5- Pluies
Décembre et Noël approchaient déjà à grands pas, mais contrairement aux années précédentes la pluie ne cédait toujours pas sa place à la neige. Obstinément présente, elle avait fait augmenter le volume du lac et il s'étendait généreusement dans le parc. Les professeurs les plus philosophes se révélèrent alors: ils rappelaient que même pour des grands sorciers, les forces naturels étaient incontrôlables et qu'on ne devait jamais se vanter de pouvoir les dominer.
Ginny prenait souvent part à cette réflexion - cette histoire de domination de la pluie sur l'homme, moldu ou sorcier- ce qui diminuait considérablement son temps de pensée au sujet de ses malaises devenus de plus en plus fréquents, et parfois même plutôt alarmants. Elle perdait subitement conscience pour être toute la journée dans du coton, ou avait soudainement un accès de fièvre; tout ceci avec cette hantise du déjà vu. Elle était certaine d'avoir déjà ressenti tout ça, mais où, et quand, et pourquoi, et pourquoi le sort s'acharnait-il sur elle de cette façon? Chaque élève qui la croisait dans les couloirs, ses camarades de classes, tous lui jetaient des regards perturbés, aussi perturbés que ceux qu'elle se jetait à elle même. Son état de santé lui faisait peur, et une voix lui murmurait que ses jours étaient comptés. Ses nuits étaient envahies de cauchemars et ses camardes de cinquième année avaient tout essayé pour la faire se sentir mieux. Madame Pomfresh elle-même se sentait désemparée face à ce cas. Ginny n'en menait pas large.
Bien sûr, Harry, Ron et Hermione étaient au courant, ainsi que sa famille. Sa mère était même venue la voir un après-midi, morte d'inquiétude à l'arrivée comme au départ. Ginny lui avait assuré tant bien que mal qu'elle se sentait déjà mieux après l'avoir vue. Mais chaque vertige était pour elle une nouvelle occasion de paniquer - elle ne voulait pas mourir. Pas maintenant. Pas si jeune.
Même si certains la qualifiaient déjà de mourante, elle comptait sur ce qui lui restait de temps à vivre pour vivre, et voulait aussi sortir pour aller voir Hagrid de temps en temps. Quelqu'un devait obligatoirement l'accompagner. Et bien emmitouflée et la plus positive possible, elle allait le voir ce dimanche-là au lieu d'aller à Pré-au-lard avec ses amies, car elle n'avait pas non plus le droit de sortir de Poudlard, en tout cas pour l'instant. Ce dimanche était ensoleillé et le soleil dissimulé derrière un voile de brume lui rappelait la couleur attirante de la crinière de l'Archeval, qu'elle espérait revoir encore, même si elle devait redevenir transparente. Elle voulait le consoler pour que de ses yeux arrête de couler du sang...
Il n'y avait pratiquement personne à Poudlard pour l'accompagner et elle allait demander à un professeur l'autorisation d'y aller seule quand Ginny croisa une élève sur le chemin du bureau de MacGonagall. Le liseré vert du bas de sa robe lui apprit qu'elle venait de Serpentard, et elle reconnut sans peine son visage - Pansy Parkinson.
Ginny trembla légèrement mais regarda la collègue de son grand frère avec les mêmes yeux que pour regarder Draco. Elle ne savait rien sur elle et ne devait pas se fier à tout ce que l'on disait d'elle.
Le temps de délibérer avec elle-même, Pansy avait déjà frappé à la porte du bureau de sa directrice de maison. Ginny la suivit de loin.
"Ah, Miss Parkinson, vous voici pour votre retenue..." Une retenue, donc. Mac Gonagall s'aperçut alors de la présence de Ginny, qui arrivait à point nommé. "Miss Weasley, je suppose que vous voulez sortir?"
Pansy se retourna et dévisagea la jeune rousse.
"Oui, madame. Mais il n'y a personne pour m'accompagner. Puis-je y aller seule?"
"Hors de question. Miss Parkinson, voici votre retenue: vous allez rester avec Ginny Weasley cet après midi. Je vous rassure, elle n'est pas contagieuse. Bonne journée."
Sur ce, elle réintégra son bureau, laissant là les deux jeunes filles qui se toisaient mutuellement. Pansy était bien plus grande que Ginny et semblait plus sûre d'elle. Mais elle se remit de sa stupéfaction la première.
"Puisque c'est une retenue... viens avec moi."
Elle se mit à marcher d'un pas rapide.
"Hé, où tu vas?"
"Chercher ma cape. Il fait froid dehors."
Ginny la suivit jusqu'à l'entrée de la salle commune de Serpentard, et attendit patiemment qu'elle en sorte avec sa cape noire. L'hostilité entre les deux filles était présente mais semblait s'effacer peu à peu.
"Que je sois claire,", la prévint Pansy quand elles franchirent les grandes portes pour se retrouver dans la partie non inondée du parc. "Je te chaperonne aujourd'hui, mais c'est une retenue pour moi. Alors ne me cherche pas d'ennuis."
"Et pourquoi je te chercherais des ennuis?" reprit Ginny. Pansy parut étonnée par la stupidité d'une telle question.
"Parce que tu es une Gryffondor!"
"C'est idiot."
"C'est idiot de ne se considérer comme ennemis?"
"Bien sûr! Nous sommes en crise! Tu-sais-qui est quelque part, en liberté, et nous nous disputons pour une maison? Nous ferions mieux d'être tous unis."
Ses mots avaient eu de l'impact sur Pansy.
"C'est ce que tu as dit à Draco, n'est-ce pas?" demanda t-elle soudainement en baissant les yeux. Ginny sentit son rythme cardiaque accélérer, et rougit de surprise.
"Pourquoi tu me poses cette question?"
"Je l'ai vu avec toi. Et il a changé. Depuis cette année. On a toujours été amis. Mais on dirait qu'il met de l'espace entre lui et nous, le reste de Serpentard. On dirait que quelque chose lui est arrivé cet été. Mais je n'ai pas réussi à savoir quoi. Je crois qu'il ne me fait plus confiance." Pansy mit soudain sa main sur sa bouche, puis se rappela à l'ordre. "Mais pourquoi je te raconte tout ça? C'est peut-être à cause de toi qu'il a changé! Qu'est-ce que tu lui as fait?" Elle secoua les épaules de la pauvre petite Ginny.
"Je ne lui ai rien fait, lâche moi!" cria t-elle en se dégageant elle-même. "Premièrement, tu me racontes tout ça parce que tu as le sentiment que je peux t'écouter, n'est-ce pas? Et ensuite, ce n'est pas à cause de moi qu'il a changé parce que je ne lui ai rien dit qui aurait pu avoir de telles conséquences!"
Pansy avait l'air stupéfaite, mais se ressaisit et glissa quelques mèches brunes derrière son oreille.
"Pardon, je ne voulais pas crier comme ça." s'excusa Ginny. Pansy ne répondit pas et elles continuèrent à marcher en silence. Finalement, Pansy n'était pas aussi horrible que Ron le prétendait, quand on la sortait de son groupe de Serpentard. Son caractère était peut-être un peu trop spontané et... inflammable. Et d'après ses yeux, Ginny pouvait affirmer que l'amitié de Draco était précieuse pour elle.
"Tu aimes le thé?" hasarda enfin Ginny.
"Bien sûr, pourquoi?"
"Je sais que tu penses qu'il n'est qu'un domestique géant qui se saoule de temps en temps, mais Hagrid fait du très bon thé. Et il est très gentil."
"Et tu aimerais aller le voir."
"Bien vu."
"Les Serpentard ne sont pas si faibles d'esprits."
Elle n'avait pas dit si elle voulait y aller ou pas.
"Je dois vraiment être partout avec toi?"
Ginny haussa les épaules. "Les professeurs ont toujours peur que je ne m'évanouisse à chaque seconde..."
"Écoute, Weasley. Je t'y accompagne," dit-elle en montrant la cabane du garde-chasse que l'eau avait heureusement épargnée, "et je reviens te chercher dans une heure. D'accord?"
"D'accord."
Elles n'échangèrent plus un mot, à part un 'à tout à l'heure' de Ginny devant le seuil de la maison de Hagrid. Pansy ne lui répondit pas et s'éloigna à grands pas. Ginny haussa les épaules et frappa à la porte. Hagrid lui ouvrit sans tarder.
"Bonjour Ginny! Comment- Mais tu es seule? Je t'avais dit de ne jamais venir seule!"
"Je ne suis pas seule, Pansy était avec moi, mais elle va revenir me chercher!"
"Pansy? Comme dans Pansy Parkinson?" dit-il en fronçant les sourcils. Ginny fit oui de la tête et entra.
"Tu ne devrais pas traîner avec des Serpentards," affirma Hagrid en lui servant une tasse de thé. "Ces gens-là ne sont pas fréquentables."
Ginny fit un nouveau mouvement d'épaules.
"Elle ne m'a rien fait de mal. On a juste discuté un peu."
"J'espère qu'elle ne t'a rien dit de mauvais..."
"Mais non! Hagrid, je suis assez grande pour ne pas me laisser influencer de cette façon!"
Mais il ne prêtait pas attention à ce qu'elle disait.
"Les Serpentards sont tous de la mauvaise graine. Surtout ce Malfoy- et je les comprends! Ce garçon est une véritable calamité... D'ailleurs son père t'a donné ce maudit journal..."
"C'était son père. Ce n'était pas lui."
Il y avait de la franchise et de l'égoïsme dans sa voix. Draco lui-même avait fait beaucoup de tort à Hagrid en tant que professeur ou garde-chasse, ainsi qu'à Harry, Hermione et tous ses frères. Mais elle ne pouvait s'empêcher de prendre sa défense, comme si elle, elle le connaissait mieux que les autres.
Hagrid semblait ébahi et blessé.
"Ce que je veux dire, c'est que je ne le connais pas. Je ne veux pas le juger par ce qu'en pensent les autres."
"Tu as trop de cœur, et il te perdra. Fais attention à tes fréquentations."
Ginny acquiesça de la tête, mais décida qu'elle ferait ce qu'elle voulait de ses fréquentations, Serpentard ou pas. Elle voulait simplement diriger sa vie comme elle l'entendait, ne pouvait-elle pas ne pas être une copie conforme de ses frères? Ne pas être comme eux? Ne pas penser comme eux?
La pluie se mit à marteler les fenêtres de la cabane, alors que jusqu'à présent le soleil dominait la situation. Hagrid se leva en sursaut, tout comme Ginny.
"Il faut que je rentre!"
"Il faut que je protège mes scroutts à pétard de la pluie!"
Ginny enfilait sa cape.
"Il faut aussi que je te raccompagne."
"Mais non, Pansy m'attend dehors. Allez chercher vos Scroutts à pétard, je rentrerai saine et sauve avec elle!"
Hagrid n'hésita plus et sortit par la porte de derrière, et Ginny par celle de devant. Le temps s'était beaucoup obscurcit et Pansy n'était nulle part. Ginny, après l'avoir vainement appelée, se rendit seule sur le chemin qui la ramenait à Poudlard, priant pour qu'aucun vertige ne la prenne à ce moment précis. La pluie fouettait son visage et les ténèbres grandissants ne la rassuraient pas. Et elle se sentait de plus en plus mal à l'aise. Jamais elle n'avait autant souhaité quelque chose... Dans sa peur grandissante chaque seconde, elle sentit son ventre se contracter.
Ginny voulut courir mais n'en trouva pas la force. Elle s'arrêta même de marcher pour se rendre compte que le destin jouait avec elle. Les arbres étaient déjà flous et bougeaient en une étrange danse sous ses yeux... Ginny s'écroula au sol, avec le seul sentiment qu'elle n'allait jamais se relever. Malgré sa faiblesse, la peur et la panique, elle ne perdit pas conscience et se recroquevilla dans la boue glacée.
'Tenir... tenir...'
Elle devait tenir jusqu'à ce que son malaise passe. Elle devait tenir pour garder un peu d'énergie vitale qui lui était si avidement retirée. Elle devait tenir pour rester en vie.
'Tenir... tenir...'
Mais sa torpeur était plus grande que jamais, et elle pleurait maintenant à chaudes larmes. Même crier au secours lui était trop dur. Ses doigts ne pouvaient même plus se crisper.
'Je ne vais pas... mourir...'
Et pourtant la situation lui semblait désespérée. La chaleur de son corps la quittait, et elle était secouée de trop grands frissons.
'Je ne veux pas... mourir...'
C'est alors qu'une main saisit sa hanche et la retourna dos contre terre. Étourdie par le mouvement soudain, Ginny s'en trouva légèrement plus réveillée, et ses doigts se resserrèrent légèrement. Quelqu'un était là. Pour la sauver. Son cerveau était trop embrumé pour tenter de deviner qui était là. Elle se laissa manipuler, sans s'inquiéter si la personne présente lui voulait du bien ou du mal.. Trop endolorie pour montrer le moindre mouvement de résistance, elle sentit seulement un bras glisser sous sa poitrine et un autre sous ses genoux, et comprit qu'on la ramenait. Elle se sentit soudainement légère, et pensa ne plus être attaché à son corps, sauf par la chaleur que l'homme qui la portait lui procurait. La tête calée contre la poitrine de son sauveur, Ginny ne baissa pourtant pas les bras dans cette lutte pour sa conscience. Elle sentit qu'on était entré dans Poudlard quand la pluie cessa de glacer son visage. Quelque chose fit une étincelle dans son âme et elle voulu savoir qui l'avait secourue. L'effort d'ouvrir ses yeux lui coûta ses ultimes forces, mais elle fut nettement récompensée. Elle trouva le temps, dans une fraction de seconde, de voir des cheveux blonds ruisselants et des traits familiers.
Ginny referma les paupières et ses dernières force l'abandonnèrent au creux des bras de Draco Malfoy.
