Blind

Treizième partie

  L'armée galbadienne vient de capturer Seifer Almasy !

  Il fallut à peine plus de quelques secondes à Kyros pour comprendre toute la portée de cette simple phrase.

  Il sentit soudain une lame acide et glaciale courir dans ses veines, alors que son cœur, comme broyé sous un étau, semblait s'être arrêté. Sa respiration se bloqua dans sa gorge et il se redressa d'un coup, sous le choc, faisait basculer sa chaise au sol dans un bruit métallique qui fit sursauter le soldat.

  _ Quoi ? S'entendit-il demander d'une voix rauque alors qu'il tentait vainement de calmer les tremblements de ses mains. QUOI ?

  Non ! C'était impossible, ça ne pouvait pas être vrai ! Il avait du mal entendre.

  C'était un cauchemar, juste un horrible cauchemar dont il n'arrivait pas à se réveiller.

  Il ne pouvait pas s'être fait capturer… pas lui et pas par eux… mon dieu… surtout pas par eux…

  Mais il savait que c'était la vérité. La pure et cruelle réalité. Il n'y avait aucune chance que le soldat ne se soit tromper.

  Aucune.

  Hyne, Seifer !

  Pour la seconde fois en plus de deux semaines, il avait l'impression  que son monde s'écroulait autour de lui, comme une vitre volant en éclat, et il ne pouvait absolument rien faire pour l'empêcher, spectateur impuissant de son propre naufrage.

  Avec difficulté, il se força à reprendre sa respiration et à calmer la panique qui menaçait de la submerger, alors qu'un mot, comme un cri d'agonie, semblait résonner encore et encore à son esprit.

  NooOOOon !!

  Fermant rapidement les yeux pour les rouvrir presque aussitôt, il ignora totalement le regard étonné de Laguna qui, s'il était lui aussi sous le choc de cette révélation, ne s'était sûrement pas attendu à une telle réaction de la part de son ami, et il ne se concentra que sur le soldat.

  _ Quoi ? Répéta-t-il encore, crispant les poings.

  _ Euh… je… bafouilla l'homme, visiblement perdu devant son attitude.

  Il se tut quelques instants, cherchant ses mots, puis reprit finalement contenance et répéta avec un grand sourire, croyant probablement que sa réaction ne tenait qu'à la surprise :

  _ Ils ont capturé Almasy ! Un peu au nord de Galbadia. Ils viennent tout juste de prévenir tous les gouvernements et le ramènent en ville. Il paraît que la population est déjà dans les rues à l'attendre. Ca m'étonnerait qu'il parvienne vivant au palais, la foule est déchaînée et réclame sa mise à mort. Il sera sûrement lapidé avant.

  A nouveau, le coup porta et Kyros vacilla sur ses jambes soudain engourdies.

  Inconscient du mal dont il était responsable, le soldat agrandit un peu plus son sourire et ajouta presque gaiement :

  _ Ce n'est pas plus mal ! Ca nous évitera les frais d'un procès inutile dont tout le monde connaîtrait le résultat à l'avance. De toute façon, il sera tuer quoi qu'il arrive.

  Avant même qu'il n'ait eu le temps de comprendre ce qui se passait, l'homme vit Kyros bondir dans sa direction, fous de rage et le cueillir au visage de son poing droit.

  Seagill avait mis toute la force de son désespoir dans ce geste face à ce répugnant personnage qui lui donnait la nausée et l'envoya au sol, inconscient et nez en lambeau. Pourtant, ça ne suffit pas à calmer son esprit qui résonnait encore de sa phrase cruelle et il dut faire un effort considérable pour ne pas l'achever immédiatement.

  Il regarda avec haine la figure évanouie, puis se détourna et jeta un petit coup d'œil à Laguna qui n'avait ni bougé, ni bronché, se contentant de le fixer quelque peu incrédule.

  Kyros voulut lui parler, mais il ne trouva rien à dire pour s'excuser de son attitude, puisqu'il ne la regrettait pas et n'hésiterait pas un seul instant à recommencer si tout était à refaire. Détournant les yeux et secouant la tête doucement, il délaissa les deux hommes pour sortir rapidement de la pièce et s'élancer dans les couloirs en direction de sa chambre pour récupérer Rédemption avant de se rendre à l'Hydre.

  Il lui fallait maintenant gagner au plus vite Galbadia avant qu'il ne soit trop tard.. s'il ne l'était pas déjà.

  Hyne ! Pria-t-il. Protéger-le ! Je vous en pris, protéger-le !

  Et le choc faisant place à l'effroi, il accéléra, sentant dans sa poitrine son cœur battre furieusement.

  A aucun moment, il ne remarqua le visage d'Hyman dissimulé dans l'ombre qui le regarda s'éloigner un étrange sourire, mi-satisfait, mi-inquiet aux lèvres.

***

  _ Je. Ne. Veux. Pas.

  _ S'il te plait !

  _ Non, non et non !

  _ Siouplait !!!

  _ Non !

  _ Siouplait avec de gros nyeux de chiot martyrisé !!!

  _ Rhooooo… misère !

  _ Ahahah !Tu n'as pas dit non !

  _ Grrrrrr !!!

  _ Alors ???

  _ Oui, bon d'accord ! Je viens avec toi ! Vraiment tu sais comment me faire craquer.

  _ OUAIIII !!! Super ! Tu sais que je t'aime Touâ !

  _ Je sais, je sais, chuis trop gentil !

  _ Viiiii… c'est pour ça que t'es mon mamour adoré.

  _ Grumphhhh !!! Tu déteins trop sûr moi !

  _ Eheheh ! C'est à force de te grignoter, c'est pas de ma faute si tu as bon goût, Zell !

  Et avant que son cadet n'ait eu le temps d'esquisser le moindre geste, Irvine, un sourire malicieux aux lèvres, le plaqua doucement sur le mur du couloir et commença à lui mordiller amoureusement le lobe de l'oreille, avant de descendre lentement jusqu'à sa bouche.

  _ Irvine… Gémit le zébulon blond.

  _ Hum ? Marmonna le cow-boy en jouant avec ses lèvres.

  _ Pas… hmmmm… pas ici…

  _ Y'a personne.

  _ Peuvent venir…

  _ Pôa grave…

  Et pour l'empêcher de protester plus avant, Irvine approfondit son étreinte.

  Oubliant complètement où ils se trouvaient, Zell accepta pleinement le baiser et passa doucement ses bras autour de son cou pour le coller un peu plus contre lui. Le grand blond sourit un peu plus et commença lentement à jouer avec lui, mais un bruit de course les tétanisa.

  En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire, il s'écartèrent vivement l'un de l'autre, les joues rouge de gêne et de plaisir mêlés.

  Ils regardèrent alors l'autre bout du couloir pour voir apparaître en courant la silhouette de Kyros, sa gunblade au flanc.

  En voyant son visage ravagé par l'inquiétude, Irvine délaissa immédiatement Zell pour se porter à sa rencontre.

  _ Kyros ? Demanda-t-il.

  L'ex soldat s'arrêta à sa hauteur et reprit rapidement son souffle.

  _ Irvine… Souffla-t-il.

  _ Que se passe-t-il ?

  _ Ils l'ont capturé.

  _ Quoi ?

  _ L'armée galbadienne, ils l'ont capturé.

  Il fallut quelques seconde au jeune homme pour comprendre de quoi il voulait parler, mais lorsqu'il réalisa enfin, un hoquet de stupeur s'échappa de ses lèvres.

  _ Oh, merde !

  _ Je vais là bas ! La population l'attend, prête à le massacrer.

  _ Je viens avec toi ! N'hésita pas un seul instant le cow-boy en vérifiant les barillets de ses armes.

  _ D'accord ! On va prendre l'Hydre.

  _ Hum !

  Et sur ce, Kyros repartit en courant, immédiatement suivit de son ami.

  _ Irvine ? Demanda Zell en l'attrapant par le bras avant qu'il ne parte.

  Le blond se dégagea gentiment et le regarda.

  _ Je suis désolé, Zell, je dois y aller. C'est une question de vie ou de mort.

  Et sans même attendre une réponse de son compagnon, il repartit à la suite de Seagill qui avait déjà disparu à l'angle du couloir.

***

  Lorsqu'il arriva à l'Hydre, celle-ci avait déjà ses moteurs en marche et presque toutes les amarres larguées.

  Sans hésiter un instant, Kyros grimpa à son bord et se dirigea vers la cabine de pilotage où il reçut un choc en apercevant Loire en train de terminer les derniers réglages.

  _ Laguna ?

  Son ami se retourna, la mine sérieuse.

  _ Qu'est-ce que tu fais là ?

  _ Je suis venu t'aider. Ca ne me plait pas beaucoup, surtout étant donné les circonstances, mais quoi que je dise, tu ne changeras pas d'avis, n'est-ce pas ?

  _ Non.

  _ C'est bien ce qu'il me semblait. Alors, c'est lui Ellan ?

  _ Oui.

  _ Bien. Je ne vais pas te dire que j'en suis heureux, ni que ça me plait, mais tu restes avant tout mon ami et pour l'instant tu as besoin d'aide, donc, je ne te poserais aucune question. Mais j'espère bien avoir quelques explications lorsque tout sera terminé.

  _ Quand nous l'aurons récupéré, je te promets, je te raconterais tout.

  _ Mouai.

  Irvine fit enfin son apparition dans la cabine et dévisagea tour à tour Laguna et Kyros qui s'était retourné dans sa direction à son arrivé. Il allait poser une question, mais un petit mouvement de tête de Seagill l'en dissuada et il se contenta d'aller s'asseoir prêt de lui.

  _ Nous sommes au complet ? Demanda Loire.

  _ Oui.

  _ Alors c'est parti.

  Les moteurs rugirent, la dernière amarre fut larguée et, poussant l'appareil à pleine puissance, Laguna la fit décoller rapidement, avant de filer droit en direction de Galbadia.

***

  Il y avait trop de monde.

  Beaucoup trop de monde.

  Ses sens s'embrouillaient. Trop d'informations, trop de gestes, trop de paroles prononcées en même temps.

  Il se sentait impuissant.

  Faible comme un nourrisson.

  Incapable de trouver un repère. Incapable d'éviter les coups qui pleuvaient sans cesse sur lui. Incapable de les voir venir, ni de protester.

  Si faible.

  Et son corps tout entier le faisait souffrir, subissant sans cesse les assauts violents de ses bourreaux. Il sentait le sang qui coulait un peu partout sur sa peau de ses déjà trop nombreuses blessures.

  Il avait mal.

  Si mal.

  Si faible.

  Il avançait comme un automate, titubant, guidé par les chaînes de ses gardiens et les coups vengeurs d'une population avide d'un bouc émissaire, comme il n'y avait pas si longtemps.

  Il avait l'impression de se retrouver quelques mois en arrière, alors qu'il était traqué d'un peu partout, avant qu'il ne soit totalement aveugle. Il pouvait voir ses ennemis alors, contrairement à aujourd'hui et il pouvait tenter de se défendre. Il avait aussi Raijin et Fujin à ses côtés, alors que maintenant… maintenant il était complètement seul. Il avait fui les seules personnes qui n'avaient jamais acceptées de lui donner un tant soit peu d'amour.

  Fui.

  Fui…

  Kyros.

  Un nouveau coup, une pierre, le cueillit à la tempe et il vacilla, tombant à genoux. Aussitôt un des soldats fut à ses côtés pour le forcer brutalement à se relever, lui donnant un mauvais coup dans les côtes. Il sentit l'une d'elles craquer et une douleur atroce lui déchirer le torse, mais il se força à se relever et à repartir pour subir un peu plus la colère de la populace.

  Il le méritait, n'est-ce pas ?

  Il était le chevalier de la sorcière.

  Le monstre.

  Le tueur.

  L'assassin.

  C'est bien ce qu'il criait tous, encore et encore.

  A cet instant, plus qu'à tout autre, il regretta qu'Elly et Daren l'aient laissé vivre. Il aurait du mourir dans la petite ruelle où ses deux amis étaient tombés. Il aurait du partir avec eux. Au moins toute cette haine serait éteinte maintenant.

  Mais d'un autre côté… d'un autre côté, il n'aurait jamais rencontré Kyros et il n'aurait jamais connu le bonheur d'être réellement aimé, même pour une nuit.

  Kyros…

  Il aurait aimé pouvoir toucher son visage une dernière fois. Embrassée ses lèvres chaudes. Lui demander pardon.

  Pardon.

  Juste une dernière fois.

  Un coup l'atteint violemment à l'épaule et perdant cette fois complètement son équilibre, il s'écroula de tout son long sur son flanc. Il crut pendant une seconde qu'un garde allait à nouveau le frapper et le relever, mais c'est la pointe d'une lame qu'il sentit percer les chaires tendres de son ventre. Il retint à grand peine le cri de douleur qui lui monta aux lèvres et se recroquevilla en position fœtale quand la lame fut brutalement arrachée. Cette fois-ci, il sentit le geste pour plonger à nouveau la lame dans son corps, mais n'eut pas la force de bouger.

  Il entendit crier son nom.

  Et la lame s'abattit.

  Kyros.

***

  Laguna n'eut même pas le temps de poser correctement l'Hydre que Kyros était déjà à terre, immédiatement suivit d'Irvine.

  Déjà, d'ici, il pouvait voir l'immense foule qui marchait le long des rues de la ville, suivant un cortège funèbre qu'il lui fallait absolument rattraper.

  Peut-être cinq cents mètres tout au plus devait le séparer de Seifer. Mais ces cinq cents mètres étaient jalonnés de milliers de personnes agglutinées les unes aux autres se bousculant et criant pour assister au massacre.

  La masse réclamait avec force de cris, le prix du sang, toujours plus fort et avec toujours plus de détermination.

  Seagill sentit la nausée lui tordre l'estomac à la vue de cette population unie contre un seul homme et du se faire souffrance pour la repousser.

  Sans perdre une seconde de plus, il se jeta dans la foule compacte et commença avec difficulté à la fendre, immédiatement suivit d'Irvine.

  Il devait forcer chacun de ses pas, bousculant sans ménagement les personnes devant lui, rendant coup pour coup et ignorant les injures qui jalonnaient sa progression. Il ne pensait qu'à Seifer et à le rejoindre au plus vite.

  Rien d'autre ne comptait.

  Les rues étaient en pentes et ils pouvaient voir d'ici la petite troupe de soldats avancer avec difficulté, il pouvait voir chaque coup porté, chaque main levée, chaque pierre, chaque arme prêtes à frapper dès que Seifer était à porter.

  Et chacune de ces visions, la colère se faisait plus forte en lui. La tristesse aussi.

  Et la peur.

  Il vit Seifer s'écrouler une première fois et sentit son sang se glacer. Sans plus attendre, comme par réflexe, il sortit la gunblade qui tombait à son flanc et avec force d'avertissement s'en servit pour fendre la foule qui s'écarta, impressionnée sous la menace d'une telle arme, pour le laisser passer.

  Il put nettement accélérer son pas, mais même ainsi, sa progression était encore trop lente, il le savait.  Plus il mettrait de temps pour parvenir jusqu'au jeune homme, plus il risquait d'arriver trop tard.

  Il ne put retenir un cri d'effroi, lorsqu'il vit soudain Seifer s'écrouler une deuxième fois et l'éclaire d'une lame s'abaisser vers lui.

  Il la vit remonter rouge sang et sentit son cœur manquer un battement.

  _ SEIFERRRRRRR !!!

  N'hésitant plus un seul instant, il dégagea son chemin sur les derniers mètres qui le séparaient encore du blond, alors qu'il pouvait voir à nouveau la lame s'élever pour le frapper.

  Il hurla à nouveau son nom et se jeta sur lui.

  Seul le bruit du métal contre le métal lui répondit.

  A suivre…