Note de l'auteur : bon, c'est vous qui l'avez voulu ! Je vous préviens que ça pourra durer un bout de temps, mais je vais bûcher dessus quand même. Le témoin inconnu n'a jamais oublié ce jour fatal. Elle reste la seule clé, l'élément essentiel pour la liberté de Sirius. Mais pourra-t-on jamais la trouver ? Dum dum dum ! Continuez à lire, continuez à poster des reviews, et vous le saurez ! Allez, je sais que vous voulez le faire. Ah, et je suis désolée d'avoir rendu Harry malade comme ça – mais que feriez-vous si vous vous retrouviez à sa place ? Hm ?
Disclaimer : L'univers de Harry Potter appartient à JK Rowling, et est utilisé ici sans sa permission. J'ai conscience de n'avoir aucun droit d'utiliser les personnages qu'elle a créés, les lieux et les évènements mentionnés. Je n'ai ni l'intention ni le désir de tirer profit de cette œuvre, et tout le mérite en revient à JK Rowling puisqu'elle les a inventé et ainsi possède tous leurs droits d'auteur. Pas moi. Pigé ? Bon. Mais tous les personnages originaux sont à moi.
*~*~*
Note de la traductrice : désolée pour la lenteur de la traduction… mais j'ai l'impression que je veux faire durer le plaisir. Enfin, appréciez cette histoire comme elle le mérite, et n'oubliez pas d'aller voir la version originale ! J
*~*~*~*
Le Témoin Inconnu
Juillet 1993
Chapitre 1 : Mémoires et Mystères
Elle restait allongée, en sueur, encore une fois les images de son rêve restaient le plus proche substitut à une certaine forme de réalité visuelle. Elle voyait et revoyait toujours les mêmes scènes, des visions d'enfances parsemées d'aperçus de sa vie adulte : un ours en peluche abandonné au milieu de la rue, une fête d'anniversaire, des ballons et des serpentins, des couettes et un verre de cidre. Son bureau, son reflet dans le miroir, toujours figé vingt ans auparavant et ne devant jamais vieillir, l'estuaire vu depuis le train. Sa ville, son Londres. Puis le rêve changeait, comme toujours – montrant un homme aux yeux rouges et luisants, malfaisant et diabolique jusqu'au fond de l'âme. Une famille anéantie. Un ami. Un traître. Un homme aux cheveux noirs, au bord de la folie. L'Etoile du Chien.
Elle s'assit dans son lit, haletante, tâtonnant dans les ténèbres pour chercher la lampe de sa table de nuit tandis que ses yeux tentaient vainement de distinguer quelque chose – ils furent rapidement déçus. Son esprit se heurta à un flou blanchâtre le moindre contour invisible brisait l'indépendance qui, autrefois, lui allait si bien. Les images étaient venues lentement pour commencer des souvenirs familiers, chaleureux et rassurants, l'enveloppant comme une légère brise d'été. Puis les visions étaient revenues – des visions de gens qu'elle ne reconnaissait pas, comme s'ils avaient été implantés dans son cerveau sans son consentement, envahissant l'intimité normalement réservée à ses périodes d'insomnies. Elle avait fini par accepter leur présence, presque comme si ces souvenirs lui appartenaient. Elle ne pouvait jamais mettre un nom sur le visage des personnages, ni sur la peur panique qu'elle ressentait avec eux quand cet éclair blanc final atteignait lentement la plus sombre nuance de vert. Elle poussa un soupir fatigué. Ils étaient loin pour le moment. Elle tendit le bras vers son réveil à l'ancienne, caressant les aiguilles métalliques indiquant l'heure. Six heures et demie. L'heure de commencer la plus longue des journées.
Voilà comment avait été sa vie pendant douze ans. Plus d'une dizaine d'années passée à se cogner dans les réverbères, comme elle aimait à le dire. Car Claudia Darlington savait toujours tirer une plaisanterie de la pire situation possible. Elle se contentait d'être la fille aux lunettes de soleil, les portant toujours à l'intérieur comme la plus glamour des stars d'Hollywood quand on lui demandait les raisons de leur présence devant son visage pâle et impressionnant, un simple coup d'œil par-dessus les verres sans monture suffisait à étouffer même la remarque la plus cinglante. Car il semblait que la cause, quelle qu'elle fut, de sa cécité – les débris projetés par l'explosion de la conduite de gaz, si l'on devait en croire la police – avait privé ses yeux de toute couleur, toute profondeur et, aux yeux d'un observateur quelconque, toute émotion. L'iris bleu autour de la pupille s'était effacé, comme une page d'écriture laissée dehors en plein soleil et oubliée pendant des années sur un rebord de fenêtre cet iris ressemblait à un morceau de glace, entouré de long cils sombres qui retenaient à jamais la neige. Elle aimait ses yeux. Elle ne les voyait jamais, bien sûr, mais la réaction qu'ils obtenaient surpassait ses limites visuelles. La respiration retenue, le léger mouvement sur la chaise voisine, indiquant l'envie de dévisager. Laisse-les faire, se disait-elle à chaque fois, s'autorisant un léger sourire : il était hautement improbable qu'elle se rende vraiment compte de la différence.
Claudia n'avait pas toujours été dans cet état d'esprit. Il lui avait fallu du temps, de la patience et de la sainteté pure et simple de la part de ses amis pour la retirer du lagon noir où l'avait jetée la perte de sa vue. Elle avait été l'une des premières à être emmenée de la petite place, avec seulement des coupures et des bleus dus au choc de l'explosion, sans autre blessure apparente excepté ses yeux qui fumaient encore. Elle gardait le vague souvenir de quelqu'un touchant son épaule, un murmure à son oreille demandant une réponse, des explications. Elle se rappelait la voix désespérée, tremblante – probablement celle d'un sergent de police, maladroit et empoté – dont elle avait senti le souffle le long de son cou en répondant à sa question d'une voix qu'elle reconnut à peine.
– Je suis aveugle, Mr Fudge.
Il avait marmonné ses excuses, considérant comme allant de soi que la dame aveugle s'était simplement trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Inutile de s'attarder. Elle n'avait rien vu. Mais pour elle, cette réponse marquait le début du reste de sa vie. Elle était aveugle. La lumière, cette lumière brûlante et aveuglante qui s'échappait du cratère fumant au beau milieu de sa merveilleuse petite place l'avait privé d'un droit de naissance. Par contre, cette lumière n'avait rien volé au petit homme rond, le rat qui n'avait eu qu'à décamper pour échapper toute accusation possible.
Ces pensées tournaient toujours en rond dans sa tête alors qu'elle descendait les escaliers pour prendre son petit déjeuner le bruit et l'odeur du bacon en train de frire semblaient une excellente invitation, avec leur enthousiasme sifflant et pétillant de se retrouver couverts de sauce brune et glissés entre deux tranches de pain blanc bon marché trop bon pour être vrai. Lucy s'en sortait manifestement très bien. Sa sœur chantait en même temps que la radio en préparant la future attaque cardiaque due à un excès de cholestérol elle adorait avoir à s'occuper de quelqu'un en l'absence de son mari. Claudia vivait avec Lucy et son mari depuis deux ans, et Lucy aimait cette compagnie car Paul avait tendance à passer beaucoup de temps dehors à cause de son travail. Elle faisait simplement partie du décor.
– Mauvaise nuit ? s'enquit Lucy sans même se retourner. Claudia soupira et s'assit.
– Rien, encore ce rêve. Revenu pour se venger.
– Tu sais, tu devrais aller voir un médecin à propos de ça. C'est peut-être comme ce truc de syndrome de la Guerre du Golfe. Seulement… ce que tu vois ferait une histoire pour enfants fantastique. Des sorciers, des baguettes magiques… franchement, ma vieille. Tu ferais un malheur.
Elle posa le sandwich devant elle, et Claudia mordit immédiatement dedans, prenant une grande bouchée – trop grande. La sauce coula le long de son menton. Elle tendit la main et sentit l'habituelle pile de serviettes, puis se tamponna légèrement le menton d'un geste royal. La chanson à la radio se termina et la voix du présentateur retentit elle résonnait à ses oreilles hypersensibles tandis qu'il lisait les titres du journal de la même voix qu'il aurait annoncé la fin du monde.
– La campagne " Retour aux bases " de John Major tombe encore une fois en miettes alors qu'un autre confrère… "
Claudia bâilla bruyamment, la bouche toujours pleine de bacon.
– Encore un autre scandale. Celui-là sera oublié avant Noël, tu peux me croire.
Lucy haussa un sourcil à peine métaphorique en posant la poêle à frire sale dans l'évier. Le présentateur parla sport avec le même ton déprimant et déprimé, terminant par les résultats du dernier match qu'avait disputé l'équipe nationale de cricket. Encore perdu. Pas de surprises là-dessus.
– Pour finir, dernières nouvelles. Le Ministère de l'Intérieur signale qu'un prisonnier de haute sécurité s'est échappé d'un centre de détention dont l'endroit n'a pas été rendu public. Ajoutant aux problèmes déjà sous-jacents des services pénitenciers, la nouvelle de l'évasion de Sirius Black fait suite au nombre important de demandes d'ouverture d'enquête sur l'organisme dirigé par Derek Lewis provenant de nombreux Membres du Parlement. Bien que le ministre de l'Intérieur Michael Howard soit indisponible et n'ait fait aucun commentaire pour le moment, la presse a été autorisée à avertir le public que Black est armé et très dangereux. Un numéro vert a été spécialement mis en place…
Plus tard, elle aurait juré que le temps s'était arrêté. Elle s'étrangla sur son bacon et toussa bruyamment, sentant toute couleur disparaître de ses joues un éclair frappa le dernier pigment qui restait de ses yeux mutilés, comme un détecteur de longue distance, assourdissant, qui résonnait dans sa tête. Sirius Sirius Sirius… l'alarme avait une voix, la voix de ce jour-là, appartenant à l'homme au visage rond incapable de cacher sa jubilation alors que l'étendue complète de ce qu'il avait commis faisait naître rapidement un sourire sur ces lèvres pâles et perfides. Il avait gagné. Elle, ainsi que le mystérieux Sirius, avaient perdu. Elle se demanda, et pas pour la première fois, quel lien avait uni les évènements de cette journée. Le chien. Les baguettes magiques. La lumière. Ses yeux étaient grand ouverts, figés par l'horreur de ce souvenir, fixés sans qu'elle s'en rende compte sur le verre de lait posé devant elle tandis qu'elle restait assise, comme en transe, complètement sourde au dernier scandale impliquant le Ministère de l'Agriculture et de la Pêche. Elle tremblait.
– Claudia ? fit la voix douce de Lucy qui tourna le dos à la vaisselle, n'entendant pas le commentaire habituel sur la politique. Sa voix s'étrangla dans sa gorge quand aucune réponse ne se fit entendre.
Puis, soudain, cela commença. Le verre posé sur la table se mit à trembler, la surface du lait calme et plate. De petites vaguelettes se formèrent à l'épicentre, gagnant en intensité jusqu'à menacer de déborder. Lucy ne fit rien pour l'arrêter, les yeux exorbités, rivés au regard fixe de sa sœur. Puis le verre explosa.
– Qu'est-ce que… ?
Lucy dut plonger à terre pour esquiver les morceaux du verre qui avait volé en éclats. Claudia n'eut pas un seul battement de paupières, mais se sentit libérée, d'une certaine manière, par le dégât qu'elle ne pouvait pas voir. Elle se remit à respirer alors que le liquide pâle coulait le long de la surface de bois Lucy la fixait toujours, la bouche ouverte, tandis que le lait tombait goutte à goutte de la table sur les carreaux blancs de la cuisine en un " floc, floc " étouffé, presque silencieux. Elle n'essaya même pas d'expliquer le phénomène.
– Il faut… faut que j'y aille.
Elle se leva de table en silence, tendant une main maladroite pour agripper sa canne blanche avant d'ouvrir la porte et de se glisser dans la lumière du soleil d'été. Lucy la regarda partir d'un air triste avant d'essayer de nettoyer un peu le désastre. Cet accident avait eu un impact sur Claudia beaucoup plus profond que ne le croyaient les autres, conclut-elle, se laissant enfin à écouter la musique qui avait maintenant remplacé les informations à la radio.
*~*~*
De retour sur son banc, elle enfouit sa tête dans ses mains et pleura, des larmes amères, sèches et absentes. Chaque fois que cela lui prenait, elle allait à pied jusque là-bas, vers le parc de son château bien-aimé, cette carcasse vide qui dominait l'estuaire de la Medway en coupant à travers la campagne du Kent. Bien sûr, elle ne pouvait pas apprécier la vue. Elle pressa ses doigts contre ses paupières, maudissant le jour où elle avait acheté ce petit pain fourré au maïs et au thon.
C'était la dernière journée de juillet. La brise chaude apportée par la Maidstone ébouriffait doucement ses cheveux couleur d'acajou, qu'elle ne voulait jamais couper et qui, maintenant, commençaient à être parsemés de minuscules fils d'argent, dont on lui avait dit qu'ils aidaient à la "définir". Ses yeux ne révélaient rien. Pourtant, pour quelque raison, elle sentait que l'air autour d'elle vibrait d'un sentiment étrange, comme si le monde entier retenait son souffle dans l'attente d'une catastrophe. Mais peut-être était-elle simplement un peu trop sensible. Ce nom lui faisait toujours cet effet-là.
Elle n'avait jamais mentionné les détails de son accident à personne : pas même à sa sœur, toujours fermement convaincue que Claudia avait perdu quelques cases au moment où Covent Garden avait perdu plusieurs tonnes d'asphalte. Par contre, les rêves avaient été non négociables. On ne peut pas hurler toute la nuit dans son sommeil à propos de baguettes magiques et de sortilèges sans que ce soit mentionné le lendemain matin à la table du petit déjeuner. Tout le monde disait la même chose : elle avait toujours eu une imagination débordante, probablement rendue plus vive encore par l'obligation constante d'imaginer ce à quoi tout le monde ne faisait même plus attention. Il était vrai que ses rêves se précisaient nettement plus dans ces temps obscurs, mais personne n'avait jamais compris leur pertinence.
L'homme aux cheveux sombres s'appelait Sirius. Cela, elle le savait. Combien de fois avait-elle douté de sa fragile santé mentale, s'était-elle demandé si ces deux personnages sur la place avait été réels, ou bien simplement une sorte de bouc émissaire que son esprit avait créé par pure amertume, offrant un moyen d'échappatoire à sa colère ? Mais Sirius n'était pas un nom si courant que ça, n'est-ce pas ? La simple mention de ce nom faisait courir un frisson le long de son échine, ouvrant un gouffre en elle-même dont elle ne connaissait pas l'existence. C'était elle qui avait fait exploser le verre, elle le savait. La colère qui s'était rallumée au fond d'elle à la pensée de Sirius, la dernière personne qu'elle ait jamais vue, les yeux grand ouverts et pleins de désarroi devant le destin qui l'attendait, causait un tel accès de rage – elle aurait voulu hurler son innocence sur les toits, crier son nom à travers la vallée et partir d'un rire fou à la pensée qu'on ne la croirait jamais. La colère devenait soif de vengeance. Elle commençait à avoir des fourmis dans les doigts un pouvoir inconnu et émergeant enfin de sa coquille envahissait ses mains. Et là, maintenant, elle avait peur de ce dont elle se sentait capable.
Mais celui qui l'observait, lui, connaissait ce sentiment. Il la regardait intensément, comme en transe, assis sous un vieux chêne qui ornait le parc du château, ses branches déployées l'ombrageant tout entier. Il savait ce qu'elle ressentait. Et tandis que le chien noir, silencieux, sortit de l'ombre à pas de loup, sa résolution était plus ferme que jamais. C'était la vengeance qu'il cherchait. Non pas juste pour lui-même, pour satisfaire un désir ardent qui l'avait dévoré plus qu'aucune créature de l'enfer ne pourrait jamais rêver, mais pour elle. Et pour tous les autres qui avaient été touchés par des trahisons vieilles de douze ans.
Dans une petite ville perdue dans le Surrey profond, un garçon, celui qui avait été le plus atteint par les évènements tragiques, se retrouva devant son parrain. Qui disparut aussitôt dans les ténèbres. Pour le moment.
*~*~*
Deux ans plus tard… Juillet 1995
Encore une fois, Harry Potter veillait tard dans la soirée. Il avait poussé l'art d'être une ombre parmi les ombres de la nuit jusqu'à la perfection il lisait le texte compliqué du livre appuyé contre l'oreiller, un bout de langue sortant entre ses dents et les sourcils froncés par la concentration. Sa baguette magique projetait une lumière bien meilleure que la pauvre lampe de poche qu'il avait utilisé les étés précédents. Une fois arrivé chez lui à Privet Drive quelques semaines auparavant, il avait remis ses affaires de Poudlard à un Vernon féroce, qui avait, à peine passé le pas de la porte, saisi la valise et vérifié si rien ne manquait, impitoyable et efficace comme un douanier du port de Douvres. Mais Harry avait réussi à le tromper : les fausses baguettes de Fred et George Weasley avaient alors montré leur utilité. Le véritable objet caché dans sa manche, il avait disparu en haut des escaliers et l'avait glissé sous sa latte de plancher branlante sans que la tante Pétunia ne batte un cil. Après les évènements de la Troisième Tâche, il sentait la nécessité de cette protection supplémentaire.
Être assis là, à regarder le réveil réparé grossièrement décomptant les minutes qui le séparaient de son quinzième anniversaire, lui rappelait une situation similaire, deux ans auparavant. Juste deux ans auparavant, quand il n'avait que treize ans. Il y a deux ans, il évitait soigneusement de faire des taches d'encre sur les draps en se débattant avec cet essai d'Histoire de la Magie, considérant cet échappatoire comme une bénédiction par rapport à la vie quotidienne avec les Dursley. Il les détestait. Ils le détestaient. C'était un accord mutuel. Mais maintenant cela ne l'ennuyait plus. Il avait un peu dépassé ce stade.
Bien sûr, Privet Drive demeurait le dernier endroit sur Terre où il aurait voulu rester. Quitter la banlieue au faux style Tudor lui avait permis de vivre les meilleurs moments de sa vie. Mais après le soleil vient la pluie Voldemort se déchaînait à nouveau, et il n'y avait rien qu'il puisse y faire. En dépit des protestations de Mrs Weasley, le professeur Dumbledore avait insisté pour que Harry retourne chez les Dursley, où, au moins, l'"ancienne magie" – qu'il avait évoquée pendant que Harry dormait profondément dans le petit tas de couvertures posé sur le pas de la porte il y avait tant d'années – fonctionnait encore. L'été avait été vraiment éprouvant pour les nerfs, passé à attendre des nouvelles de Hagrid et des Géants, et à s'inquiéter pour Sirius de nouveau en cavale, risquant sa liberté fragile pour donner à Dumbledore les outils dont il avait besoin pour constituer la Résistance. Même Rogue, sans doute en train de négocier son retour dans le cercle des proches de Voldemort, donnait à Harry une autre petite raison de se faire du souci. Tout ce que Harry pouvait faire, c'était rester assis là, dans la plus petite chambre du 4, Privet Drive, à essayer de lire dans la lumière sourde de sa baguette magique en espérant que Dudley ne le repère pas quand il errerait dans le couloir pour prendre son habituelle collation de minuit.
Mais Harry ne pouvait pas rester sagement assis là et laisser le monde magique faire face à sa plus grande menace depuis plus d'une dizaine d'années. "Plus puissant et plus terrible que jamais…" L'avertissement de son professeur de Divination retentit comme un écho à ses oreilles. Ron et Hermione avaient tous deux été du même avis que lui quand ils avaient réfléchi au meilleur plan d'action. Ce qui expliquait d'une certaine manière pourquoi il était là, en train de déchiffrer un document aussi compliqué qu'un dossier de Témoignages provenant du Département de Renforcement de la Loi Magique. Et celui-ci était l'un des plus épais.
Cela avait été l'idée d'Hermione : elle en avait écrit la suggestion à Harry dans la première semaine de vacances, trouvant à la fois le remède à son ennui – Harry étant pratiquement prisonnier à Privet Drive – et l'idée qui contenterait son désir d'aider ses aînés. Dumbledore, Sirius, Hagrid… ceux qui risquaient maintenant leur vie dans leur bataille contre Voldemort comptaient justement parmi les gens dont Harry dépendait le plus. Et si lire et relire rapport après rapport de ce fatal jour d'hiver vieux de presque quatorze ans pouvait simplifier la vie de chacun, chaque page était importante. Mais repérer des preuves pour la défense de Sirius Black parmi les centaines de témoignages bizarres qui l'accusaient d'avoir détruit une petite zone de Covent Garden se résumait à chercher une aiguille dans une botte de foin.
Harry sentait son cœur se serrer de plus en plus au fur et à mesure des pages qu'il tournait, des témoignages de Moldus qui affirmaient clairement – comme le stipulait l'accusation – avoir vu Black sortir vivement sa baguette, puis vu la rue se désintégrer sous le coup d'une aveuglante lumière blanche. Rien n'avait survécu dans un rayon de dix mètres. Plus il lisait, plus il aurait été convaincu de la haute improbabilité de la fuite de Queudver. Mais Harry avait vu, de ses yeux verts si étonnamment brillants, la vérité. Peter Pettigrow était vivant. C'est lui qui avait fait sauter la rue pleine de Moldus, causant une véritable panique aux urgences de l'hôpital de Charing Cross. Il devait y avoir quelque chose que feu Mr Croupton avait laissé échapper dans sa hâte d'emprisonner le traître. Quelque chose, n'importe quoi. Harry était si complètement plongé dans sa recherche, si absorbé, qu'il ne remarqua même pas l'aiguille qui maintenant marquait minuit, saluant l'arrivée d'un petit nombre de hiboux.
Ce rituel au beau milieu de la nuit, même constituant un changement récent dans sa vie qui, auparavant, ne comptait pas tellement d'évènements heureux, ne manquait jamais de remonter le moral un peu en berne de Harry. Coquecigrue faillit s'écraser sur la vitre, ce qui eut pour effet de distraire Harry de son texte compliqué le hibou rebondit contre les murs, avant de s'arrêter au milieu de sa couette, en une petite boule de plumes ébouriffée, tout excité et piaillant comme un perdu. Hedwige suivait, drapée dans l'air impérial qui lui était habituel, le bec un peu retroussé tandis qu'elle observait les singeries de Coq. Elle laissa tomber sur l'oreiller de Harry un paquet particulièrement lourd, qui fut rapidement suivi par sa lettre de Poudlard ainsi qu'un cadeau de la part de Hagrid. Elle lui mordilla affectueusement l'oreille avant d'aller s'installer sur son perchoir, le regardant déchirer avec bonheur le papier enveloppant ses cadeaux d'anniversaires. Pour une seconde, il eut l'impression d'être un garçon normal qui fêterait son anniversaire, heureux de laisser une autre année derrière lui et d'en avoir beaucoup d'autres à venir. Les présents furent à la hauteur de ses espérances : un livre de tactiques de Quidditch de la part de Ron – qui apparemment était sûr que Harry reprendrait le flambeau d'Olivier Dubois en tant que capitaine de l'équipe de leur maison en septembre – ce qui ressemblait à un monceau de bonbons et de pétards surprise de la part de Hagrid (assez pour toute une vie) – et une lettre assez volumineuse de la part de Hermione, accompagnée d'une Balle d'Etoiles splendide, représentant la galaxie entière. Harry l'admira un instant dans la lumière, captivé par les minuscules points lumineux dansant en parfaite harmonie au milieu du désert de ténèbres. Puis il prit la lettre d'Hermione, et retomba immédiatement sur terre.
Cher Harry,
Joyeux anniversaire ! Je suis chez Ron pour le moment, alors je t'ai envoyé ceci avec Hedwige. Ne va pas penser que ton cadeau est une excuse pour manquer des cours d'Astronomie, cependant ! Cela pourra certainement t'aider à préparer tes BUSE. Il n'est jamais trop tôt pour commencer à réviser !
Harry sourit. Certaines choses ne changent jamais.
Enfin, il faut rester sérieux pour l'instant… où en est ta recherche ? Ets-ce que tu as trouvé quelque chose qui puisse aider Sniffle ? On dirait que je suis coincée dans une impasse en ce moment… aucun des rapports que j'ai lus n'apportent une seule lumière pour sa défense. On pourrait penser que parmi une centaine de témoins bizarres, quelqu'un aurait pu entendre quelque chose… Tout ce que tu as à faire est de tout passer au peigne fin. Si tu trouves quoique ce soit, envoie Hedwige immédiatement. On ne peut pas se permettre de perdre plus de temps.
Harry laissa échapper un soupir, écrasé par la futilité de la tâche qu'ils s'étaient fixée. Une centaine de témoins… et tous affirmant la même chose. Que Sirius avait pointé sa baguette vers Queudver, faisant exploser un trou d'une taille considérable au milieu de la rue et réduisant Pettigrow à un petit tas de lambeaux sanglants. Cette satanée évidence des faits s'étalait rapport après rapport… pas étonnant que Croupton ait jugé inutile de s'aventurer dans les méandres d'un procès en règle. Harry reposa la lettre d'Hermione sans même lire la suite, et feuilleta le début du rapport pour examiner les statistiques. On aurait dit une liste de victimes de guerre : un nombre important de membres amputés, de coupures et d'ecchymoses, d'os fracturés… L'article de journal que Hermione lui avait envoyé et qui venait de sa bibliothèque Moldue soulignait tous les détails sanglants.
"Une explosion causée par une fuite de gaz dans le centre de Londres a coûté la vie de douze passants hier matin, dans un accident qui a fait s'arrêter toute vie à Covent Garden. Plus de trente-six personnes ont été envoyées à l'hôpital Charing Cross, situé non loin du lieu du drame, pour soigner des blessures variées. Le porte-parole de la Compagnie du gaz de Grande-Bretagne n'a pas pour le moment fait de commentaire. La police a commencé son enquête…"
Pendant un instant, Harry regarda l'article en fronçant les sourcils, comparant mentalement les chiffres à ceux du rapport officiel du Ministère. Trente-six blessés ? Il feuilleta le rapport jusqu'à la page des statistiques, où la ligne manquante était terriblement évidente. Son cœur cogna follement dans sa poitrine quand il vérifia les chiffres pour la deuxième fois… Trente-cinq Moldus avaient été interrogés à Charing Cross, tous minutieusement pris en charge par une équipe d'Oubliators auxquels on avait donné des ordres précis… quelqu'un manquait. Trente-six étaient entrés dans l'hôpital, et trente-cinq en étaient sortis avec l'histoire de l'explosion de gaz solidement implantée dans le cerveau. Mais ce n'avait pas été le cas de l'un d'entre eux. Une seule âme avait échappé la procédure. Et si cette personne savait quelque chose ? Et si… Harry était trop excité pour réfléchir la possibilité d'avoir accompli un pas de géant fit monter en un instant des couleurs sur son visage gris et fatigué tandis qu'il attrapait sa plume pour révéler l'information à Ron et Hermione. Il était si absorbé qu'il ne remarqua même pas qu'il avait un cadeau de moins que l'année précédente.
*~*~*
Il était complètement épuisé. Il dormait recroquevillé, roulé en boule dans une chaise près du feu ronflant. Ses cheveux, pourtant bien plus courts maintenant et qui commençaient à se strier d'argent aux tempes, tombaient toujours doucement sur ses paupières closes, qui, elles, dissimulaient deux yeux pâles et creux, fatigués par le voyage. Il était arrivé à peine quelques heures auparavant, grommelant un vague bonjour à l'occupant de la maison avant de s'installer à la place qu'il occupait à présent et de dormir comme il n'avait pas dormi depuis un mois. Cependant, comme son ami entrait dans la pièce avec un plateau de biscuits à la main, il se dit que c'était probablement ce qui lui fallait.
– Patmol ?
Sirius bougea légèrement et ouvrit un œil méfiant, qui parcourut rapidement la pièce, lui laissant le temps de s'adapter à ce nouveau décor. Après deux ans passés à fuir, il avait du mal à abandonner le besoin d'être constamment sur ses gardes. Mais la seconde d'après, son visage s'illuminait du légendaire sourire malicieux qui semblait si étranger à ses traits légèrement vieillissants.
– Franchement, Sirius, tu trouves toujours une excuse pour dormir, marmonna Remus avec un sourire en posant le plateau. Mais c'est vraiment bon de te revoir, tu sais.
– Et que pouvait faire un vieux renard comme moi, sinon débarquer chez son complice dans le crime ?
– Cela dépend à quel crime tu fais allusion, Patmol.
Remus haussa un sourcil. Le visage de Sirius reprit son expression fatiguée.
– Nous vivons des temps difficiles, mon vieux Lunard, soupira-t-il il finit par s'asseoir et se mit à beurrer un biscuit. J'imagine que tu as entendu ce qui s'est passé pendant le Tournoi des Trois Sorciers…
– Je sais seulement que Harry a gagné, répondit Remus presque avec précaution. Je dois l'avouer, je ne sors pas tellement de chez moi. Il n'y avait quasiment rien dans la Gazette de Sorcier.
– Travail de couverture, ça c'est typique du Ministère, grommela Sirius en se frottant les yeux, déjà écrasé par la tâche qui l'attendait. Je crois que tu ferais mieux de t'asseoir…
Remus s'assit donc, et son invité se lança dans le compte-rendu des évènements de la nuit de la Troisième Tâche : comment Harry et Cédric étaient arrivés premiers ex-æquo, la mort de Cédric et la résurrection de Voldemort. Le visage de Remus pâlit plus qu'il ne l'aurait cru possible quand Sirius retraça mot pour mot le pire cauchemar de Harry. Et quand Sirius lui apprit la vérité sur qui se cachait sous l'apparence de Maugrey Fol Œil, il laissa échapper un cri étranglé et vit un abyme de culpabilité s'ouvrir devant lui.
– Mon Dieu, murmura-t-il d'une voix rauque, tout est de ma faute. J'aurais dû tuer Peter quand j'en avais encore l'occasion. Si seulement il ne s'était pas échappé… Si seulement j'étais resté à Poudlard, rien de cela ne serait arrivé… J'aurais pu…
– Ce n'est la faute de personne, Remus, dit Sirius d'une voix ferme en se servant une tasse de thé d'une théière ébréchée. On ne peut pas changer le cours des choses. Il faut juste en tirer le meilleur parti possible.
– Tu veux dire…
– Qu'il est temps de rassembler l'ancienne bande. Ordre de Dumbledore. Le Phénix va renaître de ses cendres. Il faut que nous fassions passer le message à au moins Arabella et Mondingus. C'est vraiment en train d'arriver, Remus…
– Mais qu'advient-il de Harry ?
L'horloge frappa douze coups dans le silence qui était brusquement tombé entre les deux hommes. Sirius jeta un coup d'œil aux aiguilles d'or et poussa un profond soupir.
– Eh bien, il a quinze ans depuis une seconde, et le poids du monde qui pèse sur ses épaules. Le Tournoi a été vraiment éprouvant pour lui. Mais quelque chose me dit qu'il est trop le fils de son père pour ne pas reprendre le dessus rapidement.
Tous deux s'autorisèrent un sourire d'un instant, chacun perdu dans ses propres souvenirs d'un ami disparu depuis longtemps et qui n'appartenait qu'à lui seul. Pour la première fois depuis son départ de Poudlard, Sirius sentit que sa contenance lui échappait. Il déglutit péniblement et reprit son sang-froid.
– Harry est en sécurité pour le moment. C'est tout ce dont on doit se soucier.
Il se leva.
– Sirius ! s'exclama Remus, choqué par l'étroitesse de la sphère d'inquiétude de son ami. Voldemort est de retour ! Personne n'est en sécurité !
Il criait presque, mais ses paroles s'étouffèrent dans sa gorge quand Sirius tenta de le faire taire d'un regard. Il continua néanmoins d'un ton indigné :
– Et que peut-on faire sans le Ministère de notre côté ? Ils vont te traquer comme un chien, si tu me pardonnes le jeu de mots. Le serviteur le plus dévoué de Voldemort, toujours en fuite… c'est bien trop dangereux. Si tu es pris, ils te tueront d'un seul mauvais sort.
Sirius se retourna, les yeux pleins de feu :
– Et depuis quand je me laisse impressionner par ce genre de choses ?
*~*~*
Quelque chose était différent, vraiment. Claudia ne l'avait pas senti depuis longtemps, mais quand cela revenait, cela la frappait comme un flot de lumière et ne cessait jamais. La peur. Ce sentiment terrible, venu du plus profond d'elle-même qui lui disait que quelque chose était sur le point d'arriver, quelque chose si horrible qu'il électrifiait l'air de sa seule probabilité. Sa sœur Lucy mettait toujours ce genre de sentiment sur le compte d'une sensibilité exacerbée. Elle avait un jour mentionné à Claudia ce qu'elle avait lu quelque part dans un livre – la surcompensation des autres sens pour pallier à la différence était un problème courant chez les malvoyants. Mais ceci était différent, comme si quelque chose en dehors de sa sphère de sensibilité tentait de l'avertir d'un danger. C'était comme un sixième sens, mais sans les fantômes. Non pas qu'elle les aurait vus, de toute façon.
Elle avait ressenti cela depuis la fin juin, par une nuit sans étoiles où l'écho d'un cri terrifiant avait retenti dans ses rêves, puis s'était manifesté dans la réalité par un hurlement à vous glacer le sang qui avait réveillé en sursaut le reste de la maisonnée. Elle n'avait pas rêvé depuis des mois : les pilules que lui avait prescrites le docteur avaient semblées très efficaces, et l'avaient calmée d'une façon frappante depuis l'incident du verre. Mais ce rêve-là avait envoyé valser le barrage des drogues. Et tandis qu'elle l'expliquait à Lucy le lendemain devant sa tasse de café, elle se doutait bien de la réaction qu'elle allait sûrement recevoir.
– C'était encore cet homme… tu sais, ce petit homme au visage rond que j'ai vu à Covent Garden. Il avait mal… je pouvais ressentir sa douleur. Quelque chose coulait de son bras, c'était chaud, poisseux. J'avais l'impression de nager dedans…
Lucy lui lança son regard habituel, comme pour lui faire sentir son impression que Claudia avait complètement pété les plombs. Claudia poursuivit, ignorant naturellement l'interruption silencieuse. Elle avait besoin d'enlever ce poids de sa poitrine.
– Il y avait des visages masqués partout, c'était horrible. Tout le monde était si terrifié. Et le pire de tout, c'était ce garçon – il ne devait pas avoir plus de quinze ans – il hurlait comme si un feu le dévorait de l'intérieur.
Elle avala sa salive le souvenir de son rêve lui faisait trop mal pour qu'elle révèle la suite.
– Et c'est ça qui m'a réveillée.
– Et qui a réveillé tout le monde en même temps, marmonna Lucy d'un ton désapprobateur tandis qu'elle enlevait les tasses de la table. Est-ce que tu as pris tes comprimés ? Peut-être qu'on devrait augmenter le dosage…
– Non.
Lucy se tut. D'après le silence tendu, il semblait qu'elle n'était pas tout à fait sûre de la réponse à apporter à cette protestation soudaine. Claudia se renfonça dans son siège, incertaine de la provenance de son insolence du moment. Elle détestait ces rêves, ou plus exactement, ces cauchemars. Pourtant ils lui paraissaient plus réels que n'importe lequel de ses souvenirs visuels. C'était comme s'ils ne lui appartenaient pas, mais qu'elle avait été obligée de les regarder, encore et encore ils ressemblaient à une vieille pellicule de film déchirée aux bords, dont le manque de précision et de netteté ne manquait jamais de la laisser pantelante et avide d'en savoir plus. Et ce hurlement… il lui avait semblé si familier, comme le gémissement malheureux d'une vois qu'elle avait connu un jour, qui lui avait parlé auparavant, d'un ton suppliant. Rien que d'y penser faisait courir la chair de poule le long de sa colonne vertébrale. La voix allait revenir.
– Désolée, Lucy. C'est juste que j'ai cet horrible pressentiment que quelque chose va arriver. Comme si les rêves en étaient la clé…
Les mots lui semblaient ridicules dès qu'ils s'échappaient de sa bouche.
– Tu nous joues ta meilleure impression Cassandre, c'est ça ?
– Tu peux dire ça comme ça.
*~*~*
" Cher Harry,
" Je n'arrive pas à le croire ! Je crois bien que tu as mis le doigt dessus ! Je suis complètement d'accord avec toi – on dirait qu'un des témoins est passé à travers les mailles du filet. Il y a un Moldu quelque part, qui ignore totalement qu'il détient la clé de tout. C'est tellement ironique qu'on pourrait en rire aux éclats.
" Enfin, je suis revenue chez moi mais j'essaye de convaincre mes parents de venir te sortir de ce cachot infernal autrement connu sous le nom du 4, Privet Drive. Je déteste vraiment te savoir enfermé là-dedans. Ron est d'accord avec moi. Ne perd pas courage, j'y travaille sérieusement.
" Hermione.
" P.S. : Ne fais rien de stupide – et tu sais ce que je veux dire. Tu as le bonjour de Ron. "
Harry laissa échapper un soupir las en relisant la lettre pour la énième fois, le cerveau fourmillant d'idées et de plans qui n'avaient aucune chance de marcher. L'excitation de la découverte s'était rapidement muée en cette minuscule lumière à l'horizon, celle qu'on semblait pouvoir atteindre si on faisait un seul pas en avant mais qui demeurait inaccessible. C'était un sentiment horrible de savoir que quelqu'un, quelque part, portait avec lui le souvenir de l'un des nombreux incidents qui, ensemble, avaient résulté en son enfance blessée, quelque chose qui aurait pu avoir été évité si facilement si ce satané rat n'avait pas été là. Et Harry n'avait pas la moindre idée de comment dénicher le témoin.
La lettre qui reposait maintenant sur sa table de chevet datait d'au moins quelques jours – on ne peut jamais savoir, avec la poste par hiboux – et la brise d'été chaude, comme languissante, semblait allonger ces journées. Hedwige était partie depuis quelques jours elle s'était rapidement envolée de nouveau dans la nuit après avoir délivré la lettre d'Hermione, s'arrêtant à peine une seconde sur l'épaule de Harry pour lui mordiller amicalement l'oreille comme à son habitude avant d'aller probablement – comme Harry le pensait – satisfaire le grondement de son estomac à l'aide d'une souris malchanceuse qui aurait choisi exactement le mauvais moment pour se risquer hors de la sécurité de son abri. Harry ne s'en formalisait pas trop : Hedwige était un oiseau assez imprévisible et aimait le surprendre. Elle ressentait tout autant que lui l'isolation qu'il s'imposait. Dumbledore n'avait pas spécifié que Harry ne devait pas quitter les Dursley une seconde pendant les vacances, mais il pouvait imaginer le regard du directeur quand il l'avait expliqué à une Mrs Weasley soucieuse : sérieux, peiné, l'étincelle qui dansait derrière ses lunettes en demi-lune tristement obscurcie. Il n'aurait pas imposé cela à Harry s'il n'avait eu de solides raisons. Et il avait toujours de solides raisons. Harry avait confiance en lui.
Il détacha son regard de la fenêtre ouverte et tenta de se concentrer sur son devoir de Métamorphoses sur les implications morales et l'étique des transfigurations humaines. Mais même les talents d'Animagus du professeur McGonagall n'arrivaient pas à l'inspirer en ce jour d'été. Surtout si on considère que Hedwige choisit ce moment pour faire, à ce jour, son entrée la plus théâtrale.
Pendant une minute, Harry n'eut pas la moindre idée de ce qui se passait. Il sentit un souffle de vent ébouriffer ses cheveux et il pivota sur sa chaise juste à temps pour voir un paquet de plumes blanches en bataille culbuter sur son lit et rebondir hors de vue. A en juger par les battements d'ailes frénétiques, Harry crut pour une seconde qu'il s'agissait du hibou de Ron, Coquecigrue. Mais très vite, les hululements familiers et une tentative pour grimper tant bien que mal sur le lit révélèrent la véritable identité du hibou.
Harry se leva d'un bond pour courir aider Hedwige incapable de bouger, clouée au sol par le poids du paquet. Il fronça légèrement les sourcils tandis qu'il dénouait les nombreuses torsades de ficelle serrée pour libérer la chouette de son fardeau elle hulula son remerciement quand elle fut finalement libre, et s'envola pour s'installer sur son perchoir. Harry la regarda voler pendant une seconde elle semblait un peu secouée, probablement à cause du poids de son fardeau et de la durée probable de son vol – elle chancela dans sa cage, les yeux dans le vague, avant de tomber dans un sommeil profond et bien mérité. Harry sauta sur l'occasion de regarder son paquet. Il avait à peu près la taille d'une grande boîte de bonbons, et était complètement enveloppé de papier kraft, entortillé de ficelle que le garçon se mit à arracher, ses yeux verts émeraude brillant d'excitation – et de surprise. Un autre cadeau d'anniversaire ? Il n'en était pas tout à fait sûr. Il n'avait pas été vraiment déçu de ne pas recevoir de cadeau de son parrain, car il n'en attendait pas les adultes de sa vie avaient leurs propres batailles à mener pendant les vacances – Hagrid était quelque part dans les Alpes à la recherche de sa mère parmi les Géants, Sirius rassemblait ce que Dumbledore avait appelé les " anciens "… Harry avait appris longtemps auparavant que Dumbledore savait toujours ce qu'il faisait. Mais cela ne l'empêcha pas de déchirer le papier marron et de poser ce qu'il contenait sur la couette à fleurs qui recouvrait son lit et qu'il n'utilisait jamais. Pendant une seconde, un rayon de soleil joua dans quelque chose en verre, éclaboussant les murs d'un habit de lumière et de couleurs qui dansèrent sur les étagères avant de retomber. Harry retint son souffle.
C'était un sablier – bien plus grand que le Retourneur de Temps qu'Hermione avait utilisé en troisième année, et plus décoré. A l'intérieur, le sable était presque blanc, ponctué parfois d'un grain plus sombre qui rendait le tout d'une nuance incertaine, presque jaune, gardant pourtant un air de pureté, de confiance. Harry le prit avec précautions, le retournant dans ses mains tandis qu'il examinait le travail d'artiste, le verre abrité dans le bois d'acajou élégamment gravé des mots qu'il ne reconnut pas y étaient inscrits. L'objet était incroyablement lourd. Fronçant légèrement les sourcils, perplexe quant à ses origines, il le retourna pour examiner la base où une autre inscription était gravée.
– Tempus, marmonna-t-il entre ses dents, tandis que ses doigts suivaient les lettres tracées profondément au burin. Tempus ? Ses sourcils se froncèrent complètement tandis qu'il tournait et retournait le mot dans sa tête. Il semblait familier – latin, au moins. Harry ferma les yeux et tenta de se rappeler, après avoir remis le sablier dans sa position normale. Il réfléchit longuement.
– Tempus ? murmura-t-il de nouveau – comme il regrettait de ne pas avoir le dictionnaire de latin vivant qu'était Hermione ! Tempus… Tempus…
Soudain, quand Harry essaya de retirer ses doigts du sablier, il découvrit qu'ils semblaient scellés aux deux extrémités du fragile objet, qui brûlait de plus en plus au toucher. Il flamboyait. Au milieu de la panique qui commençait à peser dans sa poitrine, il tenta d'arracher le sablier à ses doigts, mais sans succès. L'objet flamboyait de plus en plus, et la lumière brûlait même légèrement ses yeux jusqu'à ce qu'il les protège à l'aide de la manche de sa veste. La sensation de brûlure dans ses doigts devint si insupportable qu'il essaya de hurler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Autour de lui, les couleurs se brouillèrent et entrèrent dans une ronde frénétique, plus douloureuse que tout ce dont il avait eu l'expérience auparavant. Puis, dans une tentative finale de cri étranglé, tout devint noir.
*~*~*
Quand il osa finalement ouvrir les yeux, il se retrouva pelotonné dans une embrasure de porte, et il dut se rattraper pour ne pas s'écrouler sur le trottoir dur et froid. Il haleta ce premier souffle lui sembla complètement nouveau, comme celui d'une créature émergeant pour la première fois de sa vie des ténèbres des profondeurs, et lui rappela fortement sa première gorgée d'air quand il avait émergé du lac de Poudlard à la fin de la Seconde Tâche. Ce souvenir le fit frissonner, mais n'arriva pas à distraire son attention de la scène qui se dévoilait devant ses yeux. Le chaos total.
Il se demanda pendant un instant s'il ne venait pas de transplaner au milieu d'un pays en guerre : il y avait du verre partout dans la rue en face de lui. Il vacilla et tomba assis par terre, encore tout étourdi par son voyage inattendu. Etait-ce un autre Portoloin ? Il agrippa sa baguette magique dans sa poche quand la pensée traversa son esprit engourdi, l'autre main serrant toujours le sablier. Il fixa l'objet pendant un instant, le tenant à bout de bras pendant l'examen, une expression méfiante apparaissant peu à peu sur son visage. Ne te fie jamais à quelque chose qui peut penser par lui-même si tu ne vois pas où est son cerveau… ce n'était pas la première fois qu'il regrettait de ne pas avoir suivi le conseil de Mr Weasley. Enfin capable de le détacher de ses doigts, il le fourra dans sa poche et se remit à regarder la scène. On aurait dit la fin du monde : des gens couverts de blessures et de coupures diverses gisaient çà et là, entourés d'ambulanciers Moldus, les blessés les plus graves transportés sur des brancards et emmenés dans une des nombreuses ambulances garées non loin de là, qui de temps en temps émettaient un hurlement aigu dès qu'elles se précipitaient dans les rues encombrées de Londres. Maintenant Harry savait où il se trouvait. Il avait lancé un coup d'œil furtif à un panneau accroché au coin d'un immeuble, où le nom de la rue se trouvait inscrit. Monmouth Street, WC2. Centre de Londres. Et si sa mémoire lui était fidèle, quelque part près de Covent Garden.
– Reculez, s'il vous plaît, reculez !
Il entendit une voix qui s'approchait de lui rapidement, quelque peu tremblante et manquant d'autorité – mais cette voix retint son attention et le ramena brutalement à la réalité. Ce ne pouvait pas être… non, c'était impossible…
Puis cette voix trouva son écho dans sa tête, le souvenir d'une conversation entendue par hasard dans les Trois Balais…
" J'étais Directeur du Département des Catastrophes Magiques à l'époque, et j'ai été l'un des premiers dépêchés sur les lieux après que Black ait tué tous ces gens. Je… je ne l'oublierai jamais. Il m'arrive encore d'en rêver… "
Il s'agissait bien de Cornélius Fudge, mais pas de celui que Harry connaissait. Cet homme avait bien dix ans de moins ses yeux étaient grand ouverts, paniqués par la scène qui se déroulait devant lui, et il avait l'air incroyablement embarrassé dans son costume Moldu en tweed. Il ne jeta même pas un second regard à Harry. Celui-ci tenta d'aplatir ses cheveux sur sa cicatrice, qui en ce moment lui faisait mal pour une raison inconnue. Harry plissa les yeux pendant une seconde tandis qu'il enregistrait toutes ces informations. Mr Fudge avait manifestement d'autres soucis à l'esprit, et Harry se mit à s'éloigner le long du mur pour observer la scène à distance. Le cratère au milieu de la rue était encore fumant. Des fissures dans le trottoir sortaient de l'épicentre comme des doigts décharnés, cruels, rampant vers les survivants à ses bords. Et, à en juger par les tas de lambeaux et les corps recouverts par des draps dans la rue, il semblait y en avoir bien peu.
Harry se retourna vers la porte devant laquelle il se tenait. La prise de conscience le frappa si violemment qu'il en était malade – physiquement. Toute couleur quitta son visage en même temps que le contenu de son estomac. Il avait le vertige, et se sentait faible, comme s'il avait fait un tour dans toutes les cheminées du monde par la Poudre de Cheminette après avoir mangé un plat indien lourd avec du curry. Heureusement Fudge ne l'avait pas vu, et s'était remis au travail, conseillant çà et là les équipes d'Oubliators de garder leurs baguettes hors des regards des curieux, vu le nombre de Moldus dont ils avaient à se cacher. Il y avait aussi la question, peu importante, d'un sorcier acculé à un mur à l'autre bout de la petite place, véritable ombre dont les lèvres remuaient silencieusement, très rapidement. L'homme, qu'on remarquait facilement à cause de la robe de sorcier qu'il portait, avait les yeux grand ouverts, les cheveux légèrement balayés en arrière par le souffle de l'explosion, et tremblait violemment, en proie à un mélange de peur et de fureur presque hystérique. C'était un homme au bord de la folie. Un homme qui n'était que trop conscient du destin qui l'attendait. Un homme qui, à peine quelques jours auparavant, avait perdu tout ce qui lui était cher par les actions d'un certain petit rat.
– Sirius… murmura Harry.
Harry regardait toujours lorsque Sirius fut emmené des sorciers de la Brigade d'Elite lourdement armés, habillés comme des inspecteurs de la police judiciaire Moldue, lui passèrent les menottes sans qu'il oppose aucune résistance – l'expression satisfaite de leur visage était suffisante pour donner envie à Harry l'envie de vider de nouveau son estomac. Sirius promena un regard désespéré autour de la place, sachant qu'il n'avait presque aucune chance d'être cru son regard passa à travers Harry comme il était passé à travers bien d'autres, avant qu'on le pousse dans une voiture du Ministère qui l'emmena à toute vitesse loin de la scène – son cri étranglé, désespéré, résonna en écho autour de la petite place. Sa réservation de douze ans à l'hôtel Azkaban venait d'être confirmée.
Harry ravala l'envie de vomir de nouveau et s'aventura hors de sa cachette, au milieu des débris. Le sablier devait être une sorte de Retourneur de Temps – mais un Retourneur de Temps horriblement faussé. Il avait eu l'impression que ce genre de machin pouvait seulement vous ramener quelques heures en arrière, pas des années… et qui donc le lui avait envoyé ? Et comment l'avait-il réglé ? Et surtout – il aurait donné tout l'or de Gringotts pour le savoir – comment était-il censé rentrer chez lui ? Qui que ce soit qui ait organisé tout cela, quelques soient les moyens utilisés, il avait parfaitement réussi. Harry était maintenant complètement coincé dans ce qui, à l'évidence, semblait être Londres au début du mois de novembre 1981, juste après l'explosion de gaz tragique qui avait entraîné tant d'évènements qu'il en avait de nouveau le vertige rien que d'essayer d'y penser. Un écho de la voix aux intonations impératives de Dumbledore résonna dans sa tête… il ne faut pas qu'on vous voie… et pour une fois, il décida de suivre cet ordre à la lettre, car il se rendait soudain compte de ce qui lui était offert sur un plateau d'argent. La parfaite occasion de le retrouver. Quelqu'un qui n'allait pas être à la mauvaise extrémité d'un Sortilège d'Amnésie à la fin de la journée. Le témoin manquant des rapports.
Hermione va me tuer, pensa-t-il en descendant la rue, hélant un taxi pour l'emmener à l'hôpital Charing Cross.
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– Harry !
Silence.
– Harry, espèce de sale garnement ! Ramène ton lamentable petit derrière en bas des escaliers et viens tondre la pelouse ! Ça commence à ressembler à la Forêt Amazonienne !
Un silence, de nouveau. La tante Pétunia soupira. Peut-être qu'il était mort, finalement. Elle suggéra cette possibilité à Vernon, qui avait enfoncé son propre énorme derrière dans le fauteuil à côté du feu électrique tout neuf. Il leva à peine les yeux.
– On peut toujours rêver, marmonna-t-il derrière son journal.
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Et voilà ! Le premier chapitre, enfin ! J Comme vous pouvez le constater, ils arrivent très lentement. Mais je ne désespère pas d'en venir à bout un jour. J'adore vraiment cette histoire, et je préfère apporter à sa traduction tout le soin et l'attention qu'elle mérite. J'espère que vous aimerez ce chapitre, ainsi que les autres en attendant, bisous à tous ! :o)
Belphégor ~ la Bizarre ! ~ J
