« Les Deux Joyaux de l'Impératrice »

Lordess Ananda Teenorag


Titre : « Les Deux Joyaux de l'Impératrice »

Auteur : Lordess Ananda Teenorag

Série : Fire Emblem Three Houses

Genre : Semi Alternate Universe – Romance, Adventure.

Résumé : Onyx et Opale. Les Deux Joyaux de l'Impératrice, Ombre et Soleil d'une Adestria convoitée. La danse des Ténèbres et de la Lumière, au cœur d'un Empire menacé.

Personnages centraux : Hubert Von Vestra et Ferdinand Von Aegir

Personnages principaux : Edelgard Von Hresvelg et la maison des Aigles de Jais

Soutiens / pairings : Hubert Von Vestra x Ferdinand Von Aegir A+/S

Autres : Edelgard Von Hresvelg x Byleth Eisner S (femme), Hubert Von Vestra x Edelgard Von Hresvelg A.


Note : La suite de Les Deux Moitiés de l'Impératrice.


Ombre naissante : Le Secret de l'Onyx


Empire d'Adestria, palais impérial.

Quartiers du Chancelier.

Soirée avancée.


Boum. Boum. Boum.

Coups de poings. Coups de pieds. Martelant le bois. Argh. A ce rythme, il faudrait prévoir un nouveau budget pour l'architecture du palais. Heureusement qu'il avait installé des runes magiques de renforcement, sinon, exit les quartiers du Premier Ministre…

« Hubert, si vous n'ouvrez pas cette porte sur-le-champ… je ne répondrai plus de l'esthétique du mobilier ! »

Derrière la structure massive menant à la chambre de son compagnon, le Funeste se massa les tempes.

« Facilitez-vous la tâche, Premier Ministre. Cessez de résister, tout sera fini plus vite ainsi. »

« Cela marche peut-être avec vos cibles, mais pas avec moi. »

Être Ministre de la Maison Impériale était taxant pour la santé. Mener à bien les plans de sa maîtresse (Dame Edelgard pouvait être très intrusive sur ses manœuvres), superviser le travail de ses subordonnés (Lindhart battait le record de rapports en retard), organiser la sécurité de la garde (Caspar avait embarrassé plus d'une personne lors de ses patrouilles), prévoir la logistique pour accueillir leurs invités (Petra se trompait fréquemment dans ses requêtes et Bernadetta n'arrivait tout simplement pas à lui demander quelque chose)… ce n'était guère une sinécure. Mais tenir cette fonction, tout en étant le compagnon du Chancelier, était… mille fois pire.

« Pourquoi êtes-vous aussi têtu, Ferdinand ? »

Une voix outrée résonna de l'autre côté de la porte.

« Têtu ?! De quel diable vous moquez-vous, Hubert ?! C'est vous qui m'avez confiné dans mes quartiers ! Et sous quel prétexte ? »

Le sombre ministre sentait sa patience fondre comme neige au soleil. Et sa voix s'élever, en dépit du bon sens.

« Cela ne serait pas arrivé si vous aviez suivi mes consignes, lors de la représentation donnée en l'honneur des Ambassadeurs d'Almyra ! »

« Pour l'amour du ciel ! Je ne pouvais pas savoir que les Almyrois appréciaient à ce point les danseurs ! Oui, je le reconnais, je n'aurais peut-être pas dû appliquer le conseil de Sylvain, concernant le… euh, comment cela s'appelle-t-il, déjà ? Le… strip-tease ? Mais comme c'est un artiste de premier ordre, je m'étais dit que cela ne poserait pas de problème. »

Argh. Il le savait. Il n'aurait pas dû laisser Ferdinand avec Sylvain Jose Gautier, lors du Festival de la Paix. Tsss. Un envoi de poison serait à programmer. De préférence une substance très douloureuse, sans être létale, pour ne pas causer de nouvelle guerre. Enfin, si l'abruti pouvait souffrir le martyre, ce serait quand même une bonne chose. En attendant… il lui faudrait supporter les récriminations de son compagnon.

« Les spectateurs ont tenté de vous enlever. » énonça sinistrement l'Ombre d'Adestria. « Et auraient réussi, sans l'intervention de mon escouade de mages. »

« Ont tenté, comme vous l'avez vous-même formulé… et échoué. De plus, nous avons atteint notre objectif de nouer de bonnes… euh, relations avec cette contrée. Bon, j'aurais préféré ne pas sentir leurs mains sur mon corps, mais au moins, cela n'aura pas été vain. »

L'image honnie se projeta dans son esprit. Ces misérables, qui avaient osé toucher celui qu'il aimait. Oser désirer ce qui était sien. Alors qu'il était le seul à pouvoir, à avoir le droit de… le sombre mage secoua la tête, tentant de se reprendre. Pesait sur lui cette malédiction, celle d'un cœur… qu'il n'aurait jamais dû posséder. Un sentiment effroyable le traversa.

« Ferdinand. » siffla-t-il, dévoré par la rage. « Êtes-vous inconscient… stupide… ou les deux à la fois ?! »

« Ni l'un, ni l'autre. J'ai simplement confiance en vous. Vous avez toujours su protéger mes arrières. Vous l'avez encore fait cette fois-là, et, vous le ferez encore, je le sais. »

Et voilà. Voilà. Pourquoi fallait-il… que l'éclatante Lumière d'Adestria fût tellement… elle-même ? Hubert était lucide. Si être tombé amoureux de Ferdinand Von Aegir avait été sa première erreur, la deuxième avait été de ne pas s'arracher le cœur (en supposant qu'il en eût un). Il se passa la main sur le front, fermant les yeux dans un murmure.

« Ferdinand. Contrairement à ce que vous semblez penser… je ne suis pas infaillible. Le lien qui m'unit à vous… est à la fois une de mes plus grandes joies et une de mes plus grandes faiblesses. S'il devait vous arriver quelque chose… »

« Il ne m'arrivera rien. Tant que vous serez là. »

Ô Lumière d'Adestria, qu'ai-je donc fait pour mériter ta confiance, aveugle et déterminée ? Ton aveuglant éclat force mes propres sentiments, mais je ne peux laisser mon obscurité te dévorer.

'Si seulement vous saviez, Ferdinand. Ce que j'ai dû abandonner, pour protéger votre sourire. Ce que j'ai trahi, pour rester près de vous.'

Mais il ne pouvait permettre aux Ténèbres véritables de dévorer l'astre de ce terrestre empire. Il ne le pouvait.

« Je ne peux prendre aucun risque vous concernant, Premier Ministre. Après tout, vous êtes nécessaire à Sa Majesté Edelgard et à l'Empire. » reprit le mage noir, d'un ton neutre.

Qu'il voulait neutre.

« Hubert ! »

« Restez là quelque temps. Ce sera l'affaire de quelques semaines, tout au plus. Je vous promets que tout sera réglé dès que vous sortirez. »

Un coup de poing ébranla la porte.

« Soyez maudit, Hubert ! »

Un sourire froid étira les lèvres de l'homme qui habitait les ténèbres.

'Je le suis déjà, Ferdinand. Je le suis déjà. J'ai vendu les secrets de mon âme à un diable… pour votre seul bien-être. Mais vous n'avez pas besoin de le savoir.'

« Bonne soirée, Ferdinand. »

Les coups retentissaient encore et encore, alors qu'il tournait talon pour revenir aux ténèbres. Dans le recoin d'un couloir, une silhouette nimbée de vert se dessina dans son champ de vision.

« Ah, c'est animé, à ce que je vois. »

« Lindhart. En savons-nous plus sur le pouvoir des danseurs ? »

Le jeune prêtre bâilla longuement, avant de rétorquer d'un ton ennuyé.

« Bonsoir à vous aussi, Hubert. Pas plus que la dernière fois que vous me l'avez demandé, il y a de cela exactement une heure, trente-quatre minutes et trois secondes. Oh, dois-je mentionner que c'est la neuvième fois que vous me posez la question en deux jours ? »

« Si vous activiez un peu plus vos neurones, les résultats seraient effectifs. Et je n'aurais pas à poser la même question plusieurs fois. »

« Vous êtes encore plus acerbe que d'habitude. Et c'est dire, vous concernant. Je sais que vous êtes inquiet pour Ferdinand, mais je doute que cet état d'esprit soit bénéfique. »

Enervé par la répartie de son interlocuteur, le Ministre de la Maison Impériale fit les cent pas, comme s'il essayait de se souvenir d'une chose importante.

« Avez-vous terminé l'examen médical des résidents du palais ? » reprit-il.

« Oui. Sauf le vôtre, Hubert. Et si le guérisseur devait donner son avis, vous devriez modérer votre consommation de café et augmenter votre quota de somm-… »

« C'est tout ce que j'ai besoin de savoir. Au revoir. Et je veux le rapport sur la situation sanitaire de l'Empire ce soir sans faute. »

Alors qu'il se préparait à regagner son bureau, le jeune chercheur l'arrêta en se plaçant sur son chemin. Surpris, le Funeste haussa un sourcil. Lindhart l'Indolent ne faisait quasiment jamais preuve d'une telle détermination. Cela lui demandait trop d'énergie.

« Hubert, pensez-vous que… ce soit une bonne idée d'enfermer Ferdinand dans ses quartiers ? Je sais qu'il est, euh… difficile à canaliser… mais un être comme lui est fait pour aller et venir librement, auprès de ses pairs. »

« Si vous avez une autre idée pour assurer sa sécurité, suggérez-la-moi sur-le-champ. Je me ferai un plaisir de démontrer son inadéquation. »

L'irritation le gagnait, augmentant à chaque seconde. Tout s'obstinait à le contrarier. Lindhart avait raison, il était bien plus à cran que d'habitude. Le jeune guérisseur soupira.

« Vous pourriez, je ne sais pas… trouver un compromis entre sa sécurité et sa liberté ? En… discutant, par exemple ? »

Le Ministre de la Maison Impériale s'arrêta de marcher, pour le regarder droit dans les yeux. Puis éclata d'un rire sardonique.

« Discuter, avec Ferdinand Von Aegir ?! »

« Ah, j'oubliais que vous vous appeliez Hubert Von Vestra, et, que vous deux étiez incapables de discuter plus de cinq minutes ensemble sans vous écharper. L'on aurait pu penser que le fait d'être tombés amoureux l'un de l'autre aurait modifié cet état de fait. Mais il faut croire que certaines choses ne changent jamais. »

« Bien. Puisque vous saisissez la situation… puis-je passer ? J'ai du travail qui m'attend. »

Avec une rare obstination, l'Indolent continuait à argumenter, entre deux bâillements.

« Vous savez qu'un être normalement constitué n'enferme pas son compagnon, même pour assurer sa sécurité ? »

Un sourcil se haussa de nouveau sur le visage du Funeste, qui arborait une mine sinistre.

« Lindhart Von Hevring. Ai-je l'air d'un… être normalement constitué, à vos yeux ? »

« Depuis que vous sortez avec lui, beaucoup plus, oui. »

Etait-ce sa malédiction, d'être sorti des tréfonds de l'ombre, où la solitude s'évanouissait au contact des vivants ? D'être entouré d'êtres intelligents et entêtés qui s'obstinaient à contrarier ses plans ? D'être entouré… d'amis véritables ?

'Ferdinand. Vous êtes bien plus qu'un ami, pour moi. Je ne sais quand ni comment cela est arrivé, mais je me dois de protéger ce qui nous lie. Ici, maintenant, et… quoi qu'il m'en coûte.'

« Hubert ! N'oubliez pas qu'il est important d'échanger, dans toute relation ! Certes, cela est fatigant, mais si même moi je sais cela… vous pouvez le faire ! »

Mais il lui fallait accomplir sa tâche, quoi qu'il advînt.


Retour dans le passé.

Salle de l'opéra Mittelfrank.

Début de soirée.


Pourtant, la rencontre avait si bien commencé.

Charmant et rayonnant, Ferdinand Von Aegir recevait les ambassadeurs d'Almyra, dans le somptueux édifice d'Enbarr destiné aux arts. Oh, artiste, il l'était, cet étonnant homme. La Lumière d'Adestria étincelait tant sur la scène, que les yeux posés sur elle se teintaient d'une lueur digne des rapaces de l'ombre. Si le Chancelier de l'Empire était l'hôte parfait, le Grandiloquent était le charmeur des sens et de l'émotion. Et cela éveillait, chez l'Ombre qu'il était, un sentiment plus obscur même que sa nature.

« Hubert, cessez de fusiller du regard toutes les personnes qui parlent à Ferdinand. Ce n'est pas parce que vous êtes compagnons, que vous devez menacer l'intégrité de chacun de ses interlocuteurs. »

Naturellement, rien n'échappait à sa maîtresse, Edelgard Von Hresvelg. Le fléau qu'était d'être liés depuis si longtemps, en dépit de son tempérament secret.

« Je ne les fusille pas du regard, Votre Majesté. Je m'assure qu'ils restent à une distance respectable. »

« Une distance respectable équivalente à trois mètres ? »

Touché. Depuis qu'il connaissait Ferdinand, le pouvoir de sa dame – celui de lire en lui – semblait s'être amplifié. La malédiction d'avoir été touché par la Lumière se traduisait par ces émotions, excessives, qui débordaient à la vue d'autrui.

« Vous ne nierez pas… » objecta-t-il. « …que la danseuse de la troupe almyroise se colle un peu trop à lui. »

« Certes, certes. Mais ce n'est pas une raison pour poser la main sur le poignard masqué dans votre robe. »

« Et le chef des armées ne cesse de le regarder de façon insistante. »

« Il ne l'a pas touché… pas encore, du moins. Je pense qu'il n'ose pas, depuis qu'on raconte que vous avez menacé des pires souffrances le dernier malheureux qui a tenté de poser les mains sur votre compagnon. »

Ce souvenir – horrible – le fit grimacer.

« Rumeurs, rumeurs. » siffla-t-il. « Ce n'est pas ma faute si cet imbécile a cru avoir le droit de toucher Ferdinand… à cet endroit. Ou même ailleurs, à mon sens. »

« Je sais votre amour pour lui, mais veuillez éviter de nourrir les racontars de manière excessive. Ce serait dommageable pour l'Empire si l'on considérait le Ministre de la Maison Impériale comme un homme jaloux et possessif. Encore que… cela vous rendrait plus humain aux yeux du peuple, d'une certaine façon. »

Il fixa son regard dans les yeux de sa maîtresse. Le vert pâle – fixe – de son âme ne cillait pas d'un millimètre.

« C'est ce que je suis, Dame Edelgard. Un homme jaloux et possessif. »

Existait-il des mots plus fidèles à la vérité que ceux qu'il venait de prononcer ? Certainement non. C'était, en tout cas, ceux les plus proches de ce qu'il ressentait. De ce cœur qu'il n'était point censé posséder.

« Pourquoi ne vous tenez-vous point à ses côtés, Hubert ? »

« … »

Ma nature… n'est pas la vôtre, mes amis.

Mon secret… ne m'appartient plus, mes aimés.

Je n'ai pas le droit de souiller… ce qui est humain.

Le Funeste promena son regard sur la Lumière de son cœur – de ce cœur qu'il n'aurait jamais dû posséder.

Ma nature n'a jamais été la vôtre.

« Oh, très bien, Hubert ! » s'exclama sa supérieure, excédée. « Murez-vous dans le silence, si c'est ce que vous souhaitez. Mais si j'entends encore nos invités murmurer que l'un d'entre eux a été menacé ou empoisonné – même légèrement – pour avoir regardé le Premier Ministre, je serais contrainte de prendre des mesures drastiques. »

Oh-ho. Lorsque sa dame prenait ce ton – incisif, mâtiné d'une pointe d'irritation, c'était qu'un moment déplaisant s'annonçait.

« Comme… ? » s'enquit-il, s'attendant au pire.

« Vous priver de l'organisation de mon mariage avec la Professeure. »

Le sombre ministre sentit son sang se glacer dans ses veines.

« Vous… n'oseriez pas, Votre Majesté ?! »

L'éclat violine fixe de l'actuelle Impératrice d'Adestria le cloua sur place. Comme il s'en doutait, elle ne plaisantait pas.

« Ne me tentez pas, Hubert Von Vestra. »

Argh. C'était un argument imparable. Un danger tangible. (Pourquoi, pourquoi les personnes qui l'entouraient devenaient de plus en plus adeptes de chantage, au fur et à mesure que le temps passait ?)

« Personne ne pourrait l'organiser aussi bien que moi, Dame Edelgard. » tenta-t-il, d'un air docte.

« A part moi-même. »

Grrr. Cette stratégie ressemblait un peu trop aux siennes, pour être contrée. Il grimaça, en proie au déplaisir. A son tour, la jeune femme soupira.

« Hubert… je ne veux pas user de mon autorité, pas contre vous. Vous êtes mon ami avant d'être mon subordonné. Alors, soyez raisonnable et modérez vos pulsions, même si je sais que c'est chose difficile pour vous, quand il s'agit de Ferdinand. »

Modérer ses pulsions ? Modérer ses pulsions ? Lui, l'Ombre qui ne vivait que pour servir la cause de sa maîtresse, qui avait abandonné sa propre personne pour un idéal autre que le sien, devait…

modérer ses pulsions ?

« Dame Edelgard… je n'avais pas ce problème, auparavant. » murmura-t-il, désabusé.

Un sourire – d'une inhabituelle douceur – lui fut adressé. (Etait-ce, comme jadis, les moments passés avec son amie d'enfance ? Le secret de la princesse qu'il avait juré de servir ?)

« C'est parce que vous n'étiez pas amoureux, jadis. »

Cette vérité le frappa en plein cœur (il en possédait donc un !). Amoureux, voilà ce qu'il était. Ce qu'il était devenu.

« Pourquoi a-t-il fallu que ce soit lui ? » reprit-il, défait.

Les prunelles violines le clouèrent de leur inaltérable vérité.

« Cela ne pouvait être que lui. »

Une vérité, inaltérable, incontestable, cruelle. Celle qu'il avait juré de mener au sommet était Sa Majesté Edelgard, l'Inflexible dame à la volonté sans limite, capable de changer le monde pour le meilleur. Celui qui avait troublé son âme était Ferdinand Von Aegir, le Grandiloquent noble au cœur si éclatant, que sa lumière inspirait le meilleur chez les moins bons. Cette femme, qu'il avait – depuis toujours – aimée, avait donné un but à sa vie. Cet homme, dont il était tombé – profondément – amoureux, avait ouvert son âme à de nouveaux horizons. Humain. Trop humain, beaucoup trop humain. Un silence poignant étreignit l'atmosphère, avant que l'Impératrice ne reprît la parole.

« Quoi qu'il en soit, Hubert… je ne veux plus entendre de rumeurs selon lesquelles le Ministre de la Maison Impériale aurait menacé un énième prétendant de son âme sœur. Sinon… une autre – qui ne restera pas à l'état de rumeur – se fera entendre, selon laquelle mon vassal aura été mis au chômage forcé. »

Le jeune mage noir eut un reniflement de dérision.

« Depuis quand êtes-vous adepte de chantage, Votre Majesté ? »

« Depuis que je vous connais, bien entendu. »

Argh, la vérité pouvait vraiment faire mal, bien plus que ses couteaux ou ses poisons. Il tenta une contre-attaque.

« Le chantage est plus de mon ressort que du vôtre. »

« Je m'inspire des meilleurs. »

Contre-attaque manquée. Prévisible, quand l'adversaire était Sa Majesté.


Toujours dans ce même passé.

Lieu inconnu ?

Bien plus tard.


Mais, au cœur des ténèbres, les secrets se profilaient comme les menaces. La vie domestique disparaissait au profit de sombres manigances, porteuses d'inquiétantes augures et de destinées tordues. L'inhumanité régnait au cœur des souterrains, et, si ténébreux fût-il lui-même, le jeune mage n'avait que mépris pour ceux qui évoluaient dans ces ombres.

« Hubert Von Vestra. L'Ombre d'Adestria, éprise de la Lumière… mais qui flirte avec l'éclat suprême du monde. Quelle déchéance… même pour un être humain. »

'Serpent. Vil serpent, Serpent des Ténèbres. Misérable reptile, qui n'a d'humain que son déguisement. Ton existence est une erreur que je me dois de rectifier.'

Le Funeste ne cacha même plus son mépris pour un tel interlocuteur.

« Mieux vaut être un être humain déchu qu'une abomination de la nature qui se croit supérieure à autrui. Ma seule honte est, effectivement, de vous connaître. »

Les fentes rougeoyantes – qui servaient d'yeux à ces individus sans foi ni loi – étincelèrent derrière le masque d'oiseau. Parodie d'humanité dans une magique aura, enveloppe de mystère porteuse de mort, c'était la promesse de ce fléau qu'il s'était juré d'éradiquer.

« Mon nom est Myson. Maîtrisez votre langue, chien de l'Impératrice. Ou je vous l'arrache pour l'offrir à nos serviteurs comme cadeau. »

Un sourire glacial répondit à cette menace.

« Vous pouvez toujours essayer. Mais peut-être que ce sera la vôtre qui deviendra leur pâture. Sachez que je suis plus généreux, dans mes offrandes. Je ne me contenterai pas de votre langue, pathétique imitation de la vie. »

Hubert Von Vestra était peut-être humain, mais aucun de ses pairs ne pouvait rivaliser avec lui, quand il s'agissait d'utiliser les ténèbres. Lui – plus que quiconque – pouvait lutter contre le mal.

« Vous croyez-vous donc si puissant ? Sous prétexte que vous portez les mêmes atours que nous… »

« Oh, des… atours ? Quel joli mot pour nommer ces ignobles parures. Le fait est… que j'ai vendu les secrets de mon cœur à votre maître, il est vrai. Mais je ne dois aucun compte à des individus de votre espèce. »

D'un geste soudain, le ministre avait lancé un miasme magique sur un objet, qui se désintégra instantanément. Un reniflement – presque appréciateur – vint commenter ce sort parfaitement exécuté.

« Ha. Adepte de magie noire avancée, à ce que je vois. Pas mal, pour un simple humain. Maître a raison, vous êtes plus proche de nous que des pathétiques créatures que vous servez. C'est à se demander si votre nature est bien celle que vous prétendez… »

« Ne. Me. Comparez. Pas. A. Vous. »

Pour la première fois depuis le début de l'entretien, une fureur glacée l'avait envahi. Sentant la faiblesse, son interlocuteur s'avança vers lui, un sourire cruel aux lèvres.

« Vous vous trompez, pathétique humain, si vous pensez échapper à notre emprise. Vous avez de la chance que notre Maître vous juge utile. Je suis d'ailleurs intrigué par son intérêt. Que voit-il en vous, pour ainsi vous inviter dans sa demeure ? »

« Je l'ignore, mais je peux vous assurer que ce que je vois en vous… ne vaut même pas la peine d'être mentionné. »

« Arrogant chien, vous ne méritez que de… ! »

Un claquement de main vint interrompre cet échange. Sur le pas de la porte, venait d'apparaître le dirigeant suprême de la secte. Alors que son interlocuteur s'inclina profondément, Hubert se contenta d'un hochement de tête, le visage neutre.

« Eh bien, eh bien. Que de violence. Nous sommes pourtant entre amis. »

'Nous sommes tout sauf amis.' pensale jeune homme, portant son regard vert pâle sur le nouvel arrivé. Cet être était celui qui avait brisé l'enfance de sa dame, détruit la paix de l'Empire, menacé l'équilibre du monde entier. Qui jonchait de cadavres sa route, qui utilisait ses sentiments pour le manipuler. Il était celui qu'il devait éradiquer, quel qu'en soit le prix.

« Bonjour, Hubert. »

« Seigneur Arundel. »

Mais il n'était point l'heure d'accomplir sa vengeance. Il fallait attendre encore, pour le bien de sa maîtresse et de leurs idéaux.

« Allons, tu es bien formel. Tu sais pourtant que tu es le bienvenu. »

« … »

Si le doute transparaissait clairement dans son absence de réponse, le Serpent ne sembla pas lui en tenir rigueur.

« Viens donc avec moi. J'ai à faire et j'ai besoin de toi. »

Ce ton ne souffrait d'aucune réplique. Il fallait obéir.


Toujours dans ce même passé.

Antre personnelle du repaire.

Peu de temps après.


« Montre-moi ton visage. »

Il révèle ses traits.

« Tes yeux. »

Dévoile ses prunelles.

« Intéressant. Vraiment fascinant. »

« Est-il vraiment nécessaire de me faire venir ici… pour cet examen ? »

Les fentes rougeoyantes du reptile le transpercent.

« Tu es l'expérimentation ultime. Je me dois de la contrôler moi-même. »

« Et qu'avez-vous réussi à déterminer ? » rétorque le jeune mage, dans un sursaut de dérision.

« Que les sentiments humains ont un impact étonnant sur leur puissance. »

Sentiments. Humains. Parfois, lui-même doute de son humanité. Et, malheureusement pour lui, le mécréant le sait.

« Es-tu vraiment humain, Hubert Von Vestra ? »

« … »

Il en use sans vergogne, pour contrôler le moindre de ses gestes. Impassible devant le toucher glacial, le Funeste bout pourtant intérieurement. Mais reste de marbre, devant les commentaires de l'autre.

« L'Empereur des Flammes est notre chef d'œuvre guerrier. Mais toi… tu es l'expérimentation humaine idéale. Si nous parvenons à comprendre le mécanisme du cœur… le plus insignifiant des animaux pourrait devenir un jouet utile. Comme toi. »

« Il y a des êtres bien supérieurs à moi. Vous ne pourriez pas les manipuler, même si vous parveniez à contrôler totalement mon âme. »

Un rire glacial envahit l'atmosphère. Le toucher reptilien brûle le Funeste.

« Oh. Tu penses à tes confrères de ce monde ? Mais ils sont exactement comme toi, Hubert. Ils sont emplis de sentiments et guidés par eux. »

« … »

Les fentes rougeoyantes sont un cauchemar. Pour un homme des ténèbres, c'est l'ennemi.

« Claude Von Riegan, par exemple. Ton rival stratège. Malgré sa nature espiègle… c'est un homme idéaliste, attaché aux siens. Il serait un puissant moteur pour la communauté, s'il était à notre service. »

« Encore faudrait-il que vous puissiez le capturer. Il a vent de votre existence et n'a aucune envie de vous rejoindre. Pensez-vous pouvoir surpasser celui qu'on appelle le Génie Tactique ? »

« Sylvain Jose Gautier. Le sulfureux étalon de Faerghus, qui suscite tant de convoitises. Encore un esprit brillant derrière ses éternelles facéties. Si vain dans son comportement, que ce serait un jeu d'enfant que de l'amener vers nous. »

« Il a beau être un pathétique coureur de jupons, il est bien trop fin pour se laisser tenter par des individus de votre espèce. Croyez-vous pouvoir berner un intellect aussi développé que le sien ? »

Le Maître considère son expérience. Il s'agit de son second chef d'œuvre – celui du cœur. Il explore ses recoins, tire ses ficelles, implante ses germes. Et, avec cruauté, pose la pierre finale de cet édifice monstrueux.

« Ferdinand Von Aegir. La Lumière d'Adestria, Joyau de la Nation et Serviteur de l'Impératrice. Si éclatant, si charismatique, si aimé… »

« Ne mentionnez pas ce nom. »

Quelque chose crépite dans le cœur du jeune mage (est-ce un sentiment ? Est-ce une force ? Est-ce une hérésie ?). Pour la première fois, Hubert se dresse contre la menace et écarte la main, prêt à dévorer les Ténèbres et à écraser les Serpents.

« Oh, aurais-je touché une corde sensible ? » rit le Maître.

« … »

Argh. Il s'est laissé dominer par ses émotions. C'est ce que cherchait le mécréant, en mentionnant son aimé. Farfouiller dans son cœur, semer le poison… les reptiles ne savent que cracher leur venin. Non, il ne lui donnera pas ce plaisir. Il ne se laissera pas manipuler.

'Si vous lui faites quoi que ce soit, je vous tue. Je vous détruis. Je vous éradique. Si je dois étaler vos cendres dans la terre et joncher de cadavres votre repaire, ce sera avec un immense plaisir. Mille ans ne suffiraient pas à éteindre ma haine et à assouvir ma vengeance. Je n'ai pas besoin d'être humain face à des abominations.'

Il ne prononcera pas ces mots.

« Qu'est-ce que cela fait d'être impuissant face à son pire ennemi ? » taraude le Serpent.

Hubert retrouve son sang-froid. Face à un reptile, c'est la meilleure démarche. Il assène avec dédain.

« Vous possédez le miroir de mon cœur. Vous savez très bien ce qu'il en est. »

L'étreinte enserre son visage.

« Je voudrais te l'entendre dire de ta propre bouche. »

'Même moi, je ne serais pas si cruel envers mes ennemis. C'est la preuve que votre existence est une erreur.'

Le vert pâle de ses prunelles crépite un court instant – astral reflet de la lune en chasse.

« Je souhaite votre souffrance. J'espère votre disparition. Je désire votre mort. Si je le pouvais, je vous conduirais moi-même en enfer et deviendrais le cerbère de votre agonie. »

Un silence – de mort – étreint l'atmosphère.

Ô Cerbère de l'Agonie,

La Porte de l'Enfer s'ouvre.

En es-tu le Gardien

Ou la Victime ?

Puis le Maître rit, heureux d'une telle confession.

« C'est vraiment… fascinant. Tu es l'homme le plus froid de cette terre. Et pourtant… tu l'aimes à ce point. Prêt à t'enflammer… au risque de tout consumer autour de toi. »

Celui qui a renoncé à lui-même se trouve aux Portes de l'Enfer, dit-on. Mais pour le Funeste, qui incarne la Mort… ce n'est qu'un passage vers sa demeure véritable.

'Dame Edelgard… laissez-moi porter le fardeau de vos souffrances passées. Ferdinand… pardonnez-moi. Car je vous aime. Je vous aime, mon soleil.'