Tout Recommence
Chapitre III
_________________________
Auteur: Aline
Droits divers: A part Tomas et les médecins, les personnages ne sont pas les miens mais ceux du grand maître Michael Crichton, etc, etc...
Note de l'auteur: Je tiens à m'excuser pour toute aberrance médicale liée aux troubles dont souffre Susan. Et non, je n'ai pas encore passé mon doctorat de psychologie ou de psychiatrie ;) J'espère donc que le Dr Miller ne racontera pas trop de trucs totalement abracadabrants, et si c'est le cas, au risque de me répéter, j'en suis désolée ;)
***
Susan entrouvrit lentement les yeux, éveillée par la chaleur d'étuve qui régnait dans sa chambre. La nuit, les radiateurs fonctionnaient encore à fond, et depuis l'agression elle ne parvenait plus à dormir si la fenêtre n'était pas hermétiquement fermée. Elle tenta de changer de position afin de parvenir à retrouver le sommeil, mais ses jambes, lourdes et immobiles, neutralisèrent tous ses premiers efforts. Elle hésita un instant à appeler une infirmière pour qu'elle l'aide, puis finit par se raviser ; elle en avait plus qu'assez de devoir dépendre constamment de quelqu'un, que ce soit Chloe ou le personnel, elle en avait assez de se sentir comme une espère de marionnette qu'on agite dans tous les sens mais incapable de faire le moindre mouvement par elle-même. Elle était consciente qu'il était parfaitement ridicule de continuer à vouloir tout faire seule dans son état, chaque échec n'ayant en réalité pour but que de la fatiguer et de la décourager davantage. C'était cependant plus fort qu'elle, elle qui avait toujours été fière de son indépendance et qui devait à présent demander qu'on l'aide à faire sa toilette ou à se retourner dans son lit… Elle se redressa comme elle put à la seule force de ses bras, puis se laissa basculer sur le côté, se retrouvant dans une position guère plus confortable que la précédente. Il lui fallut en tout plus de cinq minutes avant d'être bien installée, mais tous les efforts qu'elle avait fournis lui avaient donné tellement chaud qu'elle fut malgré tout forcée d'appeler l'infirmière de garde pour qu'elle baisse un peu le radiateur.
"Pourquoi ne pas plutôt ouvrire la fenêtre ?" demanda celle-ci lorsque Susan lui eut expliqué pour quelle raison elle l'avait fait venir. "Ca ferait entrer un peu d'air frais et vous dormiriez beaucoup mieux…"
"Je préfère que la fenêtre reste fermée," répondit la jeune femme.
"Je l'entrouvre à peine, vous voyez, et le store est baissé, il ne peut rien vous arriver… d'accord ?"
Susan n'était pas vraiment certaine de se sentir rassurée par cette solution, mais quelque chose en elle lui disait que l'infirmière avait raison, et qu'il faudrait de toute façon bien un jour qu'elle apprenne à vaincre les peurs absurdes qui la suivaient depuis ce jour maudit. Si elle ne se sentait pas encore prête à retourner chez elle ou même juste à sortir dans la rue, elle pouvait au moins essayer de dormir avec la fenêtre juste entrouverte…
"D'accord…" murmura-t-elle dans un souffle.
"Très bien, et la prochaine fois que vous voudrez changer de position, appelez-moi, vous savez que ce serait plus raisonnable… Allez, il faut que vous vous reposiez à présent…"
Susan ne répondit que par un soupir fatigué alors que l'infirmière quittait sa chambre. Raisonnable. Avait-elle seulement envie d'être raisonnable ? Elle donna un coup de poing rageur dans son oreiller, puis s'empara de sa couverture et la repoussa de quelques centimètres, découvrant ainsi ses épaules et le haut de son corps. Il faisait vraiment trop chaud. Elle laissa son bras pendre le long du matelas et sentit soudain sous ses doigts la fourrure douce d'un animal en peluche abandonné sur le sol. Elle sourit en pensant que c'était certainement Susie qui avait dû l'oublier là et que ça avait sans doute été le drame chez Chloe pour coucher la petite si sa ménagerie n'était pas au complet. Son sourire disparut toutefois une fois qu'elle eut hissé le jouet dans son lit, et ses yeux s'emplirent de larmes. Il s'agissait d'un petit ourson brun, avec un gros nœud bleu autour du cou, et malgré le très faible éclairage dispensé par la veilleuse, elle le reconnut sur-le-champ : cet ours, c'était Mark qui le lui avait offert pour la petite Susie alors qu'elle venait d'entreprendre les démarches pour l'adoption, deux ans auparavant. Mark. Son meilleur ami. Lorsqu'elle l'avait vu, quelques heures plus tôt, elle n'avait tout simplement pas réussi à y croire, sa présence semblait ne pas être réelle, comme un vieux rêve qui devenait soudain réalité. Combien de fois s'était-elle imaginé qu'il viendrait la voir, ou juste qu'il lui téléphonerait… Et combien de fois avait-elle hésité à le faire… Mais le courage lui avait toujours manqué, jamais elle n'avait trouvé la force d'empoigner le téléphone et de composer son numéro. Elle en mourrait d'envie pourtant, mais elle savait que d'une manière ou d'une autre, son départ serait mis sur le tapis et cela elle ne le voulait pas. Ressasser les événements qui s'étaient déroulés un mois, un an plus tôt n'aurait servi qu'à lui amener des regrets supplémentaires, ce dont elle n'avait réellement pas besoin. Il lui avait été bien suffisamment difficile comme ça de tout recommencer à zéro, de s'habituer à cette nouvelle vie… Elle n'y était d'ailleurs jamais vraiment parvenu… La jeune femme poussa un profond soupir. Mark s'était-il posé autant de questions avant de venir ici ? Et si la situation avait été inversée, que c'était lui qui l'avait appelée à l'aide, comment aurait-elle réagit ? Aurait-elle seulement eut le courage de retourner à Chicago pour se retrouver face à tout ce qu'elle avait abandonné, tout ce qui lui manquait si cruellement ? Elle aurait aimé pouvoir affirmer que oui, mais elle n'en était même pas certaine… Refoulant les larmes qui lui brûlaient les paupières, elle ferma les yeux et serra l'ours en peluche sur sa poitrine, cherchant tant bien que mal à retrouver le sommeil, se réjouissant d'être au lendemain autant qu'elle l'appréhendait.
***
Lorsque Mark quitta son hôtel le matin suivant, la première chose qu'il remarqua fut le changement de temps par rapport au jour précédent ; des nuages cotonneux, arrivés durant la nuit, s'amoncelaient dans le ciel et la température avait chuté sans doute de plusieurs degrés. Rien de comparable toutefois au froid nordique et aux tempêtes de neige qui devaient sévir au même moment à Chicago… Tout en passant sa veste, Mark jeta un coup d'œil rapide aux voitures garées dans le parking, cherchant des yeux celle de Susan que Chloe lui avait amenée un peu plus tôt dans la matinée et dont elle avait laissé la clé à la réception. S'il en croyait le porte-clés qui les accompagnait, le véhicule devait être de marque Volkswagen et Mark ne mit pas très long à repéré la vieille coccinelle bleu clair garée à quelques mètres de lui. Il ne put retenir un sourire en se souvenant que c'était déjà un modèle identique que Susan conduisait lorsqu'elle vivait encore à Chicago. Il avait d'abord pensé louer une voiture quelque part en ville, mais lorsque Chloe lui avait proposé d'utiliser celle de Susan, dont elle n'avait pour l'instant pas grande utilité, il avait accepté. Et alors qu'il prenait place au volant, une foule de souvenirs l'assaillirent à nouveau, tous ces instants inestimables qu'il avait conservés précieusement dans un coin de sa mémoire. Excepté Doug, qu'il connaissait depuis l'école de médecine, il n'y avait personne avec il se souvenait avoir passé autant de bons moments.
Mark poussa un profond soupir, tout en mettant le contact et en faisant démarrer la voiture. Pendant tous ses mois, il avait obstinément tenté de chasser l'image de Susan hors de son esprit, s'efforçant de ne plus penser à elle afin d'oublier le plus rapidement possible la souffrance que son départ lui avait causée. Mais il réalisait à présent que tout cela avait été vain, car jamais il n'était parvenu à totalement l'oublier, même s'il pensait que c'était le cas, même si son image ne s'imposait plus dans sa tête à chaque fois qu'il écoutait une chanson d'amour à la radio, qu'il mangeait seul à une table de chez Doc Magoo ou simplement lorsqu'il fermait les yeux. Il restait néanmoins toujours une place dans son esprit qui lui était exclusivement réservée et d'où rien ni personne ne pourrait sans doute jamais la déloger. Même lorsque plus de deux mille kilomètres les séparaient, une part d'elle demeurait malgré tout de manière irrémédiable avec lui.
Contrairement à ce qu'il avait pensé, il n'eut pas tellement de difficulté à retrouver la route menant à l'hôpital, et moins de vingt minutes plus tard il stoppait la voiture dans le vaste parking encore très peu fréquenté. Il claqua la portière derrière lui avant de se hâter vers l'intérieur. Arrivé devant la porte de la chambre de Susan, il s'arrêta un instant et jeta un œil à travers le store, comme il l'avait fait la veille. La pièce était toujours plongée dans l'obscurité et il hésita une seconde à entrer. Peut-être dormait-elle encore, et pour rien au monde il n'aurait voulu risquer de la réveiller. Après un court temps de réflexion, il se décida finalement à pousser la porte et pénétra dans la chambre en faisant le moins de bruit possible. Au bruit régulier de sa respiration, il devina que comme il l'avait pensé, elle dormait toujours. Il s'approcha à pas de loup et prit place sur la même chaise que le soir précédent. Un rayon de soleil se glissait timidement à travers le store qui obscurcissait la large fenêtre, unique lumière effleurant doucement le corps endormi de la jeune femme et permettant à Mark de l'observer à souhait. Hormis ses cheveux, plus courts et plus clairs que la dernière fois qu'il l'avait vue, elle était restée exactement telle qu'il l'avait conservée dans ses souvenirs, tellement belle malgré les bleus qui marquaient son visage, l'air si fragile et si forte à la fois. Plusieurs minutes s'écoulèrent ainsi, sans qu'aucun mouvement ni aucune parole ne vienne troubler le silence presque religieux qui régnait dans la petite pièce, jusqu'à ce que dans un soupir elle ne cherche à changer de position, faisant glisser légèrement la couverture de ses épaules. Mark se pencha instinctivement sur elle pour la recouvrire, et ce fut à ce moment qu'il remarqua qu'elle tenait quelque chose, serré entre ses bras. Curieux, il écarta légèrement le drap pour voir de quoi il s'agissait, et sentit sa gorge se nouer lorsqu'il reconnut l'ourson en peluche qu'elle tenait étroitement pressé contre sa poitrine, celui qu'il avait acheté deux ans auparavant pour la petite Susie. Peut-être n'était-il pas le seul à regretter amèrement qu'elle soit partie…
"Mark ?"
La voix endormie de Susan le tira brusquement de ses pensées. Il laissa doucement retomber la couverture sur elle, la bordant soigneusement, soucieux qu'elle ne prenne pas froid. La fenêtre était entrouverte, et l'air frais du matin s'insinuait par l'ouverture jusque dans la petite chambre.
"C'est moi," se contenta-t-il de répondre en caressant sa joue du revers de sa main. "Comment est-ce que tu as dormi ?"
"Pas trop mal," répondit la jeune femme.
Ce n'était qu'un demi-mensonge, elle avait en effet dormi bien mieux que d'habitude depuis qu'elle se trouvait à l'hôpital, mais ne pouvait pas non plus vraiment dire que son sommeil avait été paisible et peuplé de rêves merveilleux… Durant toute la deuxième partie de la nuit, elle n'avait cessé de se réveiller, toutes les heures environ, et entre deux elle flottait dans un état situé entre conscience et inconscience, le visage de Mark apparaissant constamment derrière ses paupières closes. Ce n'était que sur le coup de cinq ou six heures du matin qu'elle était enfin parvenue à s'endormir vraiment. Mais cela, elle se refusait à le lui avouer.
"Et bien, j'imagine que 'pas trop mal' vaut toujours mieux que 'pas bien du tout', non ?" murmura-t-il, incapable de détacher ses yeux d'elle.
"Sans doute…"
Un silence lourd s'installa entre eux, chacun se sentant soudain trop mal à l'aise pour dire quoi que ce soit.
"Mark…" murmura Susan au bout de quelques secondes, "je voulais te dire… pour hier…"
"Susan, ça ne fait rien, ce n'est pas important…"
"Ca l'est pour moi," continua-t-elle d'une voix déterminée. "Je m'excuse pour la réaction que j'ai eue, j'ai été injuste… mais je m'attendais si peu à ta visite, je n'arrivais pas vraiment à y croire… je suis désolée de t'avoir parlé comme ça… je suis vraiment contente que tu sois là…"
Il y avait un millions d'autres choses qu'elle aurait voulu lui dire, un million d'autres raisons pour lesquelles elle aurait voulu lui demander pardon… Mais les mots semblaient lui brûler la gorge, et elle fut forcée de s'interrompre là.
"Et je suis content d'être là… Tu verras, tout va bien aller maintenant…"
Susan lui adressa un léger sourire, accompagné d'un soupir. Elle aurait tellement souhaité pouvoir le croire, elle aurait tellement souhaité être capable de se persuader qu'il avait raison et que tout irait dorénavant pour le mieux… C'était juste encore au-dessus de ses capacités… elle y parviendrait sans doute un jour, sûrement même plus rapidement qu'elle ne le pensait, mais pour l'instant elle en était encore incapable. Elle tendit légèrement la main dans sa direction, et il la saisit tendrement dans la sienne, la serrant à la fois avec force et douceur comme pour lui promettre la protection et le soutien dont elle avait tellement besoin. Au même instant, la porte de la chambre tourna sur ses gonds, laissant passer une femme d'une quarantaine d'années et qui, à en juger par la blouse blanche qu'elle revêtait et le stéthoscope qui reposait sur ses épaules, devait très certainement être médecin.
"Je vois que vous avez déjà de la visite," fit-elle en s'approchant du lit de Susan. "Bonjour, je suis le Dr Miller," ajouta-t-elle à l'attention de Mark.
"Mark Greene," répondit-il en serrant la main qu'elle lui tendait, "je suis un ami de Susan."
Elle hocha la tête, puis se tourna à nouveau vers Susan.
"Alors, comment avez-vous dormi cette nuit ? L'infirmière de garde m'a dit que vous aviez été plutôt agitée…"
"Je me suis réveillée un ou deux fois, je l'ai juste appelée une fois parce qu'il faisait trop chaud… J'ai bien mieux dormi que d'habitude…"
"Et bien, il me semble que c'est plutôt une bonne nouvelle. Bien, je vais juste jeter un œil à vos jambes, j'ai demandé à un kinésithérapeute de descendre, il ne devrait pas tellement tarder."
Tout en parlant, elle avait contourné le lit et avait relevé le fond de la couverture, dévoilant ses pieds et ses chevilles.
"Toujours aucune sensation ?" demanda-t-elle tout en passant un petit instrument sous la plante de ses pieds.
Susan secoua tristement la tête. Non, elle ne sentait toujours rien, tout comme elle était strictement incapable de bouger le moindre de ses orteils.
"Ne vous découragez pas, Susan, vous retrouverez l'usage de vos jambes, ce n'est qu'une question de temps."
"Bien sûr," murmura la jeune femme en s'efforçant de sourire, "une question de temps…"
Le Dr Miller procéda à un examen rapide pour s'assurer que tout était en ordre, et elle avait à peine terminé lorsqu'un autre médecin, plus jeune, pénétra dans la pièce.
"Ah Joan, tu arrives bien. Susan, voici Joan Davis, la kinésithérapeute dont je vous ai parlé. Bien, je vais vous laisser, je repasserai dans la journée… Mr Greene, si vous parvenez à la convaincre de l'emmener faire un tour dans le parc cela lui ferait sans doute le plus grand bien," conclut-elle avant de tourner les talons pour quitter la pièce.
"Je reviens dans une minute," fit alors Mark à l'attention de Susan, suivant le médecin dans le couloir.
"Dr Miller ? J'aurais aimé vous poser quelques questions…"
"Bien sûr, je vous écoute."
"J'aimerais comprendre ce qui arrive exactement à Susan. Chloe, sa sœur, m'a dit que vous n'aviez trouvé aucune cause physique à sa paraplégie. Hors, en tant que médecin, je n'avais encore jamais vu ça…"
"Pour être honnête, moi non plus, et je travaille dans cet hôpital depuis près de vingt ans. Mais nous avons procédé à tous les examens cliniques possibles et imaginables, et à part deux côtes de cassées tous ne nous ont appris qu'une seule chose : votre amie est en parfaite santé. D'après le Dr Smith, le psychologue qui la suit, le trouble serait exclusivement d'origine psychologique."
"Une sorte de réaction d'autodéfense par rapport à ce qu'il s'est passé ?"
"Il faudrait que vous en discutiez avec lui car la psychologie n'était de loin par ma matière favorite à la fac, mais, d'après ce qu'il m'a dit, il s'agirait selon lui plutôt d'un signal d'alarme. Vous savez, à force de tout conserver en eux sans jamais faire part de leurs problèmes à qui que ce soit, la plupart des gens finissent par être totalement dépassés. L'agression qu'elle a subie a été en quelque sorte la goutte d'eau. Et aussi un moyen pour son organisme de la forcer à accepter de l'aide."
Mark hocha pensivement la tête, puis le Dr Miller prit congé avant de s'éloigner le long du couloir afin d'aller voir d'autres patients. Il demeura quelques instants songeur, réfléchissant à ce qu'elle venait de lui dire. Il lui paraissait toujours étrange que le cas de Susan demeure médicalement inexplicable, mais ce devait être là une déformation professionnelle… Si les causes de ce qui lui arrivait avaient été médicales, alors il aurait su quoi faire pour la soigner, alors que là, il se retrouvait totalement impuissant et incapable de l'aider de manière concrète. Accompagnant son geste d'un profond soupir, il poussa la porte de la chambre afin de retourner auprès de Susan. Lorsqu'il entra, la kinésithérapeute était occupé à finir de lui expliquer quelques exercices qu'elle pouvait effectuer afin de favoriser le retour des sensations dans ses jambes.
"En massant comme ceci, vous activerez la circulation sanguine. C'est très important, si vous ne le faites pas, cela risque de vous prendre beaucoup plus de temps avant d'être à nouveau capable de marcher. Je descendrai deux fois par jour pour vous aider et vous masser."
"Si vous me montrez comment m'y prendre et si Susan est d'accord" intervint alors Mark, "je pourrais peut-être le faire à votre place…"
"Pourquoi pas, ce n'est vraiment pas compliqué. Qu'en dîtes-vous Susan ?"
La jeune femme répondit d'un haussement des épaules. En réalité, elle aurait de loin préféré que Mark le fasse, mais elle craignait que montrer trop d'enthousiasme ne lui paraisse déplacé.
"Très bien, dans ce cas venez seulement, je vais vous montrer."
Mark s'approcha lentement et se place à côté de miss Davis qui prit ses mains dans les siennes afin de lui montrer quels mouvements effectuer. Un long frisson lui parcourut la colonne vertébrale lorsque ses paumes entrèrent en contact avec la peau douce de Susan ; même s'il ne s'agissait que d'un massage, ce n'en était pas moins la toute première fois qu'il posait les mains sur elle. A part un unique baiser échangé le jour de son départ et quelques rares fois où il l'avait amicalement prise dans ses bras, leur relation était en effet toujours restée purement platonique, et il se sentit soudain troublé par cette sorte d'intimité qu'il sentait se créer peu à peu entre eux. Il leva furtivement les yeux vers elle, cherchant à croiser son regard, mais elle avait la tête tournée vers la fenêtre et ne remarqua même pas qu'il l'observait. Ou tout du moins fit-elle semblant de ne pas le remarquer…
"Vous vous en sortez très bien," fit miss Davis d'un ton satisfait au bout de quelques secondes. "Vous n'aurez qu'à procéder de la même manière deux à trois fois par jour, pendant cinq à dix minutes. Je passerai un jour sur deux pour des exercices supplémentaires."
Mark hocha la tête puis la regarda quitter la pièce avant de tourner lentement la tête dans la direction de Susan. Cette fois-ci, elle le regardait également, et ils échangèrent un bref regard. Se sentant soudain mal à l'aise, il remis rapidement la couverture en place sur les jambes de la jeune femme et reprit place sur la chaise à son chevet.
"Je ne sais pas comment je pourrai un jour te remercier," soupira-t-elle, tout en lui adressant un sourire reconnaissant et en serrant sa main dans la sienne.
"Tu n'as pas besoin de me remercier," répondit-il dans un murmure. "Etre à nouveau auprès de toi et te voir sourire est largement suffisant…"
Il se pencha alors lentement sur elle et déposa un léger baiser sur son front. Il fallait qu'elle sache qu'il serait toujours là pour elle, quoi qu'il puisse arriver, et que jamais il ne la laisserait tomber.
***
A suivre...
Chapitre III
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Auteur: Aline
Droits divers: A part Tomas et les médecins, les personnages ne sont pas les miens mais ceux du grand maître Michael Crichton, etc, etc...
Note de l'auteur: Je tiens à m'excuser pour toute aberrance médicale liée aux troubles dont souffre Susan. Et non, je n'ai pas encore passé mon doctorat de psychologie ou de psychiatrie ;) J'espère donc que le Dr Miller ne racontera pas trop de trucs totalement abracadabrants, et si c'est le cas, au risque de me répéter, j'en suis désolée ;)
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Susan entrouvrit lentement les yeux, éveillée par la chaleur d'étuve qui régnait dans sa chambre. La nuit, les radiateurs fonctionnaient encore à fond, et depuis l'agression elle ne parvenait plus à dormir si la fenêtre n'était pas hermétiquement fermée. Elle tenta de changer de position afin de parvenir à retrouver le sommeil, mais ses jambes, lourdes et immobiles, neutralisèrent tous ses premiers efforts. Elle hésita un instant à appeler une infirmière pour qu'elle l'aide, puis finit par se raviser ; elle en avait plus qu'assez de devoir dépendre constamment de quelqu'un, que ce soit Chloe ou le personnel, elle en avait assez de se sentir comme une espère de marionnette qu'on agite dans tous les sens mais incapable de faire le moindre mouvement par elle-même. Elle était consciente qu'il était parfaitement ridicule de continuer à vouloir tout faire seule dans son état, chaque échec n'ayant en réalité pour but que de la fatiguer et de la décourager davantage. C'était cependant plus fort qu'elle, elle qui avait toujours été fière de son indépendance et qui devait à présent demander qu'on l'aide à faire sa toilette ou à se retourner dans son lit… Elle se redressa comme elle put à la seule force de ses bras, puis se laissa basculer sur le côté, se retrouvant dans une position guère plus confortable que la précédente. Il lui fallut en tout plus de cinq minutes avant d'être bien installée, mais tous les efforts qu'elle avait fournis lui avaient donné tellement chaud qu'elle fut malgré tout forcée d'appeler l'infirmière de garde pour qu'elle baisse un peu le radiateur.
"Pourquoi ne pas plutôt ouvrire la fenêtre ?" demanda celle-ci lorsque Susan lui eut expliqué pour quelle raison elle l'avait fait venir. "Ca ferait entrer un peu d'air frais et vous dormiriez beaucoup mieux…"
"Je préfère que la fenêtre reste fermée," répondit la jeune femme.
"Je l'entrouvre à peine, vous voyez, et le store est baissé, il ne peut rien vous arriver… d'accord ?"
Susan n'était pas vraiment certaine de se sentir rassurée par cette solution, mais quelque chose en elle lui disait que l'infirmière avait raison, et qu'il faudrait de toute façon bien un jour qu'elle apprenne à vaincre les peurs absurdes qui la suivaient depuis ce jour maudit. Si elle ne se sentait pas encore prête à retourner chez elle ou même juste à sortir dans la rue, elle pouvait au moins essayer de dormir avec la fenêtre juste entrouverte…
"D'accord…" murmura-t-elle dans un souffle.
"Très bien, et la prochaine fois que vous voudrez changer de position, appelez-moi, vous savez que ce serait plus raisonnable… Allez, il faut que vous vous reposiez à présent…"
Susan ne répondit que par un soupir fatigué alors que l'infirmière quittait sa chambre. Raisonnable. Avait-elle seulement envie d'être raisonnable ? Elle donna un coup de poing rageur dans son oreiller, puis s'empara de sa couverture et la repoussa de quelques centimètres, découvrant ainsi ses épaules et le haut de son corps. Il faisait vraiment trop chaud. Elle laissa son bras pendre le long du matelas et sentit soudain sous ses doigts la fourrure douce d'un animal en peluche abandonné sur le sol. Elle sourit en pensant que c'était certainement Susie qui avait dû l'oublier là et que ça avait sans doute été le drame chez Chloe pour coucher la petite si sa ménagerie n'était pas au complet. Son sourire disparut toutefois une fois qu'elle eut hissé le jouet dans son lit, et ses yeux s'emplirent de larmes. Il s'agissait d'un petit ourson brun, avec un gros nœud bleu autour du cou, et malgré le très faible éclairage dispensé par la veilleuse, elle le reconnut sur-le-champ : cet ours, c'était Mark qui le lui avait offert pour la petite Susie alors qu'elle venait d'entreprendre les démarches pour l'adoption, deux ans auparavant. Mark. Son meilleur ami. Lorsqu'elle l'avait vu, quelques heures plus tôt, elle n'avait tout simplement pas réussi à y croire, sa présence semblait ne pas être réelle, comme un vieux rêve qui devenait soudain réalité. Combien de fois s'était-elle imaginé qu'il viendrait la voir, ou juste qu'il lui téléphonerait… Et combien de fois avait-elle hésité à le faire… Mais le courage lui avait toujours manqué, jamais elle n'avait trouvé la force d'empoigner le téléphone et de composer son numéro. Elle en mourrait d'envie pourtant, mais elle savait que d'une manière ou d'une autre, son départ serait mis sur le tapis et cela elle ne le voulait pas. Ressasser les événements qui s'étaient déroulés un mois, un an plus tôt n'aurait servi qu'à lui amener des regrets supplémentaires, ce dont elle n'avait réellement pas besoin. Il lui avait été bien suffisamment difficile comme ça de tout recommencer à zéro, de s'habituer à cette nouvelle vie… Elle n'y était d'ailleurs jamais vraiment parvenu… La jeune femme poussa un profond soupir. Mark s'était-il posé autant de questions avant de venir ici ? Et si la situation avait été inversée, que c'était lui qui l'avait appelée à l'aide, comment aurait-elle réagit ? Aurait-elle seulement eut le courage de retourner à Chicago pour se retrouver face à tout ce qu'elle avait abandonné, tout ce qui lui manquait si cruellement ? Elle aurait aimé pouvoir affirmer que oui, mais elle n'en était même pas certaine… Refoulant les larmes qui lui brûlaient les paupières, elle ferma les yeux et serra l'ours en peluche sur sa poitrine, cherchant tant bien que mal à retrouver le sommeil, se réjouissant d'être au lendemain autant qu'elle l'appréhendait.
***
Lorsque Mark quitta son hôtel le matin suivant, la première chose qu'il remarqua fut le changement de temps par rapport au jour précédent ; des nuages cotonneux, arrivés durant la nuit, s'amoncelaient dans le ciel et la température avait chuté sans doute de plusieurs degrés. Rien de comparable toutefois au froid nordique et aux tempêtes de neige qui devaient sévir au même moment à Chicago… Tout en passant sa veste, Mark jeta un coup d'œil rapide aux voitures garées dans le parking, cherchant des yeux celle de Susan que Chloe lui avait amenée un peu plus tôt dans la matinée et dont elle avait laissé la clé à la réception. S'il en croyait le porte-clés qui les accompagnait, le véhicule devait être de marque Volkswagen et Mark ne mit pas très long à repéré la vieille coccinelle bleu clair garée à quelques mètres de lui. Il ne put retenir un sourire en se souvenant que c'était déjà un modèle identique que Susan conduisait lorsqu'elle vivait encore à Chicago. Il avait d'abord pensé louer une voiture quelque part en ville, mais lorsque Chloe lui avait proposé d'utiliser celle de Susan, dont elle n'avait pour l'instant pas grande utilité, il avait accepté. Et alors qu'il prenait place au volant, une foule de souvenirs l'assaillirent à nouveau, tous ces instants inestimables qu'il avait conservés précieusement dans un coin de sa mémoire. Excepté Doug, qu'il connaissait depuis l'école de médecine, il n'y avait personne avec il se souvenait avoir passé autant de bons moments.
Mark poussa un profond soupir, tout en mettant le contact et en faisant démarrer la voiture. Pendant tous ses mois, il avait obstinément tenté de chasser l'image de Susan hors de son esprit, s'efforçant de ne plus penser à elle afin d'oublier le plus rapidement possible la souffrance que son départ lui avait causée. Mais il réalisait à présent que tout cela avait été vain, car jamais il n'était parvenu à totalement l'oublier, même s'il pensait que c'était le cas, même si son image ne s'imposait plus dans sa tête à chaque fois qu'il écoutait une chanson d'amour à la radio, qu'il mangeait seul à une table de chez Doc Magoo ou simplement lorsqu'il fermait les yeux. Il restait néanmoins toujours une place dans son esprit qui lui était exclusivement réservée et d'où rien ni personne ne pourrait sans doute jamais la déloger. Même lorsque plus de deux mille kilomètres les séparaient, une part d'elle demeurait malgré tout de manière irrémédiable avec lui.
Contrairement à ce qu'il avait pensé, il n'eut pas tellement de difficulté à retrouver la route menant à l'hôpital, et moins de vingt minutes plus tard il stoppait la voiture dans le vaste parking encore très peu fréquenté. Il claqua la portière derrière lui avant de se hâter vers l'intérieur. Arrivé devant la porte de la chambre de Susan, il s'arrêta un instant et jeta un œil à travers le store, comme il l'avait fait la veille. La pièce était toujours plongée dans l'obscurité et il hésita une seconde à entrer. Peut-être dormait-elle encore, et pour rien au monde il n'aurait voulu risquer de la réveiller. Après un court temps de réflexion, il se décida finalement à pousser la porte et pénétra dans la chambre en faisant le moins de bruit possible. Au bruit régulier de sa respiration, il devina que comme il l'avait pensé, elle dormait toujours. Il s'approcha à pas de loup et prit place sur la même chaise que le soir précédent. Un rayon de soleil se glissait timidement à travers le store qui obscurcissait la large fenêtre, unique lumière effleurant doucement le corps endormi de la jeune femme et permettant à Mark de l'observer à souhait. Hormis ses cheveux, plus courts et plus clairs que la dernière fois qu'il l'avait vue, elle était restée exactement telle qu'il l'avait conservée dans ses souvenirs, tellement belle malgré les bleus qui marquaient son visage, l'air si fragile et si forte à la fois. Plusieurs minutes s'écoulèrent ainsi, sans qu'aucun mouvement ni aucune parole ne vienne troubler le silence presque religieux qui régnait dans la petite pièce, jusqu'à ce que dans un soupir elle ne cherche à changer de position, faisant glisser légèrement la couverture de ses épaules. Mark se pencha instinctivement sur elle pour la recouvrire, et ce fut à ce moment qu'il remarqua qu'elle tenait quelque chose, serré entre ses bras. Curieux, il écarta légèrement le drap pour voir de quoi il s'agissait, et sentit sa gorge se nouer lorsqu'il reconnut l'ourson en peluche qu'elle tenait étroitement pressé contre sa poitrine, celui qu'il avait acheté deux ans auparavant pour la petite Susie. Peut-être n'était-il pas le seul à regretter amèrement qu'elle soit partie…
"Mark ?"
La voix endormie de Susan le tira brusquement de ses pensées. Il laissa doucement retomber la couverture sur elle, la bordant soigneusement, soucieux qu'elle ne prenne pas froid. La fenêtre était entrouverte, et l'air frais du matin s'insinuait par l'ouverture jusque dans la petite chambre.
"C'est moi," se contenta-t-il de répondre en caressant sa joue du revers de sa main. "Comment est-ce que tu as dormi ?"
"Pas trop mal," répondit la jeune femme.
Ce n'était qu'un demi-mensonge, elle avait en effet dormi bien mieux que d'habitude depuis qu'elle se trouvait à l'hôpital, mais ne pouvait pas non plus vraiment dire que son sommeil avait été paisible et peuplé de rêves merveilleux… Durant toute la deuxième partie de la nuit, elle n'avait cessé de se réveiller, toutes les heures environ, et entre deux elle flottait dans un état situé entre conscience et inconscience, le visage de Mark apparaissant constamment derrière ses paupières closes. Ce n'était que sur le coup de cinq ou six heures du matin qu'elle était enfin parvenue à s'endormir vraiment. Mais cela, elle se refusait à le lui avouer.
"Et bien, j'imagine que 'pas trop mal' vaut toujours mieux que 'pas bien du tout', non ?" murmura-t-il, incapable de détacher ses yeux d'elle.
"Sans doute…"
Un silence lourd s'installa entre eux, chacun se sentant soudain trop mal à l'aise pour dire quoi que ce soit.
"Mark…" murmura Susan au bout de quelques secondes, "je voulais te dire… pour hier…"
"Susan, ça ne fait rien, ce n'est pas important…"
"Ca l'est pour moi," continua-t-elle d'une voix déterminée. "Je m'excuse pour la réaction que j'ai eue, j'ai été injuste… mais je m'attendais si peu à ta visite, je n'arrivais pas vraiment à y croire… je suis désolée de t'avoir parlé comme ça… je suis vraiment contente que tu sois là…"
Il y avait un millions d'autres choses qu'elle aurait voulu lui dire, un million d'autres raisons pour lesquelles elle aurait voulu lui demander pardon… Mais les mots semblaient lui brûler la gorge, et elle fut forcée de s'interrompre là.
"Et je suis content d'être là… Tu verras, tout va bien aller maintenant…"
Susan lui adressa un léger sourire, accompagné d'un soupir. Elle aurait tellement souhaité pouvoir le croire, elle aurait tellement souhaité être capable de se persuader qu'il avait raison et que tout irait dorénavant pour le mieux… C'était juste encore au-dessus de ses capacités… elle y parviendrait sans doute un jour, sûrement même plus rapidement qu'elle ne le pensait, mais pour l'instant elle en était encore incapable. Elle tendit légèrement la main dans sa direction, et il la saisit tendrement dans la sienne, la serrant à la fois avec force et douceur comme pour lui promettre la protection et le soutien dont elle avait tellement besoin. Au même instant, la porte de la chambre tourna sur ses gonds, laissant passer une femme d'une quarantaine d'années et qui, à en juger par la blouse blanche qu'elle revêtait et le stéthoscope qui reposait sur ses épaules, devait très certainement être médecin.
"Je vois que vous avez déjà de la visite," fit-elle en s'approchant du lit de Susan. "Bonjour, je suis le Dr Miller," ajouta-t-elle à l'attention de Mark.
"Mark Greene," répondit-il en serrant la main qu'elle lui tendait, "je suis un ami de Susan."
Elle hocha la tête, puis se tourna à nouveau vers Susan.
"Alors, comment avez-vous dormi cette nuit ? L'infirmière de garde m'a dit que vous aviez été plutôt agitée…"
"Je me suis réveillée un ou deux fois, je l'ai juste appelée une fois parce qu'il faisait trop chaud… J'ai bien mieux dormi que d'habitude…"
"Et bien, il me semble que c'est plutôt une bonne nouvelle. Bien, je vais juste jeter un œil à vos jambes, j'ai demandé à un kinésithérapeute de descendre, il ne devrait pas tellement tarder."
Tout en parlant, elle avait contourné le lit et avait relevé le fond de la couverture, dévoilant ses pieds et ses chevilles.
"Toujours aucune sensation ?" demanda-t-elle tout en passant un petit instrument sous la plante de ses pieds.
Susan secoua tristement la tête. Non, elle ne sentait toujours rien, tout comme elle était strictement incapable de bouger le moindre de ses orteils.
"Ne vous découragez pas, Susan, vous retrouverez l'usage de vos jambes, ce n'est qu'une question de temps."
"Bien sûr," murmura la jeune femme en s'efforçant de sourire, "une question de temps…"
Le Dr Miller procéda à un examen rapide pour s'assurer que tout était en ordre, et elle avait à peine terminé lorsqu'un autre médecin, plus jeune, pénétra dans la pièce.
"Ah Joan, tu arrives bien. Susan, voici Joan Davis, la kinésithérapeute dont je vous ai parlé. Bien, je vais vous laisser, je repasserai dans la journée… Mr Greene, si vous parvenez à la convaincre de l'emmener faire un tour dans le parc cela lui ferait sans doute le plus grand bien," conclut-elle avant de tourner les talons pour quitter la pièce.
"Je reviens dans une minute," fit alors Mark à l'attention de Susan, suivant le médecin dans le couloir.
"Dr Miller ? J'aurais aimé vous poser quelques questions…"
"Bien sûr, je vous écoute."
"J'aimerais comprendre ce qui arrive exactement à Susan. Chloe, sa sœur, m'a dit que vous n'aviez trouvé aucune cause physique à sa paraplégie. Hors, en tant que médecin, je n'avais encore jamais vu ça…"
"Pour être honnête, moi non plus, et je travaille dans cet hôpital depuis près de vingt ans. Mais nous avons procédé à tous les examens cliniques possibles et imaginables, et à part deux côtes de cassées tous ne nous ont appris qu'une seule chose : votre amie est en parfaite santé. D'après le Dr Smith, le psychologue qui la suit, le trouble serait exclusivement d'origine psychologique."
"Une sorte de réaction d'autodéfense par rapport à ce qu'il s'est passé ?"
"Il faudrait que vous en discutiez avec lui car la psychologie n'était de loin par ma matière favorite à la fac, mais, d'après ce qu'il m'a dit, il s'agirait selon lui plutôt d'un signal d'alarme. Vous savez, à force de tout conserver en eux sans jamais faire part de leurs problèmes à qui que ce soit, la plupart des gens finissent par être totalement dépassés. L'agression qu'elle a subie a été en quelque sorte la goutte d'eau. Et aussi un moyen pour son organisme de la forcer à accepter de l'aide."
Mark hocha pensivement la tête, puis le Dr Miller prit congé avant de s'éloigner le long du couloir afin d'aller voir d'autres patients. Il demeura quelques instants songeur, réfléchissant à ce qu'elle venait de lui dire. Il lui paraissait toujours étrange que le cas de Susan demeure médicalement inexplicable, mais ce devait être là une déformation professionnelle… Si les causes de ce qui lui arrivait avaient été médicales, alors il aurait su quoi faire pour la soigner, alors que là, il se retrouvait totalement impuissant et incapable de l'aider de manière concrète. Accompagnant son geste d'un profond soupir, il poussa la porte de la chambre afin de retourner auprès de Susan. Lorsqu'il entra, la kinésithérapeute était occupé à finir de lui expliquer quelques exercices qu'elle pouvait effectuer afin de favoriser le retour des sensations dans ses jambes.
"En massant comme ceci, vous activerez la circulation sanguine. C'est très important, si vous ne le faites pas, cela risque de vous prendre beaucoup plus de temps avant d'être à nouveau capable de marcher. Je descendrai deux fois par jour pour vous aider et vous masser."
"Si vous me montrez comment m'y prendre et si Susan est d'accord" intervint alors Mark, "je pourrais peut-être le faire à votre place…"
"Pourquoi pas, ce n'est vraiment pas compliqué. Qu'en dîtes-vous Susan ?"
La jeune femme répondit d'un haussement des épaules. En réalité, elle aurait de loin préféré que Mark le fasse, mais elle craignait que montrer trop d'enthousiasme ne lui paraisse déplacé.
"Très bien, dans ce cas venez seulement, je vais vous montrer."
Mark s'approcha lentement et se place à côté de miss Davis qui prit ses mains dans les siennes afin de lui montrer quels mouvements effectuer. Un long frisson lui parcourut la colonne vertébrale lorsque ses paumes entrèrent en contact avec la peau douce de Susan ; même s'il ne s'agissait que d'un massage, ce n'en était pas moins la toute première fois qu'il posait les mains sur elle. A part un unique baiser échangé le jour de son départ et quelques rares fois où il l'avait amicalement prise dans ses bras, leur relation était en effet toujours restée purement platonique, et il se sentit soudain troublé par cette sorte d'intimité qu'il sentait se créer peu à peu entre eux. Il leva furtivement les yeux vers elle, cherchant à croiser son regard, mais elle avait la tête tournée vers la fenêtre et ne remarqua même pas qu'il l'observait. Ou tout du moins fit-elle semblant de ne pas le remarquer…
"Vous vous en sortez très bien," fit miss Davis d'un ton satisfait au bout de quelques secondes. "Vous n'aurez qu'à procéder de la même manière deux à trois fois par jour, pendant cinq à dix minutes. Je passerai un jour sur deux pour des exercices supplémentaires."
Mark hocha la tête puis la regarda quitter la pièce avant de tourner lentement la tête dans la direction de Susan. Cette fois-ci, elle le regardait également, et ils échangèrent un bref regard. Se sentant soudain mal à l'aise, il remis rapidement la couverture en place sur les jambes de la jeune femme et reprit place sur la chaise à son chevet.
"Je ne sais pas comment je pourrai un jour te remercier," soupira-t-elle, tout en lui adressant un sourire reconnaissant et en serrant sa main dans la sienne.
"Tu n'as pas besoin de me remercier," répondit-il dans un murmure. "Etre à nouveau auprès de toi et te voir sourire est largement suffisant…"
Il se pencha alors lentement sur elle et déposa un léger baiser sur son front. Il fallait qu'elle sache qu'il serait toujours là pour elle, quoi qu'il puisse arriver, et que jamais il ne la laisserait tomber.
***
A suivre...
