Le Témoin Inconnu
Une histoire de Athena_Arena, traduite par Belphegor
Chapitre 2 : Réunions et Railleries
Harry se sentait vraiment minuscule, assis à l'arrière du taxi qui descendait Leicester Square à toute vitesse, tentant un demi-tour pour lutter contre l'embouteillage qui encombrait Charring Cross Road. Le chauffeur, dans une ignorance bienheureuse, babillait sans arrêt à propos de la soi-disant " explosion de gaz " avec l'air d'un vétéran de guerre.
– Et ouais, tout ce que j'ai entendu c'est cet énorme " BOUM ! " et y avait de la poussière partout, 'voyez le genre, et ma dernière cliente hurlait comme une folle, la pauvre conne. Alors moi je me pointe et je me dis que je pourrais me mater un peu, histoire de voir comment ça se passe, 'voyez ?
Harry ne voyait pas, mais hocha quand même la tête d'un air absent.
– Ouais, bon, je crois que je suis tombé en plein dedans, 'voyez ? De la fumée partout, des gens qui hurlaient… me demande si quelqu'un y est resté… vous n'auriez pas vu plus, par hasard ?
Harry fronça légèrement les sourcils dans le rétroviseur du chauffeur – il préférait qu'on le laisse à ses pensées à lui. Le chauffeur le dévisagea en retour mais n'insista pas trop il détacha ses yeux du regard froid de Harry et les reporta sur la route. Les embouteillages de Londres s'étalaient dans toute leur gloire. La rue était bouchée, obscurcie par les taxis noirs et les bus des piétons haletants se faufilaient en courant çà et là devants les pare-brise, tandis que le chauffeur de taxi tapotait impatiemment des doigts sur le volant. Apparemment, il était facilement distrait.
– Nom d'un chien, fils, c'est une sacrée égratignure que vous avez là ! dit-il en levant les yeux vers le rétroviseur pour faire comprendre à Harry qu'il parlait de sa cicatrice. Comment vous vous êtes dégoté ça ?
– Si je vous le disais… dit Harry lentement, levant la tête pour à son tour le fixer dans le rétroviseur, les yeux étincelants. Vous ne me croiriez jamais.
– Ah ouais ? rigola le chauffeur, un sourcil levé. Et pourquoi ça ?
Mais Harry ne lui donna pas l'occasion d'entendre la réponse. Ayant lu sur un panneau d'indication que l'hôpital ne se trouvait qu'à quelques mètres, il ouvrit tranquillement la portière du taxi. Le chauffeur le regarda avec ahurissement.
– Ça ira pour moi, merci.
– Eh ! Et le prix de la course, alors ?
Harry avait un pied sur le trottoir et l'autre toujours dans le taxi. Il farfouilla dans sa poche et en sortit un Gallion d'or. Il le jeta au chauffeur sidéré, qui secoua la tête d'un air stupéfait tandis que Harry le regardait avec espoir.
– Et je peux savoir ce que ce bidule est censé être ?
Harry claqua la portière et se pencha par la fenêtre du taxi.
– De l'or – de l'or massif. Je crois que vous feriez mieux de passer par le Trésor Public avant de rentrer au dépôt…
Et Harry disparut en un clin d'œil dans la foule de personnes qui se dirigeaient vers l'hôpital avant que le chauffeur puisse articuler un mot de protestation. Il se contenta de secouer à nouveau la tête, marmonna " Ces gosses… " et rangea celui-là dans la catégorie " clients perdus ". Il n'accorda même pas un regard à la pièce d'or massif.
*~*~*
Le grand chien noir galopait sur le trottoir de Magnolia Crescent à une telle allure qu'un passant aurait juré qu'il était pressé. L'animal laissait sa langue pendre paresseusement il respirait rapidement, haletant d'un air essoufflé. Sa course ralentit peut à peu, pour finalement s'arrêter devant le portail du numéro 25. Il s'assit un moment et regarda la porte d'entrée d'un air inquisiteur, pendant que des bruits de pas se rapprochaient derrière lui.
– Franchement, Patmol… murmura d'une voix essoufflée le propriétaire de bruits de pas lorsqu'il rattrapa finalement la bête. Tu essayes de me tuer ? Nous n'avons plus seize ans depuis longtemps, grâce au Ciel…
Le chien leva la tête vers lui, le museau animé d'une expression qui ressemblait à un sourire malicieux. Il se leva d'un bond, parvint avec une adresse étonnante à ouvrir la petite grille à l'aide de son énorme patte maladroite et trottina à pas de loup vers la porte d'entrée. Le compagnon du chien semblait un peu hésitant il traversa le jardin à pas lents et mesurés, comme si la rencontre qui les attendait constituait une menace imminente.
– L'adorable Arabella a un faible pour les chats, si je me souviens bien ?
Patmol hocha la tête d'un air malin. Son compagnon sembla hésiter entre agacement et hilarité.
– Et je suppose que le fait que tu ne puisses pas débarquer sur son perron dans ta forme humaine, vu que tu nous joues la carte du meurtrier en fuite, est bien commode ? Hm ?
L'homme secoua la tête un sourire de maraudeur, espiègle, vint éclairer son visage pâle, puis il appuya finalement sur la sonnette.
– Il y a des choses qui ne changent jamais…
– Par contre, c'est dingue ce que d'autres peuvent changer… coupa la voix de la femme qui ouvrit la porte. Remus ! Comment vas-tu, mon grand ? Et je peux savoir ce que tu fiches devant ma porte à cette heure impossible ?
Remus Lupin sourit d'un air radieux à sa vieille amie en la prenant dans ses bras.
– Arabella Figg. Ça fait des siècles, hein ?
– Tu l'as dit !
La vieille dame eut un sourire si immense qu'il aurait pu traverser les fuseaux horaires. Puis elle baissa les yeux vers le chien.
– Un nouvel ami, Remus ?
Patmol se redressa, légèrement nerveux. Remus le remarqua.
– Du calme, mon vieux, dit-il en caressant la tête du chien, recevant un grognement agacé en réponse. En fait, ce chien explique en partie ma visite. Comment avance la recherche sur les Moldus ? Je vois que tu t'es fait un joli petit déguisement…
– Oh ? pouffa la vieille dame. Tu parles de Mamie Nova ? Oui, ils n'y voient que du feu…
Et à ce moment, elle passa la main devant son visage une petite pluie d'étincelles roses tomba, dévoilant la véritable apparence de celle qui se cachait derrière le déguisement du sortilège. On aurait dit que la main de la vieille dame chassait les rides de son visages, révélant au passage une expression qui était nettement plus familière à Remus Lupin et à son ami à quatre pattes. Ses cheveux ruisselèrent de nouveau de couleur, passant du blanc au brun en une cascade fluide, le visage rajeunit, les dents blanchirent, et la couleur des yeux devint plus vibrante que jamais, changeant d'un gris brumeux à un bleu de velours sombre. Lorsqu'elle eut terminé, elle poussa un profond soupir.
– C'est bien mieux comme ça, dit Remus avec un grand sourire. Maintenant, je vais pouvoir te montrer comme je suis heureux de te voir…
– Hé là ! s'écria Arabella en reculant d'un pas dans le couloir de sa maison mitoyenne parfaitement ordinaire, puis faisant signe d'entrer au chien et à Remus qui ferma la porte derrière eux. N'y pense même pas, mon petit monsieur. Je t'ai dans le collimateur, moi. Une tasse de thé, ça te dit ? dit-elle depuis la cuisine.
– Euh, oui, un bon thé aux herbes serait parfait…
– Et pour ton compère, ce sera quoi ?
Remus retint nerveusement sa respiration. Nous y voilà.
– Il préfère sa Bièraubeurre à peine tiède, si tu n'as pas oublié.
Il entendit un bruit de vaisselle qui se brise puis Arabella le dévisagea d'un air stupéfait, la bouche ouverte, sous le choc de ce qu'elle venait d'entendre. Ce fut ce moment que Sirius choisit pour s'avancer dans la lumière.
– Je crois qu'il faut qu'on s'explique un peu.
*~*~*
La panne de l'écrivain avait encore frappé Claudia. Assise dans la serre avec la machine à écrire en Braille sur les genoux, elle serra les paupières intensément, perdue dans ses pensées. Elle tentait encore une fois de rappeler à elle le souvenir qu'elle avait enterré dans sa mémoire pendant si longtemps avec toutes les inepties qu'elle avait débité tout au long des années. Dans ses moments les plus bizarres, elle essayait toujours de coucher ses sentiments sur le papier. Les petits points frappés sur la page épaisse formaient, comme les rouages d'un mécanisme colossal, les mots d'un langage qu'elle ne visualiserait jamais. C'était de loin la plus grande difficulté que sa blessure lui avait imposée ; maintenant, elle se rendait compte de combien son petit monde dépendait du pouvoir des mots écrits. Que ce soit une note qu'elle laissait à la hâte sur un post-it au bureau, ou bien le roman terminé dont elle savait qu'il ne serait jamais publié, les mots avaient toujours été son échappatoire personnel. Grâce à eux, elle avait la possibilité de devenir une entité totalement différente, et de se libérer finalement du monde imaginaire dans lequel elle flottait avant de se réveiller le matin, prête à affronter la réalité.
Pour le moment, ce monde imaginaire était devenu son monde réel. Lorsqu'elle ouvrait les yeux le matin, c'était toujours la même brume blanchâtre qui l'accueillait, constituée de couleurs inexistantes, sur laquelle elle avait fermé les yeux la veille au soir. Et bien que son mode de vie n'avait subi que peu de changements radicaux – un réaménagement de son bureau encombré de Londres, plus de travail à la maison – la possibilité constante de s'abandonner à son monde imaginaire et de s'asseoir devant sa machine à écrire en Braille, et ce tous les jours que Dieu fait, devenait parfois trop difficile à supporter.
Et lorsque le monde imaginaire prenait le pas sur la réalité, elle ne connaissait qu'une seule forme de rédemption. Sortir tout cela d'elle-même et le coucher sur papier. Elle leva les doigts devant elle comme une arme, le regard immobile et impassible, et se mit à taper.
" Un petit garçon était assis au bord du lit, dévisageant sans ciller la femme déchue gisant devant lui. Elle poussa un profond soupir. Puis elle devina sa présence et tendit la main… "
Elle s'arrêta à nouveau, essayant de se souvenir de la conversation qui avait suivi. Ces heures sombres, immédiatement après " l'explosion de gaz ", comptaient parmi celles qui l'inspiraient le plus. Ses autres sens avaient semblé en suractivité ce jour-là, comme pour compenser la disparition soudaine de sa vue en accentuant tout le reste. C'était de la sirène qu'elle se rappelait le mieux. Même si on l'avait classée en tant que " blessé valide ", on l'avait tout de même emmenée très tôt loin du cratère la police n'avait presque pas remarqué sa silhouette courbée, ou l'ambulance la conduisant vers les urgences. Elle se rappelait les coups sourds qui résonnaient dans sa tête tandis que l'ambulance remontait les rues encombrées de Londres à toute vitesse… ainsi que l'éclair qui lui avait coûté la vue, et qui se répétait encore et encore dans son esprit, tandis qu'elle portait une main à son front et qu'un gémissement de douleur s'échappait de ses lèvres. Et enfin, le noir et le silence qui avaient accompagné sa perte de conscience. Apparemment, c'était devenu trop dur.
Et de là résultait cette conversation qu'elle tentait à présent de coucher sur le papier. Elle ne pouvait pas dire avec certitude si cette scène avait été vraiment réelle, ou bien si son cerveau l'avait créée de toutes pièces pour expliquer ces instants de ténèbres qui avaient suivi l'explosion, et toute la bizarrerie de ce qui l'avait précédé. Elle se souvenait d'avoir été réveillée par une voix, aux tons jeunes mais avec l'air sous-jacent de quelqu'un qui avait déjà été confronté au Mal. C'était une voix vibrant d'une compassion comme on ne lui avait jamais manifestée, ni avant ni depuis lors. Elle avait l'impression de l'avoir réentendue des millions de fois après cela, et plus récemment dans ce cri déchirant qui lui avait transpercé le cœur et l'âme, cette nuit de juin. C'était tellement difficile de se rappeler avec précision quand elle n'était même pas sûre que ce cri ait été réel. Mais il n'était pas faux de dire que, depuis lors, elle manquait complètement du simple concept de réalité. Pour elle, voir, c'était croire.
Qu'avait dit la voix ? Pourquoi avait-elle été si rassurante dans ces moments sombres ? Etait-ce juste un autre rêve ou bien tout cela faisait-il partie d'un schéma bien plus important ? Claudia arracha le papier de la machine à écrire en Braille avec un cri de frustration et le lança de toutes ses forces à travers la pièce, jusqu'à l'entendre rebondir sur la baie vitrée de la serre. Qu'est-ce que tout cela pouvait bien vouloir dire ? Pourquoi ne pouvait-elle pas être normale, et ne pas passer une journée sans avoir l'air d'une victime du Syndrome de la Guerre du Golfe ? Et surtout, arriverait-elle à découvrir tout cela avant de perdre la dernière prise sur la réalité qu'il pouvait bien lui rester ? Elle enfouit sa tête dans ses mains, traçant les quelques rides précoces avec une mélancolie triste qui s'alourdissait. Et cela, c'était un sentiment qu'elle ne pourrait jamais capturer avec des mots.
*~*~*
Le chaos complet régnait dans l'hôpital. Harry entra en silence. Pas une fois il ne fut interpellé par le petit groupe de policiers parlant à quelques témoins, dont il remarqua l'expression d'hébétude paisible en plus des bleus et des coupures de leur visage. Un malheureux sergent de police essayait d'obtenir le nom d'un homme qui affirmait être le seul et unique Père Noël, et ce avec une confiance frappante. Puis Harry aperçut un individu qui, l'air mal à l'aise, glissa ce qui ressemblait fortement à une baguette magique dans la poche de sa veste. Les Oubliators du Ministère de la Magie étaient à leur poste. Harry aplatit immédiatement sa frange pour dissimuler sa cicatrice il se sentit un peu nerveux lorsque l'Oubliator passa près de lui sans lui accorder un regard en passant la double porte pour entrer dans une salle. Techniquement, Harry n'avait que quinze mois, mais il ne voulait prendre aucun risque. Il sortit un mouchoir de sa poche, le tapota une fois de sa baguette magique et le métamorphosa discrètement en casquette pour dissimuler ses cheveux noirs et fous qui constituaient une de ses marques de fabrique. Et voilà. Facile comme tout. Après l'avoir enfoncée sur sa tignasse en bataille et fourré les mèches folles derrière les oreilles, il jeta un coup d'œil alentours avant de se glisser dans l'ombre de l'Oubliator. Il entra dans la salle par la double porte avant que l'infirmière en chef n'ait levé les yeux.
Les hôpitaux n'étaient pas étrangers à Harry. Loin de là. Durant toute son enfance chez les Dursley, sa malchance chronique – sans parler de la brutalité de Dudley lorsqu'il " jouait à la bagarre " lui avait rapporté un nombre considérable de factures médicales. Bras cassé, saignement de nez, cheville foulée due au mémorable incident sur le toit de la cantine de l'école… Et jusqu'ici, son séjour à Poudlard ne s'était pas révélé très différent. Harry n'arrivait pas à se souvenir d'une seule fois où il n'avait pas passé une bonne partie du dernier trimestre cloué à l'infirmerie à cause d'une quelconque affectation. Basilic, Détraqueur, ou quoi que ce soit, il y avait toujours quelque chose qui en voulait à sa vie. Néanmoins, la scène qui s'offrit à ses yeux fit tomber son cœur dans sa poitrine.
Manifestement, il venait d'entrer dans une sorte de salle d'attente, car il voyait un homme assis sur une chaise, la tête baissée de stupéfaction et de chagrin, agrippant dans une main tremblante un gobelet de ce café minable qu'on trouve dans les hôpitaux. Se sentant horriblement mal à l'aise, Harry resta un moment près de la porte, tandis que l'étranger avalait son café à petites gorgées, semblant savourer le peu de goût que contenait le liquide marron. L'homme avait l'air légèrement mal à l'aise dans son vieux jean il changea de position sur son siège pour poser son verre et plongea à nouveau ses mains dans ses poches. Son visage demeura tourné vers le sol lorsque Harry essaya de passer devant lui. Le garçon n'était qu'à quelques pas de l'étranger quand ce dernier laissa échapper un sanglot étranglé mais tout à fait audible, venant du plus profond de sa gorge – un son qui serra si fort la gorge de Harry qu'il ne put s'empêcher de faire halte.
– Monsieur ? demanda-t-il d'un ton hésitant en s'arrêtant près de l'homme il n'obtient aucune réaction. Est-ce que ça va ? Je peux faire quelque chose pour vous ?
A cela l'homme leva les yeux – des yeux un peu rougis et bouffis, comme s'il n'avait autorisé qu'aujourd'hui le flot de chagrin qui le noyait depuis une éternité à se déverser sur le sol froid carrelé de blanc. Il regarda Harry un instant, puis fixa de nouveau ses pieds.
– Non, fils, je vais bien, je…
Puis il s'interrompit, frissonna imperceptiblement, et regarda de nouveau Harry. Ses yeux bleus étaient grand ouverts, alertes et vifs, humides de larmes causées par la perte qu'il venait de subir. Mais ce que dit l'étranger ensuite bouleversa Harry au-delà de tout ce qu'il pouvait imaginer.
– Par tous les quartiers de la lune ! murmura-t-il en se frottant les yeux, comme s'il commençait à perdre sérieusement contact avec la réalité. James ! C'est toi ?
Harry se rendit soudain compte que respirer était une fonction corporelle vitale, mais qu'il était incapable d'accomplir. Il recula d'un pas, comme frappé par la foudre.
– Euh, non, euh… désolé, parvint-il à bafouiller, réalisant soudain l'identité de la personne assise juste en face de lui. Vous devez me confondre avec quelqu'un d'autre…
– Oui, je suppose, dit Remus Lupin, qui baissa de nouveau les yeux vers le sol d'un air abattu. Pardon, c'est juste que vous ressemblez de façon frappante à un de mes amis qui récemment…
Il se racla la gorge pour tenter d'étouffer le sanglot qui venait.
– … Qui est décédé récemment.
– Je suis désolé, se surprit à dire Harry tout en tirant un siège pour s'asseoir en face de son futur professeur à Poudlard. Vous voulez en parler ?
Remus releva la tête, un peu surpris son visage reflétait la réplique exacte du trouble qui s'agitait dans l'esprit de Harry en ce moment. Il savait qu'il perdait son temps. Il savait que quelqu'un, quelque part entre les murs époque Victorienne de cet énorme hôpital détenait les réponses à toutes les questions qu'il s'était jamais posées. Mais là maintenant, juste en face de lui, se tenait une personne qui pouvait répondre à toutes les autres.
Remus soupira et passa une main dans ses cheveux couleur de miel brun, d'où les fines mèches grises qui étaient plus familières à Harry étaient absentes.
– Il est mort il y a environ une semaine. Avec sa femme. Les meilleurs amis du monde, je les connaissais depuis toujours…
Sa voix mourut et il se baissa pour ramasser sa tasse de café.
– Et je ne sais même pas pourquoi je vous raconte tout ça.
– Ça aide de parler, dit instantanément Harry qui ne voulait pas perdre l'opportunité d'obtenir des souvenirs immédiats. Je ne suis peut-être qu'un ado comme ça, au hasard, mais je sais écouter.
Remus lui jeta un regard légèrement soupçonneux. Harry regardait d'un air distrait la tasse de café que Remus serrait toujours dans ses mains, évitant de croiser son regard de crainte de révéler plus. Le silence les enveloppa tandis que tous deux se perdaient dans leur pensées propres, l'un heureusement inconscient du lien intime qui le raccrochait à l'autre. Puis Remus poussa un nouveau soupir.
– James et Lily. Ils sont morts dans… dans un…
Remus s'interrompit, prenant Harry pour un Moldu, et s'éclaircit la voix.
– …Dans un accident de voiture. Heurtés de plein fouet – ils n'avaient aucune chance. Ils ont laissé leur petit bébé aussi, le petit Harry. Il n'a même pas dix-huit mois, Dieu le bénisse. Il a les yeux de sa mère.
Harry trouva soudain ses lacets de chaussure absolument captivants.
– Désolé, arriva-t-il à murmurer d'une voix étouffée avant de ressentir le besoin de s'arrêter là pour empêcher ses propres larmes de couler. Remus lui tapota gentiment le dos avec un sourire affectueux.
– Êtes-vous sûr de ne pas être une réincarnation de James ? dit-il avec un petit rire. C'était tout lui, ça. Toujours en train de s'excuser même s'il n'avait rien fait. Mais ça, c'est oublier le fait que la plupart du temps, il avait effectivement fait quelque chose…
Remus était perdu dans ses souvenirs – quelque chose d'étrange à voir chez une personne aussi jeune – mais il fut bientôt de retour dans la réalité.
– Et maintenant il y a tout ça…
– Quoi, tout ça ? demanda Harry d'un ton inquisiteur, bien qu'il sût exactement où la conversation était sur le point de déboucher.
– Vous avez dû en entendre parler… cette – cette explosion de gaz… vers Covent Garden.
Harry hocha la tête d'un air morne.
– Un autre de mes amis – Peter – il a été pris dans cette explosion… il ne reste pratiquement plus rien de lui. Littéralement. On m'a parlé d'un doigt, je crois…
Ici, la voix de Remus s'étrangla dans sa gorge.
– Cette semaine a été tellement… James, Lily, Peter… et Sirius… Il ne me reste plus rien…
Remus se mordit la lèvre, tandis que l'expression juvénile de son visage fatigué disparaissait, effacée par des larmes qui n'auraient jamais dû couler. Harry se redressa, plus déterminé que jamais. Il enleva sa casquette, passa une main dans ses cheveux de jais en bataille et fixa Remus d'un air résolu. Remus leva les yeux.
– N'abandonnez pas – pas encore. Rien n'est jamais ce qu'il paraît être. Il y aura toujours quelque chose pour nous surprendre, nous attendre au tournant, écraser tout ce en quoi nous croyons, de sorte que notre propre existence semble être réduite à un tas de cendres. Mais ne croyez jamais que les choses ne changeront pas. Il y a des gens par ici qui se soucient de vous, professeur Lupin. Il y en aura toujours. Ne perdez pas l'espoir.
Et Harry partit en un éclair, sautant de sa chaise vers la double porte à l'autre bout du couloir avant que Remus ne puisse réagir.
Remus resta assis là une bonne minute avant de comprendre les paroles de cet étrange garçon. Car à cet instant des plus sombres, ces paroles semblaient avoir un sens. Et lorsque Remus rappelait à lui ce souvenir qui parfois se perdait dans le chaos et le chagrin qui marquerait pour toujours la fin d'automne de cette année fatidique, il se disait que finalement, ce garçon avait été la voix de la raison – la ressemblance à James – le fait qu'il connaissait son nom – ces yeux verts et perçants qui semblaient pouvoir discerner toute la valeur d'une âme et la rendre à son propriétaire sur un plateau d'argent. S'il n'avait pas déjà eu l'impression de devenir fou, il aurait pu jurer que ce garçon était un Potter, une sorte d'ange gardien envoyé d'en haut pour lui rendre un peu de bon sens.
Il avala le reste de son café au goût affreux, et renvoya l'incident dans un coin de sa tête tandis qu'il attrapait son manteau pour faire face à la gifle du froid de l'hiver londonien qui s'annonçait.
*~*~*
Harry avait l'impression d'errer dans l'hôpital depuis des heures il était toujours à la recherche d'une victime qui aurait été admise récemment, et qui pourrait être celle qu'il cherchait. Il était stupéfait de voir que les infirmières ne lui prêtaient aucune attention et remarquaient à peine sa présence – le regard de certaines lui passait carrément au travers comme s'il n'existait pas. Harry finissait par se dire que cette petite balade dans le passé dissimulait bien plus de surprises qu'il ne l'aurait cru au début. Quelque soit le sorcier qui avait enchanté ce sablier, il avait fait du bon boulot.
Il avait perdu le compte du nombre de gens à qui il avait parlé, mais aurait pu dire sans se mouiller qu'il avait fouillé chaque salle de chaque couloir du Charring Cross Hospital. Ce serait déjà une chance de tomber sur une autre victime de l'explosion suffisamment consciente pour faire la différence entre un chien et un rat.
Harry tenta sa chance avec une dernière chambre plus sombre que les autres, et regarda par la fenêtre. Il appuya le nez en s'approchant, rafraîchissant sa cicatrice contre le verre froid tout en examinant une jeune femme couchée en chien de fusil, tournant le dos à la fenêtre. Elle ne bougeait pas Harry ne distinguait que ses épaules qui s'affaissaient doucement au rythme de sa respiration, l'une légèrement en décalage avec l'autre. Elle pleurait. Ses cheveux – des boucles d'une riche couleur acajou – s'emmêlaient et s'éparpillaient sur l'oreiller comme un océan d'araignées, comme une beauté soignée que l'on aurait négligée. Harry fut un instant captivé par cette silhouette sauvage, comme un animal emprisonné dans un zoo, qu'une blessure empêcherait de s'enfuir. Il secoua tristement la tête.
Harry allait reculer lorsqu'une aide soignante s'approcha de lui pour lui tapoter gentiment l'épaule quand il détourna finalement le regard.
_ Tu peux aller lui parler, si tu veux.
Elle sourit, prenant apparemment Harry pour un ami ou un parent. Il la regarda, les sourcils haussés dans une expression incrédule, mais elle hocha la tête d'un air rassurant et partit dans une autre direction. Harry se retourna vers la fenêtre. La femme n'avait pas bougé, mais sa respiration s'était faite un peu plus régulière. Respirant un grand coup, il poussa la porte et entra.
Harry aurait juré que l'odeur écœurante des antiseptiques qui constituaient l'atmosphère principale d'un hôpital était encre plus prenante dans cette chambre. Son estomac se serra pour la énième fois de la journée puis il souffla enfin, satisfait du fait que personne n'allait venir lui demander des comptes. Il alla jusqu'au chevet de la femme, s'assit sur une chaise contre le mur pour regarder devant lui, réfléchir, et laisser les ténèbres l'envahir et l'apaiser après le chaos et la frénésie de la journée.
Après un instant, il se leva, fit les cent pas jusqu'au pied du lit, et se mit à farfouiller dans les notes du docteur. Les feuilles étaient couvertes d'une écriture typiquement illisible, pire que celle de Ron, et il ne distinguait pas un mot dans la lumière de la lune qui descendait dans la chambre. Il regagna son siège près du lit, et se pencha avec appréhension pour allumer la lumière. L'ampoule brilla dangereusement, la lumière qui en jaillit sembla inonder la pièce, mais ne réussit pas à tirer de son sommeil la principale occupante. Harry fronça les sourcils légèrement les sourcils, surpris par son absence de réaction, mais reporta bientôt son attention sur les notes.
_ Claudia Darlington, murmura-t-il doucement, comme si le moindre bruit importun allait chasser toute la paix et la tranquillité qui ne semblaient exister que dans cette pièce. Age : vingt-cinq ans. Dégénérescence oculaire accélérée causée par…
Il s'interrompit, fronçant de nouveau les sourcils, mais pas parce que l'écriture était de nouveau indéchiffrable.
_ Entités inconnues. La patiente se plait d'une douleur violente aux yeux, due à une surexposition à la lumière. Réaction visuelle : zéro. Une nuit d'observation et de calmants recommandés. Date et heure d'admission : 02/11/81, 11h30.
Et entre parenthèses, jetés hâtivement dans un coin de la feuille d'admission, étaient écrits les mots "Explosion de gaz de Covent Garden".
Harry avala sa salive. C'était elle. La victime numéro trente-six. Celle dont le Ministère n'avait pas modifié la mémoire. Et pourtant, en sachant cela, il ne pouvait se résoudre à la réveiller. Si vraiment on ne lui avait effacé aucun souvenir, alors l'incompréhension totale qui régnait probablement dans son esprit devait être abominable. Pour les Moldus, la magie était un élément de fiction, utilisé pour manipuler les gens et leur faire croire en des histoires merveilleuses, fantastiques, qui captivaient l'imagination de sorte qu'on souhaitaient qu'elle fussent vraies. Et n'importe quelle personne, même la plus solide, à qui on ne ferait connaître que le côté le plus obscur et dangereux de l'histoire, serait anéanti.
Soudain, la femme – Claudia – remue un peu et se retourna sur le dos, fixant apparemment le plafond sans aucune expression. Harry sursauta. Il n'y avait aucune couleur sur son visage – seulement une pâleur mortelle qui contrastait avec ce à quoi il avait pu ressembler dans la matinée. Des bandes étaient collées sur ses yeux, fixés cruellement autour de sa tête, si serrés qu'ils lui rentraient dans la peau en laissant des marques là où le bandage avait glissé. Harry n'arrivait pas à déterminer si elle était éveillée ou endormie ses entraves la privaient injustement du simple droit d'exprimer son degré de conscience.
_ Bonjour… ! murmura-t-elle soudain timidement, comme si le son même de sa voix lui était étranger. Il y a quelqu'un ici ? Je sens que vous êtes là…
_ Oui, se prit à dire Harry, tirant sa chaise près du lit. Bonjour.
Claudia sourit, légèrement amusée.
_ Je n'ai pas la moindre idée de qui vous êtes.
_ Ce n'est pas important, là tout de suite, dit Harry, obéissant à une envie soudaine de lui prendre la main et de la lui serrer pour la rassurer. Il s'interrompit un instant, puis :
_ Vous pouvez deviner ?
Il sentit Claudia frotter sa main de ses doigts aux ongles délicatement vernis de rouge, mais encore incrustés de débris et de poussières. Il autorisa sa main à remonter lentement sa manche, et pas un muscle de son visage ne bougea lorsqu'elle passa sa main dessus. L'expression de son visage à elle était difficile à déchiffrer : légèrement étourdie mais profondément intriguée par ce que Harry avait à lui offrir. Elle suivit la ligne de son menton, de sa mâchoire que la maturité qui venait commençait à forcir légèrement, et il sentit la progression continuer naturellement le long de sa tempe, jusqu'à ce que le doigt atteigne sa cicatrice. Là, il s'arrêta, s'attarda un instant avant qu'elle ne retire sa main aussi brusquement que si elle avait été brûlée.
_ Vous êtes… vous êtes l'un d'entre eux, siffla-t-elle nerveusement. Harry la sentit se raidir.
_Que voulez-vous dire, Claudia, demanda-t-il en guise de réponse, par "l'un d'entre eux" ?
_ Eux… comme les hommes sur la place.
_ Pouvez-vous me dire comment ils s'appelaient ?
Harry savait qu'il la bousculait. Mais son cœur traînait un sentiment de désespoir urgent qui le poussait à poser les questions nécessaires à sa cause.
_ Sirius, dit-elle avec autant de confiance que si elle disait son propre nom. Harry sentit son cœur se serrer. Le croyait-elle donc coupable ? N'avait-elle rien vu ?
Et puis…
_ Il ne l'a pas fait.
_ Fait quoi ? murmura Harry, osant à peine y croire.
_ Il n'a pas fait exploser la rue. Il y avait quelqu'un d'autre – un petit homme… rond… qui ressemblait à un rat…
Elle s'interrompit et frissonna involontairement.
_ C'était lui. Sirius est innocent.
Harry laissa échapper un immense soupir de soulagement la nervosité accumulée en lui suivit. Mais il savait que ce ne serait pas suffisant pour convaincre un jury. Il fallait qu'il obtienne le tableau complet, dans toute son horrible gloire. Il avala à nouveau sa salive.
_ Claudia, pouvez-vous me raconter ce qui s'est passé ?
Elle garda le silence et se tourna vers lui dans la pénombre. Dans le clair-obscur de la lampe, elle ressemblait à une force redoutable, une personne que jamais on n'oserait contrarier en pleine capacité de ses moyens. Le contraste entre ses cheveux et son visage qui pâlissait rapidement la faisait paraître de plus en plus puissante. Et, compte tenu des informations qu'elle détenait, Harry se dit qu'elle le savait.
_ Pourquoi je te raconterais, à toi ? dit-elle soudain d'un ton brusque, un éclair de colère passant sur son visage aux sourcils froncés. Tu n'es qu'un petit garçon. Tu ne sais rien de tout ça. Tu ne me connais même pas.
Elle se redressa tout d'un coup, agitée, et se mit à tâtonner autour d'elle dans le noir.
_ Je vais appeler une infirmière et…
Mais Harry fut plus rapide qu'elle. Quand elle étendit le bras vers la sonnette, il lui attrapa le poignet d'une main ferme et ne desserra pas l'étreinte de ses doigts froids. Elle tourna vers lui un regard glacé et suivit de nouveau sa cicatrice avec un doigt de sa main libre.
_ Vous voulez savoir pourquoi ? dit Harry avec plus d'amertume qu'il n'en avait jamais ressenti. Vous voulez savoir pourquoi je veux retrouver le meurtrier de mes parents ?
Elle se figea en entendant cela, et sa main qu'elle avait levée pour appeler à l'aide s'abaissa. Harry la lâcha immédiatement son bras retomba à son côté, comme privé d'énergie ou de sensation. Il sentait les yeux posés sur lui, défiant la limite que le sortilège avait imposé à ses sens et exigeant des réponses, comme lui. Il se rassit sur sa chaise et soupira.
_ Le petit homme, dans la rue, dit-il lentement, est responsable de la mort de mes parents. Il les a trahis – ils ont été assassinés grâce à ses renseignements. Il s'appelle Peter Pettigrow.
Les pensées se mélangeaient dans la tête de Claudia, mais Harry distingua bientôt le début d'une possibilité sur son visage fatigué.
_ Tes parents…, bredouilla-t-elle d'une voix rauque. Lily et James ?
Harry baissa la tête, laissant le silence parler pour lui. Elle commença par murmurer des idées pour elle-même, d'une voix à peine audible bien que Harry tendît l'oreille. puis elle se redressa avec un air de défi, prête à parler. Harry la regarda avec espoir tandis qu'elle racontait.
_ J'étais assise sur un banc. Il y avait un chien, une grosse bête noire. On aurait dit qu'il attendait quelque chose. Et quand je me suis retournée, il n'était plus là.
Elle respirait péniblement, réfléchissant de toutes ses forces pour dépasser l'éclair aveuglant pour récupérer ses derniers souvenirs visuels.
_ Il y avait un homme à la place. Un grand type maigre aux cheveux noirs, aux yeux clairs. Il savait ce qu'il faisait. Il a repéré l'homme au visage rond – Pettigrow, tu as dit ? – à l'autre côté de la place. Je les ai vus se disputer. L'homme aux cheveux noirs était en colère – tellement, tellement en colère…
Elle ne savait pourquoi, mais des larmes commençaient à couler de ses yeux bandés, retenues par les pansements qu'elle tentait désespérément d'enlever maintenant, les doigts recourbés et tremblants. N'y arrivant pas, elle gémit doucement de frustration.
_ Attendez, fit doucement Harry en se penchant pour défaire l'attache sur le côté de sa tête.
Il déroula les bandages lentement, très lentement, jusqu'à ce qu'il ne reste que les pansements qui cachait ses yeux. Il tendit la main pour les retirer, mais elle l'écarta pour les retirer elle-même. Harry distingua ce qui ressemblait à des brûlures verticales sur ses paupières et ses cils bien qu'elle les gardât fermés, serrant les paupières et s'imposant une douleur intense pour la suite de l'histoire. Elle gardait ses mains sur ses yeux.
_ Même en ce moment, je ressens encore ses émotions comme je n'ai jamais rien ressenti auparavant. Il était bouleversé, plus que tout. Il fallait qu'il surmonte son propre chagrin, et fasse son choix. Il voulait se venger – mais n'a pas pu. Le petit homme a été exceptionnellement sournois. Il a poussé Sirius, est allé en trébuchant jusqu'au milieu du carrefour, et s'est mit à l'accuser. A hurler comme un possédé… il n'avait même pas été provoqué. Il a hurlé, " Lily et James, Sirius ! Comment as-tu pu ? " mais derrière le dos il tenait ce long bâton noir, poli, avec des bouts blancs. Il a marmonné quelque chose en latin, une espèce d'incantation. et après tout cela, tout ce dont je me rappelle c'est de la lumière. La lumière, la brûlure, la…
Elle baissa la tête un moment, profondément concentrée – l'effort la faisait presque trembler. Dans l'obscurité épaisse de la chambre, Harry voyait ses paupières se soulever lentement, comme si chacune avait son propre poids énorme à porter. Et puis elle leva la tête.
Harry n'aurait pas pu dire un mot, même s'il l'avait voulu. Les yeux de Claudia, à présent grand ouverts, était le spectacle le plus magnétique, le plus mystique qu'il ait jamais vu. Toute couleur avait disparu de l'iris, qui se fondait dans le blanc neigeux du reste de l'œil, comme un morceau de glace que ses long cils sombres retenaient et empêchaient de fondre. Ces yeux étaient perçants et impassibles, comme d'interminables glaciers serpentant dans son regard, gelant la couleur à jamais. Ces yeux étaient d'une beauté tragique.
Néanmoins, l'effort qu'elle devait produire pour les garder ouverts avait semblé la conduire au bord de l'évanouissement Harry reprit donc les pansements de ses mains ouvertes et lui couvrit de nouveau les yeux. Il commença à ré-enrouler le bandage autour de sa tête Claudia ne fit entendre aucune protestation, comme si l'effort de raconter son histoire avait épuisé ses forces. Il termina en rattachant la bande, et l'aida à se rallonger avec précaution dans son lit, puis recula pour observer sa silhouette silencieuse pendant un petit moment. Sa respiration était paisible à présent, somnolant même. Elle avait joué son rôle pour l'instant.
_ Merci…, murmura-t-il. Il glissa discrètement la première page des notes du docteur dans la poche de sa veste et allait ouvrir la porte lorsqu'elle parla à nouveau.
_ Qu'étaient-ils ? marmonna-t-elle avant de sombrer de nouveau dans l'inconscience. Et toi, qu'es-tu ? Toutes ces histoires de baguettes, de sortilèges, de métamorphoses…
Harry retourna lentement vers le pied du lit et déposa un léger baiser sur son front.
_ Vous découvrirez cela en temps utile, Claudia, chuchota-t-il. Et à ce moment-là vous en serez au cœur. La magie a sa manière de venir à vous. Je fais partie de cette magie, ils en faisaient partie. Vous en faites partie également. Profitez de votre ignorance, car la bataille la plus difficile est encore à venir.
Et puis partit.
Des années après, il était généralement reconnu que Claudia n'avait que très peu de souvenirs des heures suivant l'accident. Elle avait vaguement conscience d'avoir eu un visiteur, un jeune garçon avec des mots rassurants, qui suggéraient pourtant que tout n'était pas encore joué. Et elle ne comprit jamais complètement comment elle s'était retrouvée en possession d'une longue tige de bois noir, que pour le moment elle agrippait sans le savoir dans son sommeil, ignorante du pouvoir que cette tige détenait. Cela devint simplement une partie du décor.
*~*~*
Arabella fut en grande partie calmée une fois un verre de scotch calé dans la main. Tout en écoutant le récit de Sirius, elle faisait distraitement tourner le liquide doré dans le verre, le laissant glisser doucement autour de la glace qui fondait lentement, ce que Remus trouvait être un parfait gâchis d'un tonique de qualité. Sirius avait parlé un long moment avant que le silence ne le rattrape. Elle avala le contenu de son verre d'un trait, sans beaucoup d'élégance.
_ Et je suis censée croire votre petite histoire, c'est ça ? souffla-t-elle, un sourcil levé, méfiante, en face du meurtrier célèbre en ce moment affalé sur son canapé à fleurs. Elle se leva et posa son verre sur la table basse.
_ Après toutes ces années, tu débarques ici sans un souci en tête, tu nous la joues Trente Millions d'Amis, et tu t'attends à ce que je t'accueille les bras ouverts ?
Sirius baissa la tête comme un écolier pris en faute, tandis que Remus la fixait, la bouche entr'ouverte.
_ Que… qu'est-ce que tu dis, Arabella ? Tu ne nous crois pas ?
_ Ce que j'en dis…, fit-elle d'un ton sec, marchant à grands pas vers un meuble pour en tirer un morceau de parchemin et verser quelques verres de plus. Ce que j'en dis, c'est que c'est foutrement heureux pour vous que j'ai reçu ça de Dumbledore l'autre jour, qui confirmait mot pour mot ce que vous m'avez raconté.
Elle brandit le document en l'air avec un sourire narquois.
_ Mais c'était assez marrant de vous voir vous tortiller.
_ Oh, toi, espèce de…
Remus rougit, et la couleur gagnait peu à peu ses joues tandis que Sirius se pliait en deux de rire. Du coup, il ne put s'empêcher de sourire.
_ Toujours amateur de bobards, hein ?
_ Eh, ça m'empêche de devenir folle, répondit-elle, resserrant par se rasseoir et se décontracter un peu.
Les trois amis restèrent silencieux, perdus dans leurs pensées de l'histoire qu'on venait de raconter. Il était manifeste que Arabella n'avait pas l'habitude de tomber le masque, et le tribut que le sortilège lui avait pris était visible. Il restait des rides sur ses mains qui continuaient de trembler légèrement, comme celles d'une femme de deux fois son âge, tandis qu'elle serrait son verre en soupirant profondément. Puis il vint à l'esprit de Remus qu'ils avaient tous vieilli, d'une manière ou d'une autre. Sirius semblait sur le point de s'endormir, là, tout de suite, sur les coussins brodés à la main du canapé d'Arabella. Son visage avait retrouvé beaucoup de ce qu'il avait perdu durant ses années à Azkaban, mais l'expression hantée demeurait. Sirius donnait parfois froid dans le dos à Remus, surtout dans certains moments de rage ou de doute, lorsque l'existence privée de toute émotion qui constituait son quotidien en prison prenait possession de son visage, comme l'ombre d'un passé douloureux. Cette impression n'était pas précisément démentie par sa coiffure ses cheveux, toujours un peu longs et qui dépassaient de derrière ses oreilles, lui donnaient un air de canaille sympathique, ce que Remus supposait être l'image que recherchait son ami. Toutefois, la lumière pétillante du maraudeur de ses jeunes années s'attardait toujours dans ses yeux caves, sautant sur toutes les occasions pour sortir de son trou.
Et ce n'était pas comme si les années avaient épargné Remus. Bien au contraire : ses boucles châtain menaçaient de tourner à l'argenté depuis quelque temps déjà, vu que l'insomnie mensuelle n'était pas négociable et avait encore plus d'impact que dans sa jeunesse. Il était pleinement conscient de l'aspect décharné qu'il présentait et de la réaction qu'il obtenait, souvent compatissante, comme s'il portait un deuil perpétuel. Ce n'était pas exactement le cas. Simplement, il se raccrochait désespérément à tout ce qu'il lui restait.
_ Alors comme ça, Dumbledore veut encore faire monter au front le Clan des Sept ? fit Arabella, rompant le silence.
_ Tu as toujours eu une manière si personnelle de présenter les choses, Babs, fit Sirius avec un petit sourire narquois, avant d'éviter en catastrophe le coussin qu'elle fit voler dans sa direction.
_ Je n'avais pas de bonnes notes en Enchantements pour rien ! marmonna-t-elle avant que Remus ne puisse en venir à l'essentiel.
_ Je crois que notre cher vieux directeur trouve le moment opportun pour relancer l'Ordre du Phénix, quand on considère les évènements en cours…, dit-il d'un ton officiel, finissant son verre avec un air professionnel.
_ Ah oui, ce cher Harry, dit-elle, baissant les yeux vers ses pieds délicats emmitouflés dans leurs chaussons.
_ Est-ce qu'il tient le coup ? demanda Remus.
_ Franchement, je n'en suis pas sûre…, dit Arabella, à regret. Tu te souviens des difficultés que j'ai eu pour négocier ma place ici, au début ? Ça a vraiment été une veine que ce poste du Ministère se libère à ce moment-là.
_ Désolé, Babs, interrompit Sirius, tu peux rappeler au vieux chien qui sort de son trou ce que tu fabriques déguisée en rescapée des années trente ?
Elle répondit par un sourire :
_ Observation des Moldus. Examiner les dernières tendances, ce qu'est bien, c'qui l'est moins, tu sais, garder un œil sur nos affaires d'un point de vue civil…
_ …Déguisée en vieille peau ?
_ J'ai tiré la courte paille. C'est fascinant. De loin supérieur à n'importe quel cours du professeur Stafford. Et puis, en réponse à la première question, ça signifiait que je pouvais avoir l'œil sur Harry, mais c'était terrible, je ne vous dis que ça. Je ne pouvais rien faire à cause de ses abrutis de gardiens. La paire de Moldue la plus… la plus Moldue de ce côté de l'Atlantique. Enfin bref, depuis son entrée à Poudlard, ils l'ont enfermé comme le secret honteux de la famille. C'est tout juste s'il voit la lumière du jour quelques fois. Il vient ici, à l'occasion, mais je n'ai pas voulu bousiller ma couverture.
" J'ai pourtant bien failli tomber sur un bec l'autre jour, poursuivit-elle, partant dans une digression. Pétunia l'avait laissé avec moi pendant qu'elle allait acheter du tissu pour faire les culottes de Dudley quand j'ai reçu le hibou de Dumbledore. J'ai dû enfermer la pauvre bête dans le placard du chauffage central jusqu'à ce qu'il rentre chez lui. Simplement dit au gamin que la chaudière faisait des siennes.
_ Tu sais, fit lentement Remus, il s'en apercevra tôt ou tard.
_ Mais si je reprend du service et que je retourne aider Dumbledore, ce ne sera plus un problème, dit-elle, esquissant un sourire malin. La vieille Mrs Figg aura juste un petit accident…
_ Oh, voyons, Arabella, ça c'est vraiment méchant…
_ Je sais.
Arabella sourit en observant tour à tour les deux hommes qui levaient les yeux au ciel. Pendant un moment, ils auraient pu se retrouver dans la salle commune de Gryffondor à siroter une de leurs bouteilles de Bièrraubeurre obtenue " with a little help from my friends " Cornedrue et compagnie. Le feu pétillerait doucement en fond sonore, et ils laisseraient la fin de la journée les bercer… Cependant, chaque geste et chaque parole leur rappelait douloureusement ceux qui manquaient à l'appel. Elle eut un sourire lugubre à l'instant où la sonnerie du téléphone la ramenait à la réalité.
_ Une seconde, fit-elle, ignorant le fait que le bruit avait fait bondir Remus jusqu'au plafond et que Sirius hurlait de rire. Elle revint presque immédiatement.
_ Eh bien, ce fut court mais intense, fit Sirius avec un sourire qui s'effaça bientôt lorsqu'il tomba sur un évènement rare : un regard sérieux d'Arabella.
_ Qu'est-ce qui se passe ? murmura Remus.
_ C'était Pétunia au téléphone, répondit-elle doucement. C'est Harry. Il a mis les voiles.
*~*~*~*
Encore un chapitre qui a eu du mal à arriver ! :o) Désolée pour le retard, je vais très lentement. Mais je n'abandonne jamais complètement une histoire. Jamais !!
Bisous,
Belphegor :o]
