Titre : Blind

Auteur : Aakanee

Genre : Romance

Base : FF8

Blind

Dix-neuvième partie

  Hyman sortit rapidement du bureau, laissant les deux pipelettes à leur jacassant babillage. Il avait à peine franchi les battants qu'un éclair de réalisation le traversa.

  Quelque chose n'allait pas.

  Il ne savait pas quoi, mais il le sentait.

  Quelque chose qui n'aurait pas du être.

  Il comprit soudain et s'élança dans les couloirs aussi vite qu'il le put.

  Ce n'était pas vrai ! Il aurait du le prévoir, il aurait du le savoir ! Il se croyait préparé à tout, mais il avait eu tord et il risquait de le payer cher.

  Pourquoi n'avait-il rien vu venir ?

  Idiot qu'il était !

  Il atteignait les escaliers du premier, prêt à les dévaler d'une traite, lorsque soudain un deuxième choc le stoppa net, lui faisant presque perdre l'équilibre.

  Non !

  Pas… pas ça non plus !

  Ses pupilles se dilatèrent sous l'effroi.

  Ce n'était pas possible. Il lui en voulait tous.

  S'il avait pu être… si seulement, il avait… mais les si ne servait à rien ! Il fallait qu'il agisse, il fallait qu'il choisisse. Et vite.

  Il se mordit la lèvre jusqu'au sang, ferma un instant les yeux et les rouvrit presque aussitôt en espérant ne pas faire le mauvais choix.

  Je te jure mon grand, je te jure que si tu t'avise de me faire ce coup là, je t'achève moi-même !!

  Et sans plus attendre, il se détourna et grimpa quatre à quatre les escaliers qui menaient au second pour courir comme un dératé jusqu'à l'appartement de Zell.

  Il en ouvrit brusquement la porte et se porta rapidement à sa hauteur, s'asseyant sur le lit, pour constater ce qu'il savait déjà. Doucement, il porta une main à son cou.

  J'aurais du le voir venir ! Maintenant je dois…

  Le cours de ses pensées fut stopper par l'intrusion d'Irvine dans la pièce. Il vit le jeune homme se focaliser immédiatement sur son compagnon et son visage se masquer de terreur. Il retira lentement sa main, alors que ce dernier se précipitait sur le lit et saisissait le jeune homme dans ses bras, calant son visage dans sa courte chevelure.

  Il avait rarement vu autant de douleur se refléter sur un visage et soupira doucement.

  _ Irvine…Appela-t-il doucement. Irvine !

  Le jeune homme ne semblait pas l'entendre. Il n'y avait que douleur dans son regard, une telle souffrance, un tel refus. Un regard qui ne pouvait pas lâcher son compagnon, un regard rempli de larmes qui se mirent lentement à rouler sur ses joues blafardes, alors qu'il berçait doucement le corps de Zell.

  Il le vit porter la main à sa peau désormais humide, puis fixer sans comprendre le bout perlé de ses doigts.

  Il semblait être dans un autre monde. Un monde dont il fallait qu'il sorte au plus vite.

  _ Irvine ! Dit-il alors un peu plus fort, posant une main sur son épaule et le secouant doucement, s'attirant enfin l'attention précaire du jeune homme chavirant. Irvine… Zell est…

***

  Combien ?

  Combien d'heures ? Combien de nuits ? Combien… oui, combien de journée enfermé ici, invisible au ciel bleu qui devait parer les premiers jours de cet été ?

  Depuis combien de temps regardait-il ce mince et unique rayon de soleil danser, comme une flamme solitaire, sur le sol pauvre et poussiéreux de sa chambre ? Si fin, si fragile, seul ouverture sur un monde qui ne lui appartenait plus. Sur un monde qu'il ne connaissait plus. Un dernier cadeau, une dernière merveille qui lui échapperait bientôt. Comme tout… toujours. Une vie à fuir, à courir à contre sens de ses rêves dans l'espoir futile de les voir se réaliser.

  Une éternité à se mentir et quand avait-il retiré ?

  Rien.

  Rien sinon tout ce qu'il avait toujours craint.

  La haine, la colère, l'envie de tuer. Des milliers, des millions d'âmes réclamant vengeance et tous ces visages, tournant en ronde folle devant son regard, tous ces visages de sang. Tous ces regards de dégoûts.

  Et combien de nuits, combien de nuits à revivre les mêmes douleurs, les mêmes tortures, toutes ces marques qu'Elle lui avait imposé ? Tellement de cicatrices, aussi bien physiques que mentales.

  Tellement… qu'il ne pouvait plus les compter.

  Douleur d'un hurlement d'agonie, corps consumé sur un bûcher élevé en son honneur pour avoir essayé de la tromper. Douleur d'une vision, le sang d'un crucifié coulant sur son visage, mourant sur ses lèvres, glissant dans sa gorge cherchant une goulée d'air. Douleur d'un acte, son corps ne lui appartenant plus faisant naître milles souffrances à son reflet, à son... Douleur du corps, celle du fouet frappant sa chaire toujours plus fort, celle des ongles labourant son torse, celle des dents arrachant sa peau pour boire son sang. Douleur d'une âme, pour tout ce qu'il avait fait, tout ce qu'il avait dit, tant d'actes, tant de pensées qui n'étaient pas les siennes, carapaces stupides, jeux stupides, tant de choses à regretter.

  Tant de douleur, encore et toujours.

  Jour et nuit.

  A en perdre le sommeil.

  Encore et toujours.

  Trop… trop de choses qu'il voudrait pouvoir oublier, effacer, faire disparaître, tout recommencer et ne pas faire les même erreurs. Enfin apprendre, enfin savoir, enfin connaître la chaleur d'une famille, le sourire d'un ami, la caresse d'un amant. Savoir prononcer ces mots qu'il comprenait à peine, connaissait à peine, toujours désertant ses pensées qui les avaient depuis longtemps rejetés.

  Etre… enfin !

  Mais ces visions s'échappaient, s'envolaient, glissaient entre ses mains coupables, fuyant cette… cette « chose » qui n'y avait pas droit. Monstre, Meurtrier, Assassin… Chevalier.

  Il ne restait que lui alors… ses souvenirs et ses cauchemars.

  Encore et toujours.

  A en perdre la raison.

  Encore et toujours.

  Seul dans son univers, seul coupable et toujours cause de nouvelles souffrances. Celle de ses amis, rejetés, tout comme lui.

  Coupable.

  Encore et toujours.

  Coupable.

  Et pourtant si seul dans cette chambre en cet instant.

  Une chambre.

  Un bien grand mot pour qualifier ce petit espace de béton humide qui lui servait d'abri. Une antre de quelques mètres carrés à peine, glaciale, humide, sordide, avec pour tout meuble un simple matelas de mousse jauni par le temps, recouvert d'une vieille couverture.

  Et cependant…presque un paradis.

  Un paradis perdu.

  Une terre de tranquillité au milieu d'une ville dont il avait connu chaque rue, chaque boutique, mais où il n'avait plus droit de cité. Un havre pour quelques temps à peine, jusqu'à ce que…

  Coupable.

  Encore et toujours.

  Une larme glissant de ses yeux mourant. Fine, troublant un regard déjà voilé, l'empêchant presque de savourer les dernières visions qu'il apprenait à mémoriser, avant…

  Une dernière vengeance.

  Un juste châtiment.

  Comme ce sang frais qu'il pouvait sentir couler le long de sa joue, de son bras, de sa jambe. Incapable pourtant de ressentir la douleur, perdu dans sa contemplation de ce minuscule rayon de soleil. Perdu dans ses pensées.

  Presque un enfant.

  Tellement détaché qu'il prit à peine conscience de la présence à ses côtés, de cette main venant nettoyer ses plaies, de cette voix qui voulait le réconforter.

  Pourquoi ?

  Pourquoi s'obstiner ?

  Pourquoi rester ?

  Des questions qu'il avait milles et milles fois posées, avec toujours pour seule réponse le même énigmatique et chaleureux sourire. Si chaleureux qu'il avait l'impression de si brûler. Quel que soit le visage, il était toujours là, étrangement réconfortant et pourtant toujours plus cruel.

  De nouvelles vies gâchées.

  Il se rendit à peine compte de sa main montant vers ce visage et caressant du bout des doigts le bord du pansement qui en paraît la tempe et cachait sous son voile toute la beauté d'une chevelure de lune.

  Le sourire, quelque peu mélancolique, se fit plus doux encore et la tête se pencha pour venir chercher une caresse. Il laissa pendant un instant ses doigts se fondre dans la masse souple et lisse des cheveux et presque jouer avec quelqu'une de ses mèches avant de la retirer rapidement, effleurant sans le vouloir la peau brûlante.

  Il détourna aussitôt la tête pour fuir un regard qu'il devinait à peine dans la pénombre de son avenir et fermant les yeux, s'allongea doucement sur son pauvre matelas, invitation muette à le laisser.

  Un petit soupire fut pousser avant qu'une main ne vienne tendrement caresser son front et sa joue, pour finalement se retirer et ne laisser derrière elle que la traînée glaciale du manque.

  Il y eut encore un mouvement d'air, puis la porte fut refermée.

  Doucement, il porta sa main à ses lèvres et goûtant le sang étranger qui les paraient, laissa son esprit s'engourdire, sachant que d'ici quelques heures, il lui faudrait partir.

  Le chirurgien grogna doucement et une des infirmières lui essuya rapidement le front.

  _ Pince à clamper et aspiration. Bordel ! Ce truc saigne beaucoup trop vite, je n'y vois rien ! Où sont les autres poches de O NEG ?

  _On ne nous les a pas encore apportées.

  _ Et bien aller les chercher !

  Une des infirmières lança un petit coup d'œil à une de ses collègues qui secoua doucement la tête et elle s'empressa de sortir, enlevant rapidement gants et blouse.

  _ Constantes ?

  _ Pouls 130 et tension à 10/6, saturation en chute à 80.

  _ Préparez un CC de xylocaine et donner moi le fil, je vais suturer l'artère.

  Battu, encore, des coups qui pleuvaient à n'en plus finir, toujours. Différents lieux, différents visages, mais toujours la même envie, le même plaisir, les mêmes mots. Ces mêmes souffrances aux mêmes endroits, ce même sang qu'il répandait encore une fois et qu'ils réclamaient plus encore.

  Pas même un geste pour se défendre. Juste la fatigue et l'attente. L'attente qu'ils en finissent enfin, que cette fois peut-être, ils aient le courage, la force, la sauvagerie d'aller plus loin. Il ne ferait rien pour les contrer et il n'y aurait personne pour les en empêcher. Personne cette fois.

  Il attendait tout simplement, recroquevillé sur lui-même, laissant poings et pieds rebondirent sur son corps, craquer ses os, ouvrir sa peau, acceptant cette souffrance qui le submergeait petit à petit, le menant lentement vers un gouffre d'oubli.

  Mourir.

  Enfin.

  Un mot si doux.

  En finir avec tous ses cauchemars, avec cette vie qui n'en était plus une. Se laisser aller, oublier… à jamais.

  Encore un coup.

  _ Crève ! Enfoiré !

  Et un autre.

  _ Monstre ! Meurtrier !

  Tout ce qu'il méritait. Tout ce qu'il desservait.

  Tellement, qu'il n'avait même plus le courage de les compter, mais pourtant… pourtant pas encore assez.

  Il attendit vainement le choc suivant, sentant presque déjà de nouvelles côtes se craquer et le goût violent du sang remonter dans sa bouche. Il l'attendit avec impatience, presque jubilation, mais il ne vint jamais. Au lieu de quoi, il eut d'autres bruits de luttes, d'autres cris de peine qui ne lui appartenait pas et, au bout de quelques instants, le son caractéristique de pas de fuite qui disparurent peu à peu pour ne laisser place qu'au silence. Un silence qui sembla durer une éternité avant qu'il ne sente une main se poser doucement sur son épaule, le faisait inconsciemment frissonner.

  _ S…?

  Il peina à comprendre que la personne lui avait parlé, ses oreilles bourdonnant de milles sons indistincts, résultat d'un des coups qu'il avait reçus. Il se décida alors à ouvrir son regard déjà au trois quarts voilé, pour ne découvrir qu'un ovale sombre auréolé de lumière, mais qui ne lui était que trop familier.

  « Fujin. »

  Il laissa doucement ses mains l'accompagner et l'aider péniblement à se relever, alors que son corps criait torture. Il vacilla légèrement sur ses jambes étrangement faibles et cette fois-ci entendit distinctement son nom, lorsque déséquilibré, il dut se raccrocher au mur pour ne pas tomber.

  _ SEIFER !

  Aussitôt les bras de son amie furent à nouveau autour de lui et il dut puiser dans toute son énergie pour se dégager et commencer à s'éloigner.

  Pourquoi étaient-ils intervenus ?

  Pourquoi avaient-ils tout gâcher une fois de plus ? Ne comprenaient-ils donc pas qu'il voulait en finir ? Juste que tout se termine enfin.

  Son corps pouvait à peine le porter et chaque pas lui donnait la nausée, pourtant il fallait qu'il s'éloigne. Il ne savait même pas comment ils l'avaient retrouvé. Il avait fui quelques jours plus tôt pour leur rendre leur liberté, pour qu'enfin ils puissent vivre, mais au lieu d'accepter sa décision, ils l'avaient cherché. Cherché et trouvé.

  Pourquoi ?

  Il voulait… il voulait seulement faire une fois dans sa vie quelque chose de bien. Quelque chose d'utile. Cesser d'être un fardeau. Cesser d'être une menace. Offrir à la population ce qu'elle réclamait avec ardeur. Pour une fois, juste une fois, faire ce qu'il fallait.

  Mourir.

  Juste pour une fois.

  Disparaître. Calmer les esprits et les cœurs. Enfin.

  Mais ils ne voulaient pas comprendre, ils ne voulaient pas le laisser. Il en venait presque à les détester, à les haïr de se sacrifier pour lui au lieu de penser à eux. Il ne le méritait pas.

  Il sentit soudain une main se refermer doucement sur son poignet et se dégagea avec violence, repoussant sans ménagement le corps qui lui faisait presque face.

  _ Seifer !

  _ Laissez-moi tranquille !

  _ Seif…

  La main de Fujin l'effleura à nouveau et il se dégagea, venant butter contre le mur. Et toute sa colère éclata soudain, laissant échapper des mots auxquels il ne croyait pas dans l'espoir de les voir partir.

  _ MAIS QUAND COMPRENDREZ-VOUS ?! QUAND COMPRENDREZ-VOUS QUE JE N'AI PAS BESOINS DE VOUS ? MERDE A LA FIN ! J'EN AI MARRE DE VOUS AVOIR SUR LE DOS A PLEURNICHER SANS CESSE ! JE NE VEUX PAS DE VOTRE PITIE ! JE NE VEUX PAS DE VOTRE AMITIE ! LAISSEZ-MOI TRANQUILLE !

  « Partez, partez, je vous en pris, pendant que vous le pouvez encore ! »

  _ VOUS N'ETES QU'UN FARDEAU POUR MOI ! UN BOULET QUE JE ME VOIS FORCE DE TRAINER CHAQUE JOUR ! SI VOUS SAVIEZ SEULEMENT A QUEL POINT JE VOUS HAIS !

  « Je suis désolé… désolé… je… Merci, merci pour tout ce que vous avez fait, mais s'il vous plait, partez ! »

  _ OUI, SI VOUS SAVIEZ A QUEL POINT… !

  Il n'eut pas le loisir d'aller plus loin. Presque avec satisfaction, il sentit le poing de Raijin s'abattre sur son visage pour l'envoyer immédiatement au sol, faisant éclater de nouvelles douleurs dans son corps.

  _ Raijin ! Non !

  Il ne savait pas trop ce que Fujin essayait de faire, perdu dans les limbes de sa douleur et de sa quasi cécité, mais elle n'avait apparemment pas réussi, puisqu'il sentit soudain deux mains puissantes le saisir pour le redresser et le coller violemment contre le mur. Le souffle chaud du cajun glissa immédiatement sur sa peau au rythme effréné de sa respiration et un petit grognement lui échappa.

  _ Que crois-tu donc Seifer ?! Demanda Raijin d'une voix trop calme. Que crois-tu donc ?

  Sans comprendre, il sentit soudain les poignes puissantes de son compagnon se relâcher, avant de se retrouver attirer contre son corps et de le sentir pleurer comme un enfant. Il laissa alors le flot de ses paroles glisser en lui, les acceptant sans savoir pourquoi, resserrant sans s'en rendre compte sa propre étreinte, se raccrochant à lui comme à une bouée. 

  _ Penses-tu… ? Demanda le jeune homme entre deux souffles. Penses-tu vraiment que nous allons te croire ? Penses-tu vraiment que nous allons accepter de te voir mourir sans rien faire ? Quand comprendras-tu enfin que nous tenons à toi ? Quand comprendras-tu enfin que tu mérites de vivre, Seifer ? Quand ?

  Et pour la première fois… pour la première fois depuis que tout avait commencé, il laissa ses propres larmes couler.

  _ Artère suturée ! Et la xylocaine ?

  _ Sans effet, la tension continue à chuter ! 8/5 !

  _ Je ne comprends pas… Injecter lui un nouveau CC et qu'on amène ces poches de sang !

  _ Oui docteur !

  Il eut à peine conscience de la lame pénétrant sa chaire et remontant en arc de cercle pour y laisser sa marque brûlante et sanglante. A nouveau le sang jaillit et sa première idée fut qu'il allait encore une fois devoir changer de vêtements.

  C'était idiot, mais c'était la pensée la plus rationnelle qu'avait pu formuler son esprit, alors qu'il ne comprenait pas ce qu'il se passait.

  Tout ce qu'il savait, c'est que l'instant d'avant il marchait tranquillement dans les rues d'Esthar, seulement accompagné par le vent frais de la nuit et ses deux compagnons, riant comme jamais depuis très longtemps. La soirée avait été calme et agréable et ils avaient pu dîner sans se faire remarquer dans une petite taverne sombre, mais accueillante du quartier sud. Ils étaient exceptionnellement sortis pour fêter une heureuse nouvelle, pour célébrer comme il se fallait la dernière soirée de deux futurs époux. Il aurait tout donné pour pouvoir voir véritablement la joie de leur visage pendant ces quelques heures. Mais au moins, avait-il pu profiter de leur rire.

  Ils étaient en ville depuis quelques jours à peine, après avoir été une nouvelle fois forcés de quitter leur dernier abri devenu trop « populaire » et dangereux. Ils avaient rapidement goûter la tranquillité et l'anonymat de la cité, mais apparemment, ils avaient trop compté sur leur chance et cette erreur les avait entraînés dans un piège dont ils ne sortiraient peut-être pas cette fois.

  Il évita sans trop savoir comment le deuxième coups, malgré la douleur qui irradiait sa poitrine et se retrouva dos à dos avec ce qu'il supposa être Fujin, avant d'être soudain jeté contre un mur.

  Si de jour, ses yeux lui permettaient encore de distinguer des formes et des couleurs, il n'en était pas de même la nuit. Il était complètement perdu, sans aucun repère, ni aucune prise sur la réalité. Tout ce qu'il savait, tout ce qu'il entendait était un bruit de furie et de combat. Le son de la haine, encore une fois.

  Il semblait poussé de toutes parts, sans plus jamais pouvoir dire par qui ou quoi. Tout allait trop vite, trop violemment, une ronde folle qui l'entraînait sans fin dans une spirale de cauchemar. De toute part fusait des paroles, parfois son nom. On le prenait par le poignet, le poussait, le saisissait violemment, toujours plus vite, toujours plus douloureusement.

  Il sentait maintenant chaque coup qui lui était porté, mordant un peu plus sa chaire, mais seule sa première blessure semblait vraiment exister. Il sentait doucement son sang s'en écouler et inonder ses vêtements, lui volant ses derniers soubresauts de conscience.

  Le monde semblait peu à peu disparaître malgré son agitation. La tête lui tournait autant par le choc que par la frénésie qui l'entourait et l'effrayait, incapable de la maîtriser, incapable de l'anticiper. Un vertige plus fort que les autres, le laissa à genou et il se prit le visage entre les mains pour essayer au moins un instant d'échapper à cette réalité.

  Pourquoi maintenant ?

  Etrangement, au milieu de toute cette fureur de haine et de sang dont il était une nouvelle fois la cause, il perçut enfin distinctement un son. Un son qu'il connaissait parfaitement. Et il sut, indéniablement qu'il allait mourir.

  Cette simple pensée sembla le vider de tout ce qui existait autour de lui sauf l'ombre de sa vie qui lui faisait face et il n'eut plus rien à l'esprit, sinon un calme extraordinaire. Plus de colère, plus de joie, même pas une bride de son passé, aucun regret, aucun espoir, juste le canon de l'arme tourné dans sa direction.

  Il laissa lentement ses mains retomber sur le côté et ouvrir son regard aux ténèbres.

  Il perçut le faible cliquetis du percuteur, le frôlement d'un doigt sur la gâchette, le crissement d'une chaussure contre la pierre et enfin la déflagration, assourdissante.

  Il attendit que la balle le touche, mais ce ne fut qu'un jet chaud et poisseux qui atteignit son but, éclaboussant son visage, se répandant sur ses lèvres et dans sa bouche. Un sang qui n'était pas le sien.

  La seule chose dont il prit conscience ensuite fut un cri de douleur comme jamais il n'en avait entendu, un cri qui lui déchira le cœur.

  _ RAIJIIIIIIIIIIIIIN !!!

  Et le monde sembla se dissoudre.

  Kyros regarda nerveusement autour de lui et bougea une fois de plus s'attirant l'attention étonnée et inquiète de Eike. Il passa rapidement une main dans les cheveux de l'enfant pour le rassurer, mais il devait parfaitement sentir sa nervosité grandissante car le geste n'eut pas l'effet escompté.

  Il ne comprenait pas pourquoi il était si tendu. Il y avait quelque chose, un sentiment qu'il n'arrivait pas à définir, comme une alarme résonnant sans cesse dans son esprit. Il avait l'impression que l'air était devenu plus lourd presque irrespirable, pesant sur ses poumons alors qu'une boule se resserrait dans sa gorge.

  Et tout d'un coup, il n'y tint plus. Un fardeau d'une tonne sembla écraser son cœur et il se redressa dans coup sous les regards étonnés de Laguna et Quistis.

  _ Ky… Kyros ? Demanda le président.

  Sans même chercher à répondre, l'ex soldat, confia Eike à son ami, le regard empli de terreur et se détourna pour courir vers le bloc opératoire, sans que personne n'ait le temps de l'en empêcher.

  Hyne… NON !

  Il regarda sans le voir le miroir en face de lui, touchant sa surface lisse, touchant ce visage qui devait lui faire face. Cette chose. Inhumaine.

  Combien de temps avaient-ils dit ? Deux semaines ? Cela lui semblait des années, des millions d'années et pourtant si proche à la fois. Quelques minutes à peine.

  Quelques terribles minutes.

  POURQUOI ?

  Mais il n'y avait rien d'autre que le silence pour lui répondre. Celui de son âme et de son corps, celui d'un homme… non… d'une chose qui n'était plus.

  Et à cette impression de visage se superposait un autre, un autre décor, un autre lieu, plus douloureux encore. Une course folle, à travers les rues de la ville. Une course sans fin dont il ne savait rien sinon le bruit de leur pas sur le pavé et celui de la meute qui les pourchassait. Encore.

  Son souffle roque. La douleur. Cette main sur sa taille, le guidant, le supportant, pourtant tremblante. La souffrance d'un sanglot résonnant dans sa poitrine. L'impression de se réveiller d'un long cauchemar pour se rendre compte qu'il y était toujours. Il ne se souvenait même plus comment ils étaient arrivés là. Tout ce qu'il savait, tout ce qu'il sentait, était le goût cuivré et salé du sang dans sa bouche. Une sensation qui ne pourrait jamais le quitter.

  Raijin…

  C'était de sa faute, de sa faute.

  Encore et toujours.

  Hyne… pourquoi ?Pourquoi avait-il fallu qu'il survive ? Pourquoi avait-il fallu qu'il l'épargne ce jour là ?

  Raijin…

  Il ne méritait pas ça… elle ne méritait pas ça.

  La fatigue.

  Et soudain, un choc, un corps buttant contre le sien et le douloureux contact du sol, avant celui, bien plus tendre, des mains de sa compagne. Il la sentit rapidement essuyer le sang de son front avant de l'embrasser doucement.

  Fujin ?

  Puis ces paroles rapidement prononcées. Cette sentence contre laquelle il ne pouvait aller. Il ne voulait pas la comprendre. Il ne voulait pas.

  « Aidez-le, je vous en supplie ! Ne les laissez pas l'attraper ! Il a assez souffert ! Je vous en pris, aidez-le ! »

  Non !

  Il la sentit se relever et ne put rien faire pour l'empêcher. Il était trop faible. Il aurait voulu lui saisir le poignet, l'arrêter, mais il ne put même pas la supplier de rester.

  Sa main quitta la sienne et il ne resta plus que le froid glacial de la nuit.

  FUJIN ! NON !

  Et plus tard, un unique coup de feu.

  Aussi assourdissant que le bruit du verre se brisant sous ses poings.

  Il en sentit certains morceaux couper ses chaires et s'en même hésiter, insensible aux profondes coupures qui entaillaient sa peau, il se saisit du plus gros.

 « Mon cadeau aux jeunes mariés. »

  _ Docteur ! Il fibrille !

  _ Merde ! Passez-moi une seringue de morphine et préparez le défibrillateur !

  Le chirurgien tendit sa main gantée dans le vide pour se saisir de la seringue, mais rien ne vint.

  _ Infirmière !

  A nouveau aucune réponse.

  Lentement, il se retourna pour voir son équipe faire maintenant face à la porte, les poings crispés, sourd à ses appels. Il allait parler, mais les mots moururent sous ses lèvres quand il comprit ce qu'il se passait. Il eut alors un geste de dégoût et s'entendit siffler :

  _ Aucun de vous ne mérite son poste ! Vous n'êtes pas digne de soigner les gens !

  Derrière lui, un cœur cessa de battre.

***

  _ Irvine, bon dieu ! Zell est vivant ! Réveille-toi ! Il est VIVANT !

  Vi… vivant !

  Le mot glissa doucement en lui et il sentit ses pleurs redoubler d'intensité. Vivant ! Il était vivant ! Vivant ! Hyman lui avait dit, il lui avait dit, ça ne pouvait être que vrai. Non ?

  Il ne l'avait pas encore perdu. Pas encore.

  Sans même savoir ce qu'il faisait, il laissa sa main glisser sur le cou pourtant étrangement froid du jeune homme, jusqu'à sa carotide pour sentir pulser sur sa peau le pouls faible, mais bien présent de son compagnon.

  Vivant.

  _ Hyne, merci ! S'entendit-il sangloter, alors qu'il reportait un peu plus confortablement le poids de Zell contre sa poitrine. Merci !

  _ Irvine. L'appela encore gentiment Hyman. Je suis sûr qu'il t'a entendu, ce qu'il faut maintenant, c'est que nous l'emmenions à l'hôpital le plus vite possible. Tu me comprends ? Il n'est pas encore sauvé.

  Le cow-boy secoua doucement la tête, comprenant parfaitement la situation. Bien sûr, rien n'était encore gagné, mais au moins pour l'instant, y avait-il encore une chance. Il ne l'avait pas encore perdu et c'est tout ce qui comptait.

  _ Bien. Enveloppe-le dans une couverture et prépare-toi à le descendre. Je vais t'attendre en bas avec une voiture.

  _ O… Oui.

  _ Ca va aller ? Demanda le vieil homme devant sa pâleur. Tu vas pouvoir le faire ?

  Irvine secoua doucement la tête, avant de se redresser et commencer à doucement recouvrir son compagnon.

  Satisfait, Hyman le laissa pour filer chercher un moyen de transport.

  Au moins ici, tout allait s'arranger. Restait maintenant un problème beaucoup plus grave.

  Je t'ai prévenu Seifer. Ne me fait pas ça !

***

  Il se nicha confortablement dans le giron offert, savourant les dernières impressions brumeuses de leur acte d'amour, pour en retirer tout le plaisir et toute la volupté.

  Pour la première fois de sa vie, il semblait enfin avoir trouvé sa place, loin de toutes souffrances, goûtant juste le simple bonheur d'être enfin aimé. Il avait le sentiment que son existence prenait enfin un sens.

  Il sentit Kyros s'installer confortablement contre lui et reposer sa tête contre sa chevelure, mêlant ses jambes aux siennes et passant ses deux bras autour de sa taille. Il se laissa alors doucement gagner par la brume du sommeil et calma progressivement son souffle, jusqu'à le laisser s'échapper régulièrement.

  Il sentit soudain une main monter vers son visage et le débarrasser des derniers lambeaux d'un maquillage que la plongée et leur nuit d'amour avaient fait progressivement disparaître. Puis, il la sentit suivre du bout des doigts le délicat sillon tracé dans ses chaires qui partait du milieu du front pour venir mourir sur le haut de sa pommette.

  « Non ! »

  Kyros lui effleura une dernière fois le visage, avant de ramener sa main sur sa taille et l'embrasser tendrement dans le cou.

  Avant de sombrer dans le sommeil, il lui souffla dans un murmure :

  _ Je t'aime… Seifer.

  Un sentiment de terreur effroyable le secoua doucement, le faisant frémir.

  « Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu qu'il sache ? »

  Kyros regarda tout d'abord sans comprendre les visages incrédules tournés vers lui, visiblement surpris de le voir les observer depuis le carreau de la porte de la pièce. Puis, il vit la forme étendue derrière eux, le regard plein de rancœur du médecin et un tracé vert hypnotisant.

  Vert et plat.

  Il prit alors seulement conscience du bruit continu et aigu qu'il pouvait entendre de derrière la porte. Un bruit dont la signification lui glaça le sang.

  Il fixa à nouveau ces visages dont l'expression n'avait pas changé, si ce n'était un sentiment de culpabilité qu'il pouvait lire maintenant dans chaque regard, puis retourna son attention vers le corps inerte et sentit son âme hurler.

  NON !

  Son poing se crispa alors que son corps tout était secoué de tremblements.

  NON !

  _ Non, non, non !

  A nouveau, son regard glissa sur l'équipe médicale.

  _ Vous ne pouvez pas, vous ne pouvez pas ! NON ! SEIFER !

    _ Kyros ? Demanda-t-il faiblement, ouvrant comme par réflexe son regard aveugle.

  Il entendit quelqu'un hoqueter près de lui et le corps qui le supportait sursauter à l'appel de ce nom.

  _Oui, Seifer. C'est moi. Tu n'as plus rien à craindre.

  Ainsi, il n'avait pas rêvé, il était vraiment là..

  _ Kyros…

  _ Chut ! Ne parles pas. On va t'aider, ne te fatigue pas.

  _ Noooon, je…

  Il avait de plus en plus de mal à se focaliser sur la réalité. La souffrance noyait petit à petit son esprit, l'attirant vers un gouffre de ténèbres presque réconfortant. Il était fatigué… tellement fatigué… il voulait juste se laisser aller, mais avant… avant il avait quelque chose à dire à Kyros, qui lui rongeait le cœur depuis son départ. Il fallait qu'il lui dise. Après… après, il pourrait lâcher prise… après…

  _ Kyros ! Souffla-t-il difficilement. Je suis… je suis désolé…

  Oui tellement désolé, pour tout ce qu'il avait fait, pour lui avoir fait croire qu'il pouvait l'aimer, qu'il avait trouvé quelqu'un qui le méritait, alors qu'il n'était… alors qu'il n'était…

  _ Ce n'est pas grave, l'entendit-il répondre. Je ne t'en veux pas… je ne t'en veux pas. Ne dit plus rien maintenant, garde tes forces.

  Mais il ne l'écouta pas.

  _ Je suis désolé… je… je voulais juste te dire… juste te dire… que je t'aime…

  Non, ce n'est… ce… Hyne… il ne voulait pas le faire souffrir lui aussi, pourquoi lui avait-il dit ? Il ne pouvait pas l'aimer. Pas après tout ce qu'il avait fait. Tout ce dont il était responsable. C'était impossible. Il ne le méritait pas. Il n'était qu'un monstre. Juste un monstre.

  Et pourtant.

  _ Moi aussi… moi aussi, je t'aime, mais reste avec moi, ok ? Reste juste avec moi.

  Et doucement, il le sentit se pencher pour lui effleurer les lèvres.

  Kyros...

  _ Docteur…

  _ Quoi ? Demanda le médecin d'un ton fatigué et blessé, les yeux rivés au sol, incapable de soutenir l'intensité du regard de l'homme debout derrière la vitre.

  _ Il… il pleure.

  Le chirurgien releva la tête pour dévisager Kyros, effondré.

  _ Pas… pas lui ! Entendit-il l'infirmière murmurer.

  _ Quoi ?

  Le chirurgien se retourna pour voir une unique larme dévaler les joues pâles de Seifer et sur le moniteur derrière lui, la courbe se remettre soudain à onduler rapidement, accompagnée d'un léger bip sonore.

***

  Squall observa du coin de l'œil Selphie, Linoa et Ward discuter avec les journalistes qui leur avaient sautés dessus dès qu'ils avaient mis les pieds sur le parking pour leur poser des questions sur le « sauvetage » du chevalier de la sorcière. Il renifla de dédain devant une telle débauche de flash et de micros, écœuré par tant de complaisance et se félicita d'avoir pu y échapper.

  Une colère sourde bouillonnait toujours en lui qu'il avait du mal à maîtriser malgré son apparente froideur et s'il n'avait pas vu en ça un acte de couardise, il serrait aller à l'instant même achever Seifer du bout de sa gunblade. Mais il savait qu'il lui faudrait au moins attendre qu'il sorte de l'hôpital et là, plus rien ne pourrait le sauver. Ni Kyros, ni son père. Et enfin, il serait venger.

  Il vit soudain, du coin de l'œil, une silhouette approcher et faillit se redresser pour s'échapper, pensant un instant qu'il s'agissait une nouvelle fois d'un journaliste, mais quelque chose dans son attitude le fit stopper.

  L'homme s'approcha rapidement et ôta les lunettes de soleil qui couvraient ses yeux.

  _ Monsieur Leonhart ?

  _ Hn ?

  _ Je viens de la part d'un « ami » commun. Il aurait une proposition à vous faire. Une proposition qui, je suis sûr, ne pourra que vous intéresser.

A suivre…

TERMINE !!! Creuvée, j'en peux plus, vidée !! Vache il était long ce chapitre !!! Alors, content(e)s, j'ai sauvé Zell, j'ai sauvé Seifer et en plus je me remets un peu dans l'action !!! Franchement que demander de plus ?!? A part peut-être que j'arrête d'écrire des trucs aussi flonflon ! ^^

Comme d'hab, commentaires bienvenus ^______^