Blind

Seconde partie

  Peut-être parce qu'il ne se rappelait plus la dernière fois qu'il avait fait un repas correct, peut-être à cause du stress accumulé tout au long du mois, Kyros ne se souvint pas avoir mieux mangé depuis une éternité. Après avoir goulûment avalé sa crêpe paysanne, composé de jambon, de fromage fondu et de fines herbes, avec un œuf cuit par dessus, il commanda une crêpe au beurre qu'il lui fut offerte par la maison.

  _ Pour un ami, avait précisé Elly avec son plus charmant sourire.

  Bien que tout simple, son dessert lui sembla bien meilleur que tout ce qu'il avait pu goûter jusqu'à présent et il n'en laissa pas une miette.

  Repus et heureux, il se laissa aller en arrière sur sa chaise, attendant que son hôtesse ne revienne avec l'addition et abandonna son regard à la douceur dorée de la plage.

  A cette heure, pourtant peu tardive de la journée, elle était déjà pratiquement déserte. Il pouvait voire une famille se promener le long du bord de mer, trempant probablement légèrement ses pieds dans une eau presque glacée. Le père portait un de ses enfants sur ses épaules, alors que le deuxième courrait et gesticulait à ses côtés. Il devait probablement tenir sa femme par la main et il devinait presque le rire de celle-ci, alors qu'elle regardait son fils s'amuser. Le tableau était des plus touchants… et mélancoliques pour Seagill.

  Je n'aurais jamais droit à un tel bonheur.

  Détournant son regard avec un soupire, il le rapporta sur une autre partie de la plage où un jeune homme bronzé faisait volé avec une dextérité sans pareille un immense cerf-volant. Il exécutait des figures inimaginables, utilisant avec intelligence la force du vent et ses caprices, enchaînant pirouettes et longues envolées tourbillonnantes.

  Pendant un instant, la toile multicolore sembla se perdre d'un l'immensité du ciel, voilant presque le soleil, avant de retomber en une vrille folle, faisant pensée à un avion en perdition et Kyros crut bien que le jeune homme avait définitivement perdu le contrôle. Mais dans un miracle de précision et de timing, il redressa son incroyable engin, qui effleura tout juste le sable qui, par la vitesse, s'éleva un instant en un petit nuage jaune d'or.

  Une prouesse qui méritait bien des applaudissements.

  _ Qui y a-t-il de si intéressant ? Demanda soudain une voix féminine près de lui.

  Kyros se retourna pour voir Elly penchée presque sur lui, tentant de distinguer ce qui avait bien pu ainsi capter son attention.

  _ Là ! Dit-il en pointant du doigts la direction de jeune homme et de son cerf-volant.

  _ Ah, oui ! C'est notre champion régional ! Il vient souvent s'entraîner à cette heure-ci.

  _ Il est vraiment bon.

  _ Oui. Il a déjà remporté trois coupes, je crois. DAREN ? DARENNN ???

  Seagill vit soudain émergé de la cuisine un homme d'une quarantaine d'année, très grand, presque deux mètres et très mince, qui contrastait étonnement avec Elly. Il avait le visage carré et très sévère, mais qui dégageait un indéniable sentiment de gentillesse, une chevelure presque blanche et sa peau, bronzé comme les blés, faisait ressortir l'aigle marine de ses yeux pâle.

  Il s'avança vers eux, sans expression et salua Kyros d'une poignée de main ferme.

  _ Daren, mon mari, le présenta fièrement Elly. C'est lui qui vous a concocter tous ses bons petits plats.

  _ Alors, félicitation au cuisinier sourit Seagill. C'était vraiment excellent.

  _ Humph !

  Elly se pencha vers l'ex-soldat pour lui souffler à l'oreille :

  _ C'est sa façon à lui de dire qu'il apprécie le compliment. Ne t'inquiète pas.

  _ Je saurais m'en souvenir, susurra Kyros en riant.

  Aussi fort que puisse être le bonhomme, il doutait qu'il eut quoi que ce soit à redouter de lui et il avait parfaitement compris son " humph " des plus explicites.

  Daren se retourna soudain vers sa femme, demandant silencieusement ce qu'elle lui voulait.

  _ D'abord te présenté notre nouvel ami, c'est toi qui me l'a demandé…

  Une étrange rougeur de timidité passa sur les traits de l'homme, en complet désaccord avec son expression sévère et sa bouche esquissa un chouilla de sourire.

  _ Et je ne me rappelle plus combien Thomas à gagner de coupes.

  _ Quatre, fut-il répondu simplement.

  _ Je savais bien que j'en oubliais une ! S'exclama Elly, alors que son mari retournait en cuisine. Alors le repas t'a vraiment plus.

  _ Sublime ! Combien est-ce que je vous dois ?

  _ Ttttt ! Dit-elle dans mouvement de main. Pas de ça entre nous. Pas maintenant. Tu nous régleras quand tu en auras assez de nous voir.

  _ Alors vous ne risquez pas de voir rapidement arriver votre argent.

  _ Tant mieux !

  _ Merci, dit Kyros en se levant, je n'espérais pas telle rencontre pour mon premier jour de vacances.

  _ Mais ce fut un plaisir, sourit Elly en le raccompagnant à la porte. Oh ! Attends !

  Il la regarda courir vers la cuisine, pour un ressortir presque aussitôt un paquet à la main.

  _ Pourras-tu donner ceci à Ellan s'il te plait. Cela fait presque une semaine qu'il n'est pas venu et ça nous inquiète. Il mange si peu le pauvre garçon, à peine plus qu'un moineau. C'est malheur pour quelqu'un de sa constitution.

  Son expression consternée aurait pu être amusante, si ce n'avait été l'indéniable tristesse qui l'accompagnait, donnant à son regard une teinte grise et terne, bien loin de son pétillement naturel.

  Elle s'inquiétait sincèrement et Kyros en fut inexplicablement touché.

  _ Je ne sais pas si je le verrais, lui dit-il doucement.

  _ Alors dépose le devant sa porte et si jamais tu le rencontre, dit lui que nous attend sa visite.

  _ Je n'y manquerais pas.

  _ Merci ! Dit-elle en lui embrassant la joue. Et à bientôt.

  _ Ca vous pouvez en être sûr !

  Et sur ces paroles, il sortit du restaurant.

  Il regarda la porte se refermer et la silhouette d'Elly s'éloigner derrière la vitre, souriant toujours.

  _ Voilà des vacances qui commencent sous de bonnes hospices, murmura-t-il.

***

  Il avait décidé de rentrer directement chez lui pour se mettre plus à l'aise, mais changea d'avis chemin faisant et, passant devant sa maison sans s'y arrêter, se rendit directement chez son voisin. Le propriétaire lui ayant dit que le jeune homme sortait peu, il espérait donc le trouver chez lui et sentit l'excitation le gagné peu à peu. Elly avait réussit à éveiller en lui une curiosité insatiable envers le personnage qu'il avait désormais hâte de rencontrer.

  Il y avait de grandes chances qu'il soit déçu, le jeune homme correspondant sûrement bien peu à la petite idée qu'il s'en était fait, mais il ne pouvait s'en empêcher. Il voulait le voir et lui parler.

  Arrivé devant la bungalow, il grimpa rapidement les marches menant au palier et frappa deux petits coups rapides à la porte. Il attendit patiemment et rien ne se passant, recommença une nouvelle fois, mais personne ne lui répondit.

  Il soupira, déçu.

  Visiblement Ellan n'était pas chez lui.

  Afin vraiment de s'en assurer, il se déplaça jusqu'à la fenêtre et tenta tant bien que mal de percer les ténèbres de la pièces par la très légère fente que dégageaient les lourds rideaux de teinture pourpre.

  Ce qu'il put entr'apercevoir de la pièce, révélait un intérieur confortable, mais sévère, avec un grand fauteuil près de la cheminé, une table basse et une installation HiFi. Il n'y avait semblait-il rien d'autres, pas de bibliothèque, pas de tableaux aux murs, pas de télévision, ni aucune décoration. Il y avait bien quelques livres sur la petites tables, mais rien d'ornemental et surtout, aucune trace du propriétaire.

  Kyros fit une petite grimace de dépit, maugréant contre sa curiosité et sa déception et hésita un instant à laisser le paquet d'Elly devant la porte. Il décida finalement de le garder avec lui, ayant ainsi une bonne excuse pour revenir un peu plus tard.

  Revenant sur ses pas, il regagna rapidement son propre bungalow et déposa le sac dans la cuisine avant de gagner rapidement sa chambre pour enfiler une tenue plus confortable. Il choisit un short  blanc et un polo de la même couleur sous lequel il passa un tee-shirt si jamais le soleil tapait un peu trop fort. Puis il pris une serviette et un polar qu'il avait acheter le matin même, avant de ressortir sur la plage pour s'installer en bord de mer.

  Il étala la serviette à quelques mètres du rivage, peu désireux de ce faire surprendre par la marée montante et s'installa confortablement, ventre à terre, laissant l'astre de quatre heure le chauffer doucement.

  Il allait prendre son livre pour en entamer le premier chapitre, lorsque son regard fut attiré par la ville et plus précisément par les hauts murs du palais.

  Il se demanda un instant si quelqu'un avait seulement remarqué son absence, mis à part Laguna qui avait dut voir toutes les secrétaires lui sauter soudain dessus. Il imaginait sans mal la tête de son ami face à ces escadrons du travail, lui qui avait si peu l'habitude de faire face à tant de paperasses. Habituellement, c'est lui qui se chargeait de presque toute la montagne de papier à signer.

  Ce n'est que juste vengeance ! Pensa Seagill sans vraiment en croire un mot.

  Il n'y pouvait rien, lorsqu'il s'agissait de Laguna, il était près à se couper en quatre pour lui, pour son plus grand malheur. Depuis le premier jour, depuis l'instant où il avait croisé son regard plein de vie et vu son sourire charmeur, oui, depuis cet instant, il l'avait... il l'avait... il l'avait...

  Dit-le !

  Il l'avait...

  Dit-le, Seagill !  Aimé ! Ce n'est pas si difficile ! Tu l'aimes !

  Oui il l'aimait et si c'était difficile ! Aimé quelqu'un en sachant que jamais il ne vous retournera jamais vos sentiments est ce qu'il y a de plus dur au monde. Depuis presque vingt ans maintenant, il vivait désespérément dans son ombre, espérant secrètement qu'un jour, enfin, il se rendrait compte. Il s'agissait d'un rêve illusoire, il s'en rendait bien compte, mais en dépit de tout, même sachant qu'il ne serrait jamais aimé en retour, il restait à ses côtés, en tant que plus fidèle ami et conseillé... et souffrant en silence, heureux dans son malheur.

  Il avait souffert lorsqu'il était avec Julia, plus encore avec Raine et maintenant... maintenant, avec Quistis.

  Il n'en voulait pas à la jeune femme, qui apportait une nouvelle dynamique dans la vie de son ami et qui le rendait plus heureux qu'il ne l'avait été depuis longtemps, mais s'en voulait à lui-même de ne pas réussir à repousser ses sentiments.

  Je suis pathétique !

  Bien piètre constatation de soi-même.

  Une seule personne était au courant et elle était probablement la dernière en qui il aurait cru pouvoir se confier. Pourtant, lui seul en vingt ans avait été capable de le percer à jour et si facilement que c'en avait été déconcertant. Il lui avait fallu à peine plus d'une semaine, sans jamais l'avoir connu avant.

  Il se souvenait encore de cette surprenante confrontation.

  Kyros était avachi dans le fauteuil de la bibliothèque, regardant d'un œil morne les aiguilles des secondes de la grandes pendules murales faire leur rotation sans fin. Squall venait juste de le quitter, après lui avoir demander son aide dans la mise au point d'un plan plus que farfelu visant à amener Laguna à tomber dans les bras de Quistis et il lui avait fallu tout un effort de volonté pour ne pas envoyer balader le jeune homme.

  Quelle ironie, voilà qu'il était obligé d'aider le fils du seul homme qu'il ait jamais réellement aimé à trouver une fiancée pour ce dernier.

  Hyne devait bien se marrer.

  Il poussa un soupire et se prit la tête entre les mains, tentant tant bien que mal de calmer les tremblement nerveux de son corps, se répétant sans cesse que c'était mieux ainsi. Laguna avait besoin d'une femme aimante et gentille, quelqu'un qui ne ferait pas déplacer auprès du plus populaire des présidents et Quistis était la personne idéale. Elle était dynamique et brillante et ferait une compagne parfaite. Oui, il n'y avait pas meilleure solution possible... mais Hyne, que cela faisait mal !

  Il soupira une nouvelle fois, lorsqu'il sentit une main sur son épaule.

  Il se redressa pour le voir lui souriant tristement. 

  _ I... Irvine ? Bégaya-t-il. Qu'est... qu'est-ce que tu veux ?

  Il sentit l'irritation le gagner. Le jeune homme était certainement venu lui demander conseil et il n'était vraiment pas d'humeur pour ça. Il attendit la question qui ne manquerait pas d'arriver, prêt à l'envoyer sur les roses, mais ce ne fut pas celle qu'il croyait.

  Au lieu de lui parler de ses problèmes amoureux et de pleurer au coin de son épaule que personne n'était là pour lui, il se contenta de s'asseoir à ses côtés et de poser une main réconfortante sur sa cuisse.

  _ Ca fait mal hein ? Finit-il par dire.

  Kyros le regarda avec de grands yeux, avant de demander d'une petite voix :

  _ Q...Quoi ?

  Le jeune éventa la question et répondit par une affirmation troublante.

  _ Squall est aveugle et pas très subtil. Je ne crois pas qu'il puisse même imaginer qu'une chose pareille existe. Un jour Zell m'a dit qu'il était l'objet des mêmes attentions et qu'il ne s'en était jamais rendu compte. Ce doit être familiale ! Dit-il en ponctuant sa phrase d'un petit rire.

  Kyros allait répliquer, mais referma la bouche, avant de dire quelque chose qu'il pourrait regretter.

  _ Depuis quand ? Demanda enfin le jeune homme.

  _ Hein ?

  _ Depuis quand aimez-vous Laguna ?

  _ Mais... euh... je...

  _ Ce doit faire un petit bout de temps car vous cachez bien votre jeu. Personne ne semble l'avoir remarqué. Mais il reste deux, trois expressions qui ne trompent pas. Des regards surtout. C'est ce qu'il y a de plus difficile à cacher, les sentiments qui passent par le regard.

  Il se tue et un long silence s'installa entre eux.

  _ Presque vingt ans, finit par dire Kyros.

  _ Hum ?

  _ Je l'aime depuis presque vingt ans.

  Il avait presque du mal à croire qu'il avait enfin fini par trahir son secret, mais Irvine avait parfaitement compris et il ne servait à rien de nier. C'était étrange d'en parler à quelqu'un, tellement... inhabituel.

  _ Comment... comment as-tu su ?

  _ Je vous l'ai dit, il y a des regards qui ne trompent pas.

  _ Ha !... Tu peux me tutoyer tu sais.

  _ D'accord.

  A nouveau le silence.

  _ Pourquoi personne ne s'en ait rendu compte à part toi, si c'est tellement évident ?

  _ Ca ne l'est pas tant que ça et je présume que tout le monde ne connaît pas ce genre de sentiments.

  Kyros se tourna brusquement vers lui.

  _ Toi... toi aussi ?

  Irvine haussa les épaules en souriant.

  _ He ! Une réputation de coureur de jupon ne veut rien dire.

  Il n'en revenait pas. Il n'aurait vraiment jamais imaginé que... et puis que quoi, d'ailleurs ? Le jeune homme avait raison, l'attitude ne signifiait rien, il n'y avait qu'à le voir.

  Maintenant qu'il y pensait, il y avait quelques gestes, quelques regards qui lui rappelait étrangement lui-même. Il sourit.

  _ Et est-ce que Zell est au courant ?

  Irvine allait répliqué, mais il referma la bouche et le dévisagea avec de grands yeux étonné avant de sourire.

  _ Non, dit-il presque rieur d'avoir été si facilement démasqué, il ne sait pas. Je ne suis même pas sûr d'avoir une chance.

  _ Nous allons voir ça. Il faut toujours garder espoir !

  _ Voilà une phrase qui sonne merveilleusement bien à mes oreilles ! Dit le jeune homme en partant à rire, bien vite imité par Kyros.

  Depuis ce jour là, une véritable amitié était né entre eux. Irvine l'avait aidé à gérer ses sentiments vis à vis de Laguna et de sa relation avec Quistis, quand à lui, il l'avait aidé à concrétiser ses rêves avec Zell. Il n'avait pas fallu longtemps à Kyros pour comprendre que l'électron libre éprouvait le même genre de sentiments pour le cow-boy, le plus dur avait été de les lui faire accepté. C'est qu'il était têtu le bougre. Heureusement tout s'était finalement bien terminé pour eux, bien que personne d'autre ne soit au courant.

  Les deux trois essais que lui et Irvine avaient tenté auprès du reste du groupe sur la question de l'homosexualité, n'avait pas vraiment amené un enthousiasme général, aussi avaient-ils jugés préférable de ne rien dire pour le moment.

  Finalement, une fois la question Zell/Irvine résolue, le blond avait conseillé à Kyros de prendre des vacances, de voir du monde et, peut-être, de rencontrer quelqu'un et l'ex soldat avait décidé de suivre son conseil.

  Peut-être pourrait-il enfin oublier Laguna.

  Peut-être...

  Ou peut-être pas, étant donné que malgré tous ses efforts, ses pensées avaient une fois de plus dérivées vers lui.

A suivre...