Blind
Troisième partie
Tout à ses pensées, Kyros ne remarqua pas que le soleil descendait déjà à l'horizon. Ce n'est que lorsqu'un vent frais vint doucement torturée sa peau qu'il réalisa que près de deux heures s'étaient déjà écoulées.
Il se redressa d'un bond, laissa échappa son livre qui tomba sur le sable dans un son mat et tourna son attention vers la maison d'Ellan, craignant d'avoir manqué son retour.
Constant qu'aucune lumière ne brillait aux fenêtres, alors que celles-ci devaient probablement déjà être indispensables, il en conclue que le jeune homme n'était toujours pas rentrer et sentit un étrange sentiment d'inquiétude le gagner.
Il n'avait pourtant aucune raison de s'en faire. Il ne le connaissait pas et encore moins ses habitudes et il se pouvait très bien que le lundi soit pour lui un jour de sortie. Et quand bien même ce n'était pas le cas, il était encore maître de sa vie que diable ! Il avait le droit de faire ce qu'il voulait.
Mon vieux Kyros, il est plus que temps que tu te calmes, on dirait une mère en train de s'affoler car son fils à cinq minutes de retard.
Il soupira, ramassa son livre couvert de sable et le secoua doucement, puis, récupéra sa serviettes et laissa le vent la fouetter quelques secondes pour la nettoyer. Il épousseta ensuite ses jambes et regagna d'un pas lent son bungalow.
Grimpant rapidement les marches, il jeta un dernier coup d'œil à la maison pour être sûr que le jeune homme n'était effectivement pas chez lui et grimaça devant son impatience. Décidément prendre des vacances avaient un effet des plus étranges sur lui.
Se décidant enfin à rentrer, il referma rapidement la porte et alluma la lumière pour éclairer une pièce déjà plongée dans la pénombre. Il abandonna livre et serviette sur la petite table près de l'entrée et se déchaussa rapidement avant de gagné la cuisine. Il jeta un petit coup d'œil au sac qu'il y avait laissé et ouvrit le frigo pour le refermer rapidement devant son incroyable néant et surtout son manque évidant d'appétit. Après tout, il n'avait terminé de manger que quelques heures auparavant.
Il faudrait tout de même qu'il pense à faire des courses le lendemain matin.
En attendant, il se concocta un rapide café et regagna le devant du bungalow pour s'installer sur le petit canapé du patio. Se laissant aller dans ses confortables coussins, il se positionna de façon à faire face à la mer et regarda le soleil s'éteindre doucement à l'horizon.
Alors même qu'il disparaissait tout à fait, l'océan prit une teinte rouge orangé flamboyante pour ne faire qu'un avec un ciel de feu, se fondant ensemble jusqu'à presque effacer la ligne de démarcation.
Puis, ces couleurs chaleureuses se fanèrent peu à peu, laissant place à un bleu presque noir et à une lune magistrale qui se reflétait avec volupté sur les vagues légèrement houleuses, miroitant des effets d'argent délicats et sans pareille beauté. Les étoiles se joignirent une à une à ce ballet de lumière et Kyros les contempla, essayant avec plus ou moins de réussite de leur rendre leur nom.
Il reconnu sans trop de peine certaines d'entre elles, ou du moins leur constellation, mais il avait oublié le nom de la plupart. Il fut une époque où il aurait pu toutes les citer sans erreur, mais ces années étaient bien loin derrière et deux décennies d'apprentissage de la politique et des faux semblants avaient peu à peu érodé sa mémoire.
Il trouva vraiment regrettable d'avoir oublié le nom de si merveilleuses beautés pour ne se rappeler que celui des chefs d'état, des conseillés et des ministres et se jura de se les remémorer.
Perdu dans sa contemplation, il faillit manquer le retour de celui qu'il attendait avec tant d'impatience et ne se rendit compte de sa présence qu'en surprenant un léger mouvement du côté de sa maison.
En un instant, il fut sur pied et courut dans la cuisine, oubliant sa tasse de café, pour attraper le sac de victuailles d'Elly avant de se précipiter à l'extérieur.
Une fois sur le sable, il se força à ralentir et à se calmer et s'avança d'un pas déterminé mais mesuré vers le bungalow toujours plongé dans l'obscurité. Il en monta prudemment les marches, ne voulant pas en rater une et une fois sur la terrasse, inspira un bon coup pour calmer les battements précipités de son cœur.
On dirait un collégien à son premier rendez-vous, se maugréa-t-il. Seagill, il serait plus que temps que tu reprennes tes esprits !
Une fois, qu'il fut sûr qu'il n'avait plus l'air d'une boule de nerf et de curiosité, il se décida à frapper doucement à la porte.
Il n'entendit tout d'abord rien et recommença, se demandant s'il n'avait finalement pas rêver, à moins qu'il ne se soit s'agit d'un voleur. Mais il eut à peine le temps de cogner deux nouveau coups rapides qu'un léger bruit de pas se rapprochant se fit entendre. Il perçut distinctement un bruit de verrou et la porte s'ouvrit de quelques millimètres. L'intérieur de la maison étant plongée dans la pénombre, Kyros ne put rien distinguer de l'homme qui se tenait derrière le panneau de bois, si ce n'est le reflet léger d'une paire de lunettes.
_ Oui ? Que voulez-vous ? Demanda une voix visiblement mécontente d'être dérangée.
Le timbre était assez bas mais très claire, presque mélodieux et Kyros lui donna à peine plus de vingt ans.
_ Je suis désolé de vous importuner, mais je suis votre nouveau voisin...
_ Et ?
Oulà, il n'est visiblement pas de très bonne humeur.
_ Euh... je voulais me présenter et...
_ Et bien c'est fait, merci et au revoir.
Et la porte lui fut claquée au nez.
Pfiouuuu ! Pas commode !
Mais il n'allait pas se laisser démonter pour si peu et il frappa à nouveau à la porte qui se rouvrit presque instantanément. Apparemment, il avait attendu son départ.
_ Quoi ? Lui fut-il demandé violemment.
Kyros fut tenté un instant de lui répondre vertement, mais quelque chose lui dit qu'en agissant ainsi, il risquait de perdre toutes ses chances d'avoir un semblant de bonne relation avec le jeune homme. Il s'abstient donc de tous commentaires, même si ceci le démangeait fortement.
_ Hum... Elly m'a demandé de vous donner ça, dit-il en tendant le paquet devant lui.
_ Lel ?
_ Euh, oui, si c'est ainsi que vous l'appeler.
L'évocation de son amie sembla visiblement le détendre quelque peu car lorsqu'il parla à nouveau sa voix fut beaucoup plus douce.
_ Ah... euh... merci. Déposez le sur le pas de la porte, je le prendrais plus tard.
_ Vous avez, c'est de la nourriture qui risque de se gâter, vous devriez la rentrer maintenant.
Il sut qu'il avait fait une erreur, lorsque la porte se referma de quelques millimètres et qu'il lui fut répliqué d'un ton sec :
_ Déposez-le c'est tout... ou gardez-le !
Kyros se mordit la langue pour ne pas s'emporter. Laguna ou les différents officiels auxquels il avait pu avoir affaire avaient à mainte reprise su user ses nerfs, mais jamais aussi rapidement. Ce garçon promettait bien des complications pour l'amadouer, mais d'un autre côté, ça n'en rendait l'expérience que plus intéressante.
Il soupira doucement.
_ Très bien, dit-il, très bien, je le pose. Je suis désolé !
_ Hn ? Il y a autre chose ?
_ Elly aimerait que vous passiez les voir. Elle s'inquiète pour vous.
_ Hn, très bien.
Et avant même d'avoir comprit ce qu'il se passait, Seagill se retrouva à nouveau porte au nez.
_ Charmé d'avoir fait votre connaissance, souffla-t-il doucement.
Il comprenait mieux maintenant pourquoi le propriétaire de la maison n'avait pas tenu à mieux le connaître. Son comportement avait de quoi rebuter la plupart des gens. Mais d'un autre côté, il avait su gagné la confiance et l'affection d'Elly et de son mari, donc il ne pouvait pas être méchant.
Craintif serait probablement le mot exact. Comme s'il craignait de devoir se mêler à la population, comme s'il craignait tout contact humain, si ce n'est ceux de qui il connaissait.
Il n'allait vraiment pas être facile de s'en faire un ami. Il se demanda même un instant si cela pourrait être seulement possible.
Ne soit pas bête, se dit-il. Ce n'était qu'une première rencontre, tu as tout un mois pour réussir à l'approcher. Et ce ne sera probablement pas de trop.
Soupirant doucement, il se décida à quitter la terrasse pour regagner sa propre maison et se réinstalla sur le canapé pour surveiller la terrasse d'Ellan.
Même plonger dans l'obscurité, il put voir la porte s'ouvrir et une silhouette se glisser rapidement à l'extérieur pour attraper le sac, avant de rentrer tout aussi vite. Il maudit un instant la clarté lunaire qui ne lui avait pas permis de distinguer autre chose qu'une forme sombre, ainsi que le jeune homme qui évitait apparemment consciencieusement d'allumer toute lumière qui lui aurait permis de distinguer quoique ce soit. Il finit par ce maudire lui et sa nouvelle curiosité qui allait probablement l'empêcher de dormir une bonne partie de la nuit.
Déçu, mais bien décidé à ne pas en rester là, il rentra à son tour et pris immédiatement le chemin de sa chambre. Il se déshabilla rapidement pour enfiler son pantalon de pyjama et se glissa sous les draps frais et odorant.
Il attrapa ensuite le livre qu'il avait glisser sur sa table de nuit et commença à le feuilleter, mais une étrange torpeur, probablement due à cette journée plutôt mouvementée, décida de lui donner tord et il se sentit doucement sombrer dans le sommeil. Il eut tout juste le temps de poser le format de poche et d'éteindre la lumière avant que le marchant de sable ne le plonge définitivement dans une profonde léthargie.
***
Lorsqu'il se réveilla le lendemain, le soleil pointait à peine ses premiers rayons sur une mer d'huile. C'est une fine ligne de lumière pâle et légèrement dorée qui le tira de son sommeil, en venant chatouiller le coin de son œil et réchauffer doucement sa peau.
Il baya tout son saoul et décontracta lentement tous ses muscles en s'étirant comme un chat, avant de replonger la tête la première dans l'oreiller en maudissant tout ce qu'il savait les longues années de travail qu'il traînait derrière lui et lui avait données la très mauvaise habitude de se lever au aurore.
Sa pensée suivante fut pour Laguna et il sourit malicieusement en imaginant sa tête ce matin même, alors qu'il avait déjà du être tiré du lit, lui qui n'avait pas l'habitude de se lever avant dix heures dans ses meilleurs jours. Il ne devait même pas avoir eu le temps d'avaler son pantagruélique petit déjeuné. Kyros s'était toujours demandé ou il arrivait à caser tout ça, lui qui était à peine capable d'avaler une tasse de café.
Pour la seconde fois en quelques heures son corps décida de lui donner tord lorsque son estomac se mit à bruyamment protester. Il se souvint alors qu'il n'avait pas manger la veille au soir et se décida à sortir du lit afin d'aller à la boulangerie acheter de quoi calmer son appétit.
Il sauta presque hors de ses couvertures pour se diriger vers la salle de bains et faire sa toilette.
Il prit une rapide douche à peine tiède, l'eau du ballon n'ayant pas eut le temps de chauffer et en sortie prestement pour se blottir dans une épaisse et moelleuse serviette qui eut tôt fait de calmer ses frissons. Puis il se rasa avant de rapidement s'habiller, prit le temps de refaire sa queue de cheval après avoir peigné ses cheveux et sortit de la salle de bain pour se diriger à grands pas vers la porte d'entrée. Il n'oublia pas de prendre son portefeuille et sortit enfin sur la terrasse, admirant un instant le soleil levant.
Il laissa échapper un nouveau bâillement et sourit devant le spectacle d'une mer légèrement rosée et dénuée de vagues, qui léchait à peine le sable d'or alors qu'elle atteignait l'apogée de sa marée montante.
Elle donnait presque envie de s'y plonger si ce n'est qu'à cette heure de la journée, elle devait être glacée.
Un claquement le tira soudain de sa contemplation et attira son regard du côté de la maison d'Ellan. Le jeune homme venait de sortir de chez lui et descendait rapidement les marches de son patio.
Autant pour ceux qui pensent qu'il ne bouge pas de chez lui !
Il l'observa attentivement, découvrant enfin son aspect. Il était assez grand, dans les un mètre quatre vingt et plutôt musclé, quoique vraisemblablement beaucoup trop fin pour sa carrure, ce qui tendait à donner raison à Elly. Son visage semblait franc et sincère et dégageait une véritable aura d'aisance et d'orgueil, qu'accompagnait des mouvements extrêmement fluides, presque félins qui rappelaient étrangement ceux d'un guerrier. Ses cheveux noirs de geai, un peu trop long, retombait sur son regard étrangement dissimulé derrière une paire de lunette de soleil. Il portait une simple paire de jeans dans laquelle étaient glissés les pans d'une chemise d'un blanc immaculée et tenait contre lui un cartable de cuir assez épais.
Il tourna soudain sa tête dans sa direction et Kyros se sentit rougir de l'avoir ainsi détaillé. Il était dans ses habitudes d'observer les gens afin de se donner une première impression, les gestes et coutumes vestimentaires étant parfois bien plus parlantes qu'une discussion, mais jamais il ne s'attardait autant. En règle général, un simple coup d'œil suffisait, du à de nombreuses années de pratique, mais dans le cas du jeune homme, il n'en avait pas été ainsi. Il y avait quelque chose en lui d'infiniment mystérieux et... triste qui l'avait fait s'attarder plus que nécessaire. Une aura étrange qu'il n'arrivait pas à définir.
Il agita rapidement une main en guise de salut amical, mais Ellan sembla complètement l'ignorer et prit rapidement la direction de la ville sans plus regarder dans sa direction.
Ce n'est pas gagné, pensa Seagill en soupirant.
Mais il n'eut pas vraiment le temps de s'attarder sur ce début de matinée difficile, car son estomac le rappela bien vite à la réalité et il prit le chemin de la boulangerie la plus proche, se régalant d'avance à l'idée des croissants et de la tasse de chocolat qu'il allait y acheter.
A suivre...
