A partir de ce chapitre, le reste de la fic sera surement seulement du pdv de Bella, puisqu'elle n'est plus malade ni obsédée par le sang.


Chapitre 3

Columbus, Ohio, 1921

PDV Bella

« Tais-ton donc, personne ne doit nous voir. » m'intima mon créateur.

« Mais qu'est-ce qu'on fiche ici ? j'ai la trouille ! » le rabrouai-je en esquissant ma sortie.

« Reste ici ! Continue tes signes de croix, si tu as peur. »

Je lui grognai dessus, de nous deux, c'était lui le plus religieux, lui qui continuait de croire que tout avait un sens divin, et qu'il avait assumé une mission si ce n'était divine, tout de même tolérée par dieu. Lui était anglican depuis trois siècles, son père avait été pasteur, il avait été baigné dans la religion dès sa naissance et avait continué après sa transformation. Moi j'étais catholique, mes parents étaient pratiquants parce que tout le monde l'était à Volterra, une fois installés à Port Angeles, nous n'y avions pas trouvé d'église catholique aussi, nous avions pris d'autres habitudes, vivant notre religion en toute intimité chez nous. Et pourtant, Carlisle se moquait parfois de moi en me disant que je n'étais qu'une bigote superstitieuse.

« On l'emmène, aide-moi. »

« Carlisle, tu n'es pas sérieux ! Dis-moi que tu n'es pas sérieux ! »

« Pour la dernière fois, Isabella Marie Swan, baisse d'un ton ! Si on nous découvre, nous serons dans le pétrin ! Comment veux-tu que j'explique la situation ? »

« Tu travailles ici, je te rappelle. »

« Ne sois pas insolente. »

« Voilà qu'il est nécrophile. »

« Elle n'est pas morte ! Tu entends bien son cœur qui bat encore ! On ne doit pas perdre de temps ! »

« Mais elle va mourir ! Ils l'ont mise à la morgue parce qu'elle va mourir d'un instant à l'autre. Tu es un bon médecin mais tu ne peux pas la guérir ! Regarde ! »

Je pointais les fractures ouvertes et les deux pieds qui pendaient anormalement.

« Ma pauvre, ma douce, comme tu as dû souffrir. Je n'aurais jamais dû partir aussi loin de toi, » roucoula-t-il à la malheureuse.

« Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu la connais ? » réalisai-je.

« Je ne peux pas la laisser comme ça. » me grogna-t-il.

J'eus un hoquet de surprise, il était devenu fou.

« Carlisle ! Réveille-toi ! Tu délires ! sifflai-je horrifiée. Tu as promis de ne plus transformer quelqu'un ! »

« Regarde-la ! » s'extasia-t-il encore.

« Je la vois, et elle va mourir, c'est dans l'ordre des choses. »

« Pas Esmé, mon dieu, pas elle ! »

« Tu veux dire que c'est… elle ? »

« Oui. »

« C'est pour ça qu'on est venu vivre ici ? Et qu'en est-il de ta règle sacro-sainte de ne pas se lier aux humains ? Hein ? D'abord tu as fait copain-copain avec les Quileute, puis tu es venu voir ton amour de jeunesse, enfin je me comprends. Quel est ton plan au juste ? Quelle est ta prochaine étape ? Tu vas te chercher des enfants et ainsi pouvoir vivre comme les humains ? »

« Je t'ai déjà toi, comme enfant, c'est bien assez, non ? Cesse de t'en prendre à moi ! »

Je fulminai, comment osait-il me dire ça ? Même si je ne pouvais le considérer comme mon père, je savais que je ne pouvais pas vivre cette éternité sans son soutien. Avait-il besoin de me le répéter pour autant ?

Il psalmodia une courte prière et mordit sa douce Esmé au cou, au même endroit où il m'avait mordue, pour que cela ne se voit pas, m'avait-il expliqué un jour.

« On vient juste d'arriver à Columbus » geignis-je en rassemblant deux autres draps pour emballer le corps encore immobile du futur vampire.

« Je n'y arriverai pas sans ton aide, Bella. »

« On ne retourne pas chez les Quileute, au moins ? »

« Si on n'y arrive pas, on ira, pas le choix. »

J'avais accompagné Carlisle à l'hôpital, comme tous les soirs, avant de profiter ensuite de l'auto et parcourir les rues désertes. Il m'avait appris à conduire et j'y prenais beaucoup de plaisir, j'avais la sensation de pouvoir aller n'importe où, sans avoir à interagir avec les humains. Évidemment, je devais être de retour à l'aube, quand Carlisle terminait sa garde. Mais ce matin, il m'avait appelé depuis la morgue, je l'avais bien sûr entendu depuis la rue et l'avais rejoint. J'avais eu tort.

« Pourquoi moi ? » maugréai-je encore.

« Parce que c'est le destin ! Ma douce Esmé… »

Je fis encore le signe de croix, comme toujours devant un cadavre, humain ou animal, avant d'enrouler sa douce Esmé dans un drap. Il s'affairait à effacer toute trace de notre passage et à écrire sur la fiche d'admission d'Esmé. Elle venait d'être retrouvée au pied d'une falaise et apportée aussitôt à la morgue dix minutes plus tôt, sa famille n'était peut-être pas encore au courant, ce qui serait plus simple pour Carlisle s'il persistait à condamner la pauvre jeune femme à devenir un vampire.

Je me ressaisis et décidais de ne plus m'inquiéter à cause de lui. Je laisserais à Carlisle le soin de s'occuper de ces détails. Je n'avais encore tué personne, mon ardoise vierge comme celle de Carlisle, en cela je pouvais être fière d'avoir été prise en charge par un gentil vampire. Mais je restais sur mes gardes, j'avais entendu bien des récits du clan qui avait fait le même choix que Carlisle, ils avaient tous commis des « impairs ».

J'étais toujours considérée comme un nouveau-né, ce qui avait le don de m'énerver, j'avais conscience de la nécessité de rester à la fois au milieu des humains pour m'habituer à la torture de l'odeur de leur sang, sans interagir plus que le nécessaire avec eux. Les seuls hommes que j'avais vraiment approchés étaient les trois guerriers Quileute, mais ils sentaient tellement mauvais, une odeur de chien mouillé et autre chose d'indéfinissable, de repoussant, qu'ils n'avaient pas été en danger avec moi. Même après plus de trois cents ans, Carlisle était parfois tenté, il ne baissait jamais sa garde non plus. Quelle idée aussi d'être docteur quand on était un vampire !

« Elle sent bizarre » relevai-je.

« Elle a accouché il y a quelques jours. »

« Elle a un enfant qui l'attend, ça sera trop dur pour elle de rester loin du bébé, elle va être furieuse quand- »

« Il est mort, regarde. Elle a voulu se suicider suite au décès du nourrisson, c'est écrit. »

« On peut partir de cette morgue maintenant ? »

« Fais le guet. »

« Tu me dois une sacrée chandelle ! »

« Je t'ai déjà sauvé la vie et je t'ai gardée en vie malgré ton mauvais caractère, tu peux bien faire ça pour moi ! » répliqua-t-il, sur les nerfs.

« È diventato pazzo ! » murmurai-je en quittant la morgue. (Il devient fou !)

Je défonçai la porte de la sortie de secours puis attendis les ordres de mon cher créateur.

« Va chercher l'auto ! »

« Oui, chef ! »

« Tu vas survivre, ma douce Esmé » dit-il à la jeune femme.

Une heure plus tard, tandis qu'Esmé Evenson se tordait de douleur dans mon lit, tandis que Carlisle la cajolait amoureusement, je réalisai que ma vie venait à nouveau de changer. Ne m'avait-il pas dit qu'une vie de vampire était immuable, toujours la même chose dans un monde en mouvement ?

Certes, il avait fallu m'expliquer la différence entre le lien de deux âmes-sœurs et ce que faisaient les trois sœurs avec leurs jouets humains, mais je n'avais pas réalisé à quel point une telle rencontre pouvait remettre en cause toute une éternité. Je me réjouissais sincèrement pour Carlisle, il était resté seul pendant trois cents ans, même après avoir été en compagnie d'autres vampires « végétariens », il n'avait jamais rencontré quelqu'un qui pensait comme lui, qui partageait sa vision idyllique du monde et de ce qu'un vampire pouvait faire pour le bien de la société humaine.

« Pourquoi tu ne parcours plus le monde, tu pourrais rencontrer ton âme-sœur ? », m'étais-je enquis lors de cette discussion, sur le chemin vers le Canada.

« Je pense l'avoir déjà trouvée mais elle est humaine. » avait-il répondu.

Après notre départ de la forêt d'Olympia, nous avions passé trois mois auprès d'Éléazar, Carmen et les trois sœurs, mon créateur avait pensé que cela lui ferait du bien de ne plus être seul avec moi. Il avait évidemment prétendu qu'il voulait m'offrir une plus grande variété de proies et un plus grand terrain de chasse. Tanya nous avait raconté un matin avoir croisé un humain, en 1649, dans ce qui était le royaume de Pologne, qui lui était peut-être destiné. Elle ne l'avait même pas trouvé beau, mais elle avait ressenti comme une force invisible qui l'avait poussée vers lui.

« Pourquoi tu ne l'as pas approché ? » m'étais-je étonnée.

« Il avait une femme et trois enfants, ils fuyaient. Ils étaient tout un groupe de gens, en plein soleil. Les filles et moi étions cachées dans une grange. On s'est couverte de la tête aux pieds, on a puisé de l'eau et on leur a laissé les seaux à disposition. Il s'est approché de la grange avec quelques hommes mais ne sont pas rentrés. Ils ont pris l'eau et l'ont partagée avec tous les autres. Ils se sont reposés une heure peut-être. Ça a été la plus douce des tortures pour moi. Je l'ai observé, et peut-être que je me suis monté la tête mais il me semble qu'il était troublé également. »

« Et depuis, elle croit à la réincarnation ! » s'était moquée gentiment Irina.

« Pourquoi pas ? Ça serait plus simple si on pouvait avoir comme un livre avec les photos de tout le monde, je le reconnaitrais peut-être. » avait soupiré Tanya, encore émue au souvenir de cet homme, et nous avions tous ri.

Depuis, j'avais pris conscience que rencontrer quelqu'un, homme ou vampire, n'était pas garanti dans cette vie. Celui de Tanya était mort depuis des centaines d'années, Carlisle s'était résigné à ne pas approcher Esmé non plus car elle était humaine quand il l'avait rencontrée. Que ferais-je dans pareille situation ? Que ferais-je si l'homme que j'aimais mourrait peu après notre rencontre ? Que ferais-je s'il était un vampire sanguinaire ? Tanya ne trouvait pas beau cet homme mais elle avait semblé dire que ça avait été plus fort qu'elle. N'avions-nous donc aucun choix ? Je persistais à douter du concept d'âme-sœur, parce que j'avais peur de ne pas mériter un tel bonheur, peur de ne jamais le rencontrer, peur de le faire fuir, peur de ne pas être aimer autant que je le désirais.

Durant les trois jours d'agonie d'Esmé, Carlisle ne me parla pas, trop focalisé sur elle. Tanya avait-elle fait réfléchir mon créateur avec sa confidence ? Avait-il voulu s'assurer qu'Esmé était heureuse ? Ou se faire du mal en la voyant mariée et mère de famille ? Je n'osais imaginer ce qu'elle allait ressentir à son réveil. Elle s'était suicidée, dévastée par la perte de son bébé. Carlisle l'avait sauvée alors qu'elle voulait clairement mourir. Il avait agi contre tous ses principaux moraux et religieux. Comment ne pas penser qu'il avait reconnu son âme-sœur pour justifier sa décision ? Je ne pouvais qu'espérer que la jeune vampire partagerait réellement ses sentiments et serait aussi douce qu'il la décrivait déjà, capable d'être la compagne parfaite du plus humaniste des vampires.

Durant ces trois jours, je dus me résoudre à préparer un nouvel avenir pour moi, la vie de nomade civilisée que Carlisle m'avait promise ne m'était plus destinée. Je ne pouvais en vouloir à Esmé, et si un jour je rencontrais mon âme-sœur, je trouverais à mon tour un nouveau sens à mon éternité sanglante.

Même si Carmen et Éléazar s'étaient liés avec les trois sœurs slaves, ils s'isolaient régulièrement plusieurs mois. Je ne me voilais donc pas la face, mon créateur aspirerait bientôt à vivre seul avec elle, dédié à leur amour et à leur passion.

En attendant, je resterais pour aider Carlisle aussi longtemps que nécessaire, je ne voulais pas imaginer qu'il me demanderait de les laisser seuls immédiatement. Esmé méritait toute l'aide possible pour s'adapter et accepter sa nouvelle condition, je n'étais de toute façon pas encore prête moi-même à quitter la protection de mon créateur. Puis je rejoindrais peut-être les trois mousquetaires, Tanya, Kate et Irina, qui m'avaient déjà demandé plusieurs fois de vivre avec elles. Moi la petite brune, l'italienne, à peine sortie de l'enfance vampirique, au mauvais caractère, au milieu de ces trois déesses slaves, millénaires, blondes, croqueuses d'hommes. Je désespérais de n'avoir que cette option. Comment allais-je garder la promesse faite à mon père le jour de mes seize ans ? Les trois succubes, comme les appelait Carlisle en secret, ne me laisseraient pas rester vierge jusqu'au mariage !

Si je devais attendre aussi trois cents ans comme mon créateur, ou pire, plus de mille ans comme les trois sœurs, comment supporter cette vie après la mort ? J'en voulais toujours tellement à Carlisle d'avoir cédé à mon père, de m'avoir forcée à entrer dans cette nuit éternelle. Carlisle venait apparemment de retrouver son âme-sœur, même si elle n'en savait encore rien, et j'espérais pour lui qu'il ne s'était pas trompé sur ce qu'il avait ressenti. Désormais, il n'attendrait plus rien de la vie, son avenir déjà tout tracé et pavé de félicité conjugale.

Mais moi, ce que je voulais depuis que j'avais quatorze ans, c'était un bel Italien, grand, fort aux yeux et aux cheveux noirs comme mari, qui m'aimerait sans chercher à me soumettre, avec qui j'aurais une petite famille, et avec qui je construirais une vie pleine de sens et de joie, ici ou ailleurs. Je n'aurais jamais d'enfants, ne me restait qu'à attendre le bel Italien.

_oOo_

Rochester, New York, 1931

« Comment as-tu pu la laisser me parler ainsi, Esmé ? » grognai-je.

« Tu peux me croire, c'était trop tentant. Marie, tu es pire que toutes les Rosalie Hale du monde. »

Je lui serrai le bras et le fit gémir de douleur, elle n'était plus aussi forte qu'après sa transformation, nous avions mesuré notre force des semaines durant, et j'avais toujours eu l'avantage. Mais Esmé restait supérieure à moi, parce que transformée à vingt et un an, déjà mariée et mère, parce qu'elle était à nouveau mariée au nouveau docteur de la ville et qu'aux yeux de tous, elle était ma sœur ainée. À Rochester, une ville de plus de trois cent mille habitants, moitié catholique, moitié protestante, j'avais enfin pu changer de prénom mais avais imposé à Esmé et moi mon nom de famille, le vrai, l'italien, Cigno, pas Swan. Elle avait dû apprendre ma langue maternelle pour donner crédit à notre charade.

« Je n'ai jamais rencontré une fille aussi hautaine et stupide de ma vie. Elle n'a que seize ans mais elle se comporte comme si elle était une princesse qui régnait sur la ville. »

« J'ai hâte que tu grandisses. » soupira Esmé avec condescendance.

« Je te signale que j'ai trente-et-un ans, et que si je ne te tenais pas par le bras, tu irais boire le sang de cet homme qui est tombé de cheval. »

« Traitresse. » grogna-t-elle.

« Carlisle va être si déçu. »

« Marie ! »

« Oui ? »

« Tu ne vas rien lui dire, n'est-ce pas ? » me menaça-t-elle.

« Si tu ne lui dis pas ce que j'ai fait à Rosalie. »

« D'accord mais c'est la dernière fois que nous venons en ville. Tu es intenable. »

« C'est un comble venant de toi, sœurette ! »