Titre : Le Secret de ma mère
Auteur
: Alohomora
Avertissement
: PG.
Spoilers
: Les quatre premiers tomes
Résumé général
: Cinquième année à Poudlard, école de magie et de sorcellerie. Alors qu'en arrière fond la situation politique s'envenime, Draco Malfoy ne pense qu'à éclaircir le secret que sa mère cache. Il est prêt à tout pour le découvrir, même à s'intéresser à Harry Potter, la personne qu'il déteste le plus au monde.
Résumé du chapitre précédent
(je le détaille un peu plus que d'habitude, ça doit faire pas mal de temps que vous ne l'avez lu !) : Pendant un cours de DCFM, Draco s'amuse à provoquer Harry en prétendant que, si ce dernier a résisté à l'Avada Kedavra de Voldemort, c'est parce qu'ils sont du même sang. La plaisanterie est trop grave pour Harry qui cloue, littéralement, Draco au mur pour lui faire ravaler ses paroles. A peine sorti de l'infirmerie, Draco provoque à nouveau Harry et ils finissent par se battre à coups de poings et de pieds. Il n'y a aucun vainqueur car un gros chien noir vient les séparer. Harry part avec le chien, mais oublie son album de photos que le Serpentard ramasse. Draco se retrouve alors seul sur le bord du lac, non loin de la pièce secrète de sa mère.
Disclaimer
: C'est toujours la même chose. Rien ne m'appartient, je n'ai aucun droit, ne perçois aucune rémunération. Tout est JKR.
Note
: Je me doute qu'un certain nombre avait fini par renoncer à l'idée de voir un jour cette fic updatée, mais comme quoi tout finit par arriver un jour. Je pourrais vous dire que j'ai été assez occupée ces derniers temps et que les moments d'écriture étaient consacrés à échafauder mon autre fic (Les Portes). Mais la vérité est que j'ai complètement calée sur ce chapitre ! Chaque fois que je me mettais devant l'ordinateur avec la décision de le terminer, j'abandonnais au bout d'un quart d'heure, incapable d'avoir trouvé le ton juste. Bref, je n'avais plus aucun plaisir à bosser dessus et j'en étais même dégoûtée. Et puis dernièrement, on m'a demandé avec insistance de m'y remettre. Et j'ai tout repris du début, j'ai totalement repensé les réactions de Draco et surtout le caractère de Narcissa jeune fille. Et puis soudain, tout s'est décoincé et les mots sont venus tous seuls. J'espère que ça vous plaira et que ça vaudra la longue attente à laquelle je vous ai astrains.


Chapitre 9 : Erato

Une brise vient me chatouiller le visage et brouille mes cheveux et ça me fait revenir à la réalité sensible du monde. Le vent est en train de tourner et apporte avec lui de lourds nuages gris, il se pourrait que l'on ait de l'orage demain. Mais pour le moment, il apporte par effluves le parfum empoisonnant des fleurs de la serre cinq. L'odeur entêtante me soulève le cœur un peu plus chaque seconde. Je ne devrais pas rester ici, je risquerais d'y laisser ma raison, mais mon corps semble s'être figé devant le mur.

Tiens, une famille de renards bleus traverse au petit trot le parc pour regagner la Forêt Interdite. Le soleil les darde de ses rayons et leurs peaux répondent par des éclairs bleus aveuglants. C'est un animal en voie de disparition, il a longtemps été chassé par les sorciers pour les propriétés magiques de sa fourrure. J'ignorais qu'il en existait encore en Grande Bretagne. Mais c'est vrai, que n'y a-t-il pas dans la Forêt Interdite ?

Oh je sais ! La pièce secrète de ma mère. Voilà, ce qu'il n'y a pas dans la Forêt Interdite.

Non, la pièce secrète est devant moi. En apparence, il n'y a rien, juste un vieux mur, un autre mur de Poudlard. Mais il suffit d'un mot. Un seul mot pour que l'entrée apparaisse et que la salle se dévoile aux yeux de tous.

Un mot qui danse dans ma tête depuis maintenant une heure. Un mot plus entêtant que n'importe quelle fleur empoisonneuse, qui m'obsède tant que je ne peux penser à rien d'autre. Je fixe la pierre ensorcelée, jusqu'à en oublier de ciller. Il suffit que je pose la main à plat et que je prononce le mot. Mais je n'ose pas, je ne veux pas.

Pourquoi ?

Par caprice. Encore un, oui. Comme ma vie en est emplie.

Je m'étais juré de ne retourner dans cette salle que lorsque je saurai tout, lorsque j'aurai tiré de l'ombre les mystères. Je ne devais y aller que pour y vérifier la solution et m'assurer que j'avais bon. Mais, je dois bien reconnaître que je suis bloqué. J'ai beau ressasser sans fin ce que je sais, les bribes de connaissances que j'ai réussi à amasser depuis quelques semaines. Je les tourne et les retourne, comme on le fait des pièces d'un puzzle jusqu'à ce qu'elles s'emboîtent à la perfection avec les autres. Mais rien ne s'emboîte, je n'ai que des éléments disparates. Je ne trouve rien, la solution continue de me fuir, de passer entre mes doigts.

Prononcer le mot magique est reconnaître ma défaite, mon incapacité.

Au loin, un couple de Busettes à Crête Rouge lance amoureusement des trilles dans la tranquillité du ciel bleu. Un oiseau de proie ne voudrait pas s'en régaler ? Je ne supporte plus de les entendre chanter leur contentement. Tout comme ce couple de Poufsouffle qui se bécote ignorant du monde qui les entoure, mal dissimulé dans un fourré. Si seulement Rusard pouvait avoir la bonne idée de passer dans le coin. Les gens ne devraient pas avoir le droit d'être heureux quand on ne l'est pas soi-même et encore moins en faire étalage. Mais c'est toujours comme ça ! On est face à une question cruciale, qui pourrait être déterminante pour le reste de sa vie, et à ce moment on voit deux inconscients stupides dégoulinants de guimauve. C'est ça l'ironie de la vie ! Vous constatez qu'il vous manque quelque chose d'essentiel et la seconde suivante vous voyez passer quelqu'un qui possède justement ce que vous désirez, qui en jouit inconscient et sans en prendre soin. Et ça donne des envies de meurtre.

Ce que j'aimerais en ce moment ? Ce que je désire plus que tout ?

Simple. Je veux revenir en arrière, je veux remonter le temps. Je veux retourner à l'époque où je croyais que ma mère était née comme ça, avant que je ne comprenne qu'un secret la glace. Avant que toutes ces questions se bousculent dans ma tête et ne polluent toutes mes pensées, jusqu'à m'en donner la migraine. Je veux de nouveau être à l'époque où mon seul souci était de rendre les vies de Potter et Weasley encore plus misérables (ce qui n'est pas si facile, ils atteignent déjà un tel niveau de misère ces deux-là qu'il faut vraiment se décarcasser pour les enfoncer encore plus bas. Mais d'un autre côté, les cordes sensibles sont assez innombrables. Il faut les voir partir au quart de tour !), où je ne me souciais que d'avoir de meilleures notes que Granger (là, par contre, la tâche est bien plus ardue). Mais que m'a-t-il pris d'aller remuer tout ça ? Où avais-je égaré ma cervelle ce jour-là ?

La pierre ensorcelée est toujours là, tentante comme un livre interdit laissé ouvert sur une table.

Bien sûr qu'elle est là ! Elle ne va pas disparaître soudainement, alors que ça fait plus de vingt ans qu'elle a attendu que quelqu'un ne l'actionne à nouveau !

Mère, en m'y invitant une fois, m'as-tu donné, par la même occasion, le droit d'y revenir ? Me l'as-tu léguée ? Veux-tu que j'y entre et que je la fouille, que je soulève la poussière amassée sur tes souvenirs de jeune fille ?

Operire : un mot si simple, si petit, si… autonome.

Il jaillit de ma bouche, sans que je ne me rende compte. Il me brûlait depuis des jours la bouche, la langue, réclamait d'être prononcé. Voilà qui est chose faite maintenant.

Comme la dernière fois, les pierres se meuvent, elles se réorganisent. Et je reste là, à les regarder, émerveillé, comme si j'assistais au phénomène magique le plus extraordinaire qui ne me soit jamais donné à voir.

L'entrée sombre se dresse bientôt devant moi. Et pendant quelques secondes, j'oublie de réagir, de bouger. Et maintenant que la porte est là, j'ai l'impression que je ne peux que la passer, qu'aucun autre choix ne s'offre à moi. Ce qui est stupide. Je sais que j'ai le choix de refermer la porte et de partir, de m'enfuir loin de ce lieu et de fuir la vérité qui s'y cache. Mais la réalité de ce que je ressens, c'est que je n'ai aucune marge de manœuvre. C'est comme si toute ma vie ne pouvait trouver son aboutissement que dans ce que je découvrirai dans cette salle sale, pleine de fantômes et de souvenirs qui ne peuvent que changer à jamais ma façon de voir les choses. Non, je n'ai aucun choix !

La première fois que j'étais venu, je n'avais pas vraiment fait attention à ce qui s'y trouvait, j'étais bien trop obnubiler par ma mère qui réagissait. Mais aujourd'hui je peux l'observer, la détailler et finalement mesurer que ce n'est qu'une pièce abandonnée. Une simple et dégoûtante pièce abandonnée.

Pour chasser les ténèbres qui envahissent depuis trop longtemps cette pièce, j'allume des bougies abandonnées sur une table. Une douce lumière se répand sur les murs délabrés. Les flammes vacillent et des ombres fantomatiques s'étendent et se tordent.

Des odeurs de roses séchées et de moisissure se mêlent insidieusement. La poussière s'est accumulée partout accusant les années d'abandon. Des araignées étendent leurs toiles au plafond et des souris traversent le sol, affolées.

Un grand lit de bois recouvert d'un drap anciennement vert, maintenant verdâtre, occupe un quart de l'espace. Un immense miroir piqué de rouille renvoie mon image. Il y a aussi une commode, une table, des chaises, un chevalet, un tapis et une guitare. De vieux meubles. Plein de souvenirs. Mais depuis bien trop longtemps oubliés.

Ce que je ressens alors que j'avance entre ses meubles et que mes doigts parcourent leurs surfaces poussiéreuses est au-delà de tout discours. Pour une raison que j'ignore ma gorge est nouée et mon cœur est serré. Je ne perçois pas les objets tels qu'ils m'apparaissent mais comme ils étaient autrefois. Ce n'est pas moi qui suis ici, mais ma mère. Je la vois étendue sur le lit, plongée dans ce livre qu'elle n'a jamais fini. Ce n'est pas mon image dans le miroir mais la sienne qui se demande si cette coiffure lui va ou pas. Les fleurs ne sont pas desséchées, mais rayonnantes de couleurs et elle essaie de les peindre sans y parvenir ; elle accumule inlassablement les croquis, persuadée qu'elle va finir par trouver le bon rouge (qui, maintenant, a viré au bordeaux).

Je me laisse tomber sur le lit en soupirant. Le matelas s'enfonce et les ressorts crient. Et je reste là, les bras en croix et les yeux rivés au plafond.

Inspirer. Expirer. Voilà pour le moment mon seul souci.

Les minutes passent.

Lentement.

Sous ma main, je sens la chaleur de la couverture en cuir de l'album photos de Potter. Je n'y pensais même plus. Je l'ai emporté sans m'en apercevoir. Du bout des doigts, j'en caresse la surface, comme le dos d'un chat. J'aimerais avoir le don de psychométrie. J'aimerais pouvoir ressentir les émotions contenues dans cet album, savoir ce que Potter ressent lorsqu'il en tourne les pages cartonnées. J'aimerais pouvoir interroger la chaise et le miroir. J'aimerais pouvoir comprendre le langage du bureau et du lit. J'aimerais pouvoir…

Le lit grince quand je me relève. Je pose l'album sur mes jambes croisées et c'est avec un petit sourire en coin que j'en soulève la couverture. Si cette aventure a soulevé en moins de grandes questions, elle m'a au moins apporté sur un plateau d'argent tout Harry Potter. Je me demande s'il y a quelqu'un ici-bas qui le connaît autant que moi maintenant ? Qui le connaît à tel point qu'il sait quelles sont les failles dans la cuirasse, qui connaît les boutons à actionner pour provoquer la douleur ? Non, je ne pense pas. Ou du moins, tous ceux qui connaissent ses faiblesses sont de ceux qui les évitent et les protègent. Bande de niais ! Une faiblesse n'a de raison que si elle est exploitée, que mise à profit.

Les pages se tournent et les photos se succèdent. Parfois, je m'arrête sur un cliché et je le détaille avec intérêt. Et plus les pages passent et plus mon intérêt grandit. A tel point que je recommence une nouvelle fois la remontée dans le temps. Et avec plus de précision, j'observe. J'ai l'impression qu'elles essaient de me dire quelque chose, qu'elles me murmurent un grand savoir, une importante vérité ; mais je suis incapable de la saisir.

Ce sont des visages et des lieux qui ne m'évoquent rien et qui pour Potter sont le symbole de quelque chose qu'il n'aura jamais : une famille. Il tente bien de s'en constituer une avec les bouts qu'on lui donne, mais celle qui est là, photographiée à jamais dans le bonheur, n'est pas pour lui.

James Potter. Lily Potter. Sirius Black. Remus Lupin. Harry Potter. Et puis d'autres que je ne connais pas.

Je me demande quelle tête il a le traître… C'est peut-être le petit là. Il a une tête de fouine ce type… ou plutôt de rat.

Tant de moments heureux dont Potter n'a aucun souvenir, qu'il ne peut convoquer sans cet album. Il n'a d'autre secours que de faire appel aux souvenirs des autres pour se composer sa propre mémoire, son identité.

James et Lily Potter dansant à leur mariage. Sirius Black à l'arrivée d'une course d'objets volants… pas vraiment identifiés. Remus Lupin allongé dans l'herbe lisant un livre, Potter endormi sur le ventre. Potter jouant entre les pattes d'un immense chien noir. Parents inconscients !…

Tiens ! Le chien noir, on dirait celui de tout à l'heure ! Cette espèce de gros molosse poilu et puant ! Baveux ! Fou dangereux ! Pourvu de dents pointues, tranchantes, acérées… J'en ferais bien une carpette pour décrotter mes bottes de ce nid à puces !

En tout cas, si c'est le même, il est plutôt bien conservé… Bizarre ! Je ne pensais pas que ça vivait si vieux les chiens…

Je les regarde tous encore et encore jusqu'à ce qu'un sourire amer se dessine sur mes lèvres. Et je comprends une chose. La vie est absurde. Totalement et inconsidérablement absurde. On peut tout avoir : l'argent, la notoriété, l'amour, les amis, la famille… tout. Et l'on dit alors que c'est ça le Bonheur. Et le lendemain ne plus rien avoir. Le Bonheur a cette étonnante faculté de vous glisser entre les doigts. Il n'est que folie de penser qu'on peut le retenir, l'asservir. Il est plus libre qu'un courant d'air. Ça doit être pour cette raison que les Malfoy ne croient pas au Bonheur.

"Le Bonheur, n'est qu'illusion, mon fils", me disait mon père avant de me coucher. "Il y a le plaisir, la puissance, l'argent, la famille, les alliés, mais pas de Bonheur."

Grandir dans cette voie est en fin de compte plus sain. Car ce en quoi on ne croit pas, on ne peut pas vous le prendre. Il n'y a qu'à regarder cet album de photos ! Il ne montre que des vies brisées, des espoirs détruits, des cœurs déchirés, des plaies qui saignent, des larmes qui coulent. Tout ça parce qu'ils ont cru un peu trop au Bonheur.

Lily et James Potter. Comme ils ont l'air amoureux sur cette photo ! Et ces regards qu'ils se jettent : ça en dégouline de mièvrerie !

Et puis…

C'est alors que quelque chose me frappe. C'est violent et soudain, comme un coup de foudre en plein ciel bleu.

Ils sont sur la même photo !

Et il n'y a pas que celle-là. Il y en a plein d'autres.

Oui, plus je les regarde et mieux je comprends ce qu'elles cherchaient tant à me dire : ces photos pétillent de vie. Ce sont des sourires heureux qui étirent leurs lèvres.

Jamais, je n'ai vu mes parents sur la même photo. Ni nous ne sommes réunis tous les trois dans un même cadre (ou dans le même "champ", comme il plaît au grand-type-blond-de-Gryffondor). Non, ce ne sont que des portraits sentencieux, austères, sans émotion… sans vie.

Comment ça se fait ? Pourquoi n'avons-nous pas de photos de famille ?

Parce qu'il n'y a pas de famille. Il y a un nom mais pas de famille.

Oui, mon père me l'a dit. Le nom prévaut sur la famille.

Je reste longtemps allongé sur le lit à tourner les pages de l'album photos, à les contempler, à les insulter et à les envier. Je finis pourtant par refermer l'album, lassé de savoir qu'il y a quelque chose, encore, que Potter a eu et que je n'aurai jamais. Et c'est en roulant sur moi-même, pour m'étendre sur le dos, que je le sens.

C'est dur, plat, rectangulaire.

Intrigué, je défais le lit, ignorant la forte odeur de moisissure qui s'en dégage, et trouve un livre relié de cuir bleu. En lettres dorées, gravé sur la couverture, il y a écrit journal.

Mon cœur oublie un instant de battre. Inquiet sans fondement, je tourne et retourne le livre, comme si j'en cherchais le fonctionnement, comme pour m'assurer de son existence en le mettant à l'épreuve de mes sens. Je le touche et le retouche, je le tourne et le retourne. Et quand après avoir perdu cinq minutes à le manipuler sans raison, j'ouvre le livre c'est, sans vraiment de surprise mais le cœur battant la chamade, que je voie un magnifique Narcisse dessiné à l'encre verte, qui frémit sous les caresses d'un vent invisible. Je prends la plume attachée à la tranche. Je fais un essai sur ma main et découvre qu'elle est enchantée pour qu'il y ait toujours de l'encre. Et c'est en inspirant profondément, que je tourne la page de garde. Je sais que toutes les pages vierges ne sont qu'un leurre pour les stupides. Je dois demander l'autorisation au Journal de me laisser lire ses pages.

Demander l'autorisation… Voilà une chose à laquelle je ne suis vraiment pas habitué.

Sur la page vierge, j'écris avec appréhension, crainte d'essuyer un refus, mon nom.

La réponse ne se fait pas attendre.

Qui es-tu ? me demande le papier.

Qui je suis ? Je viens de lui dire ! Plus crétin qu'un papier ensorcelé, je ne vois pas ! Qui je suis ? Je suis le fils de ta maîtresse, crétin !

Et magiquement, la page se tourne et des mots apparaissent, des phrases se constituent au fur et à mesure sur les pages du journal. Mais étrangement, il y a de grands blancs entre des paragraphes. Il y a même des pages qui restent blanches. Et je comprends : le Journal exerce une censure, il ne me permet de lire que quelques passages en ma qualité de fils.

J'en feuillette rapidement le contenu, ne m'intéressant qu'aux dates. La période s'étend d'un peu avant son entrée à Poudlard, jusqu'à quelques mois avant sa sortie. Elle y a consigné sept ans de sa vie, fixant chaque jour ses souvenirs, ses rêves, ses espoirs, ses peines et ses douleurs.

Je m'appelle Narcissa et demain j'ai onze ans. Voilà la première phrase de ce recueil de vie.

-o-

Je m'appelle Narcissa et demain j'ai onze ans et hier je suis arrivée en Angleterre. Ma nouvelle chambre est jolie, mais je ne l'aime pas. Je veux rentrer en Allemagne ! Je veux revoir Morgana et Circea ! Et puis je n'ai aucune envie de rencontrer ce garçon demain, moi ! Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire à cet Anglais ? « Bonjour, je déteste ton pays et je n'ai pas très envie de me marier avec toi. » Je ne suis pas sûre que pour une première rencontre, ça fasse grande dame, comme dit Mère. Mais je n'en ai rien à faire, moi ! Je n'ai aucune envie de m'appeler Narcissa Malfoy, moi. Tout ce que je demande, c'est qu'on me fiche la paix ! Mais non, pas possible ! Je dois même écrire ce fichu journal en anglais, pour me familiariser avec ma nouvelle langue, comme dit Père. Et si je ne veux pas d'une nouvelle langue ? Et si je vous la tirais la langue, Père ?… Mieux ne vaut pas essayer, je ne sais que trop ce que je risquerais !

(…)

Il a fallu que pendant des heures, je reste bien gentiment assise, à faire la petite fille polie devant ces inconnus alors que je n'avais qu'une envie : courir et me rouler dans la boue, taper du pied et crier, grimper aux arbres, courir après le chat et parcourir les grandes galeries du château. Je voulais faire tout sauf la gentille fifille à sa maman. J'ai dû montrer comme je faisais bien la révérence, que je savais jouer du piano et même quelques pas de danse. On m'a demandé de faire quelques tours de magie pour bien montrer que je n'étais pas une Cracmol, qu'il n'y avait pas duperie sur la marchandise. Un vrai singe de foire ! J'ai même reçu des applaudissements à la fin de mon numéro et une belle part de gâteau en guise de cacahouètes. Ma seule consolation, c'est que lui aussi a été logé à la même enseigne. Père a exigé que Lucius fasse quelques tours. J'aurais voulu qu'il s'emmêle les baguettes et que Père déclare qu'il n'était pas à la hauteur. Mais je dois bien avouer qu'il s'en est très bien tiré et j'ai même été impressionnée. Maudit Malfoy !

Mais au moins, il n'est pas moche ! Il n'aurait manqué plus que ça ! Mais il me fait un peu peur avec ses yeux gris comme de l'acier. On dirait deux épées dont il darde chaque personne sur laquelle il pose son regard. Il va pourtant bien falloir que je m'y habitue puisqu'il semble inévitable que je finisse ma vie avec lui.

(…)

Ça y est, j'y suis !

Poudlard…

Ce n'est pas vraiment comme je me l'imaginais… C'est même mieux. Il faut dire que venant de la Grande Bretagne, je m'attendais au pire. Mais de ce nouveau pays, Poudlard est bien la seule chose que j'aime bien. Circea et Morgana sont à Durmstrang, elles devraient bientôt m'envoyer une lettre pour me décrire comment c'est. On pourra comparer. Elles me manquent toutes les deux, on était ensemble depuis que nous étions toutes petites. Bah, c'est la vie Julie ! Et puis j'ai rencontré deux filles plutôt sympas : Sibylle Trelawney et Elizabeth Galliness. Sibylle a passé tout le voyage à déchiffrer les lignes de ma main, persuadée qu'il y avait quelque chose de très intéressant gravé dedans. Moi, je ne vois que des lignes mais je n'ai pas voulu la vexer. Elizabeth ne s'est par contre pas gênée pour le lui dire. C'était assez amusant de les voir se chamailler toutes les deux. Enfin ce qui est bien, c'est que nous avons été envoyées toutes les trois à Serpentard. Sibylle n'a pas été ravie d'être affiliée à cette maison, mais Elizabeth n'a pas semblée en être gênée. Par contre, j'ai remarqué que les élèves des trois autres Maisons se sont montrés très désagréables envers nous. J'ai l'impression que les Serpentard font un peu bande à part. Il paraît qu'il y a un très bon livre sur l'histoire de Poudlard, il faudra que je le lise, il pourra peut-être m'être utile.

Le Choixpeau a décrété que j'étais quelqu'un qui aimait bien allée à l'encontre des règles établies et que c'était pour ça qu'il m'envoyait à Serpentard. Ça me plaît cette idée. Moi, intrépide sorcière, parcourant le monde, cherchant à en découvrir les secrets, chevauchant un hippogriffe ou un dragon… Un dragon ou un hippogriffe ?… Avec un dragon, j'aurais l'air bien petite dessus. Mais il paraît que les hippogriffes sont assez inconfortables à chevaucher… En tout cas, j'aurais une robe verte et une cape noire… Ou peut être l'inverse…

(…)

Depuis que l'année scolaire a commencé, pas une seule fois Lucius n'est venu me parler ! C'est quand même un monde ! J'ai quitté l'Allemagne, pour que, justement, on apprenne à se connaître. Et lui, il me fuit ! En fait c'est pire, ce n'est pas qu'il me fuit, mais qu'il ignore ! Quand je le croise dans les couloirs avec ses amis, c'est à peine s'il semble remarquer mon signe de tête. Un jour j'ai même entendu un de ses amis lui demander mais qui j'étais à la fin et pour qui je me prenais. Je vais te dire pour qui je me prends, mon mignon : « Je suis Narcissa, descendante d'une illustre famille de sorciers allemands ! Bien plus illustre que ta famille ne le sera jamais ! Et contre ma volonté, je suis fiancée à ton iceberg de copain ! » Voilà ce que je dirais grosso modo la prochaine fois… dès que je les croiserai… et quand ils seront tellement loin qu'ils ne pourront plus m'entendre. Mais c'est qu'ils me font peur ses copains ! Il y a les deux gorilles qui ont l'air d'avoir oublié leurs cerveaux à leurs naissances et qui suivent Lucius partout. J'espère qu'il finira par les laisser sur le bord d'une route avant notre mariage, parce que je ne tiens pas à me les coltiner cent cinquante ans. Il y en a d'autres qui m'ont l'air peu recommandables également : Avery, Nott, MacNair, pour ne citer qu'eux. Mais il y en a un en particulier, j'ai la chair de poule dès que je croise son regard rouge (c'est un albinos). Il s'appelle Scylla Tantale. Lui aussi, il ne quitte jamais Lucius, mais ça n'a pas l'air d'être comme pour Goyle et Crabbe, Lucius le traite comme un égal ! Si les deux mammouths sont toujours un ou deux pas en arrière, Tantale marche toujours à côté de Lucius. Je crois que c'est son meilleur ami, impossible de voir l'un sans l'autre.

J'ai tout de même pris mon courage à deux mains et je suis allée voir Lucius. J'ai quand même attendu que ses copains ne soient plus là, ce qui n'a d'ailleurs pas été aussi évident que ça ! Je suis allée le voir, donc, et je lui ai dit qu'il n'avait pas à m'ignorer de cette manière, que l'on devait parler et que c'était uniquement pour cette raison que j'avais quitté l'Allemagne, parce que si ça n'avait tenu qu'à moi, j'y serais restée. Bien évidemment, je ne pensais pas l'avoir impressionné avec mes paroles et mon ton enflammé, mais au mois, je pensais que ça l'avait fait un peu réfléchir, remuer ses petits neurones. Mais pas du tout ! Il m'a regardé avec ses yeux couleur grisaille et sans un brin d'émotion dans la voix, il m'a répondu : « Si tu tiens tant que ça à rentrer en Allemagne ne te gêne pas, on se reverra à la cérémonie de mariage, parce qu'en ce qui me concerne, je n'ai rien à te dire. » Et puis il est parti sans me jeter un autre regard. Il m'aurait décoché un coup de poing en plein estomac, l'effet n'en aurait pas été bien différent.

C'est décidé ! A partir d'aujourd'hui, Lucius Malfoy n'existe plus. Comment ? Lucius qui ? Non, désolée, je ne connais pas et ça ne me dit vraiment rien du tout. Pourquoi ça devrait ?

(…)

Aujourd'hui, Elizabeth, Sibylle et moi, on parlait des garçons intéressants (et on était d'ailleurs pas du tout d'accord) quand je leur ai dit que de toute façon, il était impossible pour moi de me perdre dans des rêveries irréalistes car, de toutes façons, j'étais déjà fiancée. Là, elles ont pris l'expression de rigueur : attristée et compatissante. Sibylle s'est immédiatement proposée pour établir notre compatibilité et m'a demandé le nom de mon futur, comme elle dit (Elle, avec son avenir ! Parfois, je suis bien d'accord avec Elizabeth : c'est assez dur à supporter !), je le lui ai donc bien évidemment donné. Et là, elles m'ont dévisagée avec étonnement, à tel point qu'elles en ont oublié de respirer. J'ai donc commencé à paniquer. Certes, Lucius est un type assez antipathique (voire très antipathique), je le sais, tout le monde le sait, même les profs. Mais il n'y avait pas de quoi faire ces têtes. Et c'est là que j'ai commencé à me demander s'il ne s'agissait pas de son nom, donc de sa famille. Alors un peu inquiète, je leur ai posé des questions, mais aucune n'a voulu y répondre.

Donc maintenant, je suis complètement paniquée, pas la peine de mentir ! Mais à quelle famille mes parents m'ont-ils mariée ? Quel nom vais-je porter ? Je ne peux pas croire que mes parents m'auraient donnée à une famille si terrible que mes amies en sont terrifiées.

(…)

Cette histoire m'obsède trop, je dois absolument en découvrir le fin mot ! Mais j'ai eu beau chercher dans des registres, des livres poussiéreux à en avoir de l'asthme, des traités de généalogies et d'histoires. Bref j'ai ingurgité des mots et des mots mais n'ai rien pu en tirer. C'est à vous dégoûter de faire des recherches. La famille Malfoy existe bien, le nom est cité de temps en temps mais aucun état de fait, comme si c'était une famille de l'ombre, qui agit sans que personne ne le sache, qui tire les ficelles. Mais je n'ai rien de concret. A qui donc mes parents m'ont-ils vendue ?

(…)

N'y tenant plus de ne rien savoir, je suis allée là où je savais qu'on ne me refuserait aucune explication, où même on se ferait un plaisir de me les narrer dans les moindres détails (même si la plupart seraient faux). Oui, je suis allée parler à l'ennemi, j'ai accosté les Gryffondor. Ce que cette Maison est désagréable ! Je m'avance toute souriante et toute polie et c'est à peine si on ne sort pas les armes pour m'accueillir. J'ai beau ne leur avoir jamais rien fait, il n'en garde pas moins leur prudence. Stupide ! Quand je leur ai posé ma question, ils m'ont d'abord tous regardée comme si je venais leur annoncer que finalement la Terre avait soudainement décidée de tourner autour de Jupiter et puis ensuite ils ont éclaté de rire ! J'étais très vexée mais j'ai essayé de ne pas le montrer. Quand ils se sont calmés, ils ont commencé à parler. Ils se coupaient la parole, se contredisaient et s'insultaient, l'un commençait l'histoire, un autre la terminait et un tiers la commentait. Et c'est alors qu'un dernier surgissait toujours à ce moment pour tout contredire et tout recommencer avec une variante. Un moment, j'ai cru que ma tête allait exploser. Pas seulement à cause du bruit mais aussi à cause de ce qu'ils disaient. Je suis partie en leur adressant un bref merci, mais je crois qu'ils ne s'en sont même pas aperçus, ils étaient trop occupés à raconter des horreurs sur la famille dont je porterai bientôt le nom.

Ce n'est pas vrai ! Je ne peux pas épouser Lucius, je ne veux pas que les enfants que je mettrai au monde perpétuent une lignée de sorciers aussi monstrueux.

Comment mes parents ont-ils pu me faire ça ? Ne m'aiment-ils donc pas ? Les ai-je déçus à ce point ?

(…)

D'après ce que m'a dit Sibylle, il se paraîtrait qu'Emily Natao tournerait autour de Lucius. Eh bien je lui souhaite bien du plaisir ! Mais si elle pouvait au passage lui faire tourner la tête et lui fracasser son cœur de pierre, je lui en serais éternellement reconnaissante ! Je le donne à qui le veut !

(…)

Je le hais ! Je le méprise ! Je le déteste et je l'exècre ! Je l'abhorre ! Je le vomis ! Je le honnis ! Je le maudis ! Il n'y a pas assez de mots dans le vocabulaire, pour exprimer tout ce que type m'inspire, ce malade, ce fou dangereux.

Mais attendez, j'explique.

Cela faisait quelques temps déjà que Charles Dauvou (un Poufsouffle fort sympathique et aux yeux couleur miel. Miam !) et moi (Narcissa, Serpentard, fort belle et fort intrigante) on se tournait autour sans rien en dire. C'était incroyablement grisant. Il me cherchait des yeux et je me renseignais auprès de ses amis. Rien de plus banal, mais c'est tellement mieux quand c'est à vous que ça arrive. Ça, c'est la partie rêve. Maintenant, laissez moi vous parlez du moment où ça a viré au cauchemar.

Charles et moi parlions tranquillement dans un coin, loin des yeux curieux. Si nous nous étions jamais embrassés, je sentais que cela ne tarderait plus. Que ce soit lui ou moi qui initie le mouvement importait peu car nous étions tous deux consentants, il n'y aurait aucun refus. Et c'est au moment exact où j'allais recevoir mon premier baiser, qu'ils ont surgi de nulle part, comme des diables bondissant de leurs boîtes. Lucius. Son ombre : Tantale. Les deux décérébrés : Goyle et Crabbe. Je ne sais pas, ils aurait pu arriver juste après ou bien avant, mais non ! Ça n'aurait pas assez été cruel, je n'aurais pas autant souffert ! Mais ce qui est arrivé ensuite, je ne l'aurais jamais envisagé. Depuis le temps que l'on s'ignore, depuis le temps que l'on s'évite, que l'on fait comme si l'un et l'autre n'étions pas destinés à passer et finir nos vies ensemble. Non, à cause de tout ça, jamais je ne pouvais envisager un tel dénouement.

D'un signe de tête mais sans un mot, Crabbe et Goyle ont chacun attrapé un bras de Charles, qui, le pauvre ne comprenait vraiment pas ce qui lui arrivait mais entrevoyait ce qui allait se passer. Et quand il a été enfin immobilisé, Lucius s'est approché et a sorti sa baguette. Et il a envoyé un premier sort. J'ai voulu l'arrêter, je me suis précipitée. J'étais furieuse et effrayée, tout ça à la fois. Mais l'albinos m'a attrapée et m'a collée contre le mur. J'ai eu beau me débattre, je n'ai jamais réussi à me délivrer de son étreinte : il est bien plus fort qu'il en a l'air. Ou bien c'est moi qui ai fini par être paralysée par l'horreur. Je n'avais même plus la force de crier alors que je voyais Charles réduit à l'état de poupée de chiffon. Je ne sais pas combien de temps ça a duré (trop de temps, ça c'est certain !), mais quand Lucius a arrêté, Charles s'est écroulé. Tantale m'a laissée passer et j'ai voulu me précipiter vers Charles, mais c'était pour mieux retomber dans les bras de Lucius. Il me tenait par le col et me serrait le cou avec tant de force que j'en étouffais. Ses yeux gris étaient pleins de haine et de colère. J'ai eu tout le loisir de les observer pendant le long moment où nous sommes restés dans cette position, puis il m'a soulevée de terre pour mieux approcher sa bouche de mon oreille.

« Tu es à moi ! Quiconque t'approchera recevra le même sort. »

Et il m'a poussée avec violence contre le mur, j'ai été à moitié assommée sous la rudesse du coup.

Quand mes idées sont redevenues un peu plus claires, j'ai aidé Charles à se rendre à l'infirmerie. On devait avoir une drôle d'allure tous les deux, lui clopin-clopant et moi, pleurant toutes les larmes de mon corps, me perdant en excuses. Mais pas une seule fois, il ne m'a adressé la parole de tout le trajet. Et puis à l'infirmerie quand j'ai voulu dénoncer Lucius et ses copains à Pomfresh, Charles m'en a empêché. J'ai voulu lui demander pourquoi, mais il m'a juste répondu de le laisser tranquille.

(…)

Je ne compte plus maintenant, le nombre de fois que j'ai voulu reparler à Charles, mais il s'y refuse. Dès qu'il me voit arriver, il s'enfuit. Ses copains refusent de me parler et tous les garçons de Poudlard me tournent le dos. Je ne sais plus vers qui me tourner. Il ne me reste que Sibylle et Elizabeth pour tromper ma solitude. Mais est-ce que le Grand Lucius va tolérer encore longtemps leur présence à mes côtés ? moi qui lui appartient comme si je n'étais qu'une vulgaire potiche de bas étage avec une étiquette rappelant bien à tous que je suis la propriété privée de Malfoy, juste au cas où un curieux avait soudainement la suicidante idée de vouloir m'utiliser ou même tout simplement me regarder. Si j'essaye d'imaginer un tant soit peu ma vie future, je ne vois rien bon qui pourrait m'arriver. Il n'y a aucune perspective, aucun espoir.

(…)

Hier, journée semblable en apparence à toutes les précédentes et toutes les suivantes, hier donc, je courais dans les couloirs, parce qu'encore une fois j'étais en retard en Divination, lorsque j'ai croisé un regard. Je pourrais dire que j'ai vu quelqu'un, son visage, sa démarche, sa silhouette, mais non, je n'ai vu que son regard. Deux yeux noirs, deux perles d'onyx, aussi troublants que les chants des sirènes. Mais emportée par mon élan, cela n'a duré que quelques secondes. Oubliant mon retard, j'ai eu beau revenir sur mes pas, ils n'y étaient plus, les deux yeux noirs avaient disparu.

A qui de tels yeux noirs peuvent-ils bien appartenir ? Je ne crois pas en avoir jamais vus de pareils à Poudlard.

(…)

Ô jour béni entre tous !

Savez-vous le bien produit ?

Il vaut mieux que je cesse là mes divagations et que je vous raconte ce qui met mon cœur en liesse. Je devais me dépêcher de me rendre en cours de Métamorphose et j'étais déjà très en retard (oui, je suis tout le temps en retard, il faudra vous y habituer !). Chargée de mes livres, de mes parchemins, de mes plumes, tout cela dans un équilibre très précaire, je courais pourtant aussi vite que je le pouvais. Le professeur est loin d'apprécier mes retards répétitifs. J'avais cependant le temps de pester contre mon uniforme qui ne facilitait pas ma course. Il faudra un jour expliquer aux tailleurs ce qu'est la vie estudiantine pour qu'ils comprennent qu'ils sont loin de nous la faciliter. Et au détours d'un couloir, je l'ai rencontré !… En réalité, je me suis cognée contre lui. Mais cette version est un peu moins romantique. Je me suis pourtant belle et bien cognée et avec un telle force que j'en suis partie à la renverse, tout étourdie, laissant échapper tout mon encombrant chargement. Après les quelques secondes qu'il m'a fallu pour retrouver la norme du monde, je n'avais plus qu'une envie : hurler toute ma douleur à celui qui me l'avait infligée, à celui qui avait eu la mauvaise idée de se mettre sur mon chemin. J'ai donc relevé mes yeux aussi chargés de colère que je pouvais (et croyez-moi, je n'ai pas vraiment eu besoin de me forcer !). Et au milieu des plumes cassées, des encriers renversés, des parchemins chiffonnés et des livres cornés, j'ai reconnu les yeux noirs. J'en ai tout oublié ! Les affaires éparpillées, le cours que j'étais en train de rater, la bosse qui me poussait sur le front et la petite sonnette d'alarme qui tintait dans le fond de ma cervelle. Il n'y avait que les yeux noirs. Souvent, on dit que pour tomber amoureux, il faut connaître la personne, il faut passer des heures à converser de tout et de rien, qu'il faut vivre des moments forts et des moments de rien côte à côte. On critique les gens qui aiment pour le physique, qui ose préférer la beauté physique à la beauté morale. Eh bien moi j'ai envie de crier à tous ces gens qu'ils n'ont jamais rencontré ces yeux noirs. Que ceux-là ne sont jamais tombés amoureux ! Oui, on peut aimer le physique, on peut même aimer qu'un seul petit bout du physique, un pied, une main, une oreille ou un nez. Moi j'aime ces yeux ! Que m'importe à qui appartiennent ces merveilles, que m'importe son caractère, son passé, ses idées, son sexe ou tous ces paramètres qui sont censés être si déterminants ! Au diable toutes ces barrières de l'amour, ces garde-fous pour poules mouillées qui craignent de se jeter à l'eau, de faire le grand saut ! Moi, j'aime ces yeux-là ! Donc j'aime celui à qui ils appartiennent, j'en suis maintenant certaine !

Alors quand il s'est confondu en excuses, quand il a tendu la main pour me relever, moi je n'ai pas répondu, je n'ai pas bougé. Mes yeux ne quittaient pas les siens (comment auraient-ils pu ? comment l'auraient-ils voulu ?), ma bouche s'est asséchée au point de ne plus pouvoir proférer une paroles et mes mains sont devenues si moites qu'il aurait été gênant de lui en tendre une. On pense que quand on rencontrera l'amour, on saura quoi lui dire, mais croyez-moi, vous ne saurez pas. On ne peut pas savoir ! Ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs.

Mais pour la chute de l'histoire, laissez-moi vous dire que soudain je n'ai plus pensé qu'au cours auquel je devais assister et auquel je n'assistais toujours pas. Je ne sais pas vraiment ce qui m'a pris, mais je n'ai bientôt plus eu que l'idée de courir jusqu'à la salle, de m'asseoir sur mon banc habituel et de me concentrer avec tant de ferveur que le professeur n'en reviendrait pas sur une leçon dont je ne me souviendrais probablement plus dans deux semaines. Je n'ai plus eu qu'une envie : fuir les yeux noirs qui m'attiraient et qui ne pouvaient que m'entraîner dans une voie proscrite et condamnée. Et j'ai mis la pensée à l'exécution. J'ai couru à en perdre haleine, j'ai bien dû renverser quelques personnes sur mon chemin, mais quelle importance ? Bien entendu, le professeur n'a pas du tout apprécié mon retard et m'en a demandé les raisons. J'ai préféré me taire que répondre que je venais de rencontrer l'amour. Qui sait, il n'aurait peut-être pas apprécié.

(…)

Je suis dans mon lit et je n'arrive pas à trouver le sommeil. J'ai l'impression que plus on cherche à l'attraper, que plus on le croit à portée de main, plus le sommeil s'esquive. Les paupières sont lourdes, les bâillements se répètent et pourtant on ne dort pas. Quelqu'un y comprend quelque chose ? C'est peut-être parce que dès que je ferme les yeux ce sont les siens que je vois. Et dès que cela se produit, j'essaye de me souvenir que je ne devrais pas, que je devrais oublier, car toute ma vie c'est avec des yeux gris que je vais la passer. Oublier ? Autant oublier au plus vite le Noir…

(…)

Ohoh ! Je viens de faire une découverte digne de Christophe Colomb ou Vasco de Gamma (Je me demande bien comment je peux me souvenir de ces noms d'explorateurs moldus ? Dans quelle recoin de ma mémoire, ils s'étaient nichés ? C'est quand même assez surprenant, tout ce dont on est capable de se souvenir !). Donc, je viens faire une découverte digne des grands explorateurs du Nouveau Monde ! Enfin j'exagère peut-être un peu, mais à peine. Je lisais un vieux bouquin en latin (aïe la tête !), tout poussiéreux (bonjour l'allergie !) sur un élève de Poudlard ! Mais pas n'importe lequel je vous prie ! Un Serpentard ! Et pas n'importe quel Serpentard, chers amis ! Mais un des premiers Serpentard qui a étudié à Poudlard. Il a été lui-même choisi par le Grand Salazar Serpentard… Ça laisse rêver. Il a dû avoir les quatre fondateurs pour professeurs. Serpentard était maître de potions, Serdaigle professeur d'enchantement, Gryffondor professeur de métamorphose et Poufsouffle professeur de Botanique. Ça doit être pour cette raison que le directeur de la Maison de Serpentard est toujours le maître de potions.

Bref, cet élève était l'un des préférés de Serpentard et il lui avait même donné une pièce secrète dans Poudlard. Et en recoupant les indices, j'ai fini par la découvrir ! Elle est sale, poussiéreuse, terrifiante, mais c'est normal pour une pièce qui n'a pas été visitée en mille ans. Oui, mille ans, car, comme dit Elizabeth, qui, à part moi, pourrait s'intéresser à ces vieux livres tellement moisis que les pages semblent être de véritables cultures de champignons ? Mais la curiosité paye : j'ai maintenant au sein de Poudlard, une pièce totalement et entièrement à moi. Ce sera mon abri, mon refuge, ma cachette, mon chez-moi. Je vous remercie bien bas Alpha de Narnia. Et lorsque j'aurai des enfants, je leur révélerai l'existence de cette pièce.

(…)

Parfois, je me demande si je ne suis pas tombée amoureuse d'un songe, d'une rêverie, du néant. Comment pourrais-je me persuader du contraire quand toutes mes recherches se sont soldées par un échec. J'ai cherché partout les yeux noirs, dans tous les visages, je n'ai épargné personne. Mais nulle part je ne les ai reconnus. Alors il se peut que tout ne soit que le produit de mon imagination trop fertile, de ma solitude à laquelle je suis astrainte. Suis-je en train de devenir folle ? Aux regards qu'Elizabeth et Sibylle m'ont lancés, je sais qu'elles se posent la question. Oui, peut-être que je suis en train de le devenir… Aucune fille saine d'esprit ne s'amuserait à se raconter des histoires avec un inconnu qui n'aurait que des yeux noirs, aucune ne fantasmerait des situations improbables, si improbables que même les romans les plus sucrés n'oseraient les proposer à l'imaginaire. Mais aucune fille saine d'esprit ne sait ce que c'est que d'être moi et moi je ne sais ce que c'est que d'être elles. Non, elles ne savent pas ce que c'est que de savoir qu'aucun des rêves qu'on a conçus tout au long de sa vie de petite fille ne se réalisera jamais. Elles ignorent ce que c'est que d'être perpétuellement frustrée, d'être en manque d'affection et de savoir qu'on le sera éternellement, qu'il n'y aura jamais de regard aimant qui me suivra quand je quitterai une pièce, qu'il n'y aura jamais de main serviable pour m'aider à me relever quand je tomberai, qu'il n'y aura que du gris froid quand il y aurait pu avoir du noir si enveloppant.

Non, je ne suis pas folle, je délire tout simplement. Mais laissez-moi délirer, je vous en prie, ne me rappelez pas la vérité, la cruelle et grise vérité…

(…)

Le bal est fini, je n'entends plus de musique. Bientôt les élèves commenceront à regagner petit à petit leurs chambres. Et moi, je suis toute seule, face au miroir, contemplant les vestiges des exploits de mes amies.

Ce qu'Elizabeth et Sibylle avaient réussi à faire était tout simplement incroyable ! Je ne voudrais pas avoir l'air de me vanter, mais j'étais à tomber à la renverse ! Je ne me reconnaissais même pas, je brillais de partout ! Je n'avais prévu que de porter une robe bleue foncée (coûteuse et de très bonne facture il est vrai) et de relever mes cheveux. Mais quand j'ai soumis mon idée à mes deux amies, elles ont hurlé au scandale et au gâchis et ont pris ma tenue en main. Selon Lizzy, je dois me montrer digne de la beauté que le destin m'a accordée. Je n'ai jamais été aussi gênée de ma vie, je le promets ! Quand je me regarde dans un miroir, je vois juste… moi. Je suis bien incapable de dire si je suis jolie ou laide. C'est juste moi ! Mais je mentirais en prétendant que je ne me suis pas sentie flattée en écoutant leurs compliments et je me suis enorgueillie de la beauté qu'elles m'ont prêtée. Mais peut-être qu'on ne peut se sentir belle qu'à travers le regard des autres : ce sont eux les miroirs dans lesquels il faut se regarder et se juger. Et jusqu'à présent, personne ne m'avait jamais dit que j'étais belle.

Elizabeth a enchanté ma robe, d'un bleu austère elle a fait la voie lactée ! Mais maintenant, les étoiles commencent à s'éteindre et la voie lactée n'existe plus. Sibylle a un peu râlé parce que Lizzy n'a pas respecté ses chères constellations. « Mais qu'est-ce que ça peut faire ? » a répondu Elizabeth, « Narcissa ne va pas au bal pour faire de l'astronomie, mais pour rendre verte de jalousie toutes les filles et faire baver tous les garçons ! » Voilà Elizabeth résumée en une phrase. C'est un peu excessif, mais j'avoue sans honte que cette idée m'a plutôt séduite. Après tout, je ne suis pas une Serpentard simplement parce que j'aime le vert. Sibylle s'est occupée de me maquiller et de me coiffer. Mais à présent, il ne reste rien de sa coiffure, mes cheveux sont détachés. J'aurais aimé que les yeux noirs me voient telle que j'étais au début de la soirée. Mais ils n'étaient pas là.

Mais reprenons, je dois raconter dans l'ordre. Lorsque j'ai descendu les escaliers, lorsque j'ai traversé la salle de bal, c'est avec plaisir que j'ai constaté que les conversations se taisaient, que les regards me suivaient. Ma mère m'a appris à ne jamais rougir du succès que l'on remporte car il ne peut être que mérité. (Elle m'a aussi enseigné à toujours garder la tête froide, même dans les situations de crise, car c'est la seule façon d'analyser et de prendre la bonne décision.). Mais ce que j'ai préféré de tout ça, c'est le regard de Lucius qui ne me quittait pas. Ses yeux gris étaient devenus deux aimants fixés à chacun des pas que je faisais. Il n'a jamais dû autant me regarder que cette soirée ! Oh, il ne faut pas croire que je me soucie de l'admiration de Lucius ! Jamais. Mais je me suis sentie comme Cendrillon qui sentait que ses abominables sœurs ne pouvaient détacher leurs regards d'elle.

Alors, vous pouvez être certains que je ne me suis pas gênée, que je ne me suis pas retenue. Durant tout le bal, je n'ai cessé d'aller de conversation en conversation. J'ai papillonné comme j'ai vu si souvent ma mère le faire tout au long de ces interminables fêtes auxquelles on m'obligeait à prendre part. Mais la tranquillité et la liberté ne pouvaient durer.

Alors que j'étais au buffet, occupée à me remplir une assiette, j'ai senti un bras encercler ma taille. Je n'ai pas eu le temps de réagir, ni même de m'étonner, j'étais déjà sur la piste, solidement maintenue dans les bras de Lucius. J'ai essayé de me dégager, mais il n'en a resserré que davantage son étreinte. Alors je lui ai écrasé les pieds aussi lourdement que j'ai pu. Mais j'avais beau y mettre toute ma conviction, il affichait un visage de marbre qu'aucun froncement de sourcils ou mordillement de lèvres ne trahissait. Seuls ses yeux gris répondaient à mes coups. Ses yeux gris plein de colère et de mépris. Lorsque la chanson s'est achevée, j'ai pensé que mon calvaire était fini, que je pourrais m'extirper loin de ses bras tentaculaires. Mais il ne m'a pas lâchée, non au contraire, ses bras se sont faits plus présents, ses doigts sont entrés dans ma chair, ses ongles m'ont meurtrie sans pitié et quand la musique a repris, il m'a entraînée dans ses pas.

Trois chansons sont passées, trois abominables et interminables chansons. Pourquoi les font-ils si longues ? Pensent-ils que ce sont toujours des couples bien assortis qui dansent dessus ?

Lorsque mon calvaire a pris fin ce ne fut pour découvrir que c'en était que le commencement. Lucius est parti à ses affaires pour mieux se faire remplacer par Scylla Tantale. Et les musiques se sont à nouveau enchaînées, aussi enchaînées que je l'étais à mon geôlier. J'ai bien essayé de me débattre, de lui échapper, mais il était trop fort et il me faisait vraiment mal, alors en désespoir de cause, j'ai cessé de lutter et je me suis rangée. Nous n'avons cessé de danser que pour boire et se reposer de temps en temps. Rien d'autre ! Jamais, pour tout le pouvoir du monde, je n'aurais entamé une conversation avec lui et lui ne semblait absolument pas en voir la nécessité. Quant à parler avec les autres… il y a bien eu quelques personnes qui se sont approchées pour entamer une conversation ou m'inviter à danser, mais un simple regard de Scylla suffisait à les faire fuir. Seules Elizabeth et Sibylle ont été tolérées pour rester à mes côtés. Quant à Lucius, je ne l'ai pas revu de la soirée. Lassée, écœurée, j'ai décidé de rentrer me coucher. Qu'importait le bal, si je ne pouvais danser à ma convenance ? Qu'importait d'être belle, si je ne pouvais m'amuser à charmer ?

Scylla a tenu me raccompagner, impossible de m'en débarrasser. Je me demande si Lucius lui a aussi ordonné de me suivre jusqu'aux toilettes. Mais avant de me laisser monter les escaliers qui mènent aux dortoirs des filles, il m'a attrapée par le poignet et avec violence m'a plaquée contre le mur. Un instant, mon cœur a explosé dans ma poitrine et j'ai redouté ce qui allait venir ensuite. Qu'avait ordonné Lucius à mon sujet ? Qu'est-ce que sa folie pouvait bien dicter à Tantale. Car j'en suis persuadée, ce type est fou ! Il a approché son visage du mien et ses yeux rouges ont empli tout mon champ de vision, j'ai détourné vivement la tête et fermé avec force les yeux. Et puis j'ai senti son souffle dans mon oreille.

« N'oublie jamais, Narcissa, qu'un jour, tu porteras leur nom et leur descendance et pour cette raison tu leur appartiens pour toute ta vie. Tu te dois à eux. Ne l'oublie jamais, car ils ne pardonnent rien, jamais, et à personne. »

Et puis il est parti.

Quand j'ai entendu la porte se refermer derrière lui, et seulement là, je me suis laissée glisser le long du mur, tremblante de frayeur. Et je crois que j'ai pleuré. Non, je ne le crois pas, je le sais : j'ai pleuré ! Pleuré pour toutes ces années où je me suis tue et pour toutes celles de silence qui restent encore à venir. Je pleure sur cette vie qui est la mienne mais qui ne m'appartient pas. Mais, moi, j'appartiens à quelqu'un. Pas de cette manière magnifique dont deux amants s'appartiennent et se murmurent entre deux étreintes : « Tu es à moi, je n'aime que toi et tu n'aimes que moi », mais de celle dont un maître possède un esclave et lui dit : « Tu es à moi, tu es ma propriété. Sers bien mon nom. »

(…)

Les rêves de princes charmants qui viennent vous enlever sur leurs beaux destriers blancs, je croyais qu'il y avait un âge, où on cessait d'y songer. Moi, depuis la soirée du bal, je n'y crois qu'avec plus de ferveur. Je me persuade qu'il y a quelque part, un preux chevalier qui scelle sa monture et qui s'apprête à venir affronter toutes les épreuves pour venir me libérer de ma tour. Même si un heaume les dissimule, je sais que ce sont les yeux noirs. Oui, ils feraient un sauveur tout à fait acceptable. Tel Thésée chevauchant Pégase, il arriverait des cieux infinis, nappé de soleil et armé d'une lance solide et d'une épée étincelante. La lutte serait longue et sanglante, je tâcherais de mon mieux de mon rocher de l'encourager. Et finalement, alors que la fin semblerait proche, alors que l'on pourrait craindre qu'il ne s'effondre battu, il rassemblerait au bon moment toutes ses forces et d'un coup décapiterait l'immonde dragon. Fatigué mais heureux, il me libèrerait de mes chaînes. Je me jetterais en pleurs dans ses bras, quoique fière tout de même, car je suis une princesse. D'une main tendue, il m'aiderait à me hisser sur le magnifique destrier et il m'emmènerait loin de ce monde maudit qui accepte que les filles soient livrées par leurs parents à des monstres à seule fin de s'assurer un peu de tranquillité, d'argent ou du pouvoir.

Le mythe d'Andromède, revu et corrigé par les fantasmes d'une adolescente en mal d'amour et terrorisée par l'avenir qui s'offre à elle.

(…)

Il existe ! Il est vrai ! Il n'est pas issu de mon esprit malade ! Je l'ai vu ! Elizabeth l'a vu ! Sibylle l'a vu ! Mon Thésée existe ! Et je suis la plus heureuse des filles !

Nous étions en cours de botanique, rien de très passionnant comme vous pouvez le voir. Il s'agissait de dépoter et rempoter, rien de très exhalant. Et puis, alors que je regarde au travers des murs transparents des serres, je vois un groupe d'élèves que je suis certaine de n'avoir jamais vus entrer dans la serre voisine. Je signale leur présence aux filles et elles sont tout aussi étonnées de voir tous ces élèves qu'elles ne connaissent pas. Nous y allons chacune de nos suppositions : ça ne peut être qu'une classe d'une Maison d'un niveau différent du nôtre. Et alors que nous débattions, au milieu de cette cohue, je les vois ! Les yeux noirs regardent à travers le vitrage, ils ne sont pas les seuls, mais ce ne sont que ceux-là que je vois. Je me fige de la tête aux pieds un instant, puis je reprends le contrôle de mon corps et le désigne avec précipitation aux filles. Si elles le voyaient c'est qu'il existe vraiment, sinon c'est que je suis vraiment en train de devenir folle. Et elles le voient ! Oh moment de soulagement intense !

Il faut absolument que je lui parle, que je le revoie. Mais, primo, je ne sais pas ni qui il est, ni où le trouver. Et, secundo, si j'avais le malheur de ne lui manifester que le dixième l'intérêt que je lui porte déjà, mes cerbères s'empresseraient de lui tomber dessus.

(…)

Voilà un mois que je n'ai pas revu les yeux noirs de Thésée et je suis à la limite de m'effondrer de tristesse. Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ? Nous l'avons cherché partout, nous avons fait les sept classes des quatre Maisons, je suis même capable maintenant de réciter le nom de tous les élèves de Poudlard. Mais aucune trace de mon Thésée. Sibylle pense que ce n'est pas Thésée qui est le fantôme de cette histoire mais toute sa classe ! Si on trouve la classe, on trouvera Thésée. Et je crois qu'elle n'a pas tort (Elizabeth est restée muette devant la justesse du raisonnement de Sibylle). Mais cela revient au même : il n'y a pas non plus la moindre trace de cette classe mystérieuse. Des élèves ont bien vu une classe inconnue circuler, mais ils ne se sont jusqu'alors jamais posés la moindre question : pour eux c'était juste une classe d'une autre Maison.

(…)

Ceyx Somnus ! Il s'appelle Ceyx Somnus. Mon Thésée s'appelle Ceyx Somnus ! D'accord, c'est un nom bizarre… Mais je sais enfin son nom… Et surtout, surtout, je lui ai parlé ! J'en ai la tête qui tourne rien qu'au souvenir.

Nous nous sommes rencontrés par hasard. Oui, encore le hasard. Toujours le hasard. J'aurais dû comprendre que je devais m'en remettre entièrement au hasard. Depuis le temps qu'il opère, il s'y connaît bien mieux que moi pour réunir les gens. Ça m'apprendra à ne pas lui faire confiance !

Il était encore tôt, la plupart des élèves dormaient. Seuls quelques courageux prenaient leur petit déjeuner dans la grande salle. J'étais assise sur une pierre et je regardais les parterres de fleurs. J'observais chacun des boutons déplier un à un leurs pétales froissés. L'air s'emplissait lentement d'un parfum divin. J'étais persuadée d'être seule pourtant j'ai soudain senti un regard fixé dur mon dos. Précipitamment, je me suis retournée, m'attendant à trouver des yeux gris ou rouges, mais ce sont des noirs que j'ai croisés. Il était là, debout, souriant dans le soleil levant et en même temps il semblait totalement égaré, comme s'il avait subitement atterri dans un autre univers.

« Je crois que je suis un peu en avance », furent ces premiers mots. Et alors j'ai cessé de fixer les yeux noirs et je l'ai regardé, lui, mon Thésée égaré.

Hormis ses beaux yeux noirs, la seconde chose qui a attaché mon regard c'est son sourire. D'une seconde à l'autre, de doux, il prend quelque chose de chenapan. Et alors ses yeux noirs deviennent des puits de malice. Il a des cheveux blonds en bataille dont il semble s'amuser du désordre. Je suis certaine que s'il le voulait il pourrait les remettre en ordre, mais il ne le veut pas et c'est mieux comme ça. J'en ai assez des cheveux blonds bien trop coiffés. Alors même que j'étais assise, j'étais persuadée qu'il était bien plus grand que moi. Et il l'est. Il a la bonne taille. Car quand je suis debout face à lui, je peux placer ma tête dans le creux de son épaule. Et si je le voulais, il me suffirait de me hausser légèrement, pour atteindre ses lèvres des miennes. S'il n'a pas le même âge que le mien, je pense qu'il n'a qu'un an de moins. Il n'est peut-être pas le plus beau des garçons qui existent sur Terre, mais moi, je le trouve magnifique et c'est amplement suffisant.

Et alors que nous attendions chacun nos cours, nous avons un petit peu conversé. Oh ! Vraiment pas longtemps malheureusement ! Mais je sais son nom et lui connaît le mien. Et il se souvenait très bien de moi. C'est vrai qu'à cause de moi il a eu un œil au beurre noir, donc il avait toutes les raisons de se souvenir de moi, mais il ne m'en n'a pas gardé rigueur, après tout, d'une pommade, Pomfresh avait tout fait disparaître : douleur et marque.

Je ne sais toujours pas dans quelle classe il est, mais il m'a dit qu'il était là tous les mois, pendant toute une semaine, matin ou après midi, ça dépendait.

Ça dépend de quoi ? Je me le demande bien. Mais je lui poserai la question cette semaine, après tout, je vais le revoir ! Ceyx, mon Thésée, maintenant que je t'ai trouvé, je ne vais pas te laisser partir.

(…)

Je ne pourrais pas ! C'est au-dessus de mes forces ! Comment vais-je bien pouvoir patienter un mois sans le revoir ? Comment vais-je supporter que ses beaux yeux noirs ne se posent plus sur moi ? Que sa voix ne me berce ?

Depuis que je suis à Poudlard, je viens de passer la semaine la plus heureuse. Non, sans mentir, ni exagérer, j'ai passé la meilleure semaine de mon existence.

Et puis j'ai éclairci le mystère de la classe fantôme. Cette classe rassemble une catégorie un peu particulière de sorciers. Ne vont à Poudlard que les enfants qui deviendront des sorciers, dont la magie dépasse un certain niveau. Mais le ministère a découvert qu'au sein des Moldus, il y avait des gens qui possédaient quelques pouvoirs magiques plus ou moins latents. Ces pouvoirs sont trop faibles pour faire de ces humains de véritables sorciers, mais ils ne sont pas non plus des Moldus, le ministère leur a donné le nom de sorcicien. Il est arrivé que ces sorciciens fassent appel à leurs pouvoirs sans jamais vraiment les contrôler et mettent donc en danger la communauté magique. Le ministère a alors décidé de s'occuper de leur apprendre à les maîtriser de façon à ce qu'ils ne se fassent pas démasquer. Les sorciciens mènent une vie de Moldus et vont dans une annexe de Poudlard qui enseigne quelques rudiments de la magie ainsi que le programme Moldu normal. Mais l'école est à Londres et pour les cours de travaux pratiques ce n'est pas très… pratique ; donc une fois par mois, en fonction du niveau de classe, ils vont à Poudlard pour rencontrer de vraies créatures magiques et s'occuper de plantes que les Moldus n'ont jamais vues.

Ceyx, mon Thésée est un sorcicien, un être à part, ni vraiment Moldu, ni tout à fait sorcier. Et ce qu'il est, renforce d'autant plus l'interdit que j'ai de l'aimer. Il est pire qu'un sorcier né de parents moldus, dans la hiérarchie que l'on m'a apprise, il se trouve tout en bas, à la hauteur des Moldus pour lesquels on m'a appris à avoir tant de mépris. Mais au diable ce qu'on m'a appris ! Seul compte Ceyx, mon Thésée.

(…)

Je dois me montrer bien plus prudente. Scylla ne me quitte pas des yeux. Selon Sibylle, j'ai l'air bien trop heureux et cela éveille leurs soupçons. Mais comme leurs soupçons sont justifiés ! Je suis si heureuse que c'en est presque une injure pour tous ceux qui ont la triste de vie de ne connaître que le gris. Mais comment voulez-vous que je ne le sois pas quand la personne que vous aimez vous dit qu'elle vous aime en retour. J'avais tellement peur de lui avouer mes sentiments, mais je ne pouvais plus les cacher, je ne pouvais plus les contenir, ni les taire. Quand je suis à ses côtés, je guette les moments où je pourrais par un semblant d'inadvertance le frôler, sentir son odeur. Un seul de ses regards me transporte au delà des nues. J'ai envie de lui crier le bonheur qu'il me donne, le remercier, me jeter dans ses bras et me pendre à son cou. Je veux ses lèvres sur les miennes et dans mon cou, je veux ses mains sur moi.

Alors je lui ai dit. Droit dans ses yeux noirs, je lui ai confessé que je l'aimais. C'est incroyable comme les mots sont sortis facilement de ma bouche. Il est resté silencieux, ses yeux noirs, ses merveilles, fixes, la bouche légèrement ouverte. Je ne m'étais pas rendue compte jusqu'à ce moment, que « je t'aime » attend une réponse. Et j'ai paniqué. Je voulais lui dire que ce n'était pas grave s'il ne m'aimait pas, qu'il devait oublier tout ce que je venais de lui dire et ne rien changer. Mais je n'ai rien dit car il a parlé avant et m'a dit qu'il m'aimait. Le monde peut bien disparaître aujourd'hui, je m'en fiche bien, je suis trop heureuse.

(…)

Je commence à avoir réellement peur. Partout où je vais, je tombe sur un acolyte de Lucius. Je ne peux faire aucun pas tranquille, je suis soumise à leur perpétuelle surveillance. Heureusement, Ceyx ne revient pas avant trois semaines et d'ici-là, ils se seront peut-être calmés. Je prends maintenant bien soin de toujours manger plus tôt que tout le monde, de manière à ce que les semaines où Ceyx est là, ça passe inaperçu. Mais je ne sais combien de temps, je pourrais continuer à leur donner le change.

(…)

Chaque fois que je suis avec Ceyx, je ne suis pas tranquille. Je ne me rappelle que trop ce qu'ils ont fait à Charles et lui et moi n'étions rien l'un pour l'autre. Mais avec Ceyx, c'est si différent… Si Lucius l'apprenait, je n'ose entrevoir ce qu'il lui ferait. Ceyx a fini par me demander pourquoi j'étais si tendue en sa présence, si c'était parce que je voulais rompre. Oh mon dieu ! Comment peut-il penser une telle chose ? J'ai préféré tout lui avouer plutôt que de lui faire croire une telle horreur. Il a semblé très étonné que les sorciers soient soumis à des mariages arrangés. Je lui ai expliqué que ça ne concernait pas tous les sorciers, seulement ceux issus de grandes familles. Il m'a regardée avec des yeux tout ronds et m'a dit : « Alors tu es bien une princesse ? »

Comment voulez-vous que je me sépare de lui ?

Il ne s'est pas démonté en apprenant que j'étais fiancée et a répliqué que si j'avais déjà un mari et bien lui serait mon amant et que nous serons tout de même heureux.

Oh oui ! Je l'aime ! Je l'aime tant que ça me fait mal !

(…)

Restés dehors pour nous voir est devenu bien trop risqué, je l'ai donc emmené dans ma cachette. Il est la première personne que j'y emmène. La prochaine sera mon enfant. Mais ce qui m'emplit de tristesse c'est de savoir que ça ne sera pas non plus son enfant, qu'il sera celui d'une personne que je déteste, de savoir que cet enfant aura des yeux gris et jamais noirs.

(…)

Je… J'ai tellement mal ! Je le hais avec tant de violence que je ne pensais pas en être incapable. Je les hais tous ! Je n'arrive pas à écrire, les larmes qui coulent depuis des heures de mes yeux semblent intarissables, j'ai l'impression que jusqu'à la fin de ma vie, je ne verrai plus le monde qu'à travers le flou de ma douleur. Sibylle et Elizabeth ont bien essayé de me consoler. Mais comment le pourraient-elles : je suis inconsolable ! Ils l'ont tué… Ceyx, mon amour, mon Thésée, mon prince, mon rêve est mort et je ne le reverrai jamais. Alors osez me dire, que ça va passer, que la douleur et la colère vont disparaître ! Osez me le dire bien en face ! Jamais plus rien n'ira bien quand on vous a arraché le cœur !

Ils m'avaient suivi, ils m'observaient depuis longtemps. Comment ai-je fait pour être si aveugle, si idiote ? J'ai été si présomptueuse, j'ai pensé que je pouvais les tromper, mais c'est eux qui se sont joués de moi depuis le début. Ce jour-là, ils nous attendaient dans ma pièce secrète. Nous n'avons pas eu le temps de réagir, ni Ceyx, ni moi. Ils nous ont attrapés tous les deux et nous ont immobilisés. Il m'a craché tant d'injures, tant d'horreurs. Il m'a giflée avec tant de forces que si je n'avais pas été tenue, je serais tombée. Je me demande encore comment j'ai fait pour ne pas perdre connaissance. Ceyx se débattait, il leur interdisait de me toucher, de me faire du mal. Et moi, je ne pensais qu'à lui. Je savais ce que j'endurais ne serait rien comparé à ce qu'il lui ferait subir. Il criait au secours, mais c'était inutile, la pièce est insonorisée. Et après il s'est tourné vers Ceyx, mon Thésée, mon prince, mon rêve, mon amour. Et ils lui ont fait mal… si mal… j'entends encore ses cris, ils me vrillent les tympans et me soulèvent le cœur. Je lui jurai que je ne recommencerai pas, que je ne le reverrai pas. Oui, j'aurais préféré dépérir doucement, car c'est ce qui arriverait si je ne le voyais plus, plutôt que de le voir tant souffrir. Tout était ma faute, ils ne cessaient de me le dire. Ils lui ont fait mal… tellement mal… Ceyx, mon tendre, mon facétieux Thésée, se tordait de douleur à leurs pieds et ils en riaient. Et ils l'ont tué sans pitié et avec plaisir.

Je voudrais oublier ces images, ne pas m'en rappeler dès que je ferme les yeux, je voudrais que, comme avant, n'avoir que ses beaux yeux noirs à l'esprit. Mais c'est là le prix de ma faute, je savais que je le mettais en danger en l'aimant et en le laissant m'aimer. Je l'ai perdu et je suis la seule responsable. Mais le coupable c'est lui, Lucius. Je le hais avec tant de force, tant de violence qu'il en serait lui même surpris. Alors je jure sur le sang de Ceyx qu'il a fait couler, sur mon cœur broyé que je me vengerai. La souffrance que j'endure, je la lui ferai connaître. J'attendrai mon heure, j'ai tout mon temps. Mais, je le jure, il paiera !

-o-

Mais, je le jure, il paiera, tels sont les derniers mot du journal de ma mère.

Je… je crois que je vais vomir…


Fin du neuvième chapitre