Blind
Dix-septième partie
Le petit garçon descendit rapidement les escaliers.
A peine levé, il avait vu luire à travers les carreaux de sa chambre un immense soleil qui déversait déjà sur son monde sa douce couleur dorée, larmes de miel venant couler sur sa peau.
Il aimait le soleil, il aimait la lumière plus qu'autre chose et le voir ainsi illuminé tout son univers suffisait à le mettre de bonne humeur.
Il se souvenait avoir taper dans ses mains de joie et s'être rapidement habillé, tout en essayant de laisser son regard glisser sur la verdure lumineuse de son jardin, ce qui n'avait pas été chose facile. Il avait faillit une fois ou deux tomber à terre, déséquilibré, avait boutonné sa chemise maladroitement, affublant lundi à mercredi et mit ses chaussettes à l'envers.
Résultat, au lieu de mettre quelques minutes à peine pour être vêtu de propre et de frais, il lui en avait fallu presque dix.
Mais même cela n'avait pas pour autant entaché sa bonne humeur et c'est avec une vivacité sans pareille qu'il avait quitté sa chambre et descendu en trombe les escaliers pour sauter sur le palier et partir en courant vers la porte du jardin.
Il allait l'atteindre, lorsqu'une voix raisonna derrière lui.
_ Jeune homme !
Il s'arrêta net, baissa la tête et maugréa mentalement, avant de se retourner, contrit, pour faire face à sa mère. Celle-ci affichait une expression sévère que le sourire indulgent de ses yeux démentait.
_ N'auriez-vous rien oublié ? Demanda-t-elle.
_ Mais môman.
_ Tututu !
Le jeune garçon poussa un petit soupire et avec une mauvaise grâce évidente, s'éloigna de la porte pour rejoindre sa mère. Celle-ci se pencha vers lui pour lui ajuster son col de travers et il en profita pour l'embrasser.
La jeune femme sourit tendrement.
_ Non, non, non ! Dit-elle. Vous n'allez pas vous en tirer comme ça, monsieur ! Aller, hop, à la cuisine.
_ Mais môman !
_ Cuisine et plus vite que ça !
L'enfant soupira, mais s'exécuta et courut rapidement s'assoire à la table où l'attendait déjà son petit déjeuné.
_ Et je ne veux pas que tu en laisse une miette, lui rappela sa mère.
_ Vivi !
Et sans plus attendre le petit garçon enfila sa serviette et regarda d'un air gourmand ce qui s'étalait devant lui. Son ventre gargouilla légèrement à l'odeur des mets qui l'attendaient, le faisant rougir de honte et rire sa mère. Finalement, elle avait toujours raison.
Il lui adressa un grand sourire et elle lui ébouriffa les cheveux avant de se remettre à sa vaisselle.
Il la regarda faire un moment, admirant ses gestes souples et toujours délicats, sa peau diaphane et ses longs cheveux blonds que la lumière du soleil rendait particulièrement brillants. Elle semblait infiniment fragile, comme une poupée de porcelaine et, à la vérité, elle l'était. Il savait du haut de ses cinq ans que sa naissance avait failli la tuer et l'avait considérablement affaiblie.
Elle était souvent malade et le temps passant, sa convalescence se faisait toujours plus longue et plus difficile. Il attendait toujours avec effroi le jour ou elle ne s'en remettrait pas.
Il ne voulait pas la perdre, mais il savait que ce jour se faisait de plus en plus proche.
Elle lui avait gentiment expliqué, soutenu par son père.
Ils lui avaient dit qu'elle souffrait d'un mal incurable au nom tellement compliqué qu'il ne s'en souvenait plus. Il lui avait dit qu'un jour, elle devrait partir car le mal serait trop puissant. Il avait pleuré ce jour là, comme jamais auparavant et quand il y pensait, cela lui arrivait encore, mais il ne le faisait plus devant elle. Il devait être fort, pour elle. C'est ce que son papa lui avait dit.
Il aimait aussi beaucoup son papa, il était toujours gentil avec lui. Mais, si sa maman souriait tout le temps, malgré son état, ce n'était pas son cas et bien souvent, il le surprenait à la regarder, tellement triste.
Il se souvenait lui avoir un jour demandé si c'était sa faute, si c'était parce qu'il était né qu'elle était malade. Il l'avait alors serré dans ses bras en lui répétant que non, qu'il ne devait pas croire ça. Mais il avait aussi pleuré et il avait su que ce n'était pas la vérité. Qu'il y était pour quelque chose. Pourtant son papa l'aimait toujours, il le savait. Il suffisait de voir comment il le regardait, avec les mêmes yeux que lorsqu'il regardait sa maman, mais un sourire en plus.
Détournant son regard et ses pensées pour empêcher les larmes de lui monter aux yeux, il regarda son repas. La journée était belle et ensoleillée, il fallait en profiter.
Avidement, il se saisit d'un des croissants qui reposaient dans le petit panier à pain et, s'en attendre, croqua dedans à pleines dents. Aussitôt la viennoiserie beurrée et délicieuse fondit dans sa bouche et il sourit à s'en lécher les babines.
Avant de mordre dans la bouchée suivante, il le trempa dans son chocolat, le laissa goutter un peu et avala d'une traite le merveilleux mélange.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, il avait terminé son met et avaler rapidement son lait cacaoté. Il attrapa ensuite le verre de jus d'orange et le bu aussi avant de consciencieusement se lécher les doigts.
_ Ehhhh ! Il y a des serviettes pour ça, sourit sa mère qui avait terminé son travail et s'était retournée pour le regarder. Aller petit monstre, va te laver les mains et les dents et après tu pourras aller jouer dehors.
_ Oui, maman !
Et sans attendre, le petit garçon sauta de sa chaise pour galoper rapidement vers la salle de bain où il se débarbouilla avec assiduité.
Lorsqu'il retourna dans la cuisine pour montrer à sa mère combien il avait été sérieux, ses petites menottes dressées fièrement devant lui et courant joyeusement, son père y avait enfin fait son apparition. Il semblait discuter avec elle en lui massant doucement les épaules.
_ Papa ! Cria-t-il en le voyant.
Aussitôt l'homme se retourna pour lui faire un grand sourire.
_ Salut bonhomme !
Et il se baissa pour réceptionner son fils qui lui courrait dans les bras et le soulever de terre, avant de le faire tourner dans les airs sous le regard inquiet de sa mère. Aussitôt le bambin éclata de rire, rapidement accompagner de son père, alors que la jeune femme soupirait légèrement en demandant :
_ Zack, fait attention s'il te plait.
Le jeune homme s'arrêta immédiatement, malgré les protestations de son fils et embrassa rapidement son épouse.
_ Ne t'en fait pas Emae, tu sais très bien que je fais toujours attention.
_ Oui, je sais, c'est juste que…
_ Maman ! Le coupa soudain le jeune garçon, mes mains sont propres, je peux aller jouer dehors… s'il te plait ????
Et il lui adressa son plus beau regard de chien battu, comme lui seul savait les faire, et qui avait le don de la faire fondre à chaque fois.
Elle soupira doucement et lui sourit.
_ Bien sûr, je te l'avais promis !
_ OUAIIII ! Tu viens jouer avec moi papa ?
Zack lui ébouriffa rapidement la chevelure avant de le poser à terre.
_ Non, bonhomme, pas maintenant, papa a beaucoup de choses à faire.
Le jeune garçon eut une moue désappointée et poussa un petit « Oh ! » de déception en baissant les yeux au sol. Son père s'agenouilla alors devant lui, lui remonta la tête d'un doigt gentiment poser sous le menton et lui sourit.
_ Mais je te promets que cet après-midi, je jouerais avec toi.
_ Chouette ! S'extasia le bambin, retrouvant sa joie. Merci !
Et s'en attendre plus, il courut hors de la cuisine et se précipita enfin dans le jardin, pour aller se jeter sur la pelouse et profiter enfin du soleil sur sa peau.
Il ne sut pas combien de temps il resta ainsi, laissant les rayons brûlant de l'astre le chauffer doucement, observant avec minutie la nature offerte autour de lui. Ici une chenille aux couleurs étranges, bleue et verte, qui rampait doucement sur la pousse tendre d'un arbrisseau pour la grignoter avidement. Là, une colonne de fourmis très occupée à collecter de la nourriture et qui ne semblait pas le moins du monde perturber par tous les obstacles qu'il pouvait mettre sur leur route. Ou dans l'arbre, un rouge gorge au plumage flamboyant qui chantait à force mélodie, ses premières odes d'amour.
Il aimait la nature, il aimait l'observer, la découvrir, avide de tout ce que son regard pouvait capter. Ses parents lui disaient souvent qu'il était très en avance pour son âge.
Le soleil était déjà très haut dans le ciel, quand soudain un cri attira son attention. Il se releva pour comprendre qu'il venait de sa maison. Il y avait plusieurs voix et beaucoup semblaient en colère.
Il frémit doucement.
Que pouvait-il donc se passer ?
Il hésita un instant, ne sachant pas quoi faire, effrayé par ses tons de haine qui montaient de plus en plus fort. Puis un nouveau cri retentit et il reconnut parfaitement la voix de sa mère. Sans même réfléchir, il s'élança dans la maison, très mécontent que quelqu'un puisse lui faire du mal.
Lorsqu'il ouvrit la porte, c'est un spectacle étonnant qui s'offrit à son regard. Un homme accompagné d'une dizaine de soldats, se tenaient debout dans le salon, le regard menaçant et armes à la main. Le chef lui-même tenait une grande épée dont la pointe meurtrière était appuyée nonchalamment sur le coup fragile et découvert de la jeune femme.
Emae était agenouillée à terre, bien droite, protégeant son mari de la colère de l'homme dressé devant elle. L'enfant retint un hoquet de surprise et d'horreur en voyant la forme de son père, étendue au sol, sans réaction, le visage fermé tourné dans sa direction. Il pouvait voir à sa tempe, une plaie sanguinolente qui déversait sur son visage et sur le sol, son liquide carmin, coulant même sur ses yeux sans qu'il ne semble réagir.
Il aurait presque crut qu'il était mort si ce n'était les mouvements faibles de sa poitrine qui se soulevait et s'abaissait régulièrement et il dut faire beaucoup d'efforts pour ne pas pleurer.
Quant à sa mère, son visage de défiance dévisageait avec mépris le chef de cette petite troupe, une main posée, protectrice, sur le ventre de son mari, l'autre au sol, crisper en poing pour visiblement empêcher tout tremblement.
L'homme la toisait avec autant, sinon plus de dégoût.
Il vit son père frémir et ouvrir doucement les yeux, reprenant enfin connaissance, alors même que le bras de l'homme se levait au ciel pour frapper sa mère.
_ Tu savais qu'il ne fallait pas le défier, dit-il avec colère avant de lancer sa main.
La gifle retentit comme un coup de tonnerre dans la pièce et envoya douloureusement la jeune femme au sol qui ne poussa pourtant pas un cri.
_ Non ! Hurla Zack en se précipitant à ses côtés. Emae !
_ Ne t'interpose pas ! Cria l'homme. C'est entre elle et moi !
Mais son père ne l'écouta pas et la pris dans ses bras.
_ Emae…
_ Je t'ai dit de laisser ma sœur tranquille !
Et au même instant, le jeune garçon vit l'homme levé son épée pour frapper son père. Celui-ci recula légèrement, tenant toujours sa mère, tentant vainement de se protéger du coup qui devait lui être porté.
Il sentit son cœur manquer un battement et avant même de comprendre ce qu'il faisait, l'enfant se précipita vers eux.
Il entendit son père hurler son nom, puis il eut un éclair argenté et une douleur fulgurante, alors qu'il s'interposait entre ses parents et le chef. Son visage sembla se déchirer en deux et souffrance et ténèbres se mêlèrent en un malstrom affreux qui le priva presque instantanément de conscience. Il sentit à peine le sang qui pleurait à flot sur son visage et se rendit à peine compte qu'il chutait au sol.
Il entendit vaguement sa mère crier cette fois.
Puis un bruit de bataille.
Deux coups de feux.
Un hurlement de colère.
Et puis…
Plus rien.
La dernière chose dont il eut conscience avant de sombrer, fut qu'il ne reverrait jamais ses parents, ni la lumière.
***
Kyros serra un peu plus fort le jeune garçon qui s'était presque immédiatement endormi d'épuisement contre lui. Il paraissait encore plus fragile qu'avant, emprisonné dans cette nouvelle spirale de craintes et de violences à laquelle il ne semblait pas pouvoir faire face.
Il passa rapidement une main dans sa douce chevelure et l'enfant gémit légèrement avant de se serrer d'avantage dans son giron.
Sa respiration tout d'abord calme, se fit peu à peu saccadée, comme sous l'emprise d'un cauchemar et il commença à s'agiter.
Kyros posa une main qui se voulait rassurante sur sa joue, mais ce geste ne sembla pas le calmer et il se mit à trembler violemment. Sentant parfaitement sa détresse, il le secoua légèrement pour le réveiller.
_ Eike ? Eike, réveille-toi ! Eike ?
L'enfant sursauta dans ses bras, avant de pousser une petite plainte et se redresser légèrement.
_ K… Kyros ?
_ Oui ! Ca va ?
Le jeune garçon se contenta de hocher légèrement la tête avant de se boudiner à nouveau contre lui.
_ Seifer ? Demanda-t-il d'une petite voix encore un peu groggy.
_ Ils le soignent toujours.
_ Hum…
Kyros poussa un petit soupire devant son air triste et commença gentiment à lui frotter le dos pour le détendre.
_ Tu ne vas le laisser tomber, hein ? Demanda-t-il soudain. Tu ne vas pas me laisser tomber ?
L'ex soldat le dévisagea un instant, surpris par toutes les angoisses que contenait cette question.
_ Bien sûr que non, finit-il par répondre doucement. Jamais ! Ni toi, ni lui. Je te le promets.
L'enfant murmura son contentement puis redevint silence et Kyros ne sut pas s'il était toujours éveillé ou non.
_ Ca va ? Questionna alors une voix.
Seagill leva les yeux pour voir Irvine approcher et s'asseoir à côté d'eux, le visage fermé et les poings crispés.
_ Oui. Et toi ?
Le jeune homme le dévisagea un instant, ouvrit la bouche pour parler, avant de la refermer presque aussitôt. Il ne pouvait pas lui dire. Il avait déjà assez de problèmes comme ça, il n'allait pas en plus l'embêter avec une simple querelle d'amoureux.
Une simple querelle ? Vraiment ?
Il ne savait pas.
Ils avaient réagit stupidement l'un comme l'autre et il regrettait déjà amèrement son geste fait sous un coup de sang. Il n'avait pas voulu lui rendre la bague, c'est seulement que ses insinuations étaient tellement stupides et mesquines.
Il ne l'aurait jamais cru aussi jaloux.
Qu'il se pose des questions, encore, soit. Quel membre d'un couple normal ne le ferait pas, mais qu'il le fasse de cette manière, surtout en incluant Seifer dedans comme il l'avait fait, cela avait été trop.
Pourtant, il savait qu'il n'aurait pas du réagir ainsi. Il avait été stupide, il s'était laissé emporté par sa colère et ça n'avait rien arrangé.
Stupide !
Il fallait qu'il lui parle.
_ Irvine ?
Le jeune homme sursauta, sorti de ses pensées.
_ Hn ?
_ Ca va ? Demanda une fois de plus Kyros. Qu'est-ce qui s'est passé ?
_ Oh rien, ne t'en fait pas, ce n'est pas grave !
_ Tu es sûr ?
_ Oui, écoutes, il faut que je parle à Zell, ça te dérange si je te laisse ?
L'ex soldat le regarda un long moment, se demandant s'il ne valait mieux pas le faire parler, mais y renonça et hocha rapidement la tête.
_ Vas-y, ce n'est pas un problème. Laguna va rester avec moi.
_ Merci.
Et sans attendre, le jeune homme sauta sur ses pieds et se précipita vers les ascenseurs, sous le regard perplexe de son ami.
Lorsque les portes s'ouvrir pour le laisser passer, il faillit entrer en plein fouet dans Loire qui en sortait.
_ Irvine ! S'exclama-t-il.
_ Oups, pardon Laguna, je ne vous avais pas vu. Vous n'auriez pas vu Zell, je dois lui parler.
Le visage de Laguna prit un air sombre, aussitôt le nom du jeune homme prononcé, qui fit frémire le cow-boy.
_ Je venais te voir pour ça, dit-il. Il y a quelque chose qui ne va pas. J'ai essayé de lui parler après votre dispute, mais il avait l'air complètement perdu… terrorisé et il s'est enfui.
Le visage d'Irvine pâlit quelque peu.
_ Quoi ?
_ Je ne sais pas ce qu'il a, mais il faudrait que tu lui parles. Il n'avait vraiment pas l'air dans son état normal.
_ Où… où est-il allé ?
_ Sûrement au palais, il…
Laguna n'eut pas le temps de terminer sa phrase, les portes de l'ascenseur s'étaient déjà refermées.
_ Tu crois que ça va aller ? Demanda Quistis.
_ Je ne sais pas… Dit-il. je ne sais pas.
A suivre …
