Heero s'était refermé, ne laissant filtrer aucune émotion.
Mais où était Quatre lorsqu'on avait besoin de lui ? Le brun
se renfrogna encore un peu, les yeux toujours fixés sur un point tout
proche.
- Heero ? demanda tout doucement Duo, ne voulant pas sortir brutalement le
jeune homme de sa transe.
Duo se mordilla la lèvre inférieure. Il allait peut-être
enfin savoir ce qui arrivait à Heero. Il l'avait un peu espéré,
pour tout dire, mais pas pendant la mission, alors que leur cible était
toute proche ! Il s'était débrouillé pour être
avec Heero on ne pouvait pas survivre sur L2 sans apprendre un ou deux tours
de passe-passe, mais à présent, il aurait préféré
qu'il ne se passât rien d'imprévu. Heero fronça les sourcils,
toujours ailleurs.
- Heero ? Hey ho !
Oh, et puis, tant pis... On peut plus attendre.
Duo se pencha en avant et d'un mouvement vif, fit claquer ses mains juste
sous le nez d'Heero.
Duo se tortillait
encore sur sa chaise. Il avait beau faire des efforts, il mourrait d'envie
de l'étrangler avec sa natte, histoire qu'elle serve à quelque
chose d'autre qu'à s'agiter au moindre mouvement du tueur. Il se retourna
pour le faire se tenir tranquille une bonne fois pour toute mais quelqu'un
qu'il ne s'attendait pas à voir là entra dans son champ de vision.
Non ! Pas maintenant ! La mission...
Odin Lowe s'était assis à leur table et le fixait. Il était
resté exactement tel que dans ses souvenirs. Ses épaules larges,
peut-être un peu moins à présent qu'il avait grandi, étaient
toujours impressionnantes. Les cheveux clairs, coupés courts, des yeux
bleus, d'une couleur différente, plus claire, de la sienne. Le même
visage à la mâchoire carrée...
Le même blouson. Il savait très exactement où il cachait
son arme, un Smith&Wesson 41. Lui-même avait eu un Astra "Constable"
.22 Long Rifle à cette époque ; il était depuis passé
au Beretta 71 .22 Long Rifle, plus adapté à l'homme qu'il était
physiquement presque devenu.
Le même petit sourire, mi professoral, mi sarcastique... Il était
aussi redoutable avec des couteaux, il s'en souvenait parfaitement, c'était
de lui qu'il tenait sa propre technique.
- Tu as grandi...
Il eut un mouvement de recul involontaire.
La même voix, d'où perçait un imperceptible accent russe.
Une voix qu'il connaissait bien, mieux que personne, dont il était
capable de décrypter les moindres inflexions. Une voix qu'il n'avait
plus entendu depuis ce fameux jour, sept ans plus tôt.
- Qu'es-tu devenu ?
Heero se demanda s'il le jugeait ou s'il lui demandait simplement de ses nouvelles.
Mais il ne l'avait pas tué, celui-là. Que faisait-il
là ?
- ... Je vois que tu n'as effectivement pas repris une vie normale. Dois-je
me sentir responsable de tes choix ?
Heero déglutit péniblement, sans même se rendre compte
qu'il serrait le bord de la table si fort que les extrémités
de ses doigts avaient viré au blanc.
- Tu es toujours en vie... Tu n'y semblais pas très attaché
pourtant... As-tu suivi mon conseil ?
Heero ferma les yeux.
"Aussi parfait qu'un plan puisse paraître, il y aura toujours
un imbécile pour changer le futur... Aussi, quoiqu'il arrive, suis
toujours ce que te dicte ton coeur ; ainsi, tu n'auras jamais de regret. C'est
la seule voie possible pour ceux qui n'ont pas d'avenir."
Le conseil semblait juste. Et pourtant...
Un claquement le ramena brutalement à la réalité. Un
coup de feu ?
Immédiatement, il se redressa, sa main se dirigeant vers son arme,
son seul soutien. Deux étaux s'abattirent sur ses avant-bras. Il cligna
des yeux. Deux mains blanches et fines le serraient fermement, mais sans animosité,
au dessus d'une table. Des manches noires, retroussées au niveau des
coudes, une doublure blanche. Pantalon et T-shirt noirs. Croix chrétienne
autour d'un cou. Cheveux châtains, en partie masqués par une
casquette, noire elle aussi. Des yeux améthystes, le fixant d'un air
sérieux. Mortellement sérieux.
Duo...
Du coin de l'oeil, il nota qu'Odin était reparti, aussi silencieusement
qu'il était venu. Mais le mal était fait. Car cette fois, il
y avait un témoin. Une partie de lui lui ordonna de supprimer le témoin
gênant. Une fois de plus.
Non. Duo. Pas ennemi.
Duo resserra sa prise. Il ne le lâcherait pas tant que les yeux
d'Heero ne lui indiqueraient pas qu'il était de nouveau lui-même.
Allié. A...mi...
Second brusque retour à la réalité.
Ami ? D'où venait cette idée ridicule ? Le Soldat Parfait n'avait
pas d'ami. Duo serra encore plus fort. Heero fut envahit par une bouffée
de colère. Une irrésistible envie de frapper.
- 05 à 01 et 02, répondez.
Duo ne bougea pas. Heero le fusilla du regard, entraînant contre toute
attente un léger soulagement sur le visage de Duo.
- Lâche-moi !
Duo obtempéra avec une lenteur exaspérante. Heero porta vivement
à ses lèvres l'émetteur radio qu'il portait au poignet
droit.
- Ici 01, parlez 05.
- La cible entre dans votre périmètre. Contact dans
45 secondes. Ici 05, terminé.
- Bien reçu 05, terminé.
Duo jeta de la monnaie sur la table avant de relever les yeux vers son coéquipier.
S'il n'avait pas eu le contrôle de ses émotions enfin, la plupart
du temps Heero aurait frissonné sous le regard inquisiteur du jeune
dieu de la Mort.
- Je le vois, se contenta-t-il néanmoins de dire, ne te retourne pas,
qu'il ne te voit pas. On lui laisse de l'avance. Puis, s'adressant à
son poignet : Ici 02, répondez 04.
- Ici 04, parlez 02.
- Avons le contact visuel. Lui laissons un peu d'avance. Ne le perdez pas
de vue.
- Bien reçu 02, ne t'inquiète pas, on le suit à
la trace.
- Commençons la filature, à vous 04.
- Roger. Terminé.
L'agent d'OZ
semblait prendre son temps, flânant dans le centre ville, pour s'en
éloigner peu à peu. Peut-être était-il en avance
à son rendez-vous. Ou plus probablement vérifiait-il qu'il n'était
pas suivi...
Ce gars est plutôt bon. Malheureusement pour lui, nous sommes meilleurs
! Sorry guy !, pensa Duo avec un sourire malicieux et un peu inquiétant.
Il n'en relâchait pas moins l'attention qu'il portait à Heero.
Après, va falloir qu'on cause sérieusement, mon gars !
Ce regard qu'il m'a lancé tout à l'heure ! My God ! Qu'est-ce
qui se passe Heero ? C'est pas ton genre d'agir comme ça...
Heero essayait de se concentrer sur sa mission. La seule chose qui avait
de l'importance. Mais il ne pouvait s'empêcher de s'interroger au sujet
d'Odin. Le revoir l'avait plus touché qu'il ne l'aurait cru. Qu'il
ne l'aurait dû. Que lui voulait-il ? Qu'avait-il voulu lui dire ?
L'espion s'était
faufilé dans une avenue marchande ; il semblait se diriger, par maints
détours, vers le port. Peut-être vers les entrepôts. Il
restait prudent, pourtant pas une seconde il ne s'aperçut que deux
paires d'yeux le scrutaient des hauteurs alors que deux autres ne le lâchaient
pas d'une semelle. Il se retournait fréquemment, mais toujours de façon
à ce que cela passe pour être naturel. Il avait été
bien entraîné, cela se voyait, mais c'était insuffisant.
Il fit halte à un kiosque à journaux, ce qui lui permettait
d'observer tout autour de lui en donnant l'impression de se choisir une lecture.
Derrière lui, mêlés à la foule, les pilotes 01
et 02 suivaient sa piste.
Ils le filaient depuis plusieurs minutes lorsque l'œil exercé
d'Heero repéra quelque chose sur sa gauche qui attira son attention,
le détournant un instant de sa cible originelle. Il pivota pour faire
face à la vitrine d'un magasin. Ce qu'il vit au travers lui fit perdre
pied. Il sentit une sueur froide lui couler dans le dos, tandis qu'il perdait
totalement conscience de ce qui l'entourait. Il plaqua sans même le
réaliser ses mains contre la vitre, la faisant vibrer sous l'impact.
Duo, toujours concentré sur son objectif, s'aperçut néanmoins
du changement d'attitude de son ami.
- Euh, Heero, je suis sûr que cette petite robe t'irait très
bien, mais tu crois vraiment que c'est le moment de faire du lèche-vitrine
?
Heero n'entendit même pas la réflexion de son camarade.
Ça ne peut pas être elle ! Elle est morte ! Morte !
Une jeune femme sortit, balançant d'un air réjouit un sac
plein de nouveaux vêtements. Heero crut même l'entendre fredonner.
Elle s'éloigna rapidement.
Il ne comprenait plus : pourquoi était-il étonné qu'une
morte revienne ?
Parce qu'elle a grandi…
Il n'allait pas tarder à la perdre de vue.
Ce pouvait-il qu'elle ait survécu ?
Non, elle est morte ! Sur L1. Il y a six ans. Par ma faute !
Parce que j'avais écouté ce que me dictait mon cœur…
Quelques secondes encore et elle aurait disparu.
- KOTORIIII !
Il ne raisonnait plus. Il n'était plus qu'un corps en mouvement, ses
pensées se résumant à un seul nom. Heero se retrouva
à fendre la foule, écartant sans y prendre garde tous les obstacles
qui lui barraient le chemin, s'attirant des protestations bruyantes auxquelles
il ne prêta aucune attention. Elle évoluait avec grâce
malgré la cohue. Il se souvenait de cette façon qu'elle avait
de se déplacer, comme si elle flottait sur un nuage. C'était
quelque chose qui l'avait toujours fasciné : Kotori ne marchait pas,
elle flottait. Elle avait vieillie, tout comme lui, mais il l'avait parfaitement
reconnue. Il n'oubliait jamais un visage, et elle n'avait pas tellement changé,
en six ans. Elle devait avoir 20 ans à présent, et elle était
vivante, il le sentait, elle n'était pas comme Odin, pas comme la petite
fille, pas comme les autres…
Comment aurait-il pu oublier son visage ? Et le filet de sang à la
commissure de ses lèvres pâles ?
Duo resta comme
deux ronds de flanc, planté comme un idiot dans l'avenue, alors que
son ami s'éloignait précipitamment de lui. Il se reprit rapidement,
mais hésita sur la conduite à tenir, trop sidéré
qu'il était de voir Heero courir après une fille. Il
se décida une fraction de seconde trop tard.
Heero se jeta pratiquement sur la jeune femme, saisissant sans douceur son
avant-bras et la forçant à faire volte-face, lui arrachant un
cri de surprise.
- Kotori !
- Que… mais vous êtes fou ? Qui êtes-vous ? Lâchez-moi
immédiatement !
- Kotori !
- Lâchez-moi ! s'écria la jeune femme, prenant soudain peur
devant l'expression d'Heero. Il lui faisait mal, elle cria.
Heero cligna des yeux, croyant que sa vue se troublait, mais c'était
le visage de la jeune femme qui se modifiait à mesure qu'il la fixait,
les yeux exorbités. Il ne cessait de répéter son prénom,
comme une litanie.
Ses cheveux n'étaient pas aussi noirs qu'il l'avait cru. Ils n'avaient
pas la texture de la soie. Ses yeux n'étaient pas d'un noir d'encre
mais d'un marron noisette. Ils perdirent leur forme en amande ; ses cils étaient
plus longs, et maquillés. Le visage n'était plus aussi rond.
Le nez semblait s'allonger légèrement et se redresser. Elle
n'avait plus son sourire, ce sourire chaleureux et si particulier qu'il n'avait
rencontré que chez une seule autre personne, bien qu'il n'aurait pas
su dire chez qui. Les yeux d'Heero revinrent se poser sur ceux de la jeune
femme : il y découvrit l'empreinte de la peur. Celle dont il tenait
toujours le bras cria. Kotori n'avait jamais eu peur de lui, elle n'avait
jamais eu peur que pour lui.
Duo s'élança, mais trop tard. Le temps qu'il parvienne à
leur hauteur, forçant Heero à lâcher le bras meurtri,
le mal était fait. Elle gardait une marque rouge, tant Heero avait
serré. Sa première intention avait été de s'excuser
auprès de la jeune femme pour son ami, mais lorsqu'il se retourna,
son regard croisa celui de l'espion. Il les regardait ; tout le monde les
regardait ! Il ne faisait aucun doute qu'il avait reconnu Heero, et à
présent, il connaissait également le visage de Duo ; Duo, qui
tenait toujours fermement Heero et qui venait de se compromettre.
Shit !
Duo attira Heero à l'écart, dans une ruelle, aussi vite
qu'il put, ce qui n'était pas difficile, le "Soldat Parfait"
étant plus mou qu'une marionnette désarticulée. Il repoussa
sans douceur Heero contre le mur et le gifla violemment. Le cobalt des yeux
d'Heero perdirent un peu de leur couleur vague.
- 04 à 02 ! Répondez 02 !
- J'allais vous appelez, 04 ! répondit prestement Duo en appuyant sur
le bouton de son émetteur miniaturisé en montre. Sa voix était
légèrement altérée par l'émotion.
- Que ce passe-t-il en bas ? demanda la voix de Trowa.
- Un imprévu, la cible nous a repéré. Ecoutez-moi tous,
les instructions ont changé : on rattrape ce gars, et fissa ! Il est
hors de question que son contact aperçoive ne serait-ce que le bout
de son nez ! Chopez moi cet enfoiré ! Vivant, ajouta-t-il d'une voix
redevenue parfaitement calme, la voix froide qu'il prenait parfois, lorsque
Shinigami s'apprêtait à rendre son office. Exécution !
01 et moi, on vous rejoint. Restez en contact.
- Bien reçu, 02 , répondit Wu Fei, un bruit de
moto en fond sonore, je m'en charge.
- On s'en charge tous, on ne peut plus prendre le moindre risque, il
peut nous identifier tous les deux.
- Compris, 02. Brève hésitation. 02, tout
va bien ?
- J'en sais rien, 04, fit- il d'une voix sourde. Au boulot !
- Roger !
Duo coupa la communication et pivota vers Heero. Celui-ci semblait encore
un peu perdu, toute couleur ayant quittée son visage, mais il semblait
être lui-même.
- Je…
- Ferme la, Heero ! C'est pas le moment ! Oh, on va en reparler, ça,
tu peux me croire ! Mais pas maintenant ! Pas avant d'avoir rattrapé
tes conneries !
L'agent d'OZ
n'avait eu aucune chance. Wu Fei, à présent à moto, l'avait
rattrapé et neutralisé facilement, suivant les instructions
de Duo. Une fois l'espion hors d'état de nuire, mais vivant, les G-boys
décidèrent de la marche à suivre. Ils ne pouvaient s'attarder
d'avantage dans les parages, l'endroit n'était pas sûr. Ils ignoraient
combien de membres de l'organisation militaire de Treize pouvaient se trouver
sur place. Duo estima préférable de rentrer au nouveau centre
général des professeurs, ceux-ci ayant changé de lieu
dès le départ de leur espion. Ce dernier était dans l'impossibilité
de les voir ou les entendre, mais ils devaient l'interroger au plus tôt.
Les pilotes de Gundam se procurèrent un moyen de transport et regagnèrent
leur nouvelle base. Wu Fei, toujours à moto, les précédait.
Heero resta silencieux pendant tout le trajet, profitant du temps qui lui
était imparti pour rédiger son rapport et évitant soigneusement
de croiser le regard de ses coéquipiers. D'un accord tacite, ces derniers
avaient décidé d'attendre d'être arrivés avant
d'entamer une discussion qui s'annonçait inévitable.
Leurs mentors,
prévenus par Wu Fei, les attendaient. L'agent infiltré fut immédiatement
placé sous surveillance, dans un petite salle servant de cellule. Ses
chances d'évasion étaient nulles.
Les professeurs réunirent les cinq pilotes dans une pièce insonorisée.
Le Docteur J s'appuyait d'une main sur le rebord d'une table sur laquelle
se trouvait un ordinateur. La mâchoire cybernisée de son autre
main s'ouvrait et se fermait en un claquement sec et régulier. Heero
savait ce que cela signifiait. Les autres professeurs étaient soit
debout, soit assis contre la table. Ils faisaient face à leurs jeunes
protégés.
Des cinq, seul Trowa s'était nonchalamment adossé au mur, les
bras croisés comme à son habitude. Tous se tenaient debout.
Quand bien même il y aurait eu suffisamment de sièges, ce qui
n'était pas le cas, aucun ne se serait assis.
Le Docteur J
les observa en silence pendant quelques instants, sa main ayant cessé
de battre la mesure. Ses yeux robotisés s'attardèrent sur Heero,
qui resta parfaitement droit. Il ignorait ce que Wu Fei avait déjà
bien pu leur dire.
Enfin, J prit la parole. Sa voix était aussi froide et tranchante qu'une
lame.
- La mission est un échec. Non seulement le contact n'a pas été
identifié mais de plus, vous avez ramené l'espion ici.
Duo croisa à son tour les bras. Il plissa légèrement
les yeux, assombrissant son regard déjà en partie masqué
par sa casquette noire. Il se sentait bouillir de l'intérieur, mais
savait que le moment n'était pas encore venu. J l'avait fait frissonner
la première fois qu'il l'avait vu, mais jamais il n'avait eu peur de
lui. Peu de gens pouvaient se vanter de lui avoir jamais fait peur. Moins
encore étaient toujours en vie. J n'avait aucun pouvoir sur lui lui,
Shinigami mais il savait que ce n'était pas le cas pour Heero. Il
ne pouvait que soupçonner entre eux une relation bien plus complexe
que celle qu'il entretenait lui-même avec son mentor...
- 05 nous a dit que vous vous étiez fait repérer, continua J,
un brin de mépris étant venu nuancer son intonation. Cette mission
n'aurait pourtant pas dû vous poser de problème. D'autant que
vous étiez cinq, ajouta-t-il, les yeux toujours rivés sur ceux
d'Heero. Vous deviez simplement filer et arrêter l'espion, et nous informer
de l'identité de son contact. Où était le problème
?
Heero tendit à son mentor une disquette informatique.
- Tout est dans mon rapport.
J saisit la disquette de sa main métallique et l'inséra dans
l'ordinateur. Il parcourut rapidement le compte-rendu des yeux. Heero n'avait
pas mentionné la venue d'Odin, la mission se déroulant encore
sans accroc jusque là. Il parlait cependant de sa méprise concernant
une jeune femme qu'il croyait avoir tuée sur L1.
Le Docteur J releva la tête, incrédule.
- Tu te moques de moi ?
Heero demeura silencieux. Il n'avait rien à ajouter.
- Si je ne te connaissais pas, je pourrais le croire. Mais ça n'explique
en aucun cas ton échec ; tu n'es pas censé te laisser distraire
par ce genre de détails. Je te l'avais déjà dit. Dois-je
envisager de reprendre ton entraînement ? Ou de te remplacer ? Tu...
- Woo ! Hey ! Mollo, mon pote ! C'est quoi cette blague ? Et puis quoi encore
?
C'était n'importe quoi de toute façon, cette mission
! On s'en fout, du contact ! C'qui compte, c'est de savoir ce que la taupe
leur a appris. Elle représente un danger pour nous tous. Quelle idée
de l'avoir laissée en liberté ! Il fallait réagir dès
le moment où vous l'avez soupçonnée. Maintenant qu'elle
est de nouveau entre nos mains, il faut l'interroger, et je me porte volontaire
pour cette tâche. Ensuite, on l'élimine. Et je suis là
aussi volontaire, conclut Duo avec son regard Shinigami.
L'expression des trois autres pilotes marquait leur adhésion à
ses propos.
G jugea opportun d'intervenir avant que la discussion ne s'envenime. Il ne
connaissait que trop bien le caractère enflammé de son protégé
et il préférait étouffer l'étincelle avant qu'elle
ne se propageât.
- Très bien, ne perdons pas plus de temps. Pendant que nous interrogeons
le prisonnier, Wu Fei vous conduira à vos chambres. Dès demain,
vous partirez vers l'est, dans un lieu sûr. Nous vous ferons parvenir
vos Gundams une fois les améliorations achevées.
Wu Fei eut un bref hochement de tête et sortit de la pièce, suivi
par Quatre et Trowa. J et G sortirent à leur tour pour se rendre auprès
de l'agent d'OZ, pendant que les trois autres regagnaient le hangar où
se trouvaient les Gundams. Duo jeta un coup d'oeil à Heero avant de
quitter la pièce à son tour. Celui-ci serrait les poings.
- Heero ?
- ..., marmonna Heero.
- Quoi ?
- Je peux savoir à quoi ça rime ? répéta-t-il.
- ... Et toi, je peux savoir à quoi tu joues ?
Heero fit volte face. Une colère sourde assombrissait ses yeux cobalt.
- Je ne t'ai rien demandé, gronda-t-il.
- Quoi ? Mais je voulais juste...
- Je suis un soldat ! J'assume la responsabilité de mes actes !
- Parlons-en, de tes actes ! T'es bizarre en ce moment ! Le groupe fonctionne
parce qu'on sait comment l'autre va réagir ! Tu fausses le jeu et je
ne t'anticipe plus ! Bon sang, mais qu'est-ce qui t'a pris aujourd'hui ? C'était
qui, cette fille ?
- ...
- ... attendit Duo. Très bien, reprit-il au bout de quelques secondes
de silence, comme tu voudras, mais ça n'va pas pouvoir continuer comme
ça, Heero. Je ne sais pas ce que tu as, et visiblement tu ne penses
pas que je veuille sincèrement t'aider, okay ! Après tout, je
suis quoi ? Un pauvre baka natté, pas vrai ? Mais laisse-moi te dire
une bonne chose, ou plutôt deux : je pensais tout ce que j'ai dit. Dès
le départ, j'ai pensé que cette mission n'avait pas lieu d'être,
et une fois de plus, tu as accepté sans nous consulter d'abord. Très
bien, ça au moins c'est le Heero que je connais. Mais si tu continues
à déconner comme ça, on ne va plus pouvoir compter sur
toi ! Tu comprends ça ? Et on a besoin de toi, Heero, bordel ! Le groupe
ne fonctionne que si on est tous ensemble !
Duo marqua une pause, pour reprendre son souffle.
- Penses-y.
Duo pivota et quitta la pièce pour rejoindre les professeurs. Il avait
un interrogatoire à mener. Et cette fois, l'autre parlerait.
Heero ferma les yeux, serrant encore les poings. Duo avait raison, ça ne pouvait pas continuer comme ça. La responsabilité de leur échec lui incombait à lui seul. Aujourd'hui, Duo et les autres avaient rattrapé le coup, mais qui sait ce qu'il pourrait se passer la prochaine fois ?
Heero cherchait
à s'orienter dans les couloirs. Il ne pensait pas avoir trop de difficulté
pour trouver l'ordinateur central, la plupart des bases étant construites
selon une logique assez similaire.
OZ avait réussi à infiltrer leur système informatique. Son système informatique. Rien que d'y penser, il sentait une
colère sourde l'envahir. A cette pensée, il marqua un temps
d'arrêt. Il ressentait une émotion ; c'était mal. Ce n'était
pas acceptable. Il devait se reprendre il fallait qu'il se reprenne ! Il
était un soldat, une arme. Rapide, précis, efficace ; une mécanique
bien huilée. Jusqu'ici. Il se sentait de plus en plus perdre pied,
et bien qu'il agitait convulsivement les bras, il ne trouvait aucune prise
à laquelle se raccrocher. Et remonter, refaire surface. Une idée
le frappa : est-ce qu'il devenait fou ?
Il tenta d'analyser cette nouvelle information, la considérant selon
plusieurs angles. Et frémit.
Non.
Puisqu'il pouvait encore envisager rationnellement cette hypothèse,
c'est qu'il ne l'était pas. Mais il avait un problème, il était
bien obligé de le reconnaître. Comme s'il avait été
infecté par un virus qu'il ne parvenait pas à neutraliser. Que
faire ? S'il en parlait à J, il était sûr de se faire
"reformater". Il l'avait déjà été une
fois, et s'il lui était permis d'émettre une préférence
personnelle, il savait qu'il ferait tout pour que ça n'arrive plus
jamais. Tout ; et n'importe quoi.
Il reprit sa marche.
En parler à ses coéquipiers ? Le Soldat en lui écarta
cette option à peine fut-elle formulée. Il n'avait pas de compte
à leur rendre.
Il s'arrêta de nouveau et ferma les yeux un bref instant. La vague de
colère le submergea une fois de plus.
Duo...
Duo avait osé prendre sa défense. Il n'avait pas besoin qu'on
le défende !
Il avait osé intervenir entre lui et le docteur J. Il avait intercédé
en sa faveur. Heero serrait les poings si fort que ses jointures perdirent
toute couleur.
Duo l'avait... pris en pitié ? La rage sourde qu'il ressentait
lui donnait des envies de meurtre.
"Si jamais tu veux en parler... je suis là, tu sais."
Duo avait...
"Tu ne penses pas que je veuille sincèrement t'aider."
Duo avait raison.
Sa colère retomba aussi brusquement qu'elle était venue. Ce
n'était pas contre le pilote aux yeux violets qu'elle était
dirigée, mais contre lui-même. La mission avait échouée
à cause de lui, non des autres. Lui. Et Duo avait réparé
ses erreurs, en prenant les choses en main. De façon efficace, qui
plus est. Il avait su prendre rapidement les décisions qui s'imposaient
pendant que lui... courait après les fantômes.
Duo avait raison en disant que s'il ne se reprenait pas, il deviendrait inutile.
Le natté ne l'avait pas dit de cette façon, non...
"On a besoin de toi !"
... mais les faits étaient là. Et ils étaient tous concernés.
Menacés, par son unique faute.
Duo avait encore raison au sujet même de la mission, mais lui était
un soldat, il n'avait pas à discuter les ordres qu'il recevait.
Duo aussi est un soldat, et pourtant, il ne se gène pas, lui...
Mais ils étaient différents. Duo était aussi indiscipliné
que lui était subordonné ; aussi imprévisible et inventif
qu'il était perfectionniste ; aussi passionné qu'il était
froid. Duo était aussi plein de vie qu'il était... mort de l'intérieur.
Plongé
dans ses réflexions, Heero ne réalisa pas ce que la présence
du chiot avait d'incongru dans un tel lieu. Ce ne fut que lorsqu'il entendit
un rire léger et cristallin s'élever sur sa droite qu'il comprit
ce que cela signifiait.
Il se retourna néanmoins vers elle, pour lui faire face. Elle le regardait
de ses grands yeux verts, un sourire enfantin sur ses lèvres roses.
Le chiot vint se frotter contre ses petites jambes, jappant en direction d'Heero,
comme pour l'inviter au jeu.
- Nii-san...
Un frisson lui parcourut l'échine. Il savait ce qu'elle allait lui
dire...
- Tu es perdu, Nii-san ?
... et il ne voulait plus l'entendre. C'était la question qu'elle ne
cessait de lui poser, encore et encore.
"Perdu ? Je le suis depuis le jour de ma naissance", avait-il
eu la faiblesse de lui répondre la première fois. Elle était
encore en vie, ce jour-là...
Et elle revenait, toujours, pour lui poser cette question. Et à chaque
fois, oui, à chaque fois, il sentait le poignard s'enfoncer encore
un peu plus dans son coeur.
- Tu es perdu ?
La douleur qu'il éprouvait alors était toujours plus intense.
Même lorsqu'il pensait qu'elle avait atteint son paroxysme, même
lorsqu'il sentait son coeur se déchirer à tel point qu'il ne
pensait pas pouvoir y survivre.
- Nii-san ? appela-t-elle, impitoyable. Elle lui sourit innocemment.
Tiens ! Pour toi ! s'exclama-t-elle en lui offrant sa fleur. Elle
avait l'air si triste pour lui... Sans savoir pourquoi, Heero tendit la main
pour s'en saisir. Comme la première fois.
Mais elle est morte.
Le chiot remuait joyeusement la queue, impatient, sans doute, de pouvoir
jouer. La fleur brillait comme un soleil.
Heero savait que ses doigts tremblaient mais il ne parvenait pas à
se contrôler. La petite fille porta son autre main à son chapeau
de paille, comme si elle craignait qu'il ne s'envole d'un coup de vent. Il
n'y avait pas le moindre souffle dans le couloir, pourtant sa robe virevolta
autour de ses jambes.
Heero déglutit. Ses doigts ne tarderaient pas à toucher la fleur,
peut-être même frôlerait-il sa main, et alors... Quoi ?
Cela lui apporterait-il une réponse ? Pourquoi... ? Pourquoi lui offrait-elle
de nouveau sa fleur, alors qu'elle ne cessait de le tourmenter ? Pourquoi
lui souriait-elle si gentiment, alors qu'elle hantait ses jours comme ses
nuits ?
Pourquoi les autres étaient-ils eux aussi revenus et pourquoi, pourquoi
elle plus que les autres ? Il était responsable de leur mort, à
tous sauf Odin. Pourtant lui aussi était venu à lui. Alors
était-ce finalement également de sa faute ? Peut-être...
Sûrement. Et Kotori ? Tout aussi innocente que la fillette, tout aussi
morte à cause de lui.
Une sueur froide collait ses vêtements à sa peau, le faisant
frissonner. Depuis combien de temps était-il en train de tendre la
main vers elle ? Une seconde ? Quelques minutes ? Des heures ? Ses doigts
tremblant semblaient bouger si lentement qu'il se demanda si le temps ne s'était
pas arrêté, le figeant sur place. Se tendre encore un peu, et
toucher. Un peu plus... Là...
- Yuy !
Heero sursauta et tourna la tête vers l'appel. Il eut l'impression d'avoir
été brusquement tiré vers la surface.
La surface de quoi ?
Il cilla plusieurs fois. La lumière lui faisait mal aux yeux. Puis
il s'aperçut qu'il avait toujours la main tendue, et la rabaissa précipitamment.
Wu Fei le regardait d'un air suspicieux et inquisiteur, du bout du couloir.
Il se tourna complètement vers lui, s'efforçant d'afficher son
air habituel d'indifférence. Du coin de l'oeil, il lui sembla voir
la petite faire une moue déçue. Elle partit, emportant avec
elle son cadeau. Heero dut fournir un effort surhumain pour ne pas la suivre
du regard.
Ses yeux le piquaient, la sueur glacée sur son visage lui irritait
les yeux et troublaient sa vue. Il espéra avec ferveur avoir l'air
le plus normal possible.
Les yeux noirs de Wu Fei ne cessaient de le scruter, comme à la recherche
de quelque chose. Cela l'agaça.
- Quoi ? demanda-t-il brutalement.
Le Chinois ne sembla pas apprécier le ton employé à son
encontre. L'avait-il observé avant de l'interpeller ?
- Qu'est-ce que tu fais ?
Heero mit une seconde pour comprendre la question. Il lui en fallut une autre
pour se souvenir de la raison de sa présence dans le couloir.
- Cherche l'ordinateur central. Système de sécurité à
revoir.
Wu Fei fit quelques pas dans sa direction.
- Je dois te conduire à ta chambre.
- Plus tard. Je trouverai bien tout seul. Regarderai sur les plans.
Le regard du Chinois se fit plus perçant encore.
- Nous devons parler. Tous les cinq. Aucun des deux ne s'étonna de
cette phrase. Il y avait pourtant de quoi : que Wu Fei veuille une
réunion était pour le moins surprenant, mais ils savaient tous
les deux que c'était inéluctable. Seulement Heero n'en était
pas encore totalement persuadé. Il ne voulait pas.
Un soldat ne désire pas, il obéit.
Se raccrocher à cette idée lui redonna une certaine contenance.
Sa voix fut plus assurée, presque normale, lorsqu'il lui répondit.
- On part demain. Je dois faire ça maintenant. J'en aurai sûrement
pour une partie de la nuit.
- Hum, répliqua pensivement et avec défiance Wu Fei, avant d'acquiescer.
Son compagnon essayait peut-être de reporter le moment où il
leur donnerait des explications, mais il n'en demeurait pas moins qu'il avait
raison. OZ avait réussi à les pirater, et même si pour
cela ils avaient dû envoyer un agent au coeur même de leur base,
ils ne pouvaient conserver un système défaillant. Et seul Yuy
était capable d'en mettre au point un encore plus performant.
- Demain, conclut-il ainsi simplement, avant de tourner les talons.
Heero le regarda disparaître au détour du couloir et attendit
encore quelques secondes avant de s'autoriser à se détendre
un peu. Il resta seul enfin un bref instant, avant de poursuivre son chemin.
Quatre ne mit
pas longtemps à ranger ses affaires. Comme pour les autres pilotes,
l'essentiel de ses possessions tenait dans un simple sac, toujours prêt
à être pris en quatrième vitesse. Wu Fei leur avait simplement
désigné leur chambre, avant de repartir en maugréant
à la recherche de Yuy, qui ne les avait pas suivi.
Quatre referma doucement sa porte et frappa tout aussi doucement à
celle de Trowa. Il ne savait toujours pas ce qui arrivait au pilote de Wing
; peut-être Duo en avait-il une meilleure idée, ayant été
avec lui lors de la mission. Mais Duo était occupé ailleurs
pour l'instant. Trowa par contre... Ils n'avaient toujours pas eu leur petite
discussion et le moment semblait aussi bien choisi qu'un autre pour se faire.
Même, le plus tôt serait le mieux ; il n'avait déjà
peut-être que trop attendu.
Seul le silence de Trowa lui répondit mais le jeune Arabe sentit qu'il
l'invitait à entrer. Ce qu'il fit, éclairant la pièce
de son sourire, bien que celui-ci fût atténué par les
soucis. Le Français lui jeta un regard interrogatif. Quatre soupira
intérieurement. Il n'était pas très facile de débuter
une conversation avec Trowa.
Le petit blond s'assit avec simplicité sur le bord du lit. Trowa adopta
quant à lui sa posture favorite : adossé au mur et bras croisé,
sa mèche masquant une grande partie de son visage. Il attendit que
Quatre prenne la parole il pouvait attendre des heures. Il avait toujours
été surpris de l'affection que le jeune garçon lui portait.
Bien sûr, Quatre aimait tout le monde et était tout spécialement
proche de Duo, leurs caractères ouverts se complétant à
la perfection, mais il semblait malgré tout avoir à ses yeux
un statut particulier, comme à part. Il avait été tout
aussi surpris de constater que ce sentiment était réciproque.
Il y avait un je-ne-sais-quoi chez Quatre, une vulnérabilité
qui donnait envie de le protéger, mais qui n'atténuait pourtant
en rien une volonté et une force sans pareilles. Oui, il avait instinctivement
envie de le protéger. Comme un petit frère.
Orphelin, ayant grandi au milieu d'une incessante guérilla, Trowa ne
connaissait pas le sens du mot famille. Le monde du cirque ou plutôt
Catherine avait commencé à ouvrir une voie dans ce sens. Quatre
avait achevé de percer sa carapace pour s'engouffrer dans la brèche.
Bien sûr, vu de l'extérieur, rien ne transparaissait, et il restait
mal à l'aise du fait de la proximité des autres, mais la présence
de Quatre, surtout s'il était seul, ne le dérangeait jamais.
Son "petit frère" leva les yeux vers lui. Il n'était
pas nécessaire d'être empathe pour voir qu'il s'inquiétait.
Et il savait pourquoi pour qui. Lui-même commençait à
se sentir concerné. Par contre, il ne voyait pas vraiment pourquoi
le jeune Arabe venait le voir lui. Peut-être parce que Duo était
occupé... ?
Quatre se décida
enfin à parler.
- Hum... je... je m'inquiète au sujet d'Heero. Il n'a pas l'air au
mieux de sa forme en ce moment. Je ne parle pas que d'aujourd'hui, fit il
d'un geste évasif, mais depuis quelques jours... il est...
- Perturbé.
- Euh, oui, je ne sais pas... Au début, je pensais... disons une baisse
de régime mais... Nouveau geste évasif. ... C'est peut-être
plus grave que ça.
Trowa l'encouragea du regard.
- Je ne sais pas ce qu'il s'est passé au juste je n'ai pas eu l'occasion
de demander à Duo et lorsqu'ils nous ont rejoint, Heero était
comme d'habitude... Là, je veux dire, poursuivit-il en portant la main
à son coeur. Trowa hocha la tête.
- C'est tout à l'heure, lorsqu'il a tendu son rapport à J...
De nouveau, Trowa l'encouragea à continuer, d'un mouvement de la tête
cette fois. Le petit blond semblait avoir du mal à traduire ses impressions
par des mots.
- Ce n'était pas seulement une hésitation... ou de l'appréhension
plutôt, c'était comme si... Comme s'il étouffait. Sauf
que c'était vraiment très bref. Mais si intense, Trowa !
- Hum... J n'a pas eu l'air d'apprécier ce qu'il a lu.
Quatre hocha la tête, avant de la secouer.
- Je ne comprends pas. Je ne me sens pas le droit de lire son rapport mais...
Il soupira.
- Je m'inquiète sans doute trop, mais il ne m'a pas habitué
à percevoir ce genre de chose.
- Tu as raison de t'inquiéter. Si la mission d'aujourd'hui avait été
plus délicate ou si nous n'avions pas tous été là,
que se serait-il passé ? J'ignore ses raisons, s'il en a, mais je veux
pouvoir compter sur mes coéquipiers lorsque je suis sur le champ de
bataille. Si l'un de nous est incapable d'assumer sa fonction, il faudrait
peut-être reconsidérer l'idée de former un groupe, une
équipe.
Quatre ouvrit la bouche, avant de la refermer. Il ne s'était pas attendu
à une telle réaction de la part de Trowa ni à une tirade
aussi longue. Il pensait que de tous, c'était de Trowa qu'Heero se
sentait le plus proche. Mais Quatre n'avait pas grandi au milieu d'un bain
de sang et d'un nombre incalculable de cadavres. Il ne pouvait comprendre
aussi bien que son camarade tout ce que l'attitude actuelle d'Heero représentait
comme danger.
- Oh, Trowa, ne dis pas ça ! Je suis sûr que c'est passager,
il doit y avoir une explication ! Il est peut-être surmené des
temps-ci ; s'il reçoit d'autres missions en plus des nôtres...,
ajouta-t-il en se souvenant de cette journée où Heero était
parti à l'aube pour ne rentrer que le soir. Duo, tout comme lui, avait
été si inquiet. C'était à partir de ce jour-là
que Quatre avait commencé à réellement se poser des questions
au sujet du Soldat Parfait.
- On a tous droit à l'erreur. Heero aussi est humain !
- Non.
Trowa se redressa. L'Arabe le regarda s'approcher souplement de lui. Il posa
avec douceur sa main sur son épaule.
- Nous n'avons pas le droit à l'erreur. Nous sommes en guerre, nous
nous battons pour les Colonies, nous ne pouvons pas nous permettre
la moindre erreur, et Heero serait le premier à le dire, s'il s'était
agi d'un autre que lui.
Quatre ouvrit de nouveau la bouche mais Trowa le fit taire d'une légère
pression sur l'épaule.
- Je ne veux pas dire qu'il n'est pas conscient de ce fait sous prétexte
qu'il s'agit de lui et non d'un autre, mais c'est la deuxième erreur
qu'il commet.
- Deuxième ?
Le Français hocha la tête.
- Tu te souviens, la semaine dernière, nous avons tous les deux reçu
la mission de voler le prototype d'une puce pour les Mobil Dolls d'OZ. Là
non plus, ça n'a pas eu de conséquence grave mais pour une mission
plus délicate, ça nous aurait probablement coûté
la vie. A tous les deux.
Quatre pâlit. Ainsi, il avait bien senti quelque chose chez Trowa. Quelque
chose qu'il savait et qu'il avait tu jusqu'ici.
- Que s'est-il passé ?
- Il y a eu un imprévu. Les gardes avaient un peu d'avance sur l'horaire
et nous avons dû battre en retraite. Des coups de feu ont été
échangés et Heero a tiré deux fois à blanc avant
de recharger son arme.
Quatre ne parut pas comprendre où son ami voulait en venir.
- Il n'avait pas compté les balles et n'avait pas préparé
son chargeur, Quatre. Heero, fit-il en appuyant bien sur le nom du
Soldat "Parfait".
- Je... je vois, oui.
De la part d'Heero, ce genre de détail était tout à fait
inconcevable. Et il fallait au moins être aussi un bon soldat que l'était
Trowa pour l'avoir remarqué dans le feu de l'action. Quatre était
prêt à parier qu'ils n'en avaient pas parlé par la suite,
et le Français aurait probablement fini par oublier cet incident...
s'il n'y avait eu la mission d'aujourd'hui.
- Nous devons lui parler, conclut le jeune empathe en se mordillant la lèvre
inférieure. Devrions-nous aller le voir tous ensemble ou plutôt
envoyer... un émissaire ? Qu'en penses-tu Trowa ?
- Nous sommes tous concernés.
- Euh, oui, bien sûr, mais...
Un peu de tact ne serait pas superflu, avec Heero. J'ai peur qu'il ne se
braque, s'il se sent acculé. D'un autre côté, le mettre
au pied du mur est peut-être la meilleure solution... Allah ! Que faire
?
- Avant la prochaine mission.
Quatre acquiesça, vaincu.
- Dès demain...
