Blind

Seizième partie

  Apprendre la douleur.

  Encore et toujours.

  « Rien ! »

  La douleur.

  La douleur des souvenirs.

  Courir !

  « Tu croyais vraiment… ? »

  Toujours plus loin.

  « Tu es stupide ! »

  Toujours plus vite.

  « Ce n'était qu'un jeu. »

  Loin…

  « Juste un jeu. »

  Loin de tout…

  « Regarde-toi ! »

  Toute la souffrance.

  « Penses-tu vraiment… ? »

  Fuir.

  « Crois-tu vraiment que…? »

  Encore et encore.

  « … que je pouvais t'aimer ? »

  Fuir cette douleur qui lui déchirait le corps.

  « Tu es ridicule ! »

  Une nouvelle fois.

  « Personne… »

  Toute aussi atroce.

  « … personne… »

  Peut-être même plus encore.

  « … personne ne pourra t'aimer !»

  Il n'aurait jamais du.

  « Tu n'es rien ! »

  Jamais du se laisser emporter une fois de plus. Il n'aurait jamais du prendre le risque d'être à nouveau blessé.

  « Rien ! »

  Mais Hyne…

  « Rien ! »

  Hyne… il l'aimait tellement !

  Il avait seulement espéré que cette fois… cette fois peut-être, tout puisse être différent. Qu'il pouvait être différent. Qu'il ne le trahirait pas lui aussi.

  Il avait été stupide ! Stupide !

  « Rien ! »

  Comme toujours.

  « Tu n'es rien ! »

  Pauvre, pauvre petit Zell.

  Bébé !

  Hérisson !

  Pleure le zébulon !

  Encore et toujours.

  Stupide ! Stupide !

  Encore et toujours.

  « Rien ! »

  Toujours les mêmes déceptions. Toujours les même mots. Toujours la même souffrance.

  « Tu n'es rien ! »

  Et des centaines de larmes qui pleurent sur son corps.

  Encore une fois.

  A chaque fois.

  Encore et toujours.

  « Rien ! »

  Encore et toujours.

  Encore et toujours.

  La lumière du soleil l'éblouit soudain et il entra en collision avec quelqu'un, manquant de peu de les envoyer tous deux au sol.

  _ Eeeeeeh !!! Cria une voix indignée. Hein ? Zell ?!? Tu es enfin descendu !

  Il ne reconnut tout d'abord pas la personne en face de lui, l'esprit encore en bataille et les poings convulser sous l'afflux de ces souvenirs qu'il détestait tant.

  _ Alors… Dit-elle à nouveau. Lassé, toi aussi, de traîner avec les fagots ?

  Fagots ?

  Fagots…

  _ Vous… vous êtes gai ???

  _ Oui.

  _ C'est répugnant !

  Répugnant.

  Répugnant !

  « Personne ne pourra t'aimer ! »

  Répugnant !

  Fagots !

  Personne !

  Personne !

  Personne… personne… personne…

  « Tu n'es rien ! »

  Rienrienrienrienrienrienrienrien…

  _ Zell ? Ca va ? Demanda Linoa, qu'il reconnut enfin, en posant une main sur son bras. Zell ??

  Fagots… répugnant…

  _ Zell ?

  Rien…

  _ NONNNN !

  _ Zell, mais qu'est-ce qui te prend ?

  _ LAISSEZ-MOI TRANQUILLE !

  _ Mais…

  Il se dégagea soudain, incapable d'affronter leur visage, incapable de supporter le dégoût dans leur regard et voulut s'enfuir en courant lorsqu'une poigne plus ferme que les autres se referma sur son poignet et le força à se retourner.

  Son regard baigné de larmes croisa alors celui de Laguna et il resta un instant sans bouger, incapable presque de respirer.

  Son aîné le dévisagea, étonné et presque affolé par toute la détresse qui se peignait sur le visage apeuré du jeune homme. Il resta tellement abasourdi par son regard inondé de larmes bien plus amères et douloureuses que ce qu'une simple dispute aurait du provoquer, qu'il relâcha inconsciemment sa prise.

  Sentant la main se faire moins ferme, Zell se dégagea immédiatement, lâchant sans s'en rendre compte l'anneau qu'il tenait toujours et qui tomba à terre dans un petit bruit métallique.

  Avant que Laguna n'ait pu faire quoi que ce soit, il s'enfuit en courant, ignorant les appels suppliant de son aîné.

***

  Il ne sut pas pendant combien de temps il courut ainsi, mais lorsqu'il s'arrêta enfin, à bout de souffle, il se trouvait devant le palais présidentiel. Sans attendre d'avoir retrouvé un temps soi peu de sa respiration, il entra rapidement dans l'immense bâtisse, ne prêtant aucune attention aux regards étonnés des gardes et gagna rapidement sa chambre, toujours poursuivit par le malstrom de mots qui se répétaient sans cesse, le rendant presque fou.

  Les mêmes phrases inlassablement.

  La même peine qui se faisait un peu plus forte à chaque seconde, comme une plaie sans cesse réouverte, sans cesse torturée.

  Il avait si mal…son âme déchirée réclamant enfin la paix.

  Et ces images.

  Plus terribles… plus terribles que tous les mots, venant se superposer à eux, s'y mêler, s'imbriquer pour former une toile de torture mentale dont ils ne pouvaient s'échapper.

  Ce regard protecteur.

  Ce visage de colère.

  Cet anneau rendu.

  Il ne prit pas conscience qu'il était dans sa chambre, avant de s'écrouler sur son lit et de si rouler en boule, tentant vainement de chasser les spasmes de sanglots qui lui tordaient la poitrine et bloquaient partiellement sa respiration.

  Ses poumons semblaient en feu.

  Il voulait se calmer, mais à chaque inspiration, c'est un peu plus du parfum d'Irvine, délicatement imprégné dans les draps, qui filtrait en lui.

  Une flagrance si douce, mais…

  Il en avait assez.

  Assez de cette douleur qui le poursuivait sans cesse depuis si longtemps.

  Assez…

  Lentement, d'une main tremblante, il réussit tant bien que mal à entrouvrir le tiroir de sa table de chevet pour en retirer la boite de pilules qui y reposait.

  Antidépresseur, c'est ce que lui avait dit Kodowaki.

  Depuis combien de temps en prenait-il ? Il ne se souvenait même plus.

  Trop longtemps probablement.

  Beaucoup trop longtemps !

  Les prises variaient avec le temps, selon son état, selon ses problèmes. Il en avait absorbé pas mal à l'époque d'Ultimécia et plus encore avant, alors que…

  Mais depuis plus d'un mois, il n'y avait pas touché. Un mois de bonheur absolu avec la seule personne qu'il ait jamais réellement aimé.

  Et maintenant…

  Maintenant, il en avait besoins plus que jamais.

  Ouvrant difficilement la boite, tant ses mains tremblaient, il faillit en renverser tout le contenu, avant de pouvoir enfin prendre une gélule. Il l'avala aussitôt, sans eau, et hésita un instant, avant d'en prendre une deuxième.

  Il allait refermer la capsule, lorsqu'elle lui échappa des mains et que tout son contenu se renversa sur les draps.

  Il eut un petit frémissement, effleura doucement l'une des pilules, puis entreprit de les ramasser une à une. Lorsqu'il les eut toutes en main, il les fixa un long moment et, sans réfléchir, se mit à les avaler.

  Quelques-unes unes de plus ne pourraient pas lui faire de mal, non ?

  Il voulait juste ne plus rien sentir pendant quelques heures… juste se libérer un peu de la prison mentale dont il s'était fait prisonnier.

  Pour quelques heures…

  Juste quelques heures.

  Il ne sut pas combien il en avait pris avant de se sentir trop faible pour continuer.

  Il posa doucement sa tête, soudain étonnamment lourde, sur l'oreiller, laissa retomber sa main d'où s'échappa le reste des gélules qui roulèrent à terre et ferma lentement ses yeux maintenant incapables de focaliser quoi que ce soit.

  Il sentit son esprit s'engourdir lentement, alors que plus aucune douleur ne se faisait sentir. Une paix étrange l'envahit petit à petit et il se laissa glisser dans les ténèbres réconfortantes. Pourtant, quelque part, une partie de son être lui disait qu'il avait fait une bêtise. Une très grosse bêtise.

  Mais il était trop tard pour revenir en arrière.

  Avant que tout ne s'obscurcisse définitivement, une dernière larme roula sur sa joue, un dernier mot, à peine plus qu'un souffle, franchit ses lèvres.

  _ Irvine…

***

  Laguna voulut se lancer à la poursuite de Zell, mais un crissement sous sa chaussure le fit s'arrêter et il se pencha pour ramasser l'objet que le jeune homme avait fait tomber. Il prit délicatement au creux de sa main le fin anneau d'or blanc sur lequel venaient se perdre des gouttes de sang mêlées de sable et frissonna. Il revit le visage baigné de larmes du jeune homme et son malaise augmenta encore.

  Quelque chose n'allait pas.

  Son comportement n'avait rien de normal, même dans ces circonstances.

  Relevant la tête, il constata, sans trop de surprise, que Zell avait d'hors et déjà disparu de sa vue.

  Il soupira.

  Il n'aurait jamais dû le lâcher, il avait un très, très mauvais pressentiment.

  Plus rien ne semblait tourné rond. Il y a quelques heures à peine, il pouvait se vanter d'avoir presque tout sous contrôle, mais maintenant tout semblait partir à vaux l'eau. D'abord la réapparition plus que surprenante de Seifer et les révélations de Kyros, ensuite son fils qui réagissait avec bien plus de violence qu'il ne l'aurait jamais imaginé et maintenant Zell.

  Mais qu'est-ce qui se passait ?

  Tout ça ne lui disait rien de bon, avec maintenant en plus une relation galbadienne qui allait probablement devenir ingérable.

  Mais ce n'est pas ce qui comptait. Il devait avant tout aller trouver Irvine et le convaincre d'aller parler à son compagnon.

  Il allait faire demi-tour, lorsqu'une voix glaciale l'arrêta.

  _ Papa !

  Il se retourna pour faire face à son fils et à ses amis qu'il n'avait pas remarqué jusqu'à présent, bien trop soucieux de Zell.

  _ Squall, répondit-il sur un ton tout aussi froid.

  Il ne pouvait pas dire qu'il portait Seifer dans son cœur, surtout après tout ce qu'il avait fait, mais la réaction de Squall avait été au-delà de toute compréhension, quant à celle des autres, il ne préférait même pas y penser.

  Ils le répugnaient.

  Comment pouvait-on être aussi obtus, fermé et intolérant ?

  Il n'arrivait même pas à l'imaginer.

  Quant à Seifer… Irvine avait raison. Il connaissait Kyros et savait qu'il ne serait pas tombé amoureux de lui sans bonne raison et il ferait tout pour le protéger… pour les protéger.

  Il devait beaucoup à son ami sans que celui-ci ne lui ait jamais rien demandé en retour. Il était temps qu'il paye sa dette, quelque en soit le prix.

  _ Que veux-tu ?

  Son fils lui jeta un regard où ne brillait plus aucun respect, ni aucune considération et il réalisa qu'il venait de le perdre pour la seconde fois. En choisissant d'aider Seifer et Kyros, il avait détruit les ponts qu'il avait péniblement réussit à reconstruire.

  Son cœur se serra dans sa poitrine à cette pensée, mais il repoussa la sourde douleur qui l'envahissait et ne vacilla pas sous son regard, le soutenant même.

  _ Seifer ! Répondit simplement Squall, sans paraître le moins du monde affecter, blessant un peu plus son père.

  _ Jamais !

  _ Tu ne pourras pas le protéger éternellement… Laguna !

  Loire ferma les yeux en attendant son fils l'appeler par son nom, avec une telle froideur qu'il ne put s'empêcher de frissonner.

  Tout était bel et bien terminé.

  C'était douloureux. Très douloureux, mais il savait qu'il avait pris la bonne décision.

  Sans même prendre la peine de répondre à cette provocation, ignorant les regards de ses autres compagnons, il se détourna pour remonter.

  Il franchissait la porte lorsqu'une main chaude se glissa dans la sienne. Il jeta un petit coup d'œil pour voir Quistis lui sourire tendrement. Il lui rendit son sourire et sans plus se préoccuper des appels outragés de Linoa et Selphie, l'entraîna à sa suite vers les ascenseurs et vers Irvine.

A suivre…