PREMIER TOME

Chapitre 1

Port Angeles, Washington, 1918

PDV Carlisle

Isabella Swan était la dernière à être encore vivante dans le mouroir ce soir, sa respiration hachée, sa peau trop pâle couverte de transpiration, ses lèvres bleues et desséchées, son corps torturé par une toux impitoyable, ne me laissaient pas présager la revoir le lendemain quand je reprendrais mon poste. Pauvre enfant. Pauvres humains qui mourraient de cette grippe par centaines chaque jour.

Je quittai son chevet et allai sortir du mouroir quand le shérif Swan surgit, un linge sur le bas de son visage, comme nous avions demandé à tous les visiteurs de procéder. Il ferma brusquement la porte et attrapa mon bras. Il ne pouvait se douter que sa tentative de me forcer à le suivre était vaine, mais je ne résistai pas. Il manqua de défaillir en découvrant sa fille, puis regarda autour de lui, tous les lits étaient désormais vides, ce matin encore, six autres personnes agonisaient auprès d'Isabella.

« Vous allez la sauver, Dr Cullen. » m'ordonna-t-il.

« J'ai fait le maximum, le médecin de garde va arriver, il va prendre le relai cette nuit. »

« Non ! Vous devez la sauver ! »

« Chef Swan, je vous garantis que nous faisons le maximum, cette épidémie est sans pitié. » tentai-je de le calmer.

« Je sais que vous, Dr Cullen, vous, vous pouvez la sauver. Vous avez la capacité de la sauver, les autres ne peuvent plus rien pour elle, mais vous le pouvez, je le sais. »

« Chef Swan, vous ne- »

Il fut secoué d'une terrible quinte de toux et faillit tomber à terre.

« Je n'ai plus qu'elle, parvint-il à articuler au bout d'une minute. Vous devez la sauver, elle ne peut pas mourir, vous devez la faire garder en vie, comme vous. »

« Croyez-moi, c'est la dernière chose que vous voudriez pour votre fille. » ironisai-je, sans pouvoir lui expliquer en quoi je n'étais plus réellement vivant moi-même.

« Ça suffit ! Je sais tout ! s'emporta-t-il pour de bon. Je sais ce que vous êtes, et si vous ne la sauvez pas, je vous exposerais au monde entier, cher Dr Cullen ! »

« Faites-le maintenant, avant qu'il ne soit trop tard. » me pressa Charles Swan.

« Pas ici. »

J'étais coincé, je devais gagner du temps pour lui faire changer d'avis. Je lui désignai une chaise roulante, il l'approcha du lit de sa fille et j'y installai Isabella, qui toute à sa fièvre délirante, ne sembla pas remarquer que son père était auprès d'elle. Mais il lui répéta qu'elle serait bientôt guérie et bientôt plus forte que quiconque, à jamais à l'abri de la maladie et de la mort. Je nous fis sortir discrètement du petit l'hôpital et l'entraînai vers mon auto.

Je commençai à avoir de sérieux doutes sur ma capacité à me sortir de cette situation honorablement. Pourquoi Charles Swan pensait que je pouvais sauver sa fille, atteinte de la plus mortelle des grippes et luttant pour sa vie depuis trois semaines, alors que tous les traitements avaient échoué ? Quel secret pensait-il détenir sur moi assez terrible pour me faire du chantage ?

Il m'aida à installer sa fille dans mon auto, lui intimant de tenir le coup, lui promettant que tout irait mieux très vite, tentant de lui arracher la promesse de vivre honorablement. Puis il monta à cheval et le conduisis à sa suite, arrivant rapidement chez lui. Il voulut ensuite me guider vers la chambre à l'étage mais je lui fis non de la tête et désignai la cave.

« Personne ne doit savoir, personne ne doit l'entendre ou la voir. » dus-je lui expliquer.

« Oui, bien sûr. »

« Allez déclarer qu'elle est morte, Chef Swan, dans quelques jours, vous direz que vous l'avez enterrée vous-même dans votre jardin ou ailleurs. »

« Oui, d'accord. »

Dans la cave, il tira plusieurs caisses en bois de sous l'escalier mais sa fille serait plus confortable à même le sol. Je m'agenouillais à ses côtés, surveillant sa respiration et son pouls, son état se dégradait de minutes en minutes, comme je l'avais prédit. Il s'assit également par terre et releva le haut du corps de sa fille, espérant la soulager de sa toux. Je savais qu'il n'y avait plus rien à faire.

« Je ne peux pas vous promettre de réussir à la guérir. » tentai-je encore de convaincre son père.

« Je sais qu'elle est perdue, je ne vous demande pas de la guérir mais de la sauver. Peu m'importe si elle devient un vampire, je ne peux pas la voir mourir. Dr Cullen, vous n'êtes pas irlandais, au moins. »

« Euh… non. »

« Mais vous n'êtes pas catholique. » ajouta-t-il, plus sombre encore.

« En effet. »

« Vous me promettez de ne pas chercher à la convertir à votre religion ? »

Sa fille dans les bras, il la berçait tendrement, elle gémissait de douleur, son cœur battait sinistrement lentement.

« Je suis anglican, nous partageons la même foi. » répondis-je difficilement.

Il parut assez satisfait mais moi j'étais atterré. Il l'avait dit, il avait prononcé le mot sans même trembler. Le shérif savait que j'étais un vampire et venait de me demander de changer sa fille en vampire. Comment avait-il pu percer mon secret ? J'avais pris tant de précautions, comme à mon habitude. Je ne laissais rien au hasard, j'avais désormais assez d'expérience pour éluder les questions trop personnelles et les situations compromettantes. Et qui, dans ces contrées du nord-est américain pouvait croire à un mythe réputé aussi païen et moyenâgeux ?

« Partez, chef Swan, je vous attendrai. » lui intimai-je, toujours trop déconcerté pour le regarder dans les yeux.

Bella se mit à geindre plus fort, la fièvre ne lui laissait aucun répit, survivrait-elle seulement si je cédais à la requête de son père.

« Non, faites-le maintenant, exigea-t-il. Je vous jure que je vais le raconter à tout le monde si vous ne le faites pas maintenant ! »

Il dégaina son arme et me mit en joue, il se doutait pourtant que c'était dérisoire si réellement il savait tout de ma condition.

« J'ai dit maintenant ! »

Le désespoir teintait chaque mot et chaque geste du shérif. Il avait quitté son pays natal, avait perdu son épouse, et désormais sa fille allait mourir. Il était sûrement rongé de remords, avait-il vraiment fait le bon choix en venant aux Etats-Unis ?

« Éloignez-vous, Charlie. C'est dangereux. »

Il lâcha à regret sa fille unique après un baiser sur son front en sueur. Il se posta juste derrière moi, je lui fis signe de reculer jusqu'au coin de la cave à ma droite, il avait son arme toujours en main.

Moi, vampire solitaire depuis près de trois cents ans, devais-je transformer mon premier humain, une jeune fille vouée à la mort ? J'avais honte, si honte de moi, mais j'étais encore plus désemparé face à tous ces morts. Si j'avais enfin quitté l'Europe, deux ans plus tôt, c'était pour échapper aux visions d'horreur de cette guerre qui n'en finissait plus de ravager les rangs des soldats. J'avais aidé autant que possible, avec autant de charité et de compassion dont j'étais capable, mais ce que les humains s'infligeaient entre eux et à eux-mêmes était si horrible, si cruel, je n'avais pas pu continuer à les traiter avec bienveillance. J'avais compris que j'avais été au bord de basculer, risquant de les considérer comme des animaux, des êtres primaires sans réel intelligence pour comprendre les conséquences terribles de leurs actes.

Les vampires avaient hanté les champs de batailles, créant un chaos plus macabre encore. Les Volturi avaient fait appel à moi et d'autres vampires civilisés pour aider leur bataillon à faire cesser ces attaques sur les soldats. Le vingtième siècle avait commencé avec de nouvelles technologies immortalisant le temps sur du papier ou sur un écran, notre existence risquait d'être révélée à cause de vampires avides au point d'hanter les champs de bataille et les hôpitaux militaires. Si certains vampires ne connaissaient pas cette loi absolue enforcée par les rois auto-proclamés, cette guerre était l'occasion d'une piqure de rappel. Les trois monarques se déplaçaient, de pays en pays, sur le Vieux Continent, Aro vérifiait lui-même l'honnêteté des vampires grâce à son don. Si un vampire avait enfreint la loi, il était mis à mort sur le champ. Le chiffre de la population de vampires européens avait sensiblement chuté ces trois dernières années, et d'après Éléazar, les expéditions punitives continuaient, la guerre n'était pas terminée.

J'avais fui aux Etats-Unis, le plus loin possible du conflit, et je m'étais arrêté face à l'océan Pacifique, dans cette bourgade nuageuse. Je m'y étais senti bien plus utile, ici, la guerre n'avait pas fait de ravages dans le cœur des gens, ils vivaient simplement. Puis la terrible grippe avait infecté chaque partie du pays, et c'était pareil en Europe, une hécatombe après l'autre. L'Espagne, n'ayant pas pris part au conflit, n'avait pas censuré sa presse qui avait relaté les premiers cas de l'épidémie. Cette grippe n'avait pas commencé en Espagne, les premiers cas avérés venaient des Etats-Unis et les soldats américains avaient exporté en Europe, et bientôt dans le monde entier, cette pandémie. Pourtant, pour le reste du monde, la grippe était désormais appelée la grippe espagnole, et personne ne pouvait prédire quand elle mettrait fin à ses ravages.

« Elle sera vraiment immortelle, hein ? » me demanda Charlie, les yeux emplis de larmes.

« Il est très difficile de mourir pour les… gens comme moi. »

« Vampires, dites-le. Personne ne peut vous entendre. Allez-y, Dr Cullen, je vous en supplie ! Elle souffre tant ! »

Face à la détresse de ce père, et après avoir été face à la détresse de tant de pères, de mères, d'enfants, je cédai. Assez de tous ces morts, ce soir, je choisissais la vie, même si elle n'était en rien facile et naturelle. Je choisissais de sauver quelqu'un, de l'arracher à son funèbre destin. Elle était bien sûr trop jeune pour mourir, à l'aube de sa vie d'adulte, elle ne méritait pas cette mort, personne ne méritait un tel sort. Mais ce soir, ce fut elle que je sauvais, et je me jurais de ne sauver qu'elle, car je savais que jouer à dieu était un péché et que je la condamnais à un enfer sur terre.

Je plongeai ma bouche dans le cou d'Isabella et la mordit aussi délicatement que possible, ce qui était évidemment dérisoire mais j'étais ainsi déterminé à conserver l'illusion d'être un bon médecin… humain.

Isabella resta immobile, aucun changement, aucun cri, aucune convulsion, avais-je échoué ? J'avais été témoin d'une dizaine de transformations, la réaction au venin n'avait laissé aucun humain sans réaction.

« Ça y est ? » me questionna son père, son visage trop pâle, en choc de ce qu'il venait de voir.

« Dans quelques jours, elle sera un vampire, assurai-je sans en avoir la garantie. Nous ne pourrons pas rester ici avec vous. »

Il avait beau m'avoir supplié de le faire, je le devinais horrifié par ma bouche ensanglantée, par le cou délicat de sa fille troué par dents acérées, par la couleur déjà changeante de mes iris. Il s'accroupit sous l'effet d'une énième quinte de toux. Il n'était plus que l'ombre de lui-même, me demanderait-il de le changer lui aussi en vampire ?

« Elle vivra ? » voulut-il encore savoir.

« Oui, mais elle n'aura aucun contrôle. »

« Vous n'avez jamais tué quelqu'un. » affirma-t-il.

Je me sentis plus légitime que jamais pour m'occuper de sa fille, il me la confiait et me faisait confiance. Était-il pourtant dans son état normal, capable de prendre une telle décision ?

« Il faut beaucoup de temps pour qu'un vampire arrive à se contrôler. Si nous laissons votre fille ici, elle risque de vous tuer et de tuer tous les habitants de cette ville. Je dois l'emmener à l'écart. »

« J'ai une petite maison, j'y vais quand je pars chasser, c'est dans la forêt d'Olympia, près de la réserve Quileute. »

« Pourquoi là-bas ? Il ne faut pas que nous soyons trop proches de la réserve, ce serait dangereux. »

« Ils garderont un œil sur vous. »

« Qui ? »

« Les Quileute. Ils savent que vous êtes un vampire, sans mon intervention, ils vous auraient chassé de la région, mais je savais que vous étiez différent. »

Décidément le shérif Swan était trop bien informé, de même que la tribu amérindienne. Comment était-ce possible ? Si les Volturi apprenaient que mon secret avait été découvert, je serais puni, mais pas mis à mort, peut-être confiné dans leur sinistre château de Volterra à nouveau. Mais surtout, ils n'hésiteraient pas à tuer Charles et tous les membres de la tribu. Or, en un siècle, ces derniers avaient déjà perdu leurs terres ancestrales et beaucoup des leurs avaient péri.

Tous dans la région se souvenait de ce colon qui avait mis le feu en 1889 à La Push pour récupérer le territoire Quileute, détruisant toutes les habitations et ce qu'ils avaient de plus précieux, mais peu de personnes s'en étaient émues. Si une autre catastrophe devait s'abattre sur ce peuple, de la main des Volturi cette fois, les habitants de la région ne feraient sans doute rien pour découvrir les coupables.

« Qui vous a dit ? » interrogeai-je Charlie.

« Vous êtes arrivé à Port Angeles il y a deux ans, je suis le shérif, nous nous sommes souvent croisés, docteur. Je ne suis pas idiot. »

« Vous avez donné crédit à des légendes indiennes ? » tentai-je encore de le faire avouer sans savoir exactement comment des Amérindiens avaient pu apprendre de ma race.

Le shérif continuait de tousser, ses yeux ne quittaient pas sa fille, celle-ci continuait de génir mais elle ne criait pas encore. Le venin s'occuperait bien vite de chasser les effets anesthésiants de la fièvre et lui imposerait une torture bien plus vive. Pauvre enfant.

« Je viens de Volterra, Dr Cullen, lâcha le shérif. Les Quileute n'ont fait que confirmer mes doutes. Mais vous m'avez intrigué, vos yeux ne sont pas rouges. Et vous avez prétendu être médecin, je ne pouvais pas y croire au début mais il y a des choses que la science ne peut pas expliquer, et vous avez un nombre de petits miracles à votre actif, dans la région. Je sais que je vous en demande trop, ma fille, mon unique famille, je ne veux pas qu'elle meure ainsi, misérablement. Elle mérite plus. Elle n'est pas comme les autres. Elle est destinée à un grand avenir, même si c'est loin d'ici. Vous savez, j'ai quitté l'Italie avec ma femme pour offrir un mode d'opportunités à notre fille. »

« Je vous comprends. Mais Chef Swan- »

« Charlie, je vous en prie. »

« Charlie, vous semblez connaître certaines choses sur les vampires, mais vous ne pouvez pas savoir ce que cela signifie que de vivre avec un besoin presque bestial de boire pour le sang, de devoir se contrôler en permanence, de devoir se cacher des humains. »

« Vous êtes une exception, Dr Cullen, je le sais. Tout comme je sais que vous êtes plus humain que bon nombre d'humains, vous ne la laisserez pas devenir une sauvage, une meurtrière. Je vous aiderai, je ferai tout ce que je peux. Mais vous devez la sauver, elle est trop jeune pour mourir, elle a eu dix-huit ans le mois dernier, elle est trop jeune. »

Son corps se plia encore sous l'effet de la toux, il était aussi atteint par la grippe, lui qui avait pris des risques depuis des mois pour aider ses administrés à s'en protéger, je l'avais cru immunisé. Je m'étais peut-être trompé, après tout, la première vague avait occasionné peu de morts, pas plus qu'une simple grippe saisonnière, c'était sans doute pour cela que le monde n'avait pas réagi à temps.

J'avais été le premier à comprendre la gravité de la situation, même à l'hôpital, on m'avait pris pour un oiseau de mauvais augure quand j'avais suggéré d'isoler les malades et de protéger le personnel soignant en contact. Personne ne pouvait prédire l'ampleur de l'épidémie, m'avait-on répété. Je ne cessais de me demander si, aux premières semaines des contagions, l'on m'avait écouté, moi et une poignée d'autres médecins dans le pays, nous n'aurions pas pu éviter ces terribles ravages.

Charles Swan, lui, avait cru en moi, il avait réussi à faire imprimer mes instructions en termes de prévention et d'hygiène dans le journal, allant jusqu'à payer lui-même pour cela. Il avait harcelé le maire pour mettre en place ces recommandations et tenir des réunions publiques en plein air pour les habitants de Port Angeles. Au final, peu avait été fait et l'on m'avait moqué quand tout sembla rentrer dans l'ordre. Mais à la fin de l'été 1918, quand la deuxième vague nous frappa de plus belle, le doute enfin s'installa et les pouvoirs publics comme la communauté scientifique décida de prendre au sérieux la menace. Je n'avais plus suivi ma charade, travaillant le jour à Port Angeles et la nuit à Hoquiam et Aberdeen, deux villes bien plus grandes que Port Angeles et plus affectées par l'épidémie du fait de leur industries de commerce du bois. J'avais brisé ainsi mes propres règles. Avais-je été imprudent ? J'avais parfois couru dans la toute la ville en pleine nuit à ma vitesse vampirique, j'avais parcouru les cent kilomètres à travers le massif d'Olympia, arrivant parfois en piteux état pour une garde mais il était alors facile de blâmer mon auto et l'état des routes. J'avais écouté la respiration de dizaines de malades sans stéthoscope, j'avais détecté leur fièvre sans thermomètre, j'avais évalué le stade d'avancement en une minute quand d'autres mettaient quelques heures. Le temps nous était compté, m'étais-je toujours justifié, la grippe était pressée d'emporter le plus de gens possible.

Les médecins d'Hoquiam et de la région avaient évidemment tous en mémoire la pandémie de grippe de 1889 en Russie et en Asie, mais n'avaient pas saisi l'ampleur des pertes humaines et depuis on estimait à plus d'un million de personnes qui avaient succombé à cette grippe, et sur tous les continents. J'avais déjà soigné ces malades-là et c'était pourquoi, depuis le mois de mars, quand les premiers rapports d'une grippe inquiétante avaient atteint Hoquiam, j'avais mis en garde mes supérieurs et mes collègues. Il avait fallu attendre cette deuxième vague à l'été pour être pris au sérieux. Deux mois plus tard, le constat était alarmant et le virus impossible à stopper.

Aucun Quileute n'avait encore été admis à l'hôpital de Port Angeles, les y auraient-on seulement soigné ? Quand je m'étais enquis de leur situation fin août, Charles Swan m'avait fièrement annoncé qu'ils n'étaient pas malades. Lui-même se contentait de déposer le peu dont la tribu avait besoin de l'extérieur, et communiquait par lettres avec le chef de la tribu, pour ne pas risquer de les contaminer. La tribu s'était mise en quarantaine et le shérif les aidait autant que possible. Malgré la longue distance à parcourir, leur seul allié galopait chaque semaine jusqu'à La Push.

« Partons, tant qu'elle ne fait pas trop de bruit, décida Charlie une dizaine de minutes plus tard. Il est près de minuit. Je vais prendre mon cheval et vous mettrez ma Bella dans votre auto. Ensuite, je retournerai à Port Angeles déclarer son… décès. »

Il nous précéda sur la route, mon auto peina à se frayer un chemin sur la piste, la réserve était par choix isolée. Je fouillais dans mon sac à la recherche de mes lunettes teintées, la couleur de mes yeux reviendrait à sa teinte dorée au bout de quelques semaines ou quelques mois, je ne le savais pas. Le gout du sang, lui, s'éternisait délicieusement dans ma bouche.

Je devais lutter bien trop férocement pour ne pas vider Isabella de son sang, même si le venin avait déjà altéré son odeur. Rien que le souvenir du gout de son sang suffirait à me donner plus soif que jamais. J'avais beaucoup de chance de ne goûter au sang humain qu'à plus de trois cents ans. Qui pouvait résister, quel vampire pouvait ne pas aspirer tout le sang d'un corps quand celui-ci, même malade, était aussi délicieux ? Je n'en avais bu qu'une petite quantité, j'avais voulu lui inoculer mon venin sans l'affaiblir davantage, j'avais été pétri de bonnes intentions. Mais maintenant je savais, je savais ce dont je m'étais privé et je craignais de devenir fou car la soif n'aurait plus le même sens pour moi.

Le shérif trottait devant moi, si je le tuais, ainsi que son cheval, qui le saurait ? Isabella ne s'en rendrait même pas compte. Il ne survivrait peut-être pas très longtemps à la maladie, peut-être même que… Non, je ne pouvais laisser le monstre en moi prendre le pouvoir sur ma volonté.

Enfin, il me signala un chemin plus étroit où l'auto ne pouvait s'engager. La pluie s'était mise à tomber, rendant l'endroit boueux et impraticable.

« Voici la maison. » annonça Charlie en désignant ce qui était plus une cabane du siècle dernier.

« Ne descendez pas de cheval, shérif, je vais la mettre à l'abri. »

« Je fais au plus vite pour revenir et vous aider. »

« Soyez prudent »

« Je le suis toujours. » répliqua-t-il avant de porter sa main à son chapeau.

Son cheval décida de continuer sa route, loin de moi, Charlie ne réussit pas le maîtriser et s'éloignait déjà.

« Merci, Carlisle, je sais que je vous ai demandé quelque chose de terrible. » me remercia-t-il en criant presque pour couvrir la distance et le bruit de la pluie, même si je l'entendais parfaitement.

« Je n'avais jamais fait ça, je ne sais pas si j'ai fait ce qu'il fallait à vrai dire. »

« Vous l'avez sauvée, et vous m'avez sauvé. N'en doutez jamais. » me promit-il.

Je devais voir les choses ainsi et prier, prier plus fort que jamais, que l'enfant ne m'en voudrait pas.

_oOo_

Forêt d'Olympia, Washington, 1920

« Je te hais, Carlisle ! »

« Bella, calme-toi. »